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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre V - § II - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Construction d'une nouvelle école

Bienfaiteurs de la maison

Utilité des Frères

 

La construction de la maison commença le 24 juillet 1848 , et non le 19 août, ainsi qu'on pourrait le croire en consultant le Propagateur picard du 20 de ce mois. La pose de cette pierre, dont parle le journal, ne fut qu'un stratagème inventé pour favoriser l'élection d'un conseiller général à laquelle on devait procéder le lendemain ; il y avait près d'un mois que les travaux étaient en cours d'exécution quand on s'avisa de cette démonstration intéressée.

Les travaux furent continués sans interruption, et, le 10 mai 1849, eut lieu la bénédiction des classes. Après une messe basse célébrée à l'église Saint-Pierre, le clergé de la paroisse, accompagné des autorités, précédé des élèves et de leurs maîtres, se rendit processionnellement à la nouvelle école. Arrivé dans la cour, le curé prononça une allocution pleine d'à-propos, dans laquelle il retraça les services que les Frères rendaient à la jeunesse et l'obligation qu'elle leur devait ; puis, après quelques mots d'éloge pour les personnes qui avaient contribué à la construction de l'édifice, il en bénit l'intérieur pendant que le clergé chantait le Te Deum : une quête faite pendant la cérémonie produisit 150 fr. environ.

L'école des Frères est située sur la place du Marché-aux-Chevaux, entre cour et jardin. Le bâtiment de brique et pierre a 34 mètres de long sur mètres de large dans œuvre ; il se compose d'un rez-de-chaussée et d'un étage présentant chacun onze ouvertures de face ; au milieu de l'étage supérieur, une niche de pierre, surmontée d'un petit clocher, contient une statue de saint Joseph, patron de la maison. Le cintre des fenêtres est de pierre de Pont-Sainte-Maxence ; un bandeau et une corniche de même pierre donnent un peu de relief au bâtiment, et l'empêchent de trop ressembler à une fabrique. Au rez-de-chaussée il y a quatre classes, ayant chacune leur entrée distincte ; elles sont séparées par des châssis vitrés, mobiles, qui facilitent la surveillance et peuvent s'enlever pour ne former qu'une vaste salle, ce qui a lieu pour la distribution des prix ; les classes sont parfaitement éclairées, aérées, et réunissent toutes les conditions désirables de salubrité. Au premier étage sont les chambres des Frères, meublées très-convenablement, leur salle d'exercice et la bibliothèque ; elles donnent sur un large corridor, à l'extrémité duquel se trouve la chapelle, décorée avec goût. On y dit la messe une fois par mois. Sur une plaque de marbre blanc, placée aux frais du supérieur actuel, on lit :

A LA MÉMOIRE DE MADEMOISELLE MARTE BOSQUILLON DE BOUCHOIR,
FONDATRICE DE CETTE CHAPELLE. 1853.

Un petit bâtiment attenant à l'école renferme la cuisine et une pièce où se tiennent habituellement les Frères ; l'architecte n'ayant pas bien pris ses mesures, il fallut l'ajouter après coup. Le jardin est assez grand, et a été acheté en partie par mademoiselle Charlotte Bosquillon de Bouchoir, qui dépensa 4,000 fr. pour cette acquisition. La cour est trop étroite, les tracasseries des habitants du quartier en sont cause ; ils prétendirent qu'en l'élargissant on restreindrait la place, et que le Marché-aux-Chevaux en souffrirait ; on n'aurait pas dû s'arrêter devant de pareilles raisons, dictées uniquement par l'intérêt privé.

Le terrain sur lequel est bâtie l'école faisait anciennement partie du cimetière de l'Hôtel-Dieu ; en creusant les fondations du mur de clôture on a trouvé beaucoup d'ossements. Cette école est sans contredit la plus belle et la mieux distribuée du département. Sa construction a coûté 37,553 fr., et l'acquisition du jardin sur lequel elle s'élève, 3,232 fr., de sorte que le montant général des dépenses est de 40,785 francs. Cette somme a été couverte comme il suit : la vente de l'ancienne maison produisit 10,000 fr., l'hôpital donna 6,000 fr., l'État 5,000 fr., le département 800 fr. ; la souscription a rapporté 14,175 fr. ; argent prêté, 5,000 fr. Total, 40,975 francs.

Au mois de décembre 1849, le bureau de bienfaisance décida qu'une tablette de marbre noir serait placée dans l'école des Frères pour rappeler la générosité de mademoiselle Henriette Bosquillon de Bouchoir, qui avait fait don de 7,000 fr. à cette maison. L'effet de cette délibération est encore à venir. La famille de Bouchoir, naguère une des plus nombreuses de la ville, a cessé d'exister. Que les hommes nouveaux, loin de dénigrer les anciennes familles, les imitent ; qu'au lieu de les calomnier, de les attaquer constamment, ils tâchent de les faire oublier à force de bienfaits : nous applaudirons de grand cœur à leurs efforts.

Les enfants qui fréquentent l'école des Frères sont au nombre de deux cent vingt, répartis en quatre divisions ; la durée des classes est de trois heures le matin et de trois heures le soir. On a signalé comme un abus l'admission d'enfants appartenant à des familles assez aisées pour les faire instruire chez les maîtres de pension de la ville, qui souffrent, dit-on, d'une concurrence inégale ; cet abus n'est pas aussi grave qu'on le prétend. Le nombre de ces enfants est très-restreint, et leur présence est même un bien pour leurs camarades. Surveillés de plus près par leurs parents, ils contribuent, par leur conduite et leur application, à donner à leurs condisciples une émulation qui manque trop souvent à la classe la plus humble de la population. Pour prévenir l'inconvénient dont on se plaint, il faudrait se livrer à des investigations, souvent impossibles, sur la fortune des parents ; d'ailleurs le principe de la liberté d'enseignement ne veut-il pas que chacun soit libre de faire élever ses enfants de la manière qu'il juge convenable ? Aux termes du traité passé avec la ville, les Frères ne peuvent recevoir d'écoliers sans un billet d'admission délivré par la commission du bureau de bienfaisance : ce serait donc à cette commission, dans le cas où des individus en état de payer voudraient envoyer leurs enfants à l'école, à exiger une rétribution qui tournerait au profit des autres élèves.

En 1843, on établit une classe d'adultes dont on apprécie chaque jour l'utilité : elle est ouverte du 15 octobre jusqu'au commencement du mois de mars, de sept heures et demie à neuf heures et demie du soir. Les enfants qui ont terminé leurs cours fréquentent cette classe, et évitent ainsi d'oublier promptement ce qu'ils ont appris ; des individus d'un âge plus avancé s'y rendent également et perfectionnent les connaissances qu'ils ont acquises. Pendant les longues soirées d'hiver, c'est une ressource précieuse pour les ouvriers honnêtes, et la meilleure manière de les soustraire aux distractions ruineuses du cabaret ; aussi l'on ne saurait trop encourager la classe des adultes. A la fin du cours, le conseil municipal distribue des prix aux élèves qui se sont distingués par leur application.

L'instruction que l'on reçoit chez les Frères a suivi les progrès du siècle ; ils ne se contentent plus de montrer seulement à lire et à écrire ; le calcul, l'histoire, la géographie, les beaux-arts même ne sont pas négligés, et les expositions qui ont lieu tous les ans au mois d'août attestent le bon vouloir du professeur chargé du cours de dessin. Les Frères sont aimés, considérés, et méritent de l'être. Jusqu'en 1843 ils n'étaient que trois ; cette année-là, par suite de l'ouverture de la classe d'adultes, leur nombre fut porté à quatre, et maintenant il y en a cinq. Les frais d'école s'élèvent annuellement à 3,500 francs. La dotation de chaque Frère est de 600 fr. par an ; trois sont rétribués par le bureau de bienfaisance, en vertu de fondations faites expressément pour cet usage ; le quatrième est payé en partie par la ville et en partie au moyen de libéralités testamentaires ; l'hôpital avance le traitement du cinquième Frère, et envoie à l'école les enfants confiés à ses soins.

Les Frères remplissent les fonctions d'instituteurs primaires ; c'est un immense avantage pour la commune de n'avoir pas à prendre sur son modique revenu la somme indispensable pour subvenir aux frais de l'instruction. Cependant, malgré les services de chaque jour que rendent les Frères, malgré l'économie considérable qu'ils réalisent au profit de la caisse municipale, il est des gens que la couleur noire de leur robe importune ; prétendus esprits forts, dont le savoir serait bien vite en défaut si on les mettait aux prises avec nos modestes instituteurs, et qui battraient promptement en retraite si on leur demandait de tirer de leur bourse les fonds destinés à payer des maîtres et à entretenir des écoles particulières.

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