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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IX - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Les habitants signent de nouveau la Ligue

Cahier des députés aux états généraux

Cosme Bertin en mission à Amiens

Les Montdidériens font signer la Ligue aux seigneurs des environs

 

Les habitants se conformèrent à ses ordres ; ils se réunirent à l'hôtel de ville, et, la main posée sur l'Évangile, jurèrent et signèrent une seconde fois la Ligue. Voici le procès-verbal de cette séance mémorable :

Le dimanche 12 juin 1588, à l'hôtel de ville de Montdidier, au son de la cloche et grans huis ouverts pardevant monsieur le lieutenant, maïeur et eschevins de la ville de Montdidier, les habitans de ladite ville assemblés par commendement de monsieur le gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye pour parvenir à la sainte union conforme à celle des villes de Paris, Amiens, Péronne et autres lieux, tendante à l'honneur de Dieu, conservation de la religion catholique, apostolique et romaine, service très humble et très fidèle deub au roi, bien, repos et soulagement dit public, ont les dessus dits en grand nombre promis et juré sur et par l'attouchement du saint Évangile, pour ce fait apporté et présenté audit hostel de ville, d'estre et demeurer tous unis pour emploier leurs moiens, vie et honneur pour l'entier service de Dieu, conservation de sa sainte religion catholique, apostolique et romaine, extirpation des hérétiques, leurs fauteurs, associés et adhérens, pour l'obéissance deube a nostre roy très chrétien et catholique et execution de son édit de reunion ; pour la conservation des franchises, droits et priviléges de la dite ville et de ne permettre pour quelque cause et occasion que ce soit que la force et gouvernement de la ville soit recognue soub la puissance de sa Majesté d'autre autorité que du dit seigneur gouverneur et des dits majeur et eschevins présens, et qui seront cy après esleus en mesme charge et estat, que si aucuns descouvrent quelle que chose qui puisse direcernent ou indirectement préjudicier ou contrarier l'establissement de cette sainte Union d'en advenir mondit seigneur gouverneur et les dits sieur et maïeur et eschevins en toute diligence, sans connivence, retard ny dissimulation, et sans aucun respect de parenté ou autre affection particulière, et en approbation de ce ont tous signé avec les dicts maïeur et eschevins, reservans pour leur particulier de dresser des articles pour estre présentés par les députés de leur part à Sa Majesté et partout ailleurs qu'il appartiendra. » Ainsi signé : Bertin, Buquet, Papot,Vuyon, Gonnet, Avril, Coullet, de Baillon, de Hennegrave, Belin, Normand, Quesnel, etc., en tout soixante-sept ou soixante-huit signatures, entre autres celles du lieutenant général, du maïeur, des échevins, curés, officiers du roi et autres.

Cette seconde Ligue fut approuvée par un bien moins grand nombre d'habitants que la première : l'adhésion de 1577 était suivie de quatre cent soixante-dix signatures, et celle-ci n'en contenait pas soixante-dix. Les remontrances de Grandvalet n'avaient pas été stériles.

La Ligue de 1588 fut accueillie avec autant et même plus d'indifférence que celle de 1577. Ce ne fut que sur les instances de Paris, d'Amiens, de Péronne, et pour se conformer aux ordres du gouverneur général, quand la Ligue d'ailleurs les enveloppait de toutes parts, que nos ancêtres se décidèrent à y adhérer ; mais, comme s'ils eussent voulu racheter cette tiédeur primitive, ils se montrèrent dans la suite ligueurs aussi acharnés qu'ils avaient été froids au commencement : Montdidier fut une des villes où l'Union subsista le plus longtemps, et l'une des dernières à reconnaître l'autorité de Henri IV.

Les états généraux se tinrent à Blois pour la seconde fois : François Gonnet, conseiller au bailliage, lieutenant de la mairie, y représenta le tiers état. Le cahier des remontrances, qui lui fut remis le 9 septembre 1588, renfermait un grand nombre d'articles dont voici les principaux : « A ce qu'il plaise au roi maintenir la religion catholique, apostolique et ronaine, extirper tous schismes et hérésies ; publier le concile de Trente sans préjudicier aux droits de l'Église gallicane ; continuer la guerre commencée contre les hérétiques jusques à l'entière ruine d'iceux ; qu'ils seront privés de toutes charges ; qu'il ne soit rien levé sur les églises et clochers ; qu'il sera permis à toutes les provinces du royaume d'assembler les états de chacune d'icelle de 3 ans en 3 ans ou se traiteront les affaires du pays ; que les seigneurs et gentils hommes seront doux et humains à leurs sujets ; que les gouvernements de ville et provinces seront donnés aux gentils hommes catholiques du pays ; que les tailles seront modérées, les gens de guerre payés ; que les officiers de judicature ne seront vénaux mais électifs et qu'il leur soit donné gages pour empêcher qu'ils ne prennent si grands salaires ; qu'il n'y ait plus qu'un degré de juridiction, du moins que prévention ait lieu entre les sujets des hauts justiciers ; que l'ancienne jurisdiction de ce gouvernement démembré par l'érection du présidial de Beauvais soit rétabli ; le présidial de Beauvais révoqué ; le présidial établi à Montdidier pour Péronne Montdidier et Roye, ainsi qu'il a été accordé par le feu roi Henri II en 1552, et qu'au regard du duché d'Halwin nouvellement érigé, qu'il ne sera fait aucun démembrement des villages de la jurisdiction pour raison d'iceluy qui serait ruiner la ville, qui n'a autre moyen de se maintenir que par l'exercice de la justice ; que la ville de Montdidier soit exempte de taille, étant sujete au guet et aux portes comme les autres villes frontières ; qu'il plaise au roi casser et révoquer tous les marchés francs ; donner les moyens d'achever la construction du beffroy qui sera une grande forteresse pour la ville ; que la justice des consuls soit supprimée ; les annoblissements par argent révoqués ; que les monnoies soient forgées au moulin ; les aliénations de domaine faites par dons gratuits et bienfaits révoqués ; que les partisans et financiers soient recherchés, etc., etc. »

Dans ces remontrances, l'intérêt particulier domine presque toujours l'intérêt général, et ce n'est pas d'aujourd'hui que date ce qu'on apppelle l'esprit de clocher. Les modifications que l'on réclamait dans l'administration de la justice étaient fort sages, à l'exception toutefois de la demande concernant les juges consuls, dont la suppression était sollicitée par la magistrature, uniquement dans l'intérêt de ses priviléges.

Les prétentions excessives et l'ambition toujours croissante des princes de la maison de Lorraine portèrent Henri III à commettre un crime odieux : par ses ordres, le duc de Guise fut assassiné à Blois. Montdidier eut connaissance de ce tragique événement par Michel d'Estourmel, et l'on prit aussitôt des mesures contre les réformés : ceux qui avaient fait partie de la nouvelle religion, ou qui seulement en étaient suspectés, furent désarmés ; des commissaires partirent pour Paris et Amiens, et le gouverneur général fit saisir par ses affidés tous les deniers publics.

Les ligueurs avaient complétement secoué le joug de l'autorité royale : une chambre du conseil, chargée de régler les affaires de la province, fut par eux établie à Amiens ; elle était composée d'ecclésiastiques, de nobles, de gens du tiers état et de deux échevins. Le 1er janvier 1589, les Montdidériens reçurent l'invitation d'y envoyer un délégué pour défendre leurs intérêts ; le 2, Cosme Bertin, avocat de la ville, reçut la mission d'y représenter les habitants ; et, le 26 du même mois, dans une assemblée solennelle où étaient présents les députés de Beauvais, d'Abbeville, de Péronne et de Doullens, réunis à ceux d'Amiens, il jura dans cette dernière ville, au nom de ses concitoyens, d'observer la Ligue.

Le gouvernement de la province était passé aux mains des ligueurs. Le duc de Longueville, nommé gouverneur de Picardie par le roi, n'avait pu se maintenir dans son poste ; le duc d'Aumale s'était emparé d'Amiens, d'où il expédiait ses ordres aux autres villes de son parti. Le 30 janvier, Pierre Vuion et Jean de Hennegrave furent mis en prison, sur le seul motif d'avoir été trouver le duc de Longueville ; on incarcéra, le même jour, les protestants les plus exaltés.

Le 13 janvier, la ville d'Amiens chargea le capitaine de Martimont de la garde des châteaux de Breteuil, du Chaussoy, de Folleville et de la Faloise, dans la crainte que les troupes royales, commandées par le duc de Longueville, ne s'en emparassent. Le 25, Jean de Balagny assiégea le château de Chaulnes, qu'il prit et livra au pillage ; il s'y trouvait une grande quantité de blé que les soldats vendirent à raison de 5 sols le minot ; à ce siége, de Balagny se servit de l'artillerie que lui avait fournie la ville d'Amiens. Le comte de Chaulnes était royaliste : sa femme et sa fille furent arrêtées et conduites à Péronne.

Pour subvenir aux frais de la guerre, la ville s'imposa, le 3 février, une taxe de 10,000 écus.

Le 5 de ce mois, il fut décidé que la sainte Union qui existait entre la ville de Montdidier et celles de Paris et d'Amiens serait jurée et signée de nouveau, et que tous les gentilshommes de la prévôté en feraient autant : c'était la troisième fois que cette cérémonie avait lieu. Nos ancêtres, comme l'on voit, prenaient goût à la Ligue ; ils agissaient ainsi probablement en vue de molester les gentilshommes du voisinage : la noblesse leur avait donné l'exemple, ils l'imitaient à leur tour.

Cette mesure, aussi vexatoire qu'inutile, fut mise à exécution. Du 13 février au 19 mars, les seigneurs dont les noms suivent comparurent en personne à Montdidier devant le lieutenant général, et prêtèrent le serment exigé ; c'étaient : Guy de Lancry, écuyer, seigneur de Béthencourt ; Georges Dupuis, écuyer ; Antoine de Bourson, écuyer, seigneur d'Hourges ; Jean de Bucamps et Antoine Leclereq, demeurant à Breteuil ; Jean Boitel, seigneur de Bonvillers ; François Boitel, seigneur de Berly ; Gilles de Formé, écuyer, seigneur de Framicourt ; Jean d'Amfreville, écuyer, seigneur de ce lieu et de Troussencourt ; Mathieu Leclercq, de Promleroy ; Charles de Guillermé, écuver, sieur de Heuzecourt, demeurant à Wacquemoulin ; Adrien Tarlay, demeurant à Promleroy ; Charles de Hédicourt, écuyer, seigneur de Camlers et de Warvillers ; Adrien de Cavoie, seigneur de Montonvillers, demeurant à Breteuil ; Arthus de Chambelly, écuyer, seigneur de Warsy, et Nicolas de Chambelly, écuyer, seigneur de Heuzecourt, son frère.

Ceux qui ne purent venir envoyèrent leur adhésion par écrit ; elle était conçue en ces termes :

« Nous soussignés jurons et promettons sur le sacrement de baptême que nous avons reçu sur les saints fonts de ne suivre autre parti que celuy des catholiques pour l'honneur de Dieu et conservation de la religion catholique, apostolique et romaine, le bien et liberté publique, et d'y employer non-seulement nos moyens, mais jusqu'à nos propres vies, sans adhérer ni favoriser directement ou indirectement aux partis contraires et aux ennemis de ladite religion fauteurs et adhérents, ne porter les armes pour ceux lesquels ont commis les meurtres et assassinats faits aux états tenus à Blois leurs autheurs ou adhérents. Signé : A. de Malvoisin ; de Conty ; A. d'Amfreville ; de Bertin ; de Thory ; de Bethisy ; de Rimbourg ; du Caurel ; de Sericourt ; de Cambray ; de Bertin ; de Vendeuil ; Philippe de Noyelle ; Pierre de Mons ; de Poitevin ; Jean de Bouflers ; de Bouchart de Noyers ; F. de Brion ; N. de Hangest ; P. de Clery ; François de Conty ; Claude de Cambray ; de Guilbon d'Ainval ; de Lancry ; d'Almanny ; Duchesne ; de Bethisy ; de Fransures ; Daury ; de Beljambe ;  de Surville ; de Fransures ; de Verny ; de Lancry ; du Marais ; Gilles de Formé ; J. d'Ainfreville ; de Guillermé ; de Cavoie ; de Sericourt ; de Bugicourt et de Hauchy. »

Claude Vuion, qui avait été quatre fois maïeur et l'un des premiers, en 1561, à s'élever contre la nouvelle religion, ne crut pas, malgré son zèle bien connu, pouvoir se dispenser de prêter serment, et, le 17 février 1589, il envoya au lieutenant général au bailliage l'acte suivant, constatant l'accomplissement de cette formalité :

« Au nom de sainte Trinité, Père, Fils, etc. Fut présent en sa personne honorable monsieur Claude Vuion, ancien maïeur de la ville de Montdidier, bailli des terres et seigneurie de Breteuil, Francastel et Lafalloize, âgé de 79 ans ou environ comme il a dit, lequel pour lui et en son nom a fait nommer, constitué et établi son procureur général et spécial, auquel seul et pour le tout ledit Vuion constituant, a donné et donne pouvoir spécial et irrévocable de comparoir pardevant M. le lieutenant général civil et criminel de Péronne, Montdidier et Roye et pardevant tous autres juges qu'il appartiendra, et illec pour et au nom et en l'âme dudit Vuion constituant, jurer la sainte ligue et union des dits catholiques pour la conservation de l'honneur de Dieu, bien et repos de la patrie, comme ledit Vion l'a juré présentement pardevant les notaires royaux soussignés et généralement promettant tenir et obligeants bien. Fait et passé a Bretheuil le 17 février 1589, heure de midy ès études desdits notaires. Signé : Vuion, Roussel et Durcis. »

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