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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XI - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Mission

Réjouissances auxquelles donne lieu le rétablissement de la santé du roi

Suppression de la prévôté

Exécutions capitales

Fête donnée par les arquebusiers

 

Au mois de janvier 1742, Mgr d'Orléans de la Motte, évêque d'Amiens, accompagné de plusieurs jésuites, commença une mission qui attira un grand concours de fidèles ; elle se termina le 23 janvier. Ce jour-là on plaça contre le pignon du palais de justice faisant face à la promenade du Prieuré, un crucifix dont on voit encore des traces à la muraille ; il fut emporté par l'ouragan du 13 juillet 1788. Cette mission ne fut point stérile, et ne se réduisit pas, comme tant d'autres, à une plantation de croix que le souffle du vent devait faire disparaître. Touchées par les pieuses exhortations du vénérable évêque, plusieurs personnes formèrent, sur l'invitation de madame de Romanet, une association de dames charitables, qui donna lieu quelques années après à l'établissement du Bureau de charité, institution précieuse dont la population pauvre de Montdidier ressent chaque jour les bienfaits, sans se douter à qui elle en est redevable.

Louis XV étant tombé malade à Metz, on fit, le 17 août 1744, une procession générale pour obtenir le rétablissement de sa santé ; la convalescence du roi fut, à Montdidier comme dans le reste de la France, le sujet de grandes réjouissances. Le samedi 3 octobre, les carillons se mirent en branle et unirent leurs voix harmonieuses au bruit formidable des canons et des fauconneaux, dont les décharges réitérées ébranlaient les maisons et brisaient les vitres. Le dimanche, de nouvelles salves annoncèrent le commencement de la fête. Au milieu de la Place s'élevait une pyramide de bois de cinquante pieds de hauteur, partagée en trois parties ; la base avait quinze pieds de large, et représentait sur ses quatre faces les villes de Furnes, du Quesnoy et des emblèmes guerriers entourés de portiques de verdure. Au-dessus, on voyait un édifice corinthien ; sur la frise et dans l'entre-colonnement étaient peintes des allégories de circonstance. La partie supérieure de la pyramide était ornée de six dauphins de dix pieds de haut, soutenant une couronne royale de huit pieds de diamètre, terminée par une fleur de lis à quatre faces.

Vers huit heures du soir, au signal donné par Jean Duquesne, que l'on avait repeint et remis à neuf, on tira devant l'hôtel de ville un feu d'artifice tel que nos ancêtres n'en avaient jamais vu ; il dura près d'une heure ; la pyramide était resplendissante de lumière.

En face de la mairie était dressée une estrade de bois, décorée de colonnes doriques et corinthiennes ; un écusson aux armes de France, haut de seize pieds, occupait le milieu ; le soir un dragon enflammé, lancé du sommet de l'hôtel de ville, traversa la Place sur une corde et mit le feu à cette décoration. Au-dessus de la porte de la mairie, sous un dais de damas cramoisi, entouré de franges et de galons d'or, était placé le portrait du roi ; on lisait au bas :

Vive Louis le Bien-aimé !

Quantum aliis reges, hic tantum regibus extat.

Un repas somptueux offert par l'échevinage aux principaux habitants, et un bal auquel le peuple prit part, terminèrent la soirée. Des fontaines de vin étaient disposées dans les rues : deux suisses se tenaient à côté pour prévenir le trouble et la confusion ; mais tout se passa sans qu'il y eût le moindre désordre à regretter. La direction des fêtes publiques n'était pas alors abandonnée uniquement à l'administration, comme elle l'est à présent ; chacun y participait et contribuait au plaisir général : cette entente des diverses classes de la société donnait un attrait puissant et un élan extraordinaire aux réjouissances.

C'est une chose dont il est impossible de se faire une idée dans le siècle où nous vivons, avec le changement opéré dans nos mœurs et dans nos idées, que l'allégresse qui se répandit dans la France entière à la nouvelle du rétablissement de la santé du roi : pendant huit jours notre ville fut continuellement en fêtes ; les bals et les festins se succédèrent sans relâche.

Un édit du mois d'avril 1749 supprima toutes les prévôtés du royaume, et les réunit aux bailliages dans les villes où il en existait. Cet édit porta quelque préjudice à Montdidier. Il y avait une quinzaine de villages qui, sans être du ressort du bailliage, faisaient partie de la juridiction prévôtales ; ces communes cessèrent de relever de Montdidier et furent annexées à d'autres siéges.

Puisque nous venons de parler du bailliage, disons quelque mots de deux exécutions célèbres qui eurent lieu dans le cours du dix-huitième siècle. L'une fut celle des Maupetit, du Mesnil Saint-Georges. Ils étaient quatre frères ne vivant que de vols et de brigandages ; la fausse monnaie et l'incendie étaient pour eux des crimes ordinaires. Le jour de Pâques 1710, de la Villette, lieutenant criminel au bailliage, fit partir seize cavaliers d'un régiment wallon en garnison dans notre ville, qui cernèrent l'église du Mesnil pendant la grand'messe et s'emparèrent de trois de ces scélérats ; le quatrième fut arrêté à Saint-Just. Leur procès s'instruisit à Montdidier. Le plus jeune dut à son âge (il n'avait que seize ans) de n'être condamné qu'aux galères à perpétuité ; quant aux autres, le gibet en fit bonne justice : le 3 janvier 1711, ils furent accrochés tous les trois à une seule et même potence dressée en face de l'hôtel de ville.

La seconde exécution fut celle de Louis de Saint-Jean, peigneur de laine, et de Pierre Bouaille, marchand de porcs, tous deux demeurant à Esquennoy : déclarés coupables de plusieurs incendies qui avaient éclaté dans cette commune au mois de décembre 1753, ils furent, par sentence rendue au bailliage de Montdidier le 31 août 1754, condamnés, « Louis de Saint-Jean à être mené et conduit par l'exécuteur de la haute justice dans un tombereau, en la place de ladite ville, pour y être attaché à un poteau avec une chaîne de fer, et brûlé vif, son corps réduit en cendres et icelles jettées au vent, icelui Saint-Jean préalablement appliqué à la question ordinaire et extraordinaire ; Bouaille condamné à être pareillement mené dans le même tombereau par ledit exécuteur de la haute justice en ladite place de ladite ville, où il seroit pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'en ensuive, son corps mort jetté au feu et réduit en cendres qui seront jettées au vent ; déclare tous leurs biens situés en pays de confiscation acquis et confisqués au roi, ou à qui il appartiendra sur iceux ou autres non sujets à confiscation, préalablement pris la somme de quatre cents livres d'amende, au cas que confiscation n'ait lieu au profit de Sa Majesté. »

Cette sentence fut confirmée par arrêt du parlement du 17 septembre 1754, et l'exécution eut lieu le 28 du même mois à trois heures de l'après-midi. De Saint-Jean souffrit la question sans rien avouer ; Bouaille rétracta les déclarations qu'il avait faites contre son complice ; comme il n'avait que seize ans, il fut étranglé avant d'être livré aux flammes ; de Saint-Jean fut brûlé vif. Le bûcher était composé de cent cinquante fagots et de quatre cordes de gros bois, ce qui fit, remarque tranquillement Scellier, que les criminels furent bientôt consumés. Ces scènes horribles, restes du temps de barbarie, ont heureusement disparu de nos mœurs. Un procès qui eut encore un plus grand retentissement fut celui du nommé Ricard, de Frénoy, accusé d'assassinat ; nous sommes entré dans quelques détails à ce sujet, en traitant de l'ancienne organisation judiciaire, et principalement de celle du bailliage. (Liv. III, chap. V § 2.) Les exécutions furent assez fréquentes dans le cours du dernier siècle ; on pendait un homme pour vol et même pour contrebande.

Le 1er mai 1750, le maïeur et les échevins se transportèrent au Prieuré, et demandèrent aux religieux d'exposer la châsse des saints Lugle et Luglien, afin d'obtenir, par leur intercession, la cessation des tremblements de terre qui s'étaient fait sentir dans la ville et presque partout, avec des effets affligeants pour certains lieux.

Au mois d'août 1752, le Dauphin fut attaqué de la petite vérole ; on craignit pour ses jours ; mais il résista à la violence du mal, et la nouvelle de son rétablissement fut accueillie par des démonstrations de joie unanimes. Le l0 septembre, Mgr de la Motte, évêque d'Amiens, qui se trouvait à Montdidier, où il donnait une mission, entonna pontificalement le Te Deum en actions de grâces de cette heureuse convalescence.

Les exercices se terminèrent le 25 septembre par une procession solennelle du Saint-Sacrement ; les curés de la ville et ceux des paroisses voisines y assistèrent avec leur clergé, en chape et en chasuble ; le bailliage, la mairie et l'élection y étaient en corps. La compagnie de l'Arquebuse, tambours et drapeaux en tête, fit une décharge de mousqueterie devant le reposoir préparé en face de l'hôtel de ville ; le lieutenant général et le maire allumèrent le feu de joie. Plusieurs compagnies d'archers de la campagne, ainsi que les confrères de Saint-Claude, établis dans l'église du Sépulcre, étaient présents avec leurs drapeaux, tambours et bourdons ; cette procession fut une des plus nombreuses qu'on eût vues depuis longtemps. Les arquebusiers ne laissèrent pas échapper cette occasion de prouver l'attachement qu'ils portaient au Dauphin. Le 27 septembre, la compagnie, composée de vingt-cinq chevaliers, se rendit en uniforme et en armes à l'église Saint-Pierre, et assista avec l'échevinage à une grand'messe en musique, qui fut chantée par des bourgeois, et suivie d'un Te Deum, pendant lequel l'artillerie placée près de l'église fit trois décharges. Le sermon fut prêché par M. Lendormy, curé de Saint-Jacques d'Amiens.

Le soir, il y eut une illumination brillante au jardin de l'Arquebuse : le pavillon, les allées, le tir, étaient garnis de lampions dessinant des figures, des mosaïques, des hiéroglyphes et divers ornements d'architecture. Au-dessus de la cible on voyait un grand dauphin peint avec tant d'art qu'il paraissait vivant ; on lisait au-dessus, en gros caractères placés dans une mosaïque : Gaudete, salvus erit, et un peu plus bas : Deus nobis hœc otia fecit.

Le souper fut splendide ; le maïeur, les échevins et les officiers de la ville étaient assis chacun entre deux chevaliers ; l'aumônier de la compagnie présidait. Les chevaliers avaient fait dresser une seconde table sous une tente au bas de leur pavillon, et ils y donnèrent à souper à vingt-cinq personnes du quartier, peu fortunées, ne voulant point qu'il y eût autour du jardin des individus qui se plaignissent de leur misère, tandis qu'ils seraient dans les plaisirs et l'abondance. Les cieux tables furent servies au même moment, et, afin que la joie fût générale, la première action des chevaliers fut de composer un plat de tous les mets qui se trouvaient devant eux et de l'envoyer aux prisonniers avec une bouteille de vin pour chacun et du pain pour deux jours. Pendant le souper, on but plusieurs fois à la santé du roi, du Dauphin et de la famille royale ; à chaque toast, c'était une décharge de douze fauconneaux, suivie du bruit des tambours, des fifres et des hautbois. Les chevaliers les plus galants s'empressèrent d'enlever la meilleure part du dessert et de l'offrir aux dames, confondues dans la foule qui encombrait le jardin. Les bourgeois qui avaient chanté à la messe entrèrent au dessert dans la chambre des arquebusiers, et entonnèrent une chanson composée exprès pour la guérison du Dauphin. Tous les chevaliers et les convives répétaient en chœur les derniers vers de chaque strophe ; les fifres, les tambours et les hautbois se faisaient entendre, et leurs sons éclatants alternaient avec les chants des buveurs. Chaque chevalier avait eu soin de faire éclairer sa maison ; des devises et des emblèmes en ornaient la façade, et dans tous les quartiers on s'unissait à la fête qui se donnait au jardin de l'Arquebuse.

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