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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XV - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Réorganisation des services publics sous le consulat

Rétablissement de la mairie

Bonaparte passe à Montdidier

Le clergé est renouvelé

On abat la tour Rouge

 

Le Directoire était trop faible pour gouverner le pays : il fallait une main plus vigoureuse pour donner aux affaires la direction salutaire dont elles avaient besoin. Vint le consulat, et  Bonaparte régla les destinées de la France. Ses œuvres lui ont survécu, et l'administration est encore en France à peu près telle qu'il l'établit : les tribunaux, les municipalités furent reconstitués sur des bases nouvelles ; il serait superflu d'entrer dans aucun détail à ce sujet. Les changements survenus à Montdidier ne furent point particuliers à la ville ; ils étaient la répétition exacte de ce qui se passait dans toute la France. Sous le Directoire, les agents municipaux avaient laissé tomber leurs fonctions dans le discrédit le plus complet ; le premier consul s'attacha à leur rendre la dignité qu'elles avaient perdue : l'agent municipal fut supprimé, et le premier magistrat de la cité reprit le titre de maire, dont le nom résonnait agréablement aux oreilles des populations habituées à le respecter. Les maires étaient nommés par le préfet ; le discernement avec lequel on choisissait à cette époque les magistrats municipaux était une garantie réelle pour les administrés ; on ne confiait le soin des affaires communales qu'à des hommes justement estimés.

Le 29 juin 1800, M. Cocquerel fut placé à la tête de l'administration numicipale. Il avait été précédemment conseiller au bailliage et juge au tribunal de district ; à diverses reprises il avait siégé dans les conseils de la commune, où il s'était fait remarquer par la modération et la fermeté de ses principes. Sa famille était ancienne, et plusieurs de ses ancêtres avaient occupé avec distinction les premières charges de la ville : d'un abord facile, d'une bienveillance parfaite, il était, au sortir d'une révolution qui, en bouleversant toutes les positions, avait aigri bien des cœurs, l'homme le plus capable d'opérer un rapprochement, et de concilier les prétentions les plus diverses ; il réussit avec un rare bonheur. Aux qualités de l'homme privé il joignait les talents de l'administrateur ; actif, généreux, libéral plus que sa fortune ne le permettait, prodigue sans ostentation, ses salons étaient ouverts à ses concitoyens ; il exerçait noblement l'hospitalité, et n'aurait point souffert que, dans la ville, un fonctionnaire salarié pût se croire dans une position supérieure à la sienne ; il releva la dignité de maire, et l'environna d'une considération que ses successeurs n'ont pas toujours su lui conserver.

Le conseil municipal, dont les membres étaient nommés par l'administration supérieure, s'occupa immédiatement de faire rentrer l'argent dans la caisse de la ville. Pendant la Révolution, toutes les sources du revenu public avaient été taries ; au nom d'une liberté imaginaire, on avait aboli la perception des impôts communaux, dont le produit était indispensable pour assurer l'exercice des services publics ; il fallut les rétablir. Le 16 décembre 1800, les droits que l'on percevait sur les marchands et débitants qui étalaient leurs denrées au marché furent remis en vigueur. Le cérémonial des inhumations attira l'attention du maire ; il y introduisit la décence et le recueillement que commande toujours un pareil moment. L'arrêté de la république qui défendait de tendre de noir la porte de la maison où une personne était décédée fut rapporté, et les parents eurent la liberté de présenter a l'église le corps des défunts.

La paix conclue entre la France et l'Autriche causa une allégresse générale. Le 14 juillet 1801, le maire, le sous-préfet, les membres du tribunal et une députation de la garde nationale, se réunirent au palais de justice, qui avait été décoré avec simplicité. Le sous-préfet, M. Lendormy, donna lecture de la lettre du premier consul, en date du 10 juillet, relative à la fête ; puis M. Denizart, adjoint, prononça un discours de circonstance ; on fit une distribution de pain aux indigents, il y eut des danses dans l'après-midi, et le soir la ville fut illuminée.

La réaction religieuse se faisait sentir avec force, le concordat vint y mettre le sceau : ce fut l'acte public qui contribua le plus à consolider le pouvoir de Bonaparte. La loi du 18 germinal an X fut publiée avec solennité. Le 9 mai, le maire convoqua à l'hôtel de ville tous les corps constitués, et leur fit à haute voix lecture de cette loi et de la proclamation des consuls adressée au peuple français ; après la séance, M. Denizart, accompagné d'une suite nombreuse, se transporta dans tous les carrefours de la ville, et donna connaissance de cette grande mesure à la population qui l'accueillit avec enthousiasme.

Le 1er septembre 1802, Mgr Villaret, évêque d'Amiens, arriva à Montdidier ; le soir il dit le salut au Sépulcre, et le lendemain chanta pontificalement la messe à Saint-Pierre. Le clergé du Sépulcre, escorté de la garde nationale, était allé prendre le prélat chez M. Lendormy, où il était descendu, et l'avait conduit processionnellement à l'église principale. M. Guedé, qui depuis 1795 remplissait les fonctions de curé de Saint-Pierre, rétracta au mois de juillet, entre les mains de Mgr Villaret, le serment qu'il avait prêté et fut maintenu provisoirement dans ses fonctions ; néanmoins l'église était toujours déserte, et celle du Sépulcre, que desservaient les prêtres non-assermentés, réunissait seule les fidèles. Un autre choix était indispensable, M. Lefebvre, curé de Conty, avant la révolution, fut nommé curé de Montdidier et installé le 7 novembre 1802, par le grand vicaire de l'évêque d'Amiens, en présence des autorités : M. Guedé assista à l'installation de son successeur.

Le 25 juin 1803, le premier consul traversa Montdidier, il venait de Mortefontaine, où résidait son frère Joseph, et s'était arrêté quelques instants à Compiègne, pour visiter le prytanée établi dans le château. Il était quatre heures de l'après-midi, lorsque Bonaparte arriva à Montdidier. Les vétérans qui étaient en garnison allèrent au-devant de lui, tambours battants, drapeau déployé, jusqu'au mur des Ursulines, et escortèrent sa voiture jusqu'au Marché aux chevaux, où l'on avait préparé un arc de triomphe. Les autorités l'y attendaient, ainsi que les maires d'un grand nombre de communes. L'un deux lui présenta une colombe tenant dans son bec un rameau d'olivier, symbole de cette paix que la modération et le génie de Bonaparte ont déjà donnée et doivent rendre au monde. De jeunes filles vêtues de blanc ont semé des fleurs sur le chemin, et ont offert des tresses, des bouquets et des guirlandes.

Le premier consul fut harangué successivement par le sous-préfet, le maire et le président du tribunal. Il faut rendre à chacun la justice qui lui est due : le discours du sous-préfet était détestable, celui du maire ne se distinguait que par son laconisme, et, malgré la grande habitude de la parole, qu'il avait contractée durant la révolution, le président, M. Pucelle, ne se tira pas mieux d'affaire que les autres. Des phrases sur la violation du traité d'Amiens et sur la perfide rivale de la France faisaient le fond de ces harangues officielles, grossies d'une prodigieuse quantité d'épithètes toutes plus louangeuses les unes que les autres, mais qu'excuse aisément l'admiration qu'inspiraient les merveilleux exploits du conquérant de l'Italie. Le maire profita de la circonstance pour lui présenter une demande en faveur des travaux que l'on voulait exécuter à la route de Rollot à Cuvilly et à celle de Montdidier à Saint-Just. Le premier consul s'entretint quelque temps avec les chefs de corps des affaires qui étaient de leur compétence : Combien y a-t-il d'habitants à Montdidier ? demanda-t-il au sous-préfet. Général, trois mille sept cent soixante-neuf, répondit M. Lendormy, sans en retrancher ni ajouter un seul. C'était d'une précision admirable. Au moins en voilà un qui connaît son affaire, dit Bonaparte. La tour Rouge, située à l'extrémité de la rue du Moulin-à-Vent, attira son attention : cette masse fortifiée lui déplut ; il fit entendre fort clairement qu'on eût à l'abattre, qu'il ne se souciait point de voir dans l'intérieur du pays de ces fortifications surannées, qui pouvaient encore, au besoin, offrir un point de résistance à des mécontents. Nos fonctionnaires éprouvèrent une petite contrariété. Ils s'apprêtaient à féliciter Joséphine, qu'ils croyaient dans une autre voiture que le premier consul, mais elle se trouvait dans celle de son mari, il n'y avait pas moyen de recommencer coup sur coup les harangues ; ils en furent pour leurs frais d'éloquence, et il leur fallut, bien malgré eux, faire le sacrifice des compliments qu'ils avaient en poche.

Mgr Villaret, qui avait succédé à Mgr Desbois de Rochefort sur le siége épiscopal d'Amiens, s'occupa de pourvoir au remplacement des membres du clergé nommés pendant la Révolution. Le 8 août 1803, M. Clausel de Coussergue, vicaire général, vint à Montdidier, et reçut dans l'église Saint-Pierre le serment des ecclésiastiques qui devaient desservir les paroisses du doyenné. Un grand concours de fidèles se pressaient dans l'église où étaient réunies les différentes autorités ; M. Clausel prit la parole ; et exposa en termes parfaitement convenables la position nouvelle qui était faite au clergé ; il s'attacha à prouver la nécessité de la soumission des ministres de la religion aux lois de l'autorité civile, commandée par les principes de l'Évangile ; l'éloge du concordat, celui du premier consul, et l'obligation pour les ecclésiastiques de tenir le serment qu'ils allaient prêter au gouvernement firent le sujet de son discours. Le sous-préfet prit la parole. « Rappelez-vous, » dit-il, « ce temps de malheur où la religion était regardée comme fanatisme, la raison déifiée, l'Être suprême à peine reconnu. » C'était l'exacte vérité, mais il était très-maladroit de retracer les erreurs du passé devant une réunion d'hommes parmi lesquels il s'en trouvait beaucoup qui pouvaient se reprocher d'y avoir participé. M. Lendormy lui-même n'était pas exempt de tout contact avec l'époque qu'il rappelait. Il avait figuré à la fête de l'Être suprême ; seulement sa harangue avait été plus modérée que celle de ses collègues ; il avait pris pour texte les noms nouveaux donnés aux mois, et avait expliqué ce que veulent dire ces mots, germinal, floréal, thermidor, fructidor, etc. ; son discours avait tourné à l'idylle. Quant au président du tribunal, M. Pucelle, il devait avoir une contenance assez embarrassée, lorsqu'il entendit évoquer par le sous-préfet ses prouesses de la fête de la Raison.

Le génie victorieux du premier consul ayant reculé les frontières de la France, les tours et les murailles qui ceignaient Montdidier, désormais inutiles, disparurent successivement pour faire pénétrer dans la ville l'air et le mouvement.

Le moulin à vent élevé en 1419 sur la tour Rouge avait été vendu et abattu à la fin de 1803 ; le 16 février de l'année suivante, le conseil municipal décida que la tour subirait le même sort, et qu'à sa place on ouvrirait une communication directe de la rue du Moulin-à-Vent avec la route de Compiègne ; les débris de cette tour, la plus élevée et la plus forte de toutes, servirent à combler les fossés. Mais ces travaux d'amélioration ne se réalisèrent que lentement, et dix ans après ce n'était qu'à grand'peine qu'on passait à l'extrémité de la rue du Moulin-à-Vent.

La porte d'Amiens n'était pas d'une plus grande utilité, et gênait encore davantage la circulation. Sa démolition fut ordonnée : aux mois de février et mars 1804, le pont et les ouvrages de maçonnerie, qui tombaient en ruine et obstruaient la voie publique, furent abattus pour faire place à une entrée plus commode. Cette porte avait environ quarante pieds de longueur sur autant de hauteur ; elle était accompagnée de deux tours en briques, et au-dessus se trouvait un jardin où l'on remarquait une statue en pierre représentant saint Martin à cheval.

La destruction des tours et des murailles de Montdidier ne doit pas exciter les regrets. Ce n'étaient point des remparts pittoresques comme ceux d'Avignon ou du vieux Carcassonne, et, à l'exception de la tour Rouge et de son moulin, dont l'ensemble produisait un assez joli effet, nos fortifications ne présentaient rien de remarquable.

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