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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IV - Section V

par Victor de Beauvillé

Section V

Jacquerie

Lettres de rémission accordées aux habitants

Guerre suscitée par le roi de Navarre

Les grandes bandes

Situation déplorable de la ville

Invasion des Anglais

Robert Knolle assiége Montdidier

 

La Jacquerie prit naissance dans les environs de Clermont, et se développa arec une rapidité incroyable, entraînant après elle tous les gens de la campagne, qui, ruinés par les nobles, saisirent avec empressement l'occasion de se venger de leurs oppresseurs (1358). Armés de couteaux et de bâtons ferrés, « ces méchantes gens, » dit Froissart, « ardirent et détruisirent au pais de Beauvaisis et environ Corbie et Amiens et à Montdidier plus de soixante maisons bonnes et forts chastiaux..… ils roboient, ardoient et occioient tous gentilshommes qu'ils trouvoient et efforceoient toutes dames et pucelles….. Je n'oseroye escrire les horribles faits et inconcevables qu'ils faisoient aux dames. »

C'était une guerre de sauvages. Froissart cite le fait d'un gentilhomme que les Jacques boutèrent en une haste (à la broche) et firent rôtir en présence de sa femme et de ses enfants ; ils obligèrent ensuite cette malheureuse à manger de la chair de son mari, et, après l'avoir violée, la tuèrent.

Un grand nombre de manoirs féodaux des environs de Montdidier disparurent à cette époque ; on n'en voit plus trace que dans les anciens titres ; à peine en reste-t-il quelques faibles vestiges que la terre recouvre et qui disparaissent chaque jour.

Les habitants de Fontaine, près Montdidier, se signalèrent durant la guerre de la Jacquerie. Ils attaquèrent la maison de Jean de Clermont et Nesle, dit Montgouhert, la pillèrent et la détruisirent ; ils assiégèrent ensuite le château de Courtemanche, qu'ils démolirent de fond en comble. Les habitants de Villers-Tournelle, d'Ailly-sur-Noye et de Lawarde-Mauger se joignirent à eux ; le nombre des insurgés augmentant sans cesse, ils envahirent bientôt les pays voisins : le Noyonnois, le Laonnois, le Soissonnois furent ravagés.

La noblesse, remise de l'effroi que lui avait causé une attaque aussi imprévue, se réunit et marcha contre les révoltés. Les Jacques assiégeaient le château de Plessier-les-Roye, où Mathieu de Roie et plusieurs nobles des environs s'étaient réfugiés avec leurs familles. Raoul de Coucy, le sire de Rainneval, le sire de Roie, le sire de Moreuil, Guy de Honcourt, Gualeran son frère, et plusieurs chevaliers, s'assemblèrent, attaquèrent les Jacques, les défirent et en tuèrent un grand nombre. Les gentilshommes du Beauvoisis, de Coucy et du Vermandois, dont Montdidier faisait partie, se joignirent à ceux de la Flandre et du Hainaut ; ils tombèrent sur cette multitude de paysans indisciplinés et en firent des massacres affreux ; en un seul jour le roi de Navarre en tua plus de trois mille près de Clermont.

Les environs de Montdidier furent aussi le théâtre de ses sanglants exploits ; le témoignage de Guillaume de Nangis ne laisse aucune incertitude à cet égard. Selon cet historien, les Jacques éprouvèrent près de notre ville une déroute complète : « Unde nobiles hoc videntes ac paulative adunaverunt et sagaci armorum cautela ad eos venerunt, et potissime rex Navaræ, qui aliquos de eorum capitaneis blanditiis advocavit, et non credentes aut cogitantes interfecit. Quibus mortuis, versus villam Montisdesiderii super alios quamplures adunatos et ipse rex cum gente sua, una etiam cum comiti sancti Pauli irruit, et eos gladio occidit et peremit. »

Le Vermandois fournit au roi de France, dans cette guerre, deux cents hommes d'armes sous les ordres de Guy de Nesle, sire de Mello. Les seigneurs usèrent de cruelles représailles : Jean de Clermont, s'étant emparé d'Hénique de Fontaine et de son fils, leur fit couper les jarrets ; une mort cruelle fut la suite de cette barbare mutilation. La Jacquerie expira en Picardie sous les coups du fameux Enguerrand de Coucy.

Placé au centre de l'insurrection, Montdidier prit une part active à ces guerres déplorables. Les lettres de rémission accordées aux maïeur, échevins et bourgeois, témoignent assez que la ville ne demeura pas simple spectatrice des luttes horribles qui avaient lieu autour d'elle, et que la révolte trouva dans son sein de vigoureux partisans.

De retour à Paris, le Dauphin s'efforça de mettre un terme à ces déchirements intérieurs, et, préludant dignement par une mesure de prudence à la politique ferme et éclairée qui devait lui mériter le surnom de Sage, il fit grâce à ceux qui avaient pris part à la rébellion, couvrant leur crime de la miséricorde royale. Nous donnons, d'après le Trésor des Chartres, le texte des lettres de pardon octroyées aux habitants :

« Remissio pro maiore scabinis et civitale ville de Montdidier.

Charles aisne filz du Roy de France etc. savoir faisons à touz presenz et avenir que comme le maire et eschevins bourgois et habitans de la ville de Mondidier ou bailliage de Vermandois du mandement de plusieurs capitaines du plat pais ou autrement sein licence de nostre dit seigneur ou de nous aient envoie et plusieurs d'iceulx esté en leurs personnes aus effroiz conspiracions aliences monopoles commocions et assemblées qui nagaires dernièrement ont esté faiz et faites par les gens du plat pais contre les nobles du royaume et à ardoir abatre et dissiper aucunes fortereices manoirs, maisons et autres édifices des nobles dessus diz et à piller gaster et dissiper les biens diceulx et aussi aient esté si come lein dit aucuns des dessus diz par la dicte ville envoiez ou. autres habitans dicelle presens en leurs personnes en lieux on aucuns des diz nobles ont esté mis a mort et aient ou aucuns diceulx donné conseil confort et aide a faire les choses dessus dites si comme nous avons entendu en commettant plusieurs crimes tant de leze magesté ou premier chief comme autrement et neantmoins il aient touz jours esté et ancor soient et veulent estre a touzjours mes si comme ils dient bons vrays et loyaulx subgiez a nostre dit seigneur a nous et a la couronne de France et il soient a présent en frontiere des ennemis de monseigneur de nous et du royaume et pour cause de noz guerres aient perdu et perdent chascun jour leurs biens ou la plus grant partie qui par les ditz ennemis leur sont gastez pilliez dissipez et emportez et aient mis et mettre leur conviegne de jour en jour toutes leurs chavances ou la plus grant partie de icelles a fortifier et garder la dite ville et a tenir et avoir continuellement gens darmes archiers arbeletriers arteillerie et autres choses necessaires pour la garde et deffension dicelle contre noz diz ennemis et il nous aient fait supplier tres humblement que nous en regart de pitié touz les crimes et meffaiz dessuz diz leur voulissions de notre grace et l'autorité royal dont nous usons quitter remectre et pardonner Nous en sur ce déliberacion avecques notre conseil Considerans que de nouvel en la presence et du consentement des nobles et non nobles estans lors en notre presence ou palais Royal à Paris avons ordene que toutes guerres et toutes voies de fait cesseroient et cesseront du tout en tout entre les nobles et non nobles Enclinans gracieusement a leur supplication considerées les choses dessus dites et les circonstances dicelles et plusieurs autres qui a ce nous ont meu et doivent mouvoir touz les exces deliz crimes et malefices dessus diz et quiexconques autres dependens de yceulx que ou temps avenir len leur pourroit imposer ou a aucun diceux en general ou en especial aveques toutes paines tant crimineles comme civiles esquelles pour ce il pourroient estre encouruz envers notre dit seigneur et nous excepte toutevoies le crime de la grant traison avons quitte remis et pardonne quictons remettons et pardonnons par ces presentes de la pleniere puissance et auctorité royal dont nous usons de nostre certaine science et grace especiale auz dessus diz maire jurez et eschevins bourgois et habitants de la dicte ville de Montdidier et a toutes les singulieres personnes de icelle ville en general et en especial et se aucuns diceulx pour ceste cause estoient fuitez ou banniz nous les restituons au pais a leur bonne renommee et a touz leur biens se aucuns avoient esté ou estoient pris saisiz ou arrestez pour ceste cause sauf toutevoie droit de partie a poursuivre civilement par voie de justice non mie par voie de fait.

Si donnons en mandement par ces présentes au bailli de Vermandois au prevost de Montdidier et a touz autres justiciers officiers et commissaires sur ce ou sur cas semblables deputez ou a deputer de par notre dit seigneur et de par nous ou a leur lieux tenant et a chascun deulx si comme a lui appartiendra que pour cause ou occasion des cas dessusdiz ou de aucuns diceulx contre la fourme et teneur de notre presente grace ne molestent ou contraignent ne facent ou souffrent estre molestez ou contrainz en corps ne en biens en general ne en special les dits maire jurez et eschevins bourgois et habitans de la dite ville ou aucuns diceulx mes les en tiegnent et facent tenir perpetuellement quittes et paisibles et se pour ce aucuns deulx estoient pris arrestez ou emprisonnez ou aucuns de leurs biens saisiz pris ou mis en la main de notre dit seigneur ou nostre que tantost et sans delay les mectent au delivre a plain non contrestant quelconque don ou dons que nous facions ou temps avenir desdiz biens ou d'aucun diceulx a quelconques personnes que ce soit les quiex... des maintenant pour lors nous de notre dite grace rappellons et voulons estre de nul effect et de nulle value non contrestant quelconques ordennences a ce contraires au cas toutevoies qu'il ne seroient trouvez coulpables du fait de la grant traison et que ce soit ferme chose et estable a touz jours mais nous avons fait mectre notre scel a ces presentes sauf en autres choses le droit de notre dit seigneur et le nostre et en toutes l'autrui.

Donne a Paris l'an de grace mil CCC LVIII ou mois d'octobre

Par Monseigneur le Regent en son conseil           P. Blanchet. »

Les Archives nationales possèdent plusieurs lettres de rémission accordées tant aux communes de nos environs qui participèrent à la Jacquerie, qu'à de simples particuliers ; ainsi Jean de Clermont, qui avait fait périr les Hénique, obtint sa grâce en juin 1363. Au mois de juillet 1364, le Dauphin accorda la même faveur à Guillaume Boquet de Montdidier, familier et serviteur de l'évêque de Laon, qui avait suivi le parti du roi de Navarre. Nous donnons aux Pièces justificatives, les lettres de rémission concernant Fremy Houdrier de La Warde Manger, et Jean de Clermont ; elles contiennent des particularités intéressantes. (Pièces just. 25-25 bis.)

La rentrée du Dauphin dans la capitale mit fin à la Jacquerie, mais ne termina pas les maux qui désolaient le pays. Le roi de Navarre, furieux de la mort de Marcel, prévôt des marchands, lança ses partisans en Picardie. Ils s'emparèrent des forteresses de Creil, de Mauconseil près Noyon et de la Hérelle. « Au chastel de Herielle, » dit Froissart, « se tenoit messire Jean de Piquegny, Picard : qui estoit bon Navarrois. Ses gens contraignaient mallement ceux de Montdidier, d'Arras, de Péronne, d'Amiens et tout le pays de Picardie, selon la rivière de la Somme. » Ces Navarrais étaient de rudes adversaires, « quand ils avaient, » dit le même chroniqueur, « advisés un chatel ou une forteresse ne doutoient point de l'avoir. Si chevauchoient moult souvent en une nuit trente lieues, et venoient sur un pays qui n'étoit en nul doute : et ainsi exiloient et embloient les chasteaux et forteresses par le royaume de France et prenoient à l'ajourner les chevaliers et les dames et demoiselles en leurs licts et les ranconnoient et prenoient aucune fois tout le leur et puis les boutoient hors de leurs maisons. »

Les Navarrais qui étaient à Mauconseil n'agissaient pas autrement. Le Dauphin, informé de ce qui se passait, voulut mettre un terme à ces brigandages, et demanda aux villes de Picardie et de Vermandois des gens d'armes à pied et à cheval. Les communes répondirent avec empressement à son appel, et fournirent ce qu'elles purent d'archers et d'arbalétriers. Les seigneurs des environs de Montdidier ne se montrèrent pas moins zélés ; Jean de Roie, Mathieu, son frère et le sire de Rainneval se mirent à la tête de ces forces : d'autres troupes, commandées par l'évêque de Noyon, le sire de Chauny et Raoul de Coucy, se joignirent à eux. Cette petite armée s'avança vers Mauconseil, investit la place et livra plusieurs assauts.

Jehan de Picquigny, instruit de l'état où se trouvait cette forteresse, quitte la Hérelle avec ses Navarrais, se renforce de la garnison de Creil, et, à la tête de mille lances, vient fondre sur le camp des assiégeants, qui, négligeant toutes précautions, n'avaient pas même eu la prudence de poser des sentinelles pour les avertir de la présence de l'ennemi. Les Français, surpris de cette attaque imprévue, tombèrent sous les coups des Navarrais ; ceux qui parvinrent à s'échapper n'eurent que le temps de fuir à Noyon ; mais beaucoup furent pris avant de pouvoir gagner cette ville ; Gilles de Lorris, évêque de Noyon, Raoul de Colley, Raoul de Rainneval, le sire de Chauny et ses deux fils, le Borgne de Rouvroy, le sire de Thourotte, le sire de Vendeuil, messire Antoine de Coudun et bien d'autres furent faits prisonniers (1358). Après cet exploit, les Navarrais recommencèrent de plus belle à courir le pays, et nul n'osait leur résister.

Il fallait, pour ramener la tranquillité, établir une autorité supérieure qui pût concentrer tous les commandements divisés entre une foule de chefs. C'est ce que fit le régent en donnant, le 6 décembre 1358, des provisions de lieutenant de roi dans la province de Picardie, Vermandois, Beauvaisis et autres lieux voisins à Robert de Fiennes, connétable de France, avec pouvoir par-dessus tous les autres lieutenants et capitaines desdits pays.

A cette époque calamiteuse, à peine un fléau avait-il cessé qu'il en surgissait un autre. A la Jacquerie succédèrent les grandes bandes, réunion d'aventuriers de tous les partis, faisant la guerre pour leur propre compte, sans autre but que le vol et le pillage. La ville se ressentit vivement de ces troubles. Elle était sans argent, sans crédit, écrasée de dettes qu'elle avait contractées pour payer les impôts destinés à l'entretien des hommes d'armes et des fortifications. Réduits à l'état le plus déplorable, nos ancêtres touchèrent pour la première fois aux droits seigneuriaux qui leur appartenaient, et il leur fallut se dépouiller de ces priviléges qui leur avaient coûté si cher.

Une ordonnance de Charles V, du mois de juin 1365, donne quelques détails sur la situation de Montdidier : le roi permet aux maire et échevins de vendre le droit de four banal acquis du seigneur de la Tournelle sur plusieurs maisons de la ville ; parce que, dit-il, les habitants s'étaient grandement endettés pour les fortifications de la ville qu'ils avaient fait faire ou réparer en grande partie depuis 1356 ou environ, et à raison de l'aide qu'ils payaient pour le fait de la guerre. (Ord. des Rois de France, t. IV, p. 580.)

La position financière de la commune était d'autant plus difficile qu'elle s'était emparée de sommes d'argent confiées à sa garde et appartenant à des mineurs et à d'autres personnes qui les réclamaient et auxquelles il lui était impossible de les rendre. Le roi ordonna que les deniers provenant de la vente du four banal seraient employés à acquitter ces dettes ; ainsi la ville ne profita point de l'aliénation de ses droits seigneuriaux.

La guerre ayant recommencé entre Charles V et Édouard III, les Anglais reprirent leurs courses à travers le royaume. La Picardie ne fut point épargnée. En 1370, Robert Knolle ou Canolle, comme le nomme Belleforest, un de leurs chefs de partisans les plus célèbres, ravagea le Vermandois, le Noyonnais, et vint assiéger Montdidier à la tête de six mille hommes d'armes. Il campa sur une éminence au nord-ouest de la ville, près du chemin qui conduit à Fontaine : cet endroit a conservé son nom, et s'appelle encore aujourd'hui la Quenole. Après plusieurs jours de siége et divers assauts infructueux, Robert, forcé de s'éloigner, incendia, en se retirant, les faubourgs et les moulins de la vallée.

Trois ans après, les Anglais, sous les ordres du duc de Lancastre, débarquèrent à Calais, prirent Corbie et s'emparèrent de Roye, qu'ils détruisirent entièrement. Leur approche renouvela les inquiétudes des habitants ; heureusement ils se dirigèrent vers le Laonnois, et la ville échappa aux attaques d'un ennemi qu'elle avait déjà victorieusement repoussé, mais dont, pour son malheur, elle ne devait que trop, à l'avenir, éprouver les funestes étreintes.

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