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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre VI - § I - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Fondation de l'hôpital

Son accroissement

Lettres patentes de Louis XIV

 

Parler des institutions de bienfaisance de Montdidier, c'est faire l'éloge des habitants : il est peu de villes où l'on soit aussi charitable, aussi empressé à secourir ses semblables ; cette ardeur généreuse à venir en aide à l'infortune a été de tout temps le signe distinctif du caractère montdidérien.

Les établissements destinés au soulagement des pauvres et des infirmes étaient autrefois plus nombreux dans notre cité qu'ils ne le sont aujourd'hui. A une époque très-reculée, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem y possédaient un hôpital où ils pansaient les blessés ; les pèlerins qui revenaient de la Terre Sainte, atteints d'un mal incurable, trouvaient à la maladrerie un asile assuré ; les malades et les indigents étaient soignés à l'Hôtel-Dieu et à l'hôpital Trésorier ; les vieillards et les enfants entraient à l'hôpital général, et y attendaient, entourés de soins attentifs, les uns l'instant où ils devaient terminer leur carrière, les autres celui où ils devaient commencer à connaître les fatigues et les privations de la vie. Ces établissements, fondés et entretenus par la charité de nos pères, ont disparu successivement ; il ne reste plus que l'hôpital général, mais son organisation et ses ressources abondantes lui permettent aisément de pourvoir à toutes les misères de la ville.

L'hôpital, situé à l'extrémité du faubourg de Roye, en face de l'ancien couvent des Ursulines, occupe l'emplacement d'une métairie qui appartenait à la famille de Bertin. La fondation de cette maison remonte au mois de mai 1693 ; on en est redevable à deux personnes de cette ville, mesdemoiselles Delisle et l'Empereur. La première était une pieuse fille qui avait toujours eu l'idée de se consacrer au service des pauvres et de leur ouvrir un lieu de refuge : elle fit part de son projet à mademoiselle l'Empereur, qui le goûta ardemment ; toutes deux s'unirent dans ce même but, et, le 17 mars 1693, elles firent l'acquisition de la métairie de M. de Bertin. Les pauvres y furent installés provisoirement ; les ouvriers se mirent à l'œuvre, et l'on disposa tout pour un nouvel établissement, qui prit le nom d'hôpital de la Sainte-Trinité, qu'il a conservé jusqu'à présent.

Les travaux commençaient à peine, lorsque la mort vint enlever mademoiselle l'Empereur ; elle mourut le 23 août 1693, âgée de 68 ans, et fut enterrée dans l'église du Saint-Sépulcre. Par testament, elle laissa 2,500 liv. pour les constructions de l'hôpital. Cette perte ne découragea pas mademoiselle Delisle, qui persévéra dans son entreprise, et, dès la fin de l'année, dix-sept pauvres étaient logés, nourris et habillés. La mort de mademoiselle l'Empereur n'était que le prélude des épreuves que sa vertueuse compagne eut à supporter ; des afflictions d'une autre espèce et non moins pénibles lui étaient réservées. Les sœurs de la congrégation de la Croix, qui avaient été appelées à Montdidier en 1683, par Antoine Martinot, curé de Saint-Pierre, à l'effet d'y tenir une école pour les pauvres, demandèrent à faire partie de l'hôpital et qu'on leur confiât l'administration de la maison. Mademoiselle l'Empereur s'était opposée à cette prétention, toute intervention étrangère, de quelque nature qu'elle fût, lui paraissant contraire aux intérêts des pauvres : mademoiselle Delisle s'y refusa également ; mais, à force de cabales, les sœurs de la Croix, appuyées par un nombreux parti qu'elles s'étaient créé en ville, parvinrent en 1697 à s'impatroniser dans l'hôpital. Les revenus, qui consistaient en deux muids et demi de blé, étant insuffisants, les habitants se cotisèrent et assurèrent à ces dames un traitement de 1,300 livres. Cependant les sœurs de la Croix n'étaient pas depuis deux ans à la tête de l'établissement, qu'elles reconnurent leur peu d'aptitude pour ce genre de vie, et, dès 1699, elles l'abandonnèrent pour rentrer en ville, rue de la Halle-aux-Draps, et se borner à l'éducation des enfants. Ces religieuses quittèrent Montdidier en 1702 : leur intervention, et plus encore celle des autorités civiles, avaient été funestes à l'hôpital : le nombre des pauvres fut bientôt réduit à trois ou quatre.

Durant ces événements, mademoiselle Delisle s'était retirée dans la petite maison occupée aujourd'hui par le chapelain. Aussitôt après le départ des Sœurs, elle reprit la direction de l'hôpital, avec l'assistance de quelques personnes charitables ; mais les dépenses excédaient les recettes. Indépendamment des indigents qu'elle soutenait, mademoiselle Delisle recevait les pauvres passants et les malades qu'on ne voulait pas admettre à l'Hôtel-Dieu. Ses ressources étaient épuisées, lorsque la Providence envoya à son secours madame Vagnard. Cette dame, dont le nom de famille était Marianne Duplecy, était veuve de Guillaume Vagnard , officier du roi ; elle habitait la capitale, où elle employait sa fortune en aumônes abondantes. Instruite de l'état fâcheux dans lequel se trouvait l'hôpital de Montdidier, elle se rendit dans cette ville en 1699, et s'associa avec mademoiselle Delisle. L'un des premiers soins de madame Vagnard fut de faire reconnaître d'une manière authentique l'existence de la maison à laquelle elle allait se dévouer entièrement ; au mois de mars 1701, elle obtint de Louis XIV des lettres patentes qui confirmaient l'établissement de l'hôpital ; ces lettres furent enregistrées au parlement de Paris le 5 septembre 1702, publiées et enregistrées au bailliage de Montdidier le 15 décembre de la même année ; en voici la teneur :

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut. Nos chers et bien-amés les gouverneur, maire, échevins et habitants de notre ville de Mondidier, nous ont très-humblement fait remontrer que, pour se conformer aux pieuses intentions que nous avons toujours eues de secourir les pauvres et de bannir la mendicité en les enfermant et les faisant travailler à des ouvrages et leur procurer une occupation qui puisse les faire subsister, lesdits exposants auraient trouvé que rien ne pouvoit être plus propre que d'établir un hôpital général pour y enfermer les pauvres valides de l'un et de l'autre sexe, tant de la ville que de la banlieue, et de les y faire travailler à des ouvrages convenables à leur âge et à leur état ; sur quoi ils auroient pris plusieurs délibérations, et dans cette vue quelques particuliers de ladite ville auroient donné sept à huit à cents livres, légué plus de trente setiers de blé, et entre autres la demoiselle Lempereur auroit, par acte du 7 juin 1693, donné pour ledit hôpital général une grande maison dans ladite ville, accompagnée de plusieurs bâtimens, d'un grand jardin et de plusieurs terres labourables ; et comme cet établissement ne peut être que très-utile et très-avantageux, notre allié et féal le sieur évêque d'Amiens, dans le diocèse duquel est ladite ville de Mondidier, en ayant été particulièrement informé, il y a donné son consentement par acte du vingt-deuxième juin dernier, et, conjointement avec les exposans, il nous a très humblement fait supplier de leur accorder nos lettres sur ce nécessaires.

A ces causes, désirant contribuer de notre part à une si bonne œuvre et à un si louable dessein, nous, de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, avons permis, accordé et approuvé, permettons, accordons et approuvons par ces présentes signées de notre main, l'établissement dudit hôpital général en notre dite ville de Mondidier, dans lequel nous voulons que tous les pauvres valides de ladite ville et banlieue de l'un et de l'autre sexe soient enfermés, nourris et instruits à la religion catholique et employés à des ouvrages et autres travaux.

Voulons que la maison, lieu et clôture où les pauvres seront enfermés, soit appelé l'hôpital des pauvres enfermés, et que cette inscription avec l'écusson de nos armes soit mise sur le portail dudit hôpital général, que nous prenons avec tous ses droits et dépendances en notre garde et protection royale, sans toutefois qu'il dépende de notre grande aumônerie en quelque sorte et manière que ce soit, ni qu'il puisse jamais être censé et réputé sujet à la visite des officiers de la grande aumônerie, auxquels nous en interdisons dès à présent toute juridiction et connoissance. Et afin de commettre le soin de cet établissement à des personnes dont la probité soit connue, voulons que la direction spirituelle dudit hôpital général appartienne au sieur évêque d'Amiens et aux curés de ladite ville et faubourgs de Mondidier, lequel dit sieur évêque, avec lesdits curés, le gouverneur de ladite ville, le lieutenant général et notre procureur au bailliage, ensemble les maire et échevins, seront directeurs nés et perpétuels, à cause de leurs emplois et de leurs charges, outre lesquels il y aura encore d'autres administrateurs qui seront pris de tous les ordres de la ville, lesquels succéderont les uns aux autres en la forme et manière portée par les délibérations prises sur ce sujet par les habitants de ladite ville, lesquels administrateurs ainsi pris il en sera choisi un d'entre eux par le bureau pour faire la fonction de receveur, lequel aura séance et voix délibérative avec eux, excepté dans les affaires où il aura intérêt, et seront tenus lesdits administrateurs de prêter le serment de la manière qu'ils l'ont fait jusqu'à présent.

Voulons que lesdits directeurs s'assemblent tous les dimanches audit hôpital général pour y tenir leur bureau et prendre les délibérations convenables au bien dudit hôpital général, et afin que lesdits directeurs particuliers puissent vaquer à leurs fonctions avec plus d'assiduité, nous voulons que, pendant qu'ils seront en charge, ils soient exempts de tutelles, curatelles, sequestres, et généralement de toutes charges publiques et municipales, sans toutefois que, sous ce prétexte, ils puissent renoncer aux tutelles et curatelles qui leur auront été déférées avant leur administration.

Défendons à toutes personnes valides ou invalides de mendier dans la ville de Montdidier, soit dans les églises ou par les rues, publiquement ou en secret, à peine de prison pour la première fois, et la seconde en d'autres peines ainsi qu'il sera avisé par le bureau.

Faisons pareillement défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de faire aucunes quêtes dans les églises ou dans les maisons pour les pauvres ou autres, sous quelque prétexte que ce soit, si ce n'est par permission des administrateurs dudit hôpital général, dans lesquelles défenses n'entendons comprendre les quêtes ordinaires, tant celles qui sont faites pour les pauvres honteux, malades et prisonniers, que celles des religieux mendiants. Nous donnons et attribuons auxdits administrateurs et à leurs successeurs tout pouvoir et autorité de correction, direction et châtiment sur lesdits pauvres enfermés, privativement et exclusivement de tous nos officiers de justice et de police, et pour cet effet leur permettons d'avoir en ladite maison de l' hôpital général, poteau, carcan et prisons, à la charge néanmoins que si lesdits pauvres commettoient quelque crime qui mérite peine afflictive plus grande que la prison, le carcan ou le fouet, ils seront mis entre les mains des officiers de justice à qui la connoissance en appartient, pour, à la requête du substitut de notre procureur général, leur être le procès fait et parfait, ainsi qu'il appartiendra, et quant aux pauvres qui seront trouvés mendiant dans les rues et dans les églises, pourront lesdits administrateurs les faire enfermer dans ledit hôpital ou les constituer prisonniers dudit hôpital, ou dans nos prisons, et les retenir autant qu'ils jugeront à propos. Défendons aux propriétaires et locataires des maisons, et à tous autres, de loger et retirer chez eux, après la publication des présentes, les pauvres vagabonds et gens sans aveu, à peine de trois livres d'amende pour la première fois, et de plus grande en cas de récidive, le tout applicable audit hôpital général ; et pour empêcher les pauvres de mendier, permettons auxdits administrateurs de choisir pour archers telles personnes qu'ils jugeront à propos pour la capture desdits pauvres et pour chasser les étrangers, lesquels archers auront des casaques avec une marque particulière, et pourront porter épées et hallebardes, nonobstant les défenses faites par nos ordonnances.

Défendons auxdits archers de prendre aucunes choses desdits pauvres, de les maltraiter, à peine d'être chassés, et à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, de molester, injurier et maltraiter lesdits archers, à peine contre les contrevenants d'être emprisonnés sur le champ et procédé contre eux criminellement, à la requête desdits administrateurs, et aux mendiants de faire aucune résistance, à peine de telle punition que lesdits administrateurs jugeront à propos, enjoignant aux habitants de prêter main-forte auxdits archers lorsque les pauvres feront résistance ou qu'ils seront empêchés de les conduire par quelque personne que ce soit.

« Permettons auxdits administrateurs de recevoir tous dons, legs et gratifications universelles et particulières, soit par testament, donation entre vifs ou à cause de mort ou par quelque autre acte que ce soit, en faire les acceptations et les poursuites nécessaires, et afin que les legs et les donations faits audit hôpital général viennent à la connoissance des administrateurs, enjoignons aux notaires et greffiers du ressort de ladite ville de Montdidier, leurs héritiers et gardiens des minutes, d'envoyer incessamment audit hôpital les extraits des testaments, codicilles, donations, contrats, compromis, sentences, jugemens et autres actes où il y aura dons, legs, adjudications d'aumônes et autres avantages en faveur dudit hôpital général, et délivrer toutes les expéditions nécessaires gratuitement, le tout à peine d'en répondre par les négligens ou refusans en leurs propres et privés noms, et de tous dépens, dommages et intérêts.

Défendons aux huissiers et sergents de faire aucunes significations où exploits concernant ledit hôpital général ailleurs qu'au bureau, ni de les faire aux directeurs en particulier ni en leurs maisons, à peine de nullité.

Voulons qu'aux enterremens de ceux qui voudront des pauvres pour porter des cierges, il n'en puisse être pris d'autres que de l'hôpital général, auquel sera payé le droit accoutumé pour leur service.

Déclarons en outre ledit hôpital général exempt de tous droits de guet, garde, fortifications, fermeture de porte de ville et faubourgs, même de logement, passage, aide et contribution de gens de guerre. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre cour de parlement de Paris, et à tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, que ces présentes ils aient à enregistrer, et du contenu en icelles faire jouir et user ledit hôpital général pleinement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchemens à ce contraires, car tel est notre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dites présentes. Donné à Versailles au mois de mars, l'an de grâce 1701, et de notre règne le cinquante-huitième. Louis. Par le roi, Phelipeaux. »

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