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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre III - Section VI

par Victor de Beauvillé

Section VI

Alienor de Vermandois cède le comté de Montdidier à Philippe-Auguste

Époque et conditions de cette cession

Alienor meurt sans enfants

Lieu de sa sépulture

 

Il résulte même de la teneur de cet acte que le comté d'Amiens n'avait pas été réuni entièrement à la couronne en 1185, comme l'avance du Cange : Ipsa quittat nobis totam comitivam Ambianesii cum pertinenciis suis in feodo et dominio. Ce mot totam indique évidemment que, postérieurement au traité de 1185, Philippe-Auguste n'avait point possédé tout le comté d'Amiens, et qu'une partie était restée au pouvoir de la comtesse de Valois, qui ne la délaissa définitivement qu'en 1191.

La convention intervenue entre le roi et Aliénor de Vermandois était résolutoire, c'est-à-dire subordonnée à la condition qu'Aliénor ne laisserait point d'héritier de sa chair, condition qui devait s'accomplir. L'acte porte la signature de Guy, boutiliier, et celle de Mathieu, chambrier : il n'est pas indiqué dans quel mois il a été passé. Mathieu, chambrier de France, était Mathieu III, comte de Beaumont-sur-Oise, mari d'Aliénor de Vermandois, l'une des parties contractantes ; Guy, boutillier, était Guy de Senlis, qui prit les armes en 1190 pour accompagner le roi dans son voyage de la Terre Sainte. Cette négociation avait été entamée avant le départ du roi pour la Palestine ; elle fut terminée pendant son séjour en Orient, du moins en ce qui concerne Péronne. Le comte de Flandre ayant été tué devant Saint-Jean d'Acre, Philippe-Auguste écrivit à la noblesse péronnaise, au mois de juin 1191, qu'entrant en jouissance de la seigneurie de Péronne par la mort du comte de Flandre, qui en était usufruitier, elle eût à prêter le serment de fidélité à lui et au prince son fils, entre les mains des commissaires désignés à cet effet. Ces commissaires étaient : Guillaume de Champagne, archevêque de Reims ; Robert de Waurin, Pierre du Mesnil, Pierre de Courtray et Raoul de Gournay. Cette affaire ne reçut une entière solution qu'au retour du roi à Paris, vers la fin de 1191.

Nous ne savons si les mêmes commissaires prirent aussi possession de Montdidier au nom du roi ; il y a tout lieu de le croire. Philippe-Auguste confirma, en 1194, le traité signé trois ans auparavant (Brussel, Traité des fiefs, page 441), et c'est de cette année que date la réunion définitive de Montdidier à la couronne.

Les immenses domaines de Raoul le Vieux semblaient devoir forcément revenir au roi de France. Une sorte de fatalité pesait sur la famille du comte de Vermandois : Raoul le Jeune et Élisabeth étaient morts sans enfants, le même sort était réservé à Aliénor. Cette princesse fut mariée cinq fois, et de ses nombreux mariages ne laissa aucun héritier. Elle épousa Geoffroy de Hainaut, comte d'Ostrevant, fils de Baudouin IV, comte de Hainaut ; Guillaume IV, comte de Nevers ; Mathieu d'Alsace, comte de Boulogne, et Mathieu III, comte de Beaumont-sur-Oise. Suivant quelques auteurs, le cinquième mari d'Aliénor serait Étienne Ier, comte de Sancerre ; mais c'est une erreur : ce dernier mourut au siége de Saint-Jean d'Acre, en 1190, et à cette époque Aliénor était mariée au comte de Beaumont. M. Douët d'Arcq, dans ses Recherches sur les anciens comtes de Beaumont-sur-Oise, volume in-quarto, publié aux frais de la Société des antiquaires de Picardie, établit, à l'aide de chartes, que ce n'est pas Étienne Ier, comte de Sancerre, qu'Aliénor avait épousé en cinquièmes noces, mais le troisième fils de ce comte, qui portait, comme son père, le nom d'Étienne. Aliénor était très-pieuse et très-charitable : elle donna des biens considérables aux abbayes du Parc-aux-Dames et de Longpont. Dans l'accord qu'elle avait fait avec Philippe-Auguste, elle s'était réservé le droit de prendre sur les villes de Roye et de Péronne cent livres parisis de rente pour distribuer en aumônes, et, dans le cas où elle entrerait au couvent, elle pouvait, outre cette somme, prélever encore trois cents livres parisis de rente sur les mêmes villes.

La comtesse de Valois aimait les lettres et les cultivait ; elle encourageait les poètes et leur indiquait les sujets qu'ils devaient traiter. Le roman de Sainte Geneviève fut composé sur ses instances ; c'est à elle qu'il est dédié, ainsi que le prouvent ces vers de l'auteur :

La dame de Valois me prie
De mettre en bon roman la vie
D'une sainte que moult elle clame.

Aliénor mourut le 14 juin 1214, suivant les auteurs de l'Art de vérifier les dates ; mais cette opinion, qui n'était pas généralement admise, n'est plus soutenable depuis que M. Doua d'Arcq a produit des chartes émanant de cette princesse, et portant les dates de 1216 et 1219. On prétend qu'Aliénor vivait encore en 1222. Elle fut inhumée, selon les Bénédictins, non dans l'église de l'abbaye du Parc-aux-Dames qu'elle avait fondée, mais dans celle de Longpont, auprès de Raoul, son frère.

Carlier assure, au contraire, que la comtesse de Valois fut enterrée dans l'église du Parc-aux-Dames : il dit y avoir vu sa tombe, et ajoute que l'inscription suivante, conservée à Longpont, et sur laquelle s'appuyaient les partisans de l'avis opposé au sien, était tout à fait moderne :

Fratri juncta soror comiti comitissa Radulpho
Nobilis Elienor hic tumulata jacet.

Colliette a suivi le sentiment de Carlier ; D. Grenier celui des Bénédictins, mais il place le décès d'Aliénor au 30 juin 1214 : « L'historien du Valois, » dit-il, prétend que la comtesse a été inhumée dans l'église de l'abbaye du Parc-aux-Dames, sous l'orgue ; il parle de sa tombe comme s'il l'avait vue : nous renvoyons à l'épitaphe de Raoul, qui est commune au frère et à la sœur (nous l'avons citée en parlant de Raoul II), nous nous contenterons de rapporter l'inscription en vers qui est dans le cloître de l'abbaye de Longpont : »

Fratri juncta soror eomiti comitissa Radulpho
Nobilis Elienor hic tumulata jacet.
Qui cum claruerint altis natalibus, alta
Vicerunt morum nobilitate genus.
Sed quid honor ? quid opes ? quid gloria sanguinis alti ?
Ecce brevis pariter tegit utrumque lapis.
In speculum, lector, tibi sint ; pro temet et ipsis
Sors tua te moveat fundere vota precum.

Muldrac et le P. Daire affirment également que la comtesse Aliénor fut enterrée à Longpont. Ce que Carlier dit de la modernité, qu'on nous passe le mot, de l'inscription en vers de Longpont, est vrai : cette inscription était moderne en ce sens, qu'elle avait été refaite et placée depuis peu de temps, car, pour l'ancienneté de sa composition, il n'y avait pas de doute à élever sur ce point. A l'époque où vivait Carlier, l'épitaphe ne consistait plus que dans les deux vers qu'il rapporte, tandis qu'autrefois elle se composait des huit vers qu'on vient de lire. En replaçant l'inscription, au lieu de la transcrire en entier, on n'avait mis que les deux premiers vers, comme exprimant suffisamment l'objet auquel ils s'appliquaient. L'objection que Carlier tire de la nouveauté de l'épitaphe pour soutenir qu'Aliénor n'était pas enterrée à Longpont n'est donc pas fondée ; reste le témoignage oculaire de cet écrivain et ce qu'il avance au sujet de cette pierre tombale qui existait à Longpont. D. Grenier a tout l'air de dire que Carlier n'a jamais vu le monument dont il parle ; il serait fort singulier en effet que, jusqu'à lui, cette pierre eût échappé aux investigations des auteurs. Muldrac, autre historien du Valois, n'en fait pas mention ; les Bénédictins qui travaillaient dans le siècle dernier à l'histoire de Picardie étaient les contemporains de Carlier : ils avaient pu vérifier le fait avancé par ce dernier, et ils le rejettent. L'épitaphe de Raoul II, rapportée à la page 75 : Hic jacent Radulfus junior ejusque soror Elienor, etc., se trouvant parfaitement d'accord avec l'inscription en vers contenue aussi dans le Cartulaire de Longpont, nous pensons que l'opinion de Carlier ne doit pas être adoptée, et que c'est à Longpont qu'il convient de fixer le lieu de la sépulture du comte Raoul et d'Aliénor, sa sœur.

Pendant trois cents ans environ que le comté de Montdidier fut séparé de la couronne, il fut possédé successivement par cinq familles différentes.

La première fut celle d'Hilduin et des comtes de ce nom ; le comté passa dans la maison de Valois par l'usurpation de Raoul de Crépy, ensuite dans celle de Vermandois, puis dans celle de Vermandois-France, enfin il devint la propriété du comte de Flandre. La succession masculine fut fréquemment interrompue, et c'est presque toujours par suite d'alliances que le comté de Montdidier devint le partage des familles dont nous venons de parler.

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