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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre V - § III

par Victor de Beauvillé

§ III

ÉCOLE DES SŒURS DE CHARITÉ.

Fondation de l'école des filles. — Personnes charitables auxquelles on en est redevable. — Persécution dirigée contre les Sœurs. — L'école est fermée. — Retour des Sœurs. — Leur double mission. — Situation de l'école. — Pensionnats privés.

 

L'institution d'une école gratuite de filles tenue par des Sœurs précéda de quelques années la fondation de l'école des frères de la Doctrine chrétienne ; les heureux résultats obtenus par le premier de ces établissements engagèrent à fonder le second.

Les dames de la ville, qui, dans l'origine, composaient seules le bureau de charité, non contentes de distribuer des secours à domicile, résolurent de faire participer les filles pauvres aux bienfaits de l'éducation. Le manque de fonds avait obligé d'ajourner ce projet ; mais une donation de 500 liv. faite par madame Cauvel de Mocreux permit de le réaliser et d'appeler une sœur Barrette. Les sœurs Barrettes ou de la Providence tiraient leur nom de leur fondateur, Nicolas Barré, religieux minime qui, en 1678, établit à Paris des écoles de charité. L'école de Montdidier fut ouverte à la fin de l'année 1770 ; elle était installée dans la chapelle de Sainte-Catherine, près de l'église Saint-Pierre. Madame de Bouchoir, présidente de l'association des dames de Charité, assura 200 liv. de rente pour la pension de la Sœur ; d'autres personnes avancèrent les frais de première installation : une somme de 4,000 liv. laissée par Édouard de la Villette, lieutenant criminel honoraire au bailliage, décédé en 1773, permit d'appeler une seconde Sœur.

D'après le désir exprimé par plusieurs habitants, il fut décidé qu'on remplacerait les dames de la Providence par des dames de Saint-Vincent. Le 25 juillet 1774, Marie-Thérèse Leclercq de Ricamel, veuve de M. Bosquillon de Bouchoir, ancien brigadier des gardes du corps du roi, fonda une rente de 300 liv. pour des sœurs de Charité. Le bureau de bienfaisance traita avec la congrégation de Saint-Vincent, garantit la pension de trois Sœurs, et pour les loger acheta en 1776, dans la rue des Juifs, une maison portant actuellement le n° 8, et dont le prix principal s'éleva à 3,800 livres. Pour payer cette acquisition, M. de Saint-Fussien, maire, donna 500 liv. ; M. Martinot de Saint-Sauveur, avocat, 1,000 liv. ; M. Boullet, receveur des tailles, 1800 liv., et madame de Bouchoir, 500 livres. Au mois de décembre 1776, le roi accorda des lettres patentes autorisant l'ouverture de la nouvelle école et confirmant l'établissement du bureau de charité, qui, à Montdidier, a toujours eu la double mission bien distincte d'instruire les pauvres et de leur distribuer des secours : ces lettres patentes furent enregistrées au parlement le 21 janvier 1777.

Le contrat passé avec le supérieur général de la congrégation de Saint-Vincent imposait au bureau l'obligation de payer annuellement à chaque Sœur une pension de 250 liv. ; en 1781, M. Boullet, administrateur du bureau, lui ayant fait don de 3,000 liv., le traitement des Sœurs fut porté à 300 liv. par an. La création de l'école des Sœurs coûta près de 25,000 livres.

Les Sœurs instruisaient les jeunes filles, visitaient les malades, et leur distribuaient les secours que le bureau de charité mettait à leur disposition. La maison qu'elles occupaient, depuis 1777, dans la rue des Juifs, était fort petite : il n'y avait place que pour soixante élèves, et cependant, en 1785, on en comptait cent vingt. Ce grand nombre d'enfants entassés dans un espace trop étroit rendait le séjour de la classe malsain. Madame de Bouchoir, qui avait concouru puissamment à la fondation de cet établissement, voulant prévenir les dangers que pouvait occasionner cette agglomération, donna en échange de la maison des Sœurs, sans exiger ni soulte ni retour, la maison qu'elle habitait dans la rue des Juifs, bien que cette dernière fût d'une valeur supérieure : celle des Sœurs était évaluée 4,500 liv., et la sienne 6,000 liv. ; c'était donc un don de 1,500 liv. ajouté à ceux qu'elle avait faits précédemment ; le contrat d'échange fut enregistré au parlement le 11 juillet 1786. Les Sœurs se fixèrent cette année dans la maison dont elles étaient redevables à la générosité de madame de Bouchoir, et qui forme l'angle des rues des Juifs et de la Commanderie.

Madame de Bouchoir mourut le 3 juin 1789 ; par testament du 9 juillet 1785 et codicilles postérieurs, elle légua au bureau de charité tous ses meubles et effets mobiliers, argent comptant, arrérages et titres de rentes, ainsi qu'une somme de 4,600 liv. pour la pension d'une quatrième Sœur et l'établissement d'une seconde classe semblable à celle qui existait : elle laissa en outre 7,400 liv. pour l'école des Frères, et 100 liv. de rente aux prisonniers. La valeur du legs fait par madame de Bouchoir s'élevait, toutes charges pavées, à 29,500 livres. Le souvenir des bienfaits passe vite, et le nom de madame de Bouchoir serait peut-être déjà oublié, si cette dame charitable n'avait laissé dans sa famille de dignes imitateurs de ses vertus et de sa générosité.

L'école des Sœurs prospéra jusqu'à la Révolution ; elle disparut alors comme toutes les institutions religieuses. Les Sœurs, qui étaient restées après le départ des frères de la Doctrine chrétienne, firent d'abord bonne contenance : mais, le clergé de Saint-Pierre ayant prêté le serment constitutionnel, elles refusèrent d'aller aux offices de la paroisse ; on voulut les contraindre à y assister, rien ne put vaincre leur résistance. Les persécutions commencèrent alors, et bientôt les sœurs de Charité durent renoncer à exercer leur ministère : au mois de septembre 1792, elles furent forcées de quitter nuitamment la ville, de peur d'être lapidées par la populace. Leur retraite inquiéta médiocrement nos nouveaux administrateurs : pour ces philanthropes, l'instituteur du pauvre, le consolateur de l'indigent, l'ami dévoué qui, à toute heure, va le trouver dans sa chaumière et lui prodigue les secours de la charité, étaient une chose qui doit se trouver communément, une denrée, une marchandise que l'on met au concours, en adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur ; aussi, le 13 octobre 1792, ils firent insérer dans la Feuille d'affiches du département l'annonce suivante :

« Le maire met au concours le personnel du bureau de charité, occupé par trois sœurs de Charité qui se sont retirées ; les obligations sont de vivre en commun dans une belle et solide maison appartenant au bureau, bien montée en linge, meubles, apothicairerie et autres choses, de soigner les pauvres malades, faire l'école aux petites filles des pauvres, les mener, les fêtes et dimanches, à la grand'messe de paroisse, et les jours ouvrables à une messe basse avant que d'entrer en classe. On jouira des avantages de l'établissement consistant en 900 liv. de revenu annuel, plus 30 liv. pour les livres des écoles, 40 liv. pour distribuer aux pauvres filles, 30 liv. pour le bois des écoles et autres avantages qu'il serait trop long de détailler. »

Ces avantages, dont le détail eût été trop long, ne tentèrent personne : le dévouement, l'abnégation personnelle, le renoncement à tous les plaisirs du monde, ne s'estiment point à prix d'argent, et ne surgissent pas à la lecture des annonces d'un journal ; la religion, et non l'intérêt, porte à de pareils sacrifices.

L'école des Sœurs fut fermée sous la République et pendant les premières années de l'Empire. En 1809, sur la proposition de l'évêque d'Amiens, le bureau de charité fit une rente de 300 fr. à deux sœurs de la congrégation de Notre-Dame qui s'étaient établies à Montdidier, où elles instruisaient les pauvres filles ; elles étaient logées à l'extrémité de la rue des Tripes ; l'entrée de l'école donnait sur la rue du Pressoir. En 1814, sur les sollicitations de M. Lefebvre, curé de Saint-Pierre, les dames de Saint-Vincent vinrent reprendre possession de leur maison ; le bureau de charité leur alloua une somme de 800 fr. ; mais leur séjour fut de courte durée, et, au mois d'octobre 1816, elle furent rappelées par leur supérieure : les enfants se trouvèrent encore une fois privées d'institutrices.

L'instruction des filles fut ensuite confiée à deux anciennes religieuses augustines retirées à Montdidier ; elles faisaient la classe dans la rue de la Halle-aux-Draps, mais cela dura peu, et au mois d'août 1818, après des négociations qui ne furent pas sans difficultés, les sœurs de Saint-Vincent, dont on désirait le retour, furent réintégrées dans la direction des écoles. La maison étant trop étroite pour recevoir les élèves qui se présentaient, madame Perrot, supérieure des Sœurs de Montdidier, acheta en 1834, de ses propres deniers, une grange située à l'angle de la rue des Juifs et de la rue Capperonnier, et en fit don au bureau de charité, pour construire une seconde classe. Cette dame ayant été changée de résidence en 1836, son départ excita dans la ville des regrets universels ; le bureau de bienfaisance, se faisant l'interprète des sentiments de nos concitoyens, demanda instamment à la supérieure générale et au chef des Lazaristes que madame Perrot continuât à demeurer à Montdidier, où depuis vingt années elle avait rendu les plus grands services et opéré un bien extrême. Cette demande si juste, si raisonnable, fut rejetée. Les corporations religieuses ne sont pas exemptes de passion, et c'est en froissant les affections les plus légitimes qu'elles répondent parfois aux égards dont elles sont l'objet.

L'agrandissement de l'école des Sœurs, commencé par madame Perrot, ne devait pas en rester là. En 1840, le bureau de charité fit l'acquisition de la maison actuelle moyennant la somme de 27,000 fr. ; sur cette somme, 3,500 fr. ont été donnés par mademoiselle Charlotte Bosquillon de Bouchoir, nièce de madame de Bouchoir, fondatrice, en grande partie, des écoles de charité : de pareils actes de libéralité sont au-dessus de tout éloge. Les Sœurs s'établirent dans leur nouvelle maison en 1841 ; elle est située dans la rue des Juifs, presque en face de celle qu'elles occupaient précédemment. Au rez-de-chaussée sont les classes, la salle de réception, la cuisine et les dépendances ; le premier étage est consacré aux Sœurs et à l'ouvroir. Il y a une cour et un jardin un peu exigus. La chapelle est à droite dans la cour ; elle est très-petite mais élégante ; un prêtre du collége y dit, tous les jours, la messe de grand matin. On a tiré le meilleur parti possible de cette maison, sans cependant pouvoir éviter les inconvénients que présente une habitation qui n'a pas été construite pour la destination à laquelle on l'applique ; aussi, dans le devis de la salle d'asile, qui est attenante à l'école des Sœurs, avait-on compris les réparations à faire à l'école pour une somme de 8,000 fr. ; ce chiffre a été forcément dépassé, et la dépense s'est élevée à 9,500 francs. L'ancienne maison des Sœurs a été vendue en 1844, moyennant 10,000 francs. Quant au bâtiment provenant de la générosité de madame Perrot, devenu inutile, il a été aliéné en 1856.

Les sœurs de Charité sont au nombre de sept ; elles ne sont pas chargées seulement d'instruire les jeunes filles, elles doivent encore visiter les malades, et distribuer des secours aux indigents. L'école est fréquentée par deux cents enfants, formant deux classes subdivisées en plusieurs cours. Il y a un ouvroir où l'on apprend à un certain nombre de jeunes filles à coudre et à travailler ; on les met ainsi, en sortant, en état de gagner leur vie.

Peu de petites villes sont aussi bien partagées que Montdidier sous le rapport de l'instruction ; cependant on ne s'aperçoit pas que la classe inférieure de la population fasse de progrès, on ne voit aucun changement dans ses habitudes. Vainement chercherait-on à s'abuser sur ce point : au bout de trois ou quatre ans, les enfants ont oublié les principes excellents et les leçons salutaires qu'ils reçoivent à l'école des Frères et à celle des Sœurs ; la paresse, le libertinage et l'ivrognerie deviennent pour un trop grand nombre une règle habituelle de conduite.

Indépendamment du collége et des deux établissements d'instruction gratuite dont nous venons de parler, il y a encore une pension primaire pour les jeunes gens et trois pensionnats pour les demoiselles ; ces maisons sont bien tenues, et comptent environ quatre-vingts garçons et soixante-dix jeunes filles.

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