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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VIII - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Lettres de Charles IX

Les protestants sont révoqués de leurs emplois

Ils brûlent les églises des faubourgs

Confiscations des terres des seigneurs qui professent la nouvelle religion

Emplacement du temple

Sa destruction

 

Les rigueurs contre les protestants allaient toujours croissant. Charles IX résolut de révoquer ceux de ses officiers qui professaient la nouvelle religion ; à cet effet, il adressa à de Bertin la lettre suivante :

« De par le roy. Nostre cher et féal, vous verrés par ce que nous escrivons aux habitants de nostre ville de Montdidier que nostre intention ne seroit pas de faire sortir hors d'icelle les habitants qui sont de la nouvelle religion, bien leur mandons, les laisser vivre en leurs maisons, en leur ostant toutes armes et moien de malfaire, et ayant entendu de vostre part, que la pluspart de nos officiers de ladite ville en sont pour cette cause nous vous mandons de les laisser vivre, comme les autres, en leurs maisons, sans aucunes armes, leur interdisant tout exercice et entremise de leurs états, sans leur communiquer des affaires de ladite ville, à quoy vous donnerés ordre de vostre part, et au surplus vacqués au devoir de vostre estat en toute la justice et sincérité requise pour contenir le peuple de ladite ville en paix et tranquillité. Donné à Paris le sixième jour de décembre 1567. Charles, et plus bas de Neufville. »

Cette lettre, qui assimilait les protestants à de véritables parias, était trop conforme aux sentiments d'Antoine de Bertin pour qu'il ne se hâtât pas d'obéir ; aussi, dès le 15 du même mois, il répondit au roi qu'il avait interdit les officiers de la religion réformée. Presque immédiatement, le 25 décembre, Charles IX lui envoya d'autres lettres lui enjoignant de s'entendre avec l'évêque de Bayeux, et de pourvoir à leur remplacement. Ils se mirent aussitôt à l'œuvre, et, le 31 décembre, vingt-deux officiers catholiques furent installés aux lieu et place de vingt-deux officiers protestants. Les nouveaux pourvus furent confirmés dans leur charge par lettres du roi du 23 janvier 1568 ; c'étaient Jean Pinguet, Côme de Bertin, François Bucquet, Pierre Bauchy, Jean Leclercq, Claude Cotelle, Adrien Dupré, Louis Lefrançois, Antoine Cauvel, Jean de Ponthieu, François Vignon, Pierre Demaison, Pierre de Bertin, Guillaume Quesnel, François Gambart, Robelain, Nicolas Bucquet, Antoine Gambart et Jean Bouré. Ils remplacèrent Jean Goulet, Jean Hennegrave, Pierre Dubus, Nicolas Dupré, Charles Martinot, Pierre le Pot, Antoine le Clerc, Gaspard Laleane, François Herbert, Nicolas Cousin, François Guiluy, Antoine Lendormy, François Cloquemant, Pierre Lemaire, Jacques Boullé, Pierre Cousin, Antoine Vilain, Jean Laleane, Nicolas Parmentier et Antoine Bosquillon, tous de la religion réformée.

Les catholiques, qui l'emportaient, voulurent faire abattre le bâtiment servant de lieu de réunion aux protestants ; le maïeur s'y opposa sagement et fit défense, le 7 janvier 1568, de démolir aucun édifice signamment le lieu appelé le temple de ceux de la religion prétendue réformée estant aux faubourgs.

Le 4 février 1568, Charles IX confirma la séparation des trois villes de Péronne, Montdidier et Roye du gouvernement de Picardie, et leur réunion en un gouvernement particulier et indépendant ; Jacques d'Humières fut maintenu dans le commandement des trois villes, qu'il exerçait depuis 1560, sous l'autorité du gouverneur de la province.

Les dernières dispositions prises contre les protestants les avaient exaspérés, et plusieurs d'entre eux quittèrent la ville, méditant des projets de vengeance. Le 17 mars, l'alarme fut vive, trente ou quarante huguenots expulsés tirèrent sur les sentinelles, mirent le feu aux trois églises des faubourgs, pillèrent et saccagèrent plusieurs maisons. Ces trois églises étaient celles de Saint-Martin, de Saint-Médard et la chapelle de Sainte-Barbe, dans le faubourg de Paris.

Le 28 avril, on adressa une pétition au roi, pour le supplier de n'admettre dans la ville aucune garnison huguenote. C'étaient évidemment contre Antoine de Brouilly, capitaine de Montdidier, qu'était dirigée cette requête. Nous avons dit plus haut qu'il donna sa démission le 5 octobre de cette année ; il fut remplacé par Hector Ogier, seigneur de Cavoye. L'entreprise que les protestants venaient de tenter contre la ville avait avec raison excité les soupçons des habitants.

Au mois de décembre 1568, en exécution d'un édit prescrivant la saisie des biens des réformés et leur révocation des charges qu'ils occupaient, avec ordre de s'en défaire dans le délai de quinze jours, le lieutenant général au bailliage fit séquestrer, dans l'étendue de sa juridiction, les terres qui appartenaient à des protestants.

Le 4 décembre, on saisit la terre de Villers-aux-Érables sur Claude de Cambray ; les jours suivants, on prit la même mesure à l'égard de celle de Cayeux, appartenant à Adrien de la Bernade, et de celles de Sechelles, Cuvilly, Courcelles, Épayelles, relevant de Jean de Poix. Les seigneuries de la Taule, de Genlis, les terres de Boulogne et de Bains, propriétés de Charles de Lancry eurent le même sort. On confisqua également la terre de Quinquempoix sur Louis de Vaudray, seigneur de Mouy ; celles de Blancfossé et Cormeille sur Jean de Poix ; celles de Folleville, Paillart et autres, appartenant à Louis de Lannoy, seigneur de Morviller ; les terres et seigneuries de Gannes, Houpincourt, etc., dont Pierre Leclerc était seigneur ; celle de Fresneau, que possédait Bon Parmentier, ainsi qu'un fief qu'il avait à Arvillers. Le fief Bayard, dépendant de François Louvet, sieur de Foyennes ; la terre de Regibai, appartenant à Imbert le Clerc ; celle de Gratibus, à Charles de Mauvoisin, sieur de Crocquoison ; celle du Forestel, à Nicolas Bellejambe, sieur de Laucourt ; celle d'Haille, à Florimond du Castel ; celle de Fresnoy, à François de Moreuil ; le fief de Bouchoir, à Jean de Bournonville, écuyer, sieur du Quesnoy, furent aussi momentanément enlevés à leurs légitimes possesseurs ; enfin on saisit sur le prince de Condé les terres d'Ailly sur Noye, Sourdon, Broyes, Breteuil, Francastel, Villers-Vicomte, Guerbigny, ainsi que celles qu'il avait nouvellement acquises de l'abbaye de Breteuil.

Le gain des batailles de Jarnac et de Moncontour semblait devoir assurer la supériorité aux catholiques ; mais le duc d'Anjou, au lieu de profiter de ses victoires, perdit un temps précieux au siége de Saint-Jean d'Angély. Du camp des Landes, près de cette ville, Charles IX écrivit, le 9 novembre 1569, à Jacques d'Humières, que, « par suite de la grande victoire qu'il avoit plu à Dieu lui donner sur les rebelles de son royaume, il eût à licentier toutes les troupes, et à faire faire par les officiers catholiques des villes de son gouvernement le dénombrement de tous les huguenots qui se trouvoient dans chacune d'elles, de leur oster leurs armes et d'en faire une revue de quinze jours en quinze jours ; tous les catholiques devoient être armés, et l'on ne devoit souffrir aucun huguenot dans les villes frontières. »

Dans les premiers mois de l'année suivante, le roi frappa d'une taxe de 50,000 liv. les réformés de Picardie.

Charles IX fut obligé cependant de se relâcher de ses rigueurs. L'édit de pacification donné à Saint-Germain au mois d'août 1570 fut avantageux aux protestants ; ceux de Montdidier prétendirent avoir un temple dans l'intérieur de la ville : Charles d'Halwin, seigneur de Piennes, lieutenant général au gouvernement de Picardie, s'y opposa, et reçut, à cette occasion, les remerciments des maïeur et échevins, qui le félicitèrent d'avoir préservé la ville du prêche que ceux de la nouvelle religion voulaient y introduire. L'article 8 de l'édit de Saint-Germain limitait nominativement aux faubourgs de Montdidier les lieux où pouvait se faire, dans le gouvernement de Picardie, l'exercice du culte réformé : notre ville était considérée comme la capitale du calvinisme dans la province. La difficulté était de se procurer un local suffisant : les catholiques trouvaient que tout endroit était bon ; les protestants, qu'aucun n'était convenable. Une requête présentée, le 12 avril 1571, au maréchal de Montmorency contient quelques renseignements sur l’emplacement qu'occupait le temple. Les maïeur et échevins exposent que les « réformés paravant les troubles avoient pris un lieu tenant à la porte de Roye sans l'autorisation du duc d'Humières ni consentement des maïeur et échevins, dont ont pensé arriver plusieurs seditions qu'il a esté remontré aux dits reformés qu'il n'étoit raisonnable de continuer leur prêche dans un lieu si voisin de la ville et qui est enclavé dans une portion de terre ordonnée pour faire un boulevard qu'on leur a désigné un autre lieu assis au plus beau faubourg de la ville où il y a deux paroisses et qu'ils doivent s'en contenter. »

Le faubourg dont il est question, le plus beau, et où il y a deux paroisses, était le faubourg de Roye ; il est aujourd'hui encore partagé entre les deux églises de Saint-Pierre et du Sépulcre ; le temple était situé, comme nous l'avons dit précédemment, à l'angle de la rue de Compiègne et de la rue de l'Hôpital.

La requête du maïeur était fondée ; le duc de Longueville, gouverneur de Picardie, beau-frère du duc de Condé, tué à Jarnac, s'empressa d'y taire droit ; se trouvant à Montdidier au mois d'août 1571, il donna ordre au maïeur Guillaume Quesnel de fournir un lieu convenable aux réformés qui devaient quitter leur temple près de la porte de Roye. Lors de l'entrée à Montdidier du duc de Longueville, la ville dépensa 213livre pour les frais de sa réception, et fit en outre un présent de linge de 46livre 6s à la duchesse son épouse, qui l'accompagnait.

Le massacre de la Saint-Barthélemy ne trouva pas de complices à Montdidier ; la sagesse et la vigueur des magistrats placés à la tête de la commune la préservèrent des excès abominables qui déshonorèrent le royaume. Le 29 août 1572, Jacques d'Humières écrivit aux maïeur et échevins qu'il avoit reçu des lettres du roi et du duc de Longueville, qui leur défendoit de molester les réformés, mais néanmoins de ne pas les laisser sortir de la ville. Le 30 août, ils répondirent au gouverneur général, qu'ils tiendroient la main à ce qu'il n'arriva aucune sédition, mais que le peuple des faubourgs et des villages voisins avoit commencé à démolir le temple des réformés.

Aussitôt après la réception de la lettre du duc d'Humières, les maïeur et échevins se transportèrent sur les lieux et arrêtèrent ces actes de destruction ; mais les démolisseurs recommencèrent pendant la nuit et achevèrent leur œuvre. Depuis cette époque, les protestants cessèrent d'avoir un temple, et ils ne firent aucun exercice public de leur religion. Gilles Bosquillon, réformé, étant mort en 1574, on décida qu'il serait enterré la nuit dans un endroit appelé le Priez, où plusieurs habitants appartenant à la nouvelle religion avaient déjà été inhumés, et que, de peur de tumulte, le maire ou deux échevins accompagneraient le corps jusqu'à la porte de la ville. Le Priez, le Pré ou Prayel, comme l'on disait anciennement, occupait une partie de l'emplacement compris entre les portes de Roye, d'Amiens et la promenade du Chemin Vert : c'est là que se tenait la foire au moyen âge.

Au mois de décembre 1573, sur l'avis donné aux maïeur et échevins par les sieurs de Crèvecœur et d'Humières, qu'il y avait quelque entreprise projetée contre la ville, on fit murer la porte d'Amiens.

Le retour de Henri III de la Pologne donna lieu à des réjouissances publiques. Le 10 septembre 1574, l'échevinage fit chanter un Te Deum à Saint‑Pierre, pour remercier Dieu du bon portement du roy et de son arrivée en son royaume. Les habitants avaient reçu ordre d'y assister ; les boutiques étaient fermées comme aux jours de fête, et le lendemain, à l'issue de la grand' messe, il y eut une procession générale à laquelle il leur avait été enjoint de se trouver.

Le 26 octobre 1574, le prévôt des marchands et les échevins de Paris donnèrent avis à ceux d'Amiens qu'ils avoient été avertis qu'il se faisoit quelque entreprise au pays de Picardie par des rebelles qui portoient pour livrée et signal le gris, et d'avoir à se tenir sur leurs gardes. Le 31 octobre, les échevins d'Amiens envoyèrent à ceux de Montdidier une copie de cette lettre.

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