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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre V - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Montdidier se soumet au duc de Bourgogne

Il en confie le commandement à Jean de Luxembourg

Ses exploits

Charles VI engage la ville au comte de Charolais

Les habitants le reconnaissent pour seigneur

Revenus

Philippe le Bon prête serment au roi

Il établit un gouverneur général pour Péronne, Montdidier et Roye

 

La lettre que le duc de Bourgogne adressait à nos ancêtres pour les inviter à entrer dans son parti était datée du 24  avril 1417 ; elle fut favorablement accueillie. Les Montdidériens consentirent à le recevoir, et, quelques mois après, ce prince fit son entrée dans notre cité, accompagné du comte de Sait-Pol, de Jean de Luxembourg, son neveu, et de plusieurs seigneurs de qualité. Il est probable que ce fut dans le mois d'août que la ville se soumit volontairement à Jean sans Peur ; l'Itinéraire des ducs de Bourgogne porte : 1417, 22 août. Le duc de Bourgogne à l'ost près Davenescourt. 24 août, à l'ost près de Montdidier.

Le duc resta plusieurs jours dans nos murs, attendant que le seigneur de Fosseux et le sire de Saveuse eussent décidé les habitants de Beauvais à lui ouvrir leurs portes. Pendant son séjour à Montdidier, il reçut de la dame de Mouy la promesse que ses vassaux n'attaqueraient plus les Bourguignons. La même année, Jean sans Peur, se trouvant à Montlhéry, confia le commandement de la ville et de ses marches à Jean de Luxembourg, un des plus braves capitaines de son temps. Les occasions de signaler sou courage ne lui manquèrent pas.

La tranquillité que le duc de Bourgogne avait promise à ceux qui suivraient son parti était une chimère ; il n'était pas plus en son pouvoir qu'en celui du roi de rétablir la paix ; ses partisans étaient les premiers à dévaster la campagne. Des compagnies composées d'étrangers au service du duc, commandées par un certain Gastellimas Quigny, repoussées du Boulonnois, retombèrent sur notre pays, prirent Davenescourt, qui appartenait aux héritiers du sire de Hangest, et y mirent le feu après l'avoir livré au pillage. Les Anglais, alliés des Bourguignons, se répandirent en Picardie, causant d'affreux ravages. Des forteresses d'Arvillers et d'Hangest, qu'ils occupaient, ils faisaient des courses continuelles, pillant et détruisant tout sur leur passage. Jean de Luxembourg marcha contre eux, les cerna dans leurs retraites et les força à se rendre.

Pothon de Xaintrailles et Lahire, ces valeureux champions du roi de France, occupaient les environs de Guise : ils se réunissaient fréquemment à la garnison de Compiègne, demeurée fidèle à son souverain, et, de concert avec elle, venaient guerroyer contre les Bourguignons campés à Montdidier ; aussi Jean de Luxembourg, qui y commandait, avait-il avec lui un grand nombre de gens d'armes.

La prise de Paris par les Bourguignons donna une autorité sans bornes à Jean sans Peur, qui rentra dans la capitale le 13 juillet 1418. Jean de Luxembourg et les troupes en garnison à Montdidier s'empressèrent de se rendre à Paris, espérant prendre leur part du butin ; mais elles furent trompées dans leur attente, ainsi que beaucoup d'autres, qui, dans un semblable espoir, avaient pris le même chemin. La reddition de Paris entraîna celle d'un grand nombre de places : Creil, Pont-Sainte-Maxence, Laon, le Plessier-près-Roye, Noyon, ouvrirent leurs portes au duc de Bourgogne. Péronne, qui avait toujours tenu le parti du roi, se rendit malgré les remontrances de Thomas de Larzy, bailli de Vermandois. Ce malheureux, victime de la fidélité qu'il avait jurée à son maître, fut pris, mené à Laon et décapité avec Jean de Bérencourt, son lieutenant, et Allard de Vésigneul ; il avait, peu de temps auparavant, tenté un coup de main sur Montdidier, et essayé, mais sans succès, de s'emparer de la ville.

Le duc de Bourgogne, voulant se maintenir définitivement dans la possession des cités dont il venait de se rendre maître, profita de son ascendant sur l'infortuné Charles VI pour les faire concéder à son fils, comme sûreté de la dot de sa femme, que le roi n'avait jamais pu lui payer. En effet, le 8 août 1418, Charles VI fit don à Philippe le Bon, alors comte de Charolois, et à Michelle de France, sa femme, des châteaux, villes et châtellenies de Péronne, Roye et Montdidier, avec tous les droits, rentes, revenus, etc., qui en dépendaient, pour en jouir pleinement et paisiblement (la souveraineté réservée au roi), jusqu'à ce qu'il fût payé de la somme de 100,000 écus, montant de la dot que le roi avait constituée à Michelle, sa fille, mais que le comte de Charolois n'avait pas reçue : le duc de Bourgogne devait, tant qu'il retiendrait les trois villes, payer les fiefs, aumônes, gages d'officiers, réparations et autres charges accoutumées. (Pièce just. 26.)

Le consentement des habitants était nécessaire pour ratifier cet engagement : le 7 septembre 1418, ils donnèrent pouvoir à Imbert Fripier et à Jean Estrebaut, de les représenter devant le bailli d'Amiens, et de consentir à l'acte passé entre le roi et le duc de Bourgogne. Le 19 de ce mois, les deux délégués comparurent devant Jean d'Athies et Beaudin le Prévost, auditeurs du roi et lieutenants du bailli d'Amiens, et jurèrent, au nom des habitants, de garder la ville pour le roi et le comte de Charolois.

« Et ce fait, mondit seigneur de Charolois jura et promit ès mains desdits auditeurs de garder et de défendre la ville de Montdidier, et les gens d'Église, bourgeois, manants et habitants d'icelle comme ses bons sujets et de les maintenir en leurs droits, usages, priviléges, libertés et franchises comme ils ont esté au temps passé. » Un double de cette reconnaissance et du serment qui venait d'être prêté fut remis aux envoyés de la ville. (Pièce just. 27.)

C'est réellement à partir de ce jour que Montdidier embrassa la cause du duc de Bourgogne : il ne devait presque pas l'abandonner pendant un demi-siècle. Si nos ancêtres furent de zélés Bourguignons, fermes et constants dans leurs affections, il faut l'attribuer à la liberté pleine et entière avec laquelle ils entrèrent dans le parti de Jean sans Peur. Ce fut à cette époque que commença la réunion des trois villes de Péronne, Montdidier et Roye en un gouvernement distinct de celui de Picardie ; elle fut la conséquence inévitable de la cession faite par Charles VI au comte de Charolois.

L'engagement du mois d'août 1418 légitimait entre les mains du comte de Charolois la possession de Péronne, Roye et Montdidier, dont son père s'était emparé l'année précédente ; l'importance de la somme pour sûreté de laquelle ces villes étaient remises en gage montre suffisamment le prix que le duc attachait à leur conservation. Aussitôt qu'il en fut devenu maître, le comte de Charolois se mit en mesure de faire constater d'une manière régulière la valeur de ses nouveaux domaines. Le 26 septembre 1418, il chargea David Bourse, maître des comptes à Lille, d'informer sur les droits et revenus des trois villes. (Pièces just. 28-29.) Le montant des revenus s'élevait à 4,760 liv. 36 s. 6 d. ; mais, dans ce compte, Mondidier figure pour une somme de 600 liv. parisis due pour son droit d'affranchissement, pour aucunes choses et membres, porte l'information. Nous avons dit (p. 109) que dès 1325, le roi n'avait plus à prendre sur cette somme de 600 liv. que 180 liv. seulement : il faut donc diminuer d'autant les revenus qui appartenaient au duc de Bourgogne.

Si l'on compare ce chiffre de 4,760 liv. avec la somme de 100,000 écus que Charles VI devait au comte de Charolois, on trouvera peut-être qu'il n'y avait aucune proportion entre le gage et la dette, et que le roi gagnait à cet échange ; mais au point de vue politique, l'accord était tout à l'avantage du duc de Bourgogne ; les trois villes qu'on lui cédait étaient bien fortifiées ; l'une d'elles commandait le cours de la Somme ; situées dans un pays riche, peuplé, à peu de distance de Paris, elles formaient un rempart au comté d'Artois, et un point avancé d'où les Bourguignons pouvaient facilement se porter vers la capitale.

Le duc de Bourgogne n'oublia point ceux qui l'avaient aidé dans cette importante négociation : le 27 décembre 1418, il ordonna à ses gens des comptes de Lille de payer à Jean Dyenat « la somme de cent francs monnoye royal que pour consideration de plusieurs bons et grans services que nostre bien aimé receveur de Péronne, Montdidier et Roye Jehan de Dyenat nous a faiz et par spécial en la poursuite que de par nous a esté faire devers monseigneur le Roy pour avoir et obtenir le don des dictes villes et chastellenies ainsi que fait a esté en quoi et en autre manière à l'occasion de ce il a grandement travaillé froyé et missionné et fait encore chacun jour. »

Jean sans Peur ne jouit pas longtemps des villes dont la politique, bien plus que la force des armes, avait assuré la possession à sa famille ; il périt assassiné sur le pont de Montereau, le 20 septembre 1419 : ainsi fut vengé l'assassinat du duc d'Orléans.

Le 10 décembre de la même année, Caradoc des Quennes, gouverneur de Compiègne, qui tenait le parti du Dauphin, s'empara de Roye. Jean de Luxembourg, gouverneur de Montdidier, réunit ses forces et marcha contre lui. Plusieurs seigneurs picards et bourguignons, entre autres l'Isle-Adam, maréchal de France ; le vidame d'Amiens, Hector et Philippe de Saveuse, Antoine de Croy, le seigneur d'Humbercourt, etc., se joignirent dans nos murs à Jean de Luxembourg, et allèrent investir la ville de Roye. Les Dauphinois qui étaient dans la place se défendirent vaillamment, et ne se rendirent que le 18 janvier. Pendant la durée des opérations, Montdidier envoya des arbalétriers, ainsi que des engins de trait et de batterie, au secours des assiégeants.

Deux jours avant la prise de Roye, Raoul d'Ailly, vidame d'Amiens, s'était emparé du château de Démuin sur les partisans du Dauphin, qui, maîtres de cette position, causaient un mal infini aux villes d'Amiens, de Corbie et de Montdidier. Un gentilhomme normand, nommé Bigas, y fut fait prisonnier, ainsi que la dame du lieu, femme de messire Colart de Calleville. Par lettres patentes données, à Lille, le 20 janvier 1419, le duc de Bourgogne confia la garde du château de Démuin au vidame d'Amiens.

Le 1er avril 1419, Philippe le Bon prêta, dans la ville de Troyes, serment de fidélité et d'hommage-lige à Charles VI pour les villes de Péronne, Montdidier et Roye. L'acte constatant l'accomplissement de cette formalité fut expédié à la chambre des comptes ; mais l'enregistrement souffrit des difficultés. Au dos de la pièce se trouve une protestation énonçant formellement que le roi n'avait point fait une aliénation incommutable de ces trois villes, ainsi que pouvait donner à le penser la forme dans laquelle était conçu le serment, mais seulement contracté un engagement temporaire qui devait durer jusqu'à ce que Philippe le Bon eût été payé de ce qu'on lui devait encore sur la dot de sa femme. (Pièce just. 30.)

Péronne, Montdidier et Roye avaient jusqu'alors fait partie du Vermandois, et le bailli de cette province exerçait dans ces trois villes toute autorité au nom du souverain. La cession que Charles VI fit au duc de Bourgogne amena un changement nécessaire : le bailli, qui était l'homme du roi, fut évincé de ses fonctions, et le duc, désirant avoir un homme entièrement dévoué à ses intérêts, créa, au commencement de l'année 1421, un gouverneur général dont l'autorité s'étendait sur les trois villes. Bauduin de Noyelles, seigneur de Catheu et de Tilloloy, qui commandait à Péronne dès 1418, fut investi de cette haute fonction : ainsi s'accomplit le démembrement d'une partie de la Picardie, et les trois villes formèrent dès lors un gouvernement séparé du reste de la province, gouvernement qui avait ses coutumes particulières, sa représentation spéciale aux États généraux, et dont l'existence se maintint sans interruption jusqu'en 1789.

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