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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VII - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Montdidier rentre dans le domaine de la couronne

Louis XI pourvoit à son rétablissement

État de la ville sous ce prince et sous Charles VIII

Découragement des habitants

Ils offrent de renoncer à la charte communale

 

Louis XI peut être regardé à juste titre comme le second fondateur de Montdidier, mais le bien qu'il lui fit ne fut qu'un faible dédommagement des maux qu'il lui avait causés. En relevant notre malheureuse cité, ce prince suivit les conseils de l'intérêt et de la politique, dont il s'était écarté en la ruinant de fond en comble. Par le traité d'Arras, confirmé par ceux de Conflans et de Péronne, Montdidier avait été cédé au duc de Bourgogne pour en jouir, lui et ses héritiers mâles seulement : la mort de Charles le Téméraire, qui ne laissait qu'une fille, délia nos aïeux de la fidélité qu'ils devaient à sa famille, et les fit redevenir sujets du roi de France.

Au mois de janvier 1476, Louis XI accorda des lettres de grâce aux habitants de Montdidier, défendant de leur faire ou donner aucun destourbier ou empeschement en corps ne en biens en quelque manière que ce soit. (Pièce just. 42.)

Des villes cédées au duc de Bourgogne, Montdidier avait été la première à exécuter les clauses du traité de Conflans et à reconnaître l'autorité royale : ce fut sans doute cet empressement qui lui attira la bienveillance du roi. Par lettres patentes données à Hesdin le 20 avril 1477, il affranchit les habitants de toute taille durant quatre années ; des quatrièmes, vingtièmes et autres subsides pendant deux ans, et ce, sur les remontrances des maïeur et eschevins qu'à l'occasion des guerres passées la ville avoit été de tout arse et détruite et les portes et murailles d'icelle de tous points démolis et abattus.

Si Louis XI avait pu prévoir la mort prochaine du duc de Bourgogne, et que Montdidier dût rentrer aussi promptement sous sa domination, il se serait bien gardé de traiter cette ville comme il le fit. Le roi aimait par-dessus tout à faire sentir son pouvoir, et n'appréhendait rien tant que de voir empiéter sur son autorité. Ce sentiment de domination exclusive se manifeste dans les lettres patentes qu'il donne à Tours, le 5 décembre 1478, pour faire travailler aux fortifications. Louis XI y prend plaisir à rappeler aux habitants le traitement terrible qu'il leur a fait subir : « Comme ainsi soit que depuis aucuns temps aions ordonné nostre ville de Montdidier, laquelle naguères pour certaines causes et considérations à ce nous mouvans avons fait abatre, détruire et démolir en fortifications et édifices estre réparée et fortifiée de fossés, tours, murailles et forteresses. » Dans un autre endroit de ses lettres il revient encore sur ce même sujet, et signale l'intérêt qu'il avait à rétablir la ville : « Pour ce, est-il, que nous ces choses considérées qui désirons le bien, fortification, réparation et entretenement de nostre dite ville, chief du pays, et qui est l'une des principales chambres du bailliage de Vermandois. » (Pièce just. 43.)

Ce ne pouvait être assurément qu'en pensant à l'ancienne splendeur de notre ville que Louis XI la qualifiait de chief du pays. La situation déplorable dans laquelle elle était tombée est nettement exposée dans une requête présentée au roi par les habitants en 1478, pour obtenir une diminution d'impôts. On n'était plus au temps de prospérité de Philippe-Auguste et de ses successeurs : la misère était poussée à un tel point que les Montdidériens, se trouvant dans l'impossibilité de payer la rente que leurs ancêtres s'étaient engagés à verser chaque année dans le trésor royal, offraient de renoncer à tous les avantages résultant de leur charte communale.

« A l'occasion des guerres, » est-il dit dans la requête, « la ville a esté ruinée et les faubourgs d'icelle où il y avait plus de XVIIXX mesnages brulés, depuis sept à huit ans par cas fortuit la ville a été de tout arse et détruite qu'il n'y est demeuré que neuf à dix maisons. Et depuis que la ville a été remise en l'obéissance du roy, elle a esté de rechef totalement bruslée, telement qu'il n'y est plus demeuré une seule maison fors les églises, les murs abattus et les habitans par les gens de guerre ; pourquoi ils demandent, leurs creantiers appelés, que lesd. majeur et eschevins soient reçeus à renoncer à leur mairie et communauté ou du moins qu'il leur soit fait modération. » Il fallait que la misère fût bien grande, car nos ancêtres n'avaient rien de plus précieux que leur charte d'affranchissement, et, pour en faire volontairement le sacrifice, leur position devait être intolérable.

Le désir d'établir la paix sur une base durable fit prendre la résolution de marier le Dauphin avec Marguerite d'Autriche, petite-fille de Charles le Téméraire. Cette alliance mettait un terme aux rivalités de famille, causes de tant de guerres. Les clauses du traité ayant été arrêtées dans les premiers jours de novembre 1482, le 25 du même mois, le roi les soumit aux États du Vermandois. Le lieutenant général du bailli de cette province envoya des lettres « à ses très-chers frères et amis les gens d'Église, nobles bourgeois et habitans des villes de Péronne, Montdidier et Roye, pour les inviter à nommer deux députés pour assister à l'assemblée des états du bailliage de Vermandois qui doivent se réunir à Laon, pour entendre aux propositions de paix, et pour y traiter particulièrement du mariage du Dauphin avec la fille aînée de Maximilien. »

Les députés de Péronne furent Antoine de Biache, maïeur, et Jean Pestel, qui précédemment avait été revêtu de cette charge ; nous ignorons le nom des députés de Montdidier. Le mariage pour lequel on avait convoqué cette réunion ne se fit point, et Charles VIII épousa quelques années après Anne de Bretagne. Lors de ces négociations, ce prince n'avait encore que douze ans, et la fiancée qu'on lui destinait, deux ans seulement.

Louis XI mourut au Plessis-lès-Tours le 30 août 1483, laissant pour lui succéder son fils Charles encore mineur. Au mois de juillet 1484, les États généraux furent convoqués à Tours pour délibérer sur les affaires du royaume et sur la tutelle du jeune monarque. Les députés du gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye furent Guillaume de Baudreuil, abbé de Saint-Martin au Bois, pour le clergé ; messire Jean, seigneur de Sailly, pour la noblesse, et maître Jean de Bellencourt pour le tiers état. Le journal de Jean Masselin désigne ce dernier sous le nom de Jehan Bertault. La nomination de ces députés eut lieu à Montdidier. Les États généraux se réunirent le 5 janvier 1484. Jamais à aucune époque, dit un historien, ils n'avaient représenté aussi complétement la nation : toutes les provinces avaient été convoquées. L'élection pour les trois ordres s'était faite au chef-lieu de chaque bailliage, et, au sein des États, la délibération eut lieu non par ordre, mais par têtes, dans six bureaux correspondants à autant de régions territoriales. Le bien que l'on espérait de ces États généraux ne se réalisa point : les promesses furent éludées, les déterminations prises par l'assemblée mises de côté, et, quelque brillante qu'ait été cette assemblée générale de la nation dont le procès-verbal s'est conservé, le résultat fut bien mince, et l'influence qu'il exerça se réduisit à peu de chose.

Lors de l'avénement de Charles VIII au trône, la ville était dans un si triste état qu'en continuant à nos pères l'octroi de deux sols d'impôt par chaque minot de sel, précédemment accordé par le comte d'Étampes, le roi dit en parlant de Montdidier, « que c'étoit la plus pauvre ville du pais ayant été bruslée deux fois du vivant de son père, et parce qu'elle devoit 400 liv. de rente de plus qu'elle n'avoit de revenu. »

Peu à peu notre cité sortit de ses ruines. En 1485, l'hôtel de ville était achevé : on employa dix-sept mille tuiles pour la couverture ; le pont-levis et le pont dormant de la porte de Paris furent reconstruits. La ville se rétablit aux dépens des faubourgs ; on enleva, cette même année, deux mille trois cents pavés dans celui de Saint-Médard, entre le Tilleul et le pont Saint‑Étienne : l'homme qui fut employé à ce travail pendant six jours reçut onze sols pour son salaire. En 1486, il y avait à Montdidier largement de gens de guerre ; en 1487, on refit les deux piliers de la justice municipale.

Philippe de Crèvecœur, sire d'Esquerdes, maréchal de France, capitaine général en Picardie, s'occupa de réédifier les fortifications. Afin de pousser l'ouvrage plus activement, il enjoignit à tous les villages des environs d'envoyer des ouvriers pour travailler aux murailles. Cet illustre capitaine avait toujours servi avec fidélité le duc de Bourgogne, et, après la mort de ce prince, il était redevenu sujet du roi de France, auquel il rendit les plus grands services. En 1460, le duc de Bourgogne l'avait nommé gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye ; ses qualités lui avaient méritél'affection des Montdidériens, qui saisirent l'occasion de son mariage avec Isabeau d'Auxi pour lui en donner la preuve. Une ordonnance des maïeur et échevins, du 21 juillet 1469, enjoint de payer « 30 écus d'or pour l'achat fait en la ville de Paris de six gobelets d'argent dorés au bord qui ont été donnés et présentés à monsieur Philippe de Crèvecœur quand il se maria, afin qu'il ait en sa bonne et noble grâce et mieux pour recommandée la ville de Montdidier. » Ce noble seigneur n'oublia point notre ville, et lui donna, dans les circonstances dont nous parlons, des marques de son bon vouloir.

Les travaux de reconstruction avançaient assez promptement ; en 1492, on avait déjà relevé cent soixante et onze maisons. Le rétablissement des fortifications, des demeures particulières, mais surtout les rentes qu'il fallait payer chaque année, avaient épuisé les faibles ressources des habitants. Ne sachant où trouver du secours, ils s'assemblèrent le 22 juillet 1492 à l'hôtel de ville, et prirent la résolution d'envoyer au roi deux notables personnages chargés de lui remontrer les dettes considérables qui pesaient sur eux, et de le prier d'obtenir une diminution de la part des créanciers. Dans le cas où ceux-ci ne consentiraient pas à un arrangement, les envoyés avaient mission de supplier le roi de vouloir bien reprendre tous les domaines et revenus de la ville, et de se mettre aux lieu et place des habitants. C'était renoncer d'une manière absolue aux droits et priviléges énoncés dans la charte de Philippe-Auguste.

Avant d'en venir à cette dernière extrémité, on envoya vers le bailli d'Amiens pour avoir son avis. Sur sa réponse favorable et les espérances qu'il fit concevoir, les habitants tinrent une seconde assemblée le 28 juillet, à l'effet d'élire les députés qui devaient aller trouver le roi. Pierre de Vignacourt, dit Gannin, écuyer, capitaine de Montdidier, et Pierre Hutin, furent choisis pour porter jusqu'au pied du trône les plaintes de leurs concitoyens. Ils se rendirent à Tours, et, le 15 octobre 1492, ils obtinrent du conseil du roi un avis portant qu'il y avait lieu de décharger la commune des rentes qu'elle était tenue de servir, si elle renonçait à ses revenus. Cette décision força les créanciers de la ville à entrer en arrangement avec elle. Ces créanciers étaient le seigneur de Chepoix, les maïeur et échevins de Beauvais, les religieux de Froidmont, la commanderie de Fontaine et les Bénédictins du prieuré de Notre-Dame. La ville paya le voyage des députés ; elle alloua à Pierre lutin 2s 6d par jour pour le louage du cheval, et 6s par jour pour sa dépense personnelle.

La prise d'Arras par les Bourguignons vint jeter la frayeur dans le pays. II fallut se mettre à l'abri d'une surprise. La motte du Prieuré était le point le plus faible, la muraille tombait en ruine ; les habitants travaillèrent sans relâche aux fortifications, et, comme les bras manquaient, on employa des Flamands auxquels on donnait 18d par jour. Les craintes que l'on avait conçues ne se réalisèrent point. La France et la maison d'Autriche signèrent la paix : le 25 mars 1493, un héraut du roi et du maréchal de Crèvecœur apporta cette bonne nouvelle qui fut aussitôt publiée, et chacun s'empressa de la fêter par des feux de joie.

Cette année et la suivante on construisit trois cent cinquante toises de murailles, depuis le cimetière de Saint-Pierre jusqu'à la motte du Prieuré, ainsi que la tour située à l'extrémité dont nous voyons les derniers vestiges aujourd'hui. On fit en même temps la muraille donnant sur le faubourg Becquerel, depuis le derrière de la maison de Jean Fernel, dit le Prince, jusqu'auprès de l'endroit où était la poterne, à raison de 13s la toise. Avant l'exécution de ces travaux, ou plutôt avant 1475, époque de la destruction totale de Montdidier par les ordres de Louis XI, il y avait en face de l'église Saint-Pierre une place et une poterne d'où l'on descendait dans le faubourg. Cette poterne fut démolie et ne fut pas rétablie ; la place se couvrit plus tard de maisons, au grand dommage de l'église Saint-Pierre, dont ces constructions empêchent d'apercevoir au loin le portail. La toise de maçonnerie coûtait alors de 12 à 13s ; les pierres que l'on employait provenaient de la carrière du Forestel, et valaient 5s les cent carreaux ; la chaux se payait 11s le muid ; un homme, avec un tombereau à trois chevaux, gagnait 7s  par jour : un sol de cette époque représente vingt centimes de notre monnaie.

Les dépenses que l'on venait de faire pour mettre la ville en état de défense achevèrent de ruiner les habitants ; le découragement s'empara d'eux, et ils résolurent de tout abandonner, de ne plus s'occuper des affaires publiques, s'en remettant au hasard du soin de les gouverner.

Le lundi de Pâques communiaux, 20 avril 1495, jour où se faisait la nomination du maïeur, ils s'assemblèrent à l'hôtel de ville, en présence de Pierre Fouquelin, procureur, de Jean le Vasseur, avocat, et de Jean de Baillon, argentier de la ville, et décidèrent que l'on ne procéderait à aucune élection et qu'il n'y aurait plus de maire ; en signe de renonciation à leurs droits municipaux, ils déposèrent les clefs des portes, celles du coffre renfermant les papiers, ainsi que le sceau de la ville, entre les mains de Jean Hérault, commis du receveur du roi à Montdidier, le sommant de les prendre au nom de son maître ; ce qu'il fit pour éviter les dangers qui pouvaient résulter d'un pareil abandon.

Ce découragement de nos ancêtres est d'autant plus étonnant qu'ils avaient passé par des épreuves beaucoup plus difficiles ; mais autrefois la présence de l'ennemi était un aiguillon qui stimulait leur courage : les dangers de la guerre éloignés, l'horreur de leur situation leur apparut tout entière, et ils se laissèrent aller au désespoir. Cette faiblesse ne pouvait être de longue durée. Le Ier novembre, ils se réunirent à l'hôtel de ville, et là, Laurent de Béthencourt, écuyer, lieutenant du prévôt, et Robert Fouache, ancien maïeur, prirent successivement la parole. Ils rappelèrent à nos concitoyens l'énergie dont ils avaient tant de fois donné des preuves, et cette persistance inébranlable qui leur avait fait supporter les plus cruelles privations ; ils leur représentèrent les malheurs qui s'accumuleraient sur leurs têtes, s'ils renonçaient à l'administration de la ville : ajoutant qu'au lieu de se tirer d'embarras, ils ne feraient qu'aggraver leur sort et se mettre dans une position dont ils ne pourraient jamais sortir ; que, les rentes n'étant point payées, les créanciers deviendraient plus pressants ; qu'il était urgent de mettre un homme à la tête des affaires ; qu'enfin il fallait nommer un maire. Ces raisons prévalurent, et Jacques Boullé fut élu pour administrer jusqu'à Pâques suivant. Il est probable que, si des hommes tels que Laurent de Béthencourt et Robert Fouache avaient été présents à la réunion du 20 avril précédent, la mesure qui y fut prise aurait été écartée.

Il suffit souvent d'un seul homme pour entraîner les masses et changer la tournure d'esprit des assemblées populaires. La délibération du mois d'avril ne fut adoptée qu'en présence de trois officiers de la ville ; les autres n'y figurent point. On ne voit pas que le maire, sortant de charge, y ait assisté ; elle fut sans doute l'oeuvre du menu peuple. Le maire, Jean Cailleu, qui venait de gérer les affaires pendant deux ans, n'eût pas accédé à un pareil acte de faiblesse : c'était un homme ferme et résolu, qui mérita d'être anobli par lettres patentes données à Lyon au mois de juin 1496. Il acheta à cette occasion, le 20 septembre suivant, les fiefs de la maison du Bois et de Bussy situés dans la banlieue de Montdidier ; il remplissait dans la ville l'office de grènetier au grenier à sel.

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