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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre V - § I - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Ancienneté des écoles

Fondation du collége

Son organisation

Changements survenus dans l'administration

Principaux bienfaiteurs

 

Dès les temps les plus reculés, notre ville possédait des établissements destinés à l'éducation de la jeunesse : il en est parlé dans des titres du douzième siècle. Les premières écoles étaient tenues par des clercs placés sous la direction des chanoines de Saint-Augustin, qui étaient établis dans la chapelle du château des comtes de Montdidier ; un d'eux avait le titre de maître des écoles, et, outre sa prébende, jouissait d'un revenu de 30 sols, monnaie de Provins, attaché aux fonctions de magister scholarum. Les chanoines ayant été remplacés, en 1130, par des Bénédictins de la congrégation de Cluny, Thierri, évêque d'Amiens, confirma les religieux dans tous les droits de leurs prédécesseurs, entre autres dans la jouissance de ces 30 sols de rente affectés à l'enseignement : « Ecclesiam beatæ Mariæ cum tredecim præbendis quas solebant habere canonici seculares, e quibus una est illa quam magistri scholarum de Montis-Desiderio aliquandiu tenuerunt, et pro ista præbenda triginta solidos Pruvinienses deinceps receperunt..... confirmamus, regimen scholarum, etc. » La charte de Thierri est de 1 146. (Gall. christ., t. XI, Inst. p. 309.)

L'indication expresse de sous de Provins n'a rien qui doive surprendre ; si l'on se rappelle que les comtes de Montdidier étaient en même temps seigneur d'Arcis et de Rameru en Champagne, il ne paraîtra pas étonnant qu'ils aient doté, en monnaie ayant cours dans cette dernière province, les prébendes qu'ils fondèrent dans leur château de Montdidier. On peut consulter, sur la monnaie de Provins, le Glossaire de du Cange, au mot Moneta.

Alexandre III, en 1175, et Urbain III, en 1185, maintinrent les Bénédictins dans les droits que leur avait conférés l'évêque d'Amiens, et, pendant un laps de temps considérable, ils jouirent du privilége d'enseigner dans la ville. Plus de trois siècles se passent ensuite sans que l'on entende parler des écoles, et ce n'est qu'au commencement du seizième siècle que nous retrouvons trace de leur existence. Une délibération de l'échevinage de 1511 porte qu'il sera baillé à Pierre Hubelet, pour réédifier la sale des escoles près Saint-Pierre, deux milliers de carreaux et trois muids de chaux, et la somme de 20 livres pour avoir de la thieulle pour couvrir cette sale, lesquelles parties se prendront sur les deniers de la creue en considération que c'est pour le bien public.

La découverte de l'imprimerie, et plus tard les controverses religieuses, firent sentir la nécessité des études ; il fallut réorganiser ce qui avait presque cessé d'exister. Dans une assemblée générale qui eut lieu à l'hôtel de ville le 13 mai 1559, pour délibérer de faire un logis pour tenir escoles et y pourvoir de maistres ayant esgard qu'il y a longtemps qu'il n'y a ny escoles ny maistres en la ville, il fut décidé qu'il serait établi un collége dans le local de la vieille église du Saint-Sépulcre, située rue du Moulin-à-Vent, et qu'on achèterait les maisons voisines pour loger les maîtres et les écoliers. Cette résolution demeura sans effet ; mais, peu d'années après, D. Antoine de la Morlière, religieux du prieuré, curé de Saint-Pierre, l'un des signataires de la délibération de 1559, prit le parti d'exécuter à ses propres frais ce que l'insouciance de ses concitoyens leur faisait négliger. Le 3 août 1563, il fit don aux majeur, eschevins et habitants de Montdidier, d'une maison, édifices, cour, jardin, lieux et pourpris séants en la rue Haute, conduisant de la mare du Bourget à la porte de Roye, pour estre ordonnés et destinés en un collége pour l'instruction des enfants, par précepteurs de bonne vie, bonne et saine doctrine, catholique ancienne et romaine, à la charge de faire chanter tous les jours par le principal du collége un salut pour le repos de son âme, et un obit solennel à Saint-Pierre le jour anniversaire de cette donation. L'enseignement était gratuit, ou peu s'en faut ; ceux qui étudiaient le latin payaient 2 sols 6 deniers par mois ; ceux qui apprenaient seulement à lire, 20 deniers : la rue Haute, où était le collége, s'appelle aujourd'hui rue du Marché-aux-Herbes, et la maison donnée par D. de la Morlière faisait le coin de cette rue avec celle des Hurleurs ; elle était la première à main gauche, en entrant dans cette dernière rue ; dans le dix-septième siècle, la rue des Hurleurs portait encore le nom de rue des Vieilles-Écoles.

Le collége ne subsista pas longtemps en cet endroit ; le local était étroit, incommode ; en 1572, les maïeur et échevins vendirent la maison, et avec le produit et celui d'une quête que l'on fit dans la ville, ils en achetèrent une plus convenable dans le haut de la rue Saint-Pierre. En 1738, on fit reconstruire cette autre maison qui tombait en ruine, et jusqu'à la Révolution elle servit de collége ; lorsque cet établissement fut transféré au Prieuré, l'ancien collége fut converti en gendarmerie.

Le collége était à peine installé dans la rue Saint-Pierre que la ville se trouva en difficulté avec les Bénédictins. Antoine de Saveuse, prieur de Notre-Dame, prétendait avoir le droit de nommer le principal, l'échevinage résista : à la suite de longues contestations, l'avantage resta à ce dernier, et la nomination du principal du collége fut définitivement attribuée aux maïeur et échevins ; le principal avait seul le droit d'enseigner dans la ville, il était défendu à toute autre personne d'y tenir école. En 1654 , la direction du collége fut confiée aux Bénédictins, mais ils la conservèrent peu de temps ; quatre ans après, elle fut remise à Bon de Merbes, qui était assurément bien capable de remplir cette place : le savant ouvrage qu'il a laissé révèle des connaissances et une érudition peu communes. De son temps, le goût des lettres avait fait de rapides progrès ; on n'en était plus à déplorer le manque d'écoles : une concurrence redoutable s'était élevée contre le collége, et menaçait de lui enlever ses élèves ; mais le principe de la liberté d'enseignement n'existait point alors ; aussi, le 1er août 1667, l'échevinage fit défense à toutes personnes d'enseigner dans la ville, fauxbourgs et banlieue d'icelle, les langues grecque et latine au préjudice du collége, à peine de 20 liv. d'amende contre les contrevenants. Bon de Merbes se démit de ses fonctions de principal en 1669, pour se livrer exclusivement à la composition de son grand ouvrage intitulé : Summa christiana. L'échevinage, désirant lui témoigner l'estime profonde qu'il avait pour sa personne et le regret qu'il éprouvait de le voir abandonner la direction des études, lui laissa la jouissance d'une partie des revenus qu'il touchait comme principal, et exempta solennellement du logement militaire la maison où il demeurait, mais pendant le temps seulement où il y feroit sa résidence. Honorer le savoir, c'est en faire preuve.

Les Bénédictins rentrèrent en possession du collége en 1680 ; ils étaient tenus d'avoir deux régents pour les langues grecque et latine, et de mettre les élèves en état d'entrer en seconde au collége de Clermont, à Paris, ou au collége d'Amiens ; les classes devaient être ouvertes le matin depuis sept heures et demie jusqu'à dix heures et demie, et le soir de deux heures un quart jusqu'à cinq heures ; la rétribution scolaire était fixée à 20 sols par mois ; si les revenus du collége montaient à 300 liv., les religieux s'engageaient à faire un cours de rhétorique et de philosophie. Les Bénédictins remplissaient avec zèle les fonctions qu'ils avaient acceptées, lorsqu'ils se virent en butte à des tracasseries suscitées par le mécontentement qu'éprouvaient certaines personnes jalouses de voir le droit de nommer a la place de principal passer des mains du maïeur entre celles du prieur de Notre-Dame. Les religieux firent d'abord bonne contenance ; mais, fatigués de plaider, et se souciant peu de conserver un établissement qui ne leur occasionnait que des désagréments, ils renoncèrent au traité de 1680, en vertu duquel ils administraient le collége, et transigèrent avec la ville. En échange de leur renonciation, on leur céda une partie des remparts qui se trouvaient derrière leur couvent : les Bénédictins tenaient beaucoup à cette concession, car ils n'étaient pas fermés de ce côté, et le public venait jusque sous leurs fenêtres se livrer à des actes fort inconvenants. Depuis cette transaction (1687), les Bénédictins restèrent étrangers à la direction du collége, et les maïeur et échevins eurent toujours le droit de nommer le principal. Les sujets distingués sortis de ce collége prouvent en faveur de l'heureuse impulsion donnée aux études : les trois Capperonnier, le père Daire, Béjot, Gouilliart, Parmentier, Bosquillon, Caussin de Perceval, puisèrent dans la petite école latine de notre ville les premiers principes de connaissances qui, développées ensuite sur un plus grand théâtre, ont assuré à leur nom une réputation méritée.

De 1687 à 1769, le collége ou école latine, car c'est sous ce nom modeste qu'on le désignait souvent, n'eut qu'un seul maître ; en 1769, on lui en adjoignit un second, et le prix des études, qui jusqu'alors n'avait été que de 20 sols par mois, fut porté à 30 sols : le nombre des élèves était de vingt-quatre à trente en 1780 ; on leur enseignait le français, les éléments du latin, et on les préparait à entrer en quatrième dans un collége de Paris. Le traitement du principal s'élevait à 396 liv. ; celui du second maître, à 296 livres. Le dernier principal fut M. Guédé, curé constitutionnel de Saint-Pierre, décédé en 1803.

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