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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VIII - Section V

par Victor de Beauvillé

Section V

Commencement de la Ligue

Les habitants refusent d'y prendre part

Nomination des députés aux états généraux de Blois

Montdidier est donné en garantie à Marie Stuart

La Ligue grandit

La ville en fait partie

Serment prêté par les habitants

 

Le 6 décembre 1575, on publia la trêve faite avec les huguenots ; elle fut suivie du traité de paix ou édit de pacification du 14 mai 1576, c'était le cinquième. Le premier édit de pacification avait été rendu le 19 mars 1562 ; le second, le 23 mars 1568; le troisième, au mois d'août 1570, et le quatrième, au mois de juillet 1573. L'édit de 1576 fut le plus favorable qu'eussent encore obtenu les réformés : on leur permettait l'exercice public de leur religion, sous le bon vouloir et consentement du seigneur du lieu où se tenait le prêche ; on accordait l'établissement de tribunaux composés mi-partie de protestants et de catholiques, pour juger les procès entre personnes de religion différente ; une amnistie pour les condamnés et les proscrits ; une exemption d'impôts à titre d'indemnité aux veuves et aux enfants des victimes de la Saint-Barthélemy, etc., etc. Les garnisons nouvellement installées dans les places fortes et les châteaux devaient en sortir pour en laisser la libre et entière jouissance aux personnes qui les possédaient auparavant ; le prince de Condé recevait le gouvernement de la Picardie, et le roi s'engageait à le mettre en possession de Péronne, qui lui était cédé comme place de sûreté. Cette dernière condition, peu importante au premier abord, eut cependant les conséquences les plus graves. Jacques d'Humières, zélé catholique, commandait à Péronne ; ne voulant point se dessaisir de son gouvernement, il engagea les habitants et les seigneurs des environs à se réunir et à se concerter pour empêcher que Péronne ne rentrât sous la domination du prince de Condé, chef du parti protestant ; cette association donna naissance à la Ligue.

La remise aux réformés de la plus forte place du pays était un fait trop important pour ne pas émouvoir les villes environnantes où dominaient les catholiques ; aussi s'engagèrent-elles volontiers à faire cause commune avec les nouveaux confédérés ; Montdidier cependant resta à l'écart, et ne fit point partie de cette première association.

La résistance des seigneurs des environs de Péronne, et le nombre toujours croissant des mécontents, attirèrent l'attention de Henri III. Au mois d'août 1576, le sieur de Chauvigny apporta aux échevins de Montdidier des lettres du roi, des sieurs de Crèvecœur et d'Humières, relativement à l'avis qui avoit été donné à Sa Majesté de quelque ligue et association au pays de Picardie.

Les habitants répondirent que : « comme leurs prédécesseurs avoient été très-humbles et très fidèles sujets de Sa Majesté, ils vivroient et mourroient en cette fidélité, supplians Sa Majesté de s'assurer qu'ils ne font entre eux aucune association, ligue ou complot, n'en ont été requis et n'y voudroient entrer pour chose quelconque, mais se délibèrent et sont résolus l'en suivre en toutes ses bonnes qualités et louables actions, mesmement en sa religion catholique, apostolique et romaine, en quoi ils le supplient très-humblement les vouloir maintenir, conserver, et pour cet effet qu'il plaise à Sa Majesté vouloir exempter ladite ville de presche pour les entretenir en telle paix et union qu'ils ont reçu depuis la cessation dudit prêche. »

C'était exprimer de la manière la plus formelle le refus de s'engager dans l'association qui s'était formée dans les environs de Péronne.

Le 13 septembre de cette année, se tint à Montdidier, sous la présidence du duc d'Humières, l'assemblée générale des trois ordres du gouvernement, chargée de procéder à la nomination des députés aux états de Blois. Les choix tombèrent sur Adrien de Mailly, abbé de Saint-Just, pour le clergé ; sur Jean de Romery, écuyer, seigneur de Pothonville, Hargicourt, etc., pour la noblesse ; et sur AntoineVignon, lieutenant de la prévôté, pour le tiers état : des catholiques seuls furent nommés, l'on écarta les protestants. La réunion fut orageuse ; à la suite de discussions violentes entre Romain Pasquier, prévôt, Gonnet et Pinguet, conseillers au bailliage, il s'éleva un si grand désordre qu'on fut obligé de les renvoyer tous les trois de l'assemblée. Les remontrances que les députés avaient mission de présenter portaient principale-nient sur la religion réformée ; le mot d'ordre de la Ligue était : Une religion catholique romaine. Pour empêcher l'exercice du nouveau culte, ils devaient faire valoir entre autres considérations que : « les habitons étant au lieu et droit du roi, ils avoient toujours été et étoient seigneurs hauts justiciers de la ville et banlieue et ne reconnoissoient d'autre seigneur qu'eux pour le fait de la jurisdiction (sinon le roi leur souverain seigneur) et que par l'article 4 de l'édit de pacification aucun exercice de la religion prétendue réformée ne se devoit et ne se pouvoit faire en ladite ville et banlieue, puisque par ledit édit tel exercice n'étoit permis sinon du grez et du consentement de ceux a qui appartiennent les lieux ou ceux de ladite religion voudroient continuer ledit exercice. Les habitants terminoient en suppliant Sa Majesté de les y vouloir garder et conserver pour le repos et la tranquillité de tous ses fidèles sujets et vassaux de ladite ville et banlieue. »

Les députés aux états généraux étaient nommés par le suffrage universel à plusieurs degrés. Lorsque le roi avait ordonné la réunion des états, voici comment l'on procédait : dans chaque paroisse du gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye, il se formait des assemblées primaires, composées des habitants de toutes les paroisses de ces trois bailliages ; dans chacune de ces assemblées primaires, on nommait des délégués qui dressaient les cahiers des doléances de la paroisse et les portaient au chef-lieu du bailliage ; là, réunis aux délégués du chef-lieu en assemblée secondaire, ils élisaient des personnes chargées de fondre en un seul cahier les doléances des paroisses et de les porter à Montdidier, qui était considéré comme le siége du bailliage supérieur. A Montdidier, de nouveaux délégués, élus comme les autres et réunis aux mandataires de la ville, arrêtaient définitivement la rédaction du cahier du tiers état et nommaient les représentants aux états généraux. Ainsi trois opérations successives étaient nécessaires pour arriver à ce résultat, dont le dénoûment avait lieu dans notre ville : c'est à Montdidier que se tenait la réunion décisive, que l'on signait le cahier des doléances et que se faisait l'élection. (Pièce just. 48 bis.) La nomination des députés devant exercer une grande influence sur les destinées du pays, on croyait sagement qu'il était utile de l'environner le plus possible de garanties.

Le 31 octobre 1576, Montdidier fut donné en garantie de sa dot à Marie Stuart, veuve de François II. Par le contrat de mariage du roi de France avec la reine d'Écosse, il avait été accordé à cette dernière 60,000 liv. tournois de rente de douaire, affectées sur la Touraine et le Poitou, avec supplément d'affectation, si besoin en était. La Touraine et le Poitou, ayant été donné en apanage au duc d'Alençon, frère du roi, il fallut fournir à Marie Stuart d'autres terres pour la garantir du payement de son douaire. Le roi lui concéda alors le comté et le bailliage de Vermandois, consistant en son siége principal de Laon que ès siéges particuliers de Rheims, Soissons, Châlons, Noyon, Saint-Quentin, Péronne, Montdidier, Roye, Ribemont, Cressy-en-Laonnois, Chauny, Guise, Évury, Curmey et autres terres et seigneuries qui en dépendent et qui sont du ressort de l'ancien comté et bailliage de Vermandois les appartenances et dépendances... châteaux, châtellenies, bourgs, villes, fiefs, arrière-fiefs, terrages, prairies, cens, rentes, fours, moulins, etc... droit de présentation, nomination et collation aux offices et bénéfices. Les lettres patentes d'Henri III, du 31 octobre 1576, furent registrées au parlement le 17 septembre 1577. Marie Stuart jouit plusieurs aimées des revenus et des droits du roi dans le gouvernement ; en 1579, Antoine Cauvel fut, sur sa présentation, nommé contrôleur du domaine du roi à Péronne, Montdidier et Roye ; le 13 février 1581, la reine donna des lettres patentes portant nomination de Pierre de Bertin à la charge de lieutenant général au bailliage.

La Ligue grandit rapidement pendant les états de Blois ; an lieu de chercher à l'étouffer, Henri III commit la faute de se mettre à sa tête. Au mois de décembre 1576, Vignon, conseiller en l'élection, avait été député par la prévôté de Montdidier auprès du roi, pour obtenir que la ville fût dispensée de faire partie de la Ligue ; Henri III lui répondit, ainsi qu'aux envoyés de différentes villes de Picardie qui l'accompagnaient, que cette association avait été faite pour son service et qu'il les priait de continuer en icelle. Le 11 janvier 1577, le roi écrivit au duc d'Humières de faire entrer dans la sainte Ligue, et contribuer aux frais qu'elle nécessitait, toutes les villes de Picardie, l'engageant à convoquer à Amiens une réunion des trois ordres de son gouvernement, pour savoir le nombre d'hommes dont il pourrait disposer, et aviser au moyen de les entretenir. On offrit de subvenir à l'entretien de quatre cents hommes à cheval et de deux mille deux cents hommes à pied. Le duc d'Humières transmit une copie de la lettre du roi à Bon Bloquel, sieur de Haqueville, maire de Montdidier ; celui-ci en donna lecture à l'hôtel de ville le 22 janvier, et l'on y décida que de Bertin, lieutenant criminel, de Baillon, lieutenant de la mairie, et de Bertin, avocat de la ville, se rendraient à Amiens le 28 du mois, jour indiqué pour la tenue de l'assemblée qui devait avoir lieu dans cette ville. Nos délégués avaient mission de représenter au duc d'Humières, que les Montdidériens étoient, comme ils avoient toujours été, les très-humbles et obéissants serviteurs de sa Majesté, qu'ils vivroient et mourroient pour elle, mais que quant à la contribution, le duc d'Humières était prié de les en exempter, ayant égard aux tailles, subsides et emprunts qui se levoient sur eux.

La Ligue fut dans le commencement accueillie avec froideur, et il fallut les ordres du roi pour que la ville se décidât à y prendre part ; en 1576, elle avait refusé expressément d'entrer dans cette association, mais, Henri III s'en déclarant le chef, il n'y avait plus à hésiter.

Le 13 février, la Ligue fut signée à Péronne. Jacques d'Humières, le premier instigateur de cette association si féconde en résultats malheureux, se rendit aussitôt après à Montdidier, et, le 15 février, il y fit publier l'ordonnance suivante :

« Est ordonné au maïeur son lieutenant et éschevins de Montdidier de somer tous les manans et habitans particulièrement de signer et eux enroller en l'association et sainte Ligue suivant la volonté de Sa Majesté et du refus que feront de ce faire en faire acte et une liste à part qui leur feront signer et nous envoieront promptement. Fait à Montdidier par nous Jacques d'Humières, chevalier de l'ordre du roi, conseiller en son privé conseil, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté de Péronne, Montdidier et Roye, le 15e jour de février l'an 1577. J. Humieres. »

Le même jour, les habitants se réunirent, et, après avoir pris connaissance de la Ligue, à laquelle venaient de consentir leurs voisins, ils jurèrent comme eux de la maintenir, et rédigèrent l'acte suivant :

« Après avoir vu l'association et union faite par les seigneurs et gentilshommes de la pairie de Picardie tant pour la manutention de la religion catholique, apostolique et romaine que pour le service du roi et nous maintenir et conserver de nos oppressions tant en nos personnes qu'en nos biens, nous soussignés manans et habitants de la ville de Montdidier et faubourgs d'icelle promettons et jurons par la foy que devons à Dieu et sur les saintes Évangiles de tenir, entretenir et avoir pour agréable le contenu en ladite association en tant que touche nos qualités et pour l'exécution d'icelle y employer nos moiens selon nos facultés et puissance, conserver et garder tout ce qui nous sera avisé être juste et raisonnable par monseigneur d'Humières chef de ladite sainte Ligue et association et ceux qui seront élus pour l'assister, pour la manutention et conservation de ladite union, sans que pour ce nous soyons tenus de service personnel ou autre que pour la défense de notre ville ny de contribuer pour le paiement des gens de guerre tant à cheval que de pied que pour nostre part et portion avec les autres villes bourgs et villages de ladite pairie de Picardie comme nous devons porter eu égard aux facultés et puissances desdites villes et de paier les deniers en monnoye courante au pays et pour le prix desdits pays ès mains des députés des villes pour en faire le paiement aux dits gens de guerre et non ailleurs, le tout sous le bon plaisir du roy et de mondit seigneur d'Humières, fait à Montdidier le 15 jour de février 1577. »

Ce serment et les restrictions qu'il contient furent signés par quatre cent soixante et dix habitants ; sa teneur est empreinte d'un cachet d'égoïsme bien prononcé ; l'intérêt particulier y domine celui de la religion, dont le nom n'est placé en tête que pour servir de prétexte et de garantie aux libertés et exemptions réclamées par nos ancêtres.

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