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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IX - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

L'élection refuse de faire cause commune avec les rebelles

La guerre désole le pays

Précautions en cas de siége

On met le feu au faubourg de Paris

Occupation de plusieurs places voisines

Formation d'un grand conseil

Misère générale

Désordres causés par le régiment de Tremblecourt

 

Le 15 février, les protestants furent dépossédés de leurs charges et remplacés par des catholiques ; le 17, on célébra un service funèbre pour le repos de l'âme du duc de Guise. Aussitôt que la nouvelle du massacre des princes lorrains avait été connue à Montdidier, plusieurs habitants, craignant qu'on ne se portât à des violences contre leurs personnes, avaient abandonné la ville. Le 21 février 1589, on ordonna à ceux qui s'étaient absentés depuis la fête de Noël de rentrer dans les trois jours, sous peine d'être déclarés rebelles ; le 9 mars, ceux qui n'avaient pas obtempéré à cette injonction furent condamnés à 300 écus d'amende.

La chambre des états de Picardie établie à Amiens exerçait, sous la présidence du duc d'Aumale, tous les actes de la souveraineté ; elle levait des impôts et en disposait à son gré ; d'après ses ordres, la garnison de Montdidier fut défrayée avec l'argent provenant des biens saisis sur les protestants et les royalistes.

L'esprit de révolte, qui agitait alors presque toutes les têtes, rencontra de la résistance dans la magistrature ; plusieurs de ses membres s'honorèrent par leur courage et leur fidélité. Un des corps de justice les plus considérables de la ville ne vit pas sans indignation des sujets révoltés braver la puissance royale, et la rébellion usurper la place de la loi. Les magistrats composant l'élection de Montdidier refusèrent généralement de s'associer à la désobéissance de leurs concitoyens ; les mesures fiscales arbitraires, qu'on prenait journellement, ne pouvaient obtenir leur approbation. Pierre Vuion, président en l'élection, Jean Cauvel, Josias Dupré, Jean Bosquillon, Lendormy, du Bus, conseillers, et de Cambronne, receveur, se retirèrent à Compiègne, où le siége de l'élection de Montdidier fut transféré durant la Ligue, et ils ne revinrent qu'en 1594, lorsque la ville se soumit à l'autorité du roi. Pendant la Ligue, les trésoriers de France de la généralité d'Amiens se fixèrent à Saint-Quentin.

Le 11 mars 1589, on défendit aux habitants qui avaient professé la religion réformée de sortir de chez eux et de communiquer les uns avec les autres s'ils ne voulaient être considérés comme rebelles et perturbateurs du repos public. Les surprenait-on contrevenant à cette défense, ils étaient emprisonnés et traduits en justice.

La situation du pays était à peu près la même qu'au quinzième siècle, lors des guerres des Dauphinois et des Bourguignons : royalistes et ligueurs parcouraient le pays, et cherchaient à s'emparer des villes et des châteaux. De peur de surprise, on fit murer, le 21 mars, les portes de Roye et d'Amiens. Le 19 de ce mois, le seigneur de Wavignies avait été chargé de garder le château de Merville-au-Bois contre les royalistes, qu'on appelait, comme dans le siècle précédent, les ennemis de la patrie et aussi de la religion. Le 22 avril, on mit garnison au château de Davenescourt, afin d'empêcher les troupes du roi de s'en saisir. Le 24 mai, les maire et échevins achetèrent pour 500 écus d'armes à Amiens.

Le même mois on fit la recherche du blé qui se trouvait chez les réformés ; on incarcéra ceux dont on se défiait, et on établit sur eux une capitation pour payer les soldats et les réparations qu'on faisait aux fortifications ; le rôle des taxés était de cinquante et une personnes, qui devaient acquitter 752 liv. 15 sols par mois. Le nombre des protestants avait singulièrement diminué depuis 1572 ; cependant les emprisonnements continuèrent, et le 11 juin plusieurs personnes furent arrêtées ou bannies de la ville.

Les précautions contre l'ennemi se poursuivaient avec vigueur ; les échevins montaient la garde aux portes, comme les simples citoyens ; seulement, lorsqu'ils étaient de service, ils avaient le commandement, de préférence au capitaine de quartier. Au mois de juillet, la chambre des états établie à Amiens ordonna une levée de 12,000 écus sur les villes de l'Union ; Montdidier fut imposé pour sa part à 666 écus deux tiers.

L'assassinat de Henri III (1er août 1589) donna un nouvel élan au fanatisme religieux. Le 12 août, on publia une ordonnance signée de Jean de Monluc, seigneur de Balagny, lieutenant général en Picardie pour le duc d'Aumale, et des membres des états de la province assemblés à Amiens, enjoignant à toute personne de se réunir à eux, pour la conservation et manutention de l'honneur de Dieu et de sa religion contre le roi de Navarre, à peine d'être procédé contre eux comme rebelles.

La guerre se ralluma plus vive qu'auparavant ; on travailla activement aux remparts ; deux cents hommes furent employés à réparer les fortifications ; au mois d'octobre, on éleva dans le fossé, au pied de la motte de Juvenssy, une tour dont il reste encore quelques vestiges ; deux cents pieds d'arbres, jugés indispensables pour l'exécution des travaux, furent abattus dans les bois de Rubescourt et de Faverolles, appartenant aux sieurs d'Armentières et d'O, qui tenaient le parti du roi.

Les royalistes ne restèrent pas inactifs ; ils s'emparèrent de Mortemer. Henri IV, alors à Compiègne, quitta cette ville, et s'avança avec son armée jusqu'à Wacquemoulin. Montdidier s'attendait à toute heure à être assiégé, quand le roi se dirigea vers la Normandie, où il remporta sur le duc de Mayenne, près d'Arques, une victoire signalée.

Au mois de janvier 1590, les royalistes essayèrent de surprendre la ville ; mais l'entreprise fut découverte, et les meneurs furent mis à mort : plusieurs habitants, soupçonnés d'avoir pris part au complot, s'échappèrent et cherchèrent un asile chez les royalistes.

Le chef des ligueurs était Piérre de Bertin, maïeur et lieutenant général au bailliage ; il avait succédé à son père dans cette dernière charge, et portait, comme lui, une haine violente aux huguenots. Son zèle pour la religion catholique ne connaissait pas de bornes ; il était secondé dans ses desseins par François Gonnet, ancien maïeur et conseiller au bailliage. Pendant plusieurs années, ces deux hommes exercèrent une autorité immense à Montdidier : rien ne trouvait grâce devant leur inflexible rigidité, ni la jeunesse, ni la beauté ; les lois de la galanterie leur étaient complétement inconnues : ayant intercepté des lettres que Gabrielle d'Estrées adressait à Henri IV, ils les gardèrent, et, au lieu de les faire remettre à son royal amant, les envoyèrent à Amiens.

Le duc de Mayenne, pour récompenser de Bertin des services qu'il rendait à son parti, lui fit don, par lettres datées de Péronne, le 11 mai 1590, de 200 écus de rente, à prélever sur les biens des hérétiques : de pareilles générosités n'appauvrissent pas leur auteur. Le 31 juillet de l'année suivante, il ajouta encore à cette faveur en donnant à de Bertin les biens de Nicolas Germain, de tout temps hérétique et ennemi de l'Union ; c'était une manière commode de faire des largesses et d'acquitter une dette de reconnaissance. Les protestants devaient suffire à tout : réparait-on les fortifications, il leur fallait fournir les fonds nécessaires ; ainsi, dans ce but, le 16 mai 1590, le duc de Mayenne accorda 1,000 écus à prendre sur leurs biens. La garnison fut renforcée le même jour d'Italiens et de Wallons venus des Pays-Bas au secours de la Ligue : les partisans du roi, qui tenaient la campagne, rendaient cette précaution indispensable.

Le 15 juillet, les royalistes ayant enlevé le château de Rainneval, les Montdidériens en donnèrent avis à Beauvais et à Amiens : cette dernière ville fit augmenter notre garnison. La prise de Rainneval nuisait beaucoup à l'approvisionnement de Montdidier. Dans la crainte de manquer de vivres, les maïeur et échevins écrivirent, le 27 juillet, aux partisans du roi qui occupaient ce village, « de faire vendre le bestial blanc qu'ils ont pris à vingt sols pour pièce suivant le règlement jusques alors observé, sinon qu'ils useront du même droit. »

Le château de Mortemer fut repris sur les royalistes le 29 août. Ce succès releva la confiance des habitants, qui résolurent de le détruire ainsi que les châteaux d'Erusseaux, de Rainneval et autres occupés par les ennemis de la Ligue. Ce voisinage les incommodait fort, et les obligeait de se tenir constamment enfermés derrière leurs murailles.

Le 1er septembre, qui était un dimanche, on fit défense de jouer à la paume, aux boules et autres jeux : mais vaqueront toutes personnes à prier Dieu pour obtenir victoire sur l'ennemi. Le même jour, François de Conty, capitaine de Montdidier, délivra une commission pour contraindre les habitants des villages environnants d'aller au château d'Erusseaux (commune de Vendeuil) avec pelles, pics et hoyaux pour en démolir les fortifications.

La satisfaction que les Montdidériens éprouvaient de la prise de Mortemer ne fut pas de longue durée. Le 13 septembre 1590, les échevins de Beauvais les firent prévenir que le roi de Navarre, obligé de s'éloigner de Paris, se disposait à entrer en Picardie. Le 22, on apprit que Henri IV était à Compiègne. Le 24, sur l'avis que les royalistes allaient assiéger Montdidier, on donna ordre de démolir toutes les maisons des faubourgs de Paris et de Roye, sinon qu'on y mettrait le feu. Cette mesure fut impitoyablement exécutée, et, le 25, les faubourgs devinrent la proie des flammes. Le 26, on fut informé que les royalistes étaient à Clermont et se préparaient à attaquer Montdidier : pour conserver dans la ville le moins possible de bouches inutiles, on laissa sortir les femmes ; chacun se pourvut de vivres, et travailla aux remparts.

Le 3 octobre, Henri IV était à Maignelay : l'on s'attendait à chaque instant à le voir paraître, mais nos ancêtres furent assez heureux pour n'avoir point à combattre leur souverain : le roi ne resta qu'un jour à Maignelay, et se retira sans avoir fait la moindre démonstration contre la ville. Le 4, on rendit aux habitants de Royaucourt deux cent soixante-douze bestes blanches qu'on avait prises pour la nourriture des habitants. Après le départ du roi, on sut que c'était du côté du jeu de paume, situé dans la rue Capperonnier, que Henri IV avait l'intention de donner l'assaut et qu'il prétendait ouvrir la brèche en peu de temps. Afin de parer à toute entreprise, le 6 octobre on démolit et on brûla ce qui restait des maisons du faubourg de Paris. Le 15 du même mois, les maïeur et échevins, écrivant au duc de Mayenne, le suppliaient de secourir Montdidier en cas d'attaque, lui représentant l'importance de cette place, qui est dans la province, disaient-ils, comme le moiœuf au milieu de l'oeuf.

Plusieurs gentilshommes ligueurs des environs, les seigneurs de Maignelay, de Ferrières, de Belleforière, offrirent aux habitants de mettre des troupes à leur disposition ; le seigneur de Saisseval, dont la compagnie avait toujours tenu garnison dans la ville, devait y commander en cas de siége.

La prise du château de Davenescourt, dont les royalistes devinrent maîtres le 1er décembre, rendit très-critique la position des Montdidériens. Le 6 de ce mois, les habitants des villages voisins furent mandés pour travailler aux fortifications ; on s'occupa promptement, dans l'appréhension d'un siége, de construire des moulins à blé, à bras et à cheval.

Le 3 janvier 1591, le capitaine, le maïeur et les échevins se réunirent, et formèrent une sorte de chambre supérieure ou de grand conseil chargé de délibérer sur les affaires publiques ; il se tenait à la mairie les lundis, mercredis et vendredis, de neuf heures à dix heures du matin, et se composait, outre le capitaine, le maire et les échevins, des seigneurs de Remaugies, de Ferrières, d'Aurigny, du Frétoy ; de Jean Bucquet, curé du Saint-Sépulcre ; de Jacques Papot, curé de Saint-Pierre ; des sieurs Gonnet et Belin. Ce conseil devait statuer sur toutes les affaires militaires, judiciaires et de police.

Les chefs de la Ligue ayant résolu de tenir à Reims une assemblée qui aurait formé les états généraux de leur parti, François Gonnet, conseiller au bailliage, et Cosme de Bertin, avocat de la ville, furent nommés pour y représenter les habitants : Gonnet s'étant excusé, de Bertin dut s'y rendre seul ; mais cette réunion n'eut pas lieu.

Le 27 avril, le sieur de Saisseval arriva de Beauvais avec sa compagnie, et se dirigea vers Corbie, dont il espérait s'emparer ; les royalistes, qui étaient dans la place, le repoussèrent. Les forteresses des environs de Montdidier, où commandaient des ennemis de la Ligue, gênaient beaucoup les habitants. Le 6 juin, ils adressèrent leurs plaintes au gouverneur général, au sujet du château de Courtemanche, dont ils avaient fait démolir le pont-levis ainsi que le donjon, et que la dame de Saint-Romain faisait rétablir. Les châteaux de Davenescourt et de Mortemer, qu'occupaient les partisans de Henri IV, tenaient la ville étroitement bloquée.

La situation de Montdidier était loin d'être prospère. Le 10 juin 1591, le duc de Mayenne leva un nouvel emprunt sur les villes de Picardie, et dans la répartition Montdidier fut taxé à 1,942 écus 40 sols : on le voit, la sainte Union coûtait cher à ses adhérents. Les habitants se montrèrent très-récalcitrants ; lorsqu'il s'agissait d'acquitter des impôts, leur zèle religieux diminuait subitement, et ce n'était qu'à grand'peine qu'on venait à bout de les faire payer. Ils envoyèrent à Amiens Pinguet, conseiller au bailliage, pour représenter que cet impôt ne pouvoit se lever, que les habitants les plus aisés avoient quitté la ville, ou avoient été forcés de payer de grosses rançons pour se racheter de l'ennemi ; que plusieurs avoient été tués ; que, l'année précédente, de crainte de siége, l'on avoit brûllé les faubourgs ; que l'exercice de la justice et tout commerce étoient interrompus à cause des places environnantes dont les royalistes étoient maîtres. Ces raisons ne touchèrent point le duc de Mayenne, et Pinguet revint sans avoir pu changer ses dispositions. II fallait des fonds : on alla aux expédients, et, comme toujours, les réformés payèrent les frais de la guerre : on leva les 1,940 écus sur les habitants qui professaient la nouvelle religion.

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