Blason santerre.baillet.org

Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre VII - § I - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Filature de coton

Fabrique de bas

Son ancienne prospérité

Sa décadence

Tanneries

Jardinage

Vente de légumes

Vignoble

Culture

Plantations

Vannerie

Briqueteries

Fabrique de sucre

Commerce de grains

Moulins

 

Dans le siècle dernier, on voulut établir des filatures de coton ; mais, avant de monter des fabriques, il fallait avoir des ouvriers capables d'y travailler : à cet effet l'on prit la résolution de créer à Montdidier une école de filature. Imbert de Saint-Paul, inspecteur des manufactures, chargé d'organiser la filature à Roye, à Formerie, à Grandvilliers, etc., vint à Montdidier le 15 novembre 1760, afin de s'entendre avec le subdélégué, le maire et les échevins sur l'établissement d'une filature de coton. Les greniers des Écuries du roi, placées à la porte de Paris, parurent un local convenable ; provisoirement on se servit d'une maison louée par la mairie pour cette destination. Madame dé Romanet, trésorière des dames de charité, accueillit ce projet avec ardeur, et le seconda de tous ses efforts ; elle envoya à Roye des personnes pour apprendre à filer, pendant que l'on disposait les ateliers de Montdidier. Le maire, Martinot de Saint-Sauveur, frère du subdélégué, montra un zèle admirable, bien qu'il fût combattu sourdement par quelques échevins, liés d'intérêt avec les marchands de bas, qui craignaient que cette nouvelle industrie ne leur enlevât des ouvriers et ne fit augmenter la main-d'œuvre ; crainte chimérique, car, à Montdidier et dans les villages à deux lieues à la ronde, plus de deux mille personnes étaient sans ouvrage pendant six mois de l'année.

L'école de filature ouvrit au mois de février 1761 ; pour faire connaître le but qu'on se proposait, Martinot de Saint-Sauveur fit imprimer à cent exemplaires une brochure de trois feuilles in-4°, intitulée : Avis au public. Établissement d'une école de filature de coton en la ville de Montdidier ; c'était le prospectus de l'entreprise. Sous l'habile direction qui leur était donnée, les fileuses, car on employait principalement des femmes, faisaient des progrès sensibles ; la finesse du coton sorti de leurs mains ne laissait rien à désirer. On espérait porter à plus de quatre cents le nombre des ouvrières, et déjà deux villages près de Montdidier s'étaient empressés de suivre notre exemple, quand un événement inattendu vint étouffer ce germe de prospérité. Le coton brut était fourni par un sieur Vuarnier, de Formerie, à qui on le réexpédiait ensuite tout filé. La déconfiture de cet individu, arrivée au mois d'août 1761, enleva à l'école de filature les débouchés sur lesquels on comptait, et fit évanouir les espérances que l'on avait conçues. On s'adressa à Imbert de Saint-Paul, qui n'indiqua aucun expédient, et exhorta à prendre patience. Mais ce remède, à l'usage de ceux qui n'en ont point, ne pouvait amener de résultat satisfaisant ; et après plusieurs mois d'essais, après qu'on eut formé des maîtresses, instruit des élèves, stimulé la confiance du public, et fait des avances indispensables, il fallut tout abandonner : l'école fut fermée l'année même de son ouverture. En 1810, on établit à Montdidier une filature de coton, qui donnait de l'occupation à une soixantaine d'ouvriers : elle cessa de marcher en 1830, et ce fut un malheur pour la ville.

La fabrication des bas au métier, si florissante autrefois, est maintenant totalement anéantie. Cette industrie avait été introduite à Montdidier au commencement du dernier siècle ; un arrêt du conseil de 1718 y consacra son établissement. Les progrès de la fabrique furent rapides ; vers 1750, elle était arrivée à son plus haut degré de splendeur ; ses bas se vendaient dans toute la France, et il s'en exportait des quantités considérables en Espagne et en Portugal ; on n'évaluait pas à moins de 1,500,000 liv. la valeur des bas fabriqués annuellement dans notre ville. La bonté de la fabrication, garantie par le soin qu'apportaient les experts à empêcher qu'aucune matière inférieure ne nuisît à la qualité de la marchandise, faisait rechercher sur tous les marchés les produits de la fabrique montdidérienne. En 1761, on comptait deux cent soixante personnes s'occupant du commerce de bas ; mais la cupidité et la mauvaise foi vinrent paralyser et rendre inutiles les mesures de précaution tendant à conserver à cette industrie la supériorité qu'elle avait acquise. Des ouvriers du Santerre, qui travaillaient à Montdidier, s'établirent à leur compte, et, afin de s'attirer des pratiques, ils livrèrent à meilleur marché les bas qu'ils fabriquaient, altérant leur qualité tout en conservant néanmoins la marque distinctive de notre fabrique. Il était d'usage de marquer le bout du pied des bas de quatre barres pour indiquer que ces bas étaient faits à quatre fils ; les nouveaux maîtres, si l'on peut donner ce nom à des industriels sans foi et sans honneur, par une tromperie indigne, marquèrent leurs bas de quatre barres, et les vendirent pour bas de quatre fils, tandis qu'ils n'étaient qu'à trois, et, au lieu de laine de Hollande dont on se servait pour les bas de Montdidier, ils fabriquèrent les leurs avec de la laine commune qu'ils tiraient de Montargis.

Les marchands étrangers qui venaient s'approvisionner dans le pays, trouvant à acheter ces bas à un prix bien inférieur aux autres, et à les revendre ailleurs presque aussi cher que des bas de bonne qualité, cessèrent de faire des affaires à Montdidier. Dès lors la fabrication se ralentit sensiblement ; les fabricants, pour ne pas être ruinés, furent obligés de travailler comme ceux du Santerre, et de diminuer la qualité en même temps que le prix de la marchandise ; mais cette industrie était sortie de la ville pour ne plus y rentrer : les acheteurs s'étaient éloignés pour toujours. Vers 1770, le développement de l'industrie manufacturière en Angleterre, joint à la beauté de ses laines et à l'engouement pour les marchandises anglaises qui commença à se manifester à cette époque, porta un coup terrible à la principale branche de notre industrie ; bientôt, au lieu d'exporter à l'étranger, on vit avec étonnement des cargaisons de bas débarquer dans les ports de Picardie.

Lorsque la fabrication était en pleine vigueur, on comptait à Montdidier cinquante maîtres formant entre eux une société ; ils étaient soumis à une taxe particulière, dite d'industrie ; chaque aspirant à la maîtrise devait, avant de passer maître, verser une somme d'argent destinée à venir au secours de ses confrères et à payer les charges de la communauté. En 1777, par suite d'ordres supérieurs, le coffre contenant l'argent fut enlevé avec tout ce qu'il contenait, billets, contrats, etc. ; c'était un véritable vol consommé par l'autorité. Dépouillée des ressources qu'avait amassées une sage administration, débordée par la concurrence peu loyale des ouvriers du Santerre et par l'importation anglaise, la fabrique de Montdidier déclina rapidement, et en 1789 le nombre de maîtres était réduit à dix ou douze. Louis XVI, désirant relever les manufactures de Picardie, leur accorda, cette année, une somme de 180,000 liv. à titre d'encouragement ; notre ville devait en avoir sa part. Le temps que l'on perdit à discuter sur la manière dont on emploierait cet argent, et la correspondance sans fin qui s'établit à ce sujet, empêchèrent les fabricants de profiter de ce secours. Les événements politiques qui se succédaient avec une rapidité effrayante détournèrent les esprits des améliorations commerciales, et, dans cette circonstance comme dans tant d'autres, la bonne volonté du roi fut impuissante à remédier à l'état des choses.

La situation de la fabrique de Montdidier est exposée avec beaucoup de netteté dans un mémoire remarquable, rédigé en 1785 par Villard, inspecteur des manufactures en Picardie : « La bonneterie, dit-il, que fournit la Picardie est presque toute en laine peignée, dite estame ; ce qui s'y fabrique en fil et coton est fort peu de chose comparé à la masse totale. Toutes les villes considérables ont des métiers de bas, en plus ou moins grand nombre, mais la principale fabrication en ce genre est répandue dans les campagnes de quelques cantons, surtout dans le Santerre, où la bonneterie en laine est un objet important par le nombre de métiers et d'individus qu'elle occupe, la quantité de matière qu'elle met en œuvre et la valeur qui résulte de ce travail.

La fabrique de bas au métier, répandue aujourd'hui dans tout le Santerre, était autrefois resserrée dans quelques lieux de ce canton, entre lesquels Montdidier était le principal. Cette ville est renommée par son commerce de bonneterie, qui, malgré sa dispersion, est encore assez important. On y compte une trentaine de fabricants qui font en même temps le commerce de leurs ouvrages ; mais plusieurs travaillent peu, et quelques-uns sont fort pauvres. Ils ne forment point communauté, parce que, depuis l'édit de 1777, aucun ancien fabricant ne s'est fait recevoir de la nouvelle communauté, et qu'on n'a pas exigé des lettres de maîtrise de ceux qui se sont établis nouvellement.

Ces fabricants, surtout les anciens, déclament fortement contre le préjudice que leur cause le travail des campagnes ; ils allèguent que les fabricants établis dans les villages du Santerre n'ayant point d'industrie à payer, vivant et travaillant avec plus d'économie qu'il n'est possible de le faire dans les villes, peuvent établir leurs marchandises à un prix où ceux des villes ne trouveraient que de la perte ; ils se récrient contre le peu de bonne foi de beaucoup de fabricants de campagne qui marquent pour bas de quatre fils ce qui n'est qu'à trois, et décréditent ainsi les fabriques du pays en trompant les consommateurs.

Cet abus est, en effet, très-répréhensible ; mais il ne s'ensuit pas de là qu'il fût utile de repousser comme auparavant l'industrie dans l'enceinte des villes, ni de lui donner des entraves capables d'arrêter son essor. Comme chaque fabricant ou marchand met son plomb aux bas qu'il vend ou expédie, l'acheteur est à portée de vérifier si l'indication est exacte ou non, et, dans ce dernier cas, de dénoncer la fraude à la justice. Les fabrications de Montdidier étaient sans doute plus considérables autrefois qu'elles ne le sont actuellement ; mais si la masse de travail du Santerre, le produit de ce travail, le nombre d'individus qu'il occupe, ont augmenté en se divisant, comme il y a lieu de croire, l'État y a gagné, les campagnes ont une ressource de plus, et un plus grand nombre de citoyens a partagé le bénéfice de ce commerce ; en un mot, le bien public s'est opéré.

Montdidier ne renferme aujourd'hui qu'environ deux cents métiers de bas, mais les fabricants de cette ville en occupent un grand nombre dans les environs. Ils en fournissent même aux ouvriers trop pauvres pour en acheter, dont ils retirent un loyer de 10 sols par semaine qu'ils retiennent sur le salaire de ces ouvriers ; outre cela, ils achètent des petits fabricants des campagnes beaucoup de bas en toile qu'ils font apprêter et entrer dans leurs envois ; tous ces bas sont en laine, soit de pays pour le commun, soit de Flandre et de Hollande pour le fin. Ces dernières viennent de Turcoing toutes assorties et peignées, mais la filature de toutes ces matières se fait dans le pays, et occupe utilement les femmes et les enfants dans la campagne ; les bas sont à deux, trois ou quatre fils, le grand nombre en mi-fin de trois fils. Ce nombre de fils n'est indiqué par des petites barres au bout du pied, qu'aux bas à quatre fils ; ceux à trois et deux ne portent pas cette indication, qui pourtant serait très-convenable, mais, comme je l'ai déjà dit, souvent elle n'est pas exacte, et beaucoup de bas à trois fils portent celle de quatre.

Il se fabrique aussi à Montdidier quelques pièces tricotées pour habit ; mais l'objet est petit, parce que le goût de cette étoffe se passe...

La fabrication des bas d'estame est généralement répandue dans les campagnes du Santerre. Dans un arrondissement d'environ cinquante lieues de circuit, il est peu de bourgs et de villages où l'on ne trouve des métiers à bas, quelques-uns en ont autant et plus que de feux. J'ai traversé cette contrée au fort des moissons, cependant beaucoup de métiers battaient dans les villages, ce qui prouve que cette industrie est plus qu'un supplément à l'agriculture. On croit que la quantité de laine de pays employée à la fabrication des bas excède celle de laine étrangère qu'on tire de Turcoing toute peignée. Quelle que soit leur origine, ces laines se filent dans le pays ; et même il s'en file au delà de la consommation : l'excédant est employé dans la fabrique d'Amiens ou passe en Normandie (notamment à Caen), en Bretagne, à Orléans pour être employé à la fabrication des bas.

Beaucoup de petits fabricants se bornent à vendre leurs bas en toile, soit à des marchands, soit à des fabricants plus considérables du pays qui les font apprêter. Parmi ces derniers, il en est particulièrement au village de Méharicourt dont le commerce ne laisse pas d'être étendu, et qui fait des envois importants dans le royaume et à l'étranger ; mais une grande partie de ces bas est vendue sur les lieux aux marchands d'Amiens, de Paris, de Lyon et surtout de la Normandie.

Rosières, village très-considérable du Santerre, est remarquable par l'activité qui y règne ; outre la fabrication des bas, on s'y occupe singulièrement de la préparation des laines et de celle des lins de la Flandre et de l'Artois. Ces matières se filent et se consomment soit dans cette province, soit dans d'autres et même à Paris.

En général, les fabricants de bonneterie, surtout ceux des villes, se plaignent beaucoup de la décadence de ce commerce ; ces plaintes me paraissent exagérées, sans être absolument dénuées de fondement.

L'Espagne a prohibé l'entrée des bas de France... Le Portugal, qui offrait autrefois un débouché considérable et avantageux, ne tire presque plus rien ; il en est de même de l'Amérique, où les fabricants de Picardie ont fait des envois de bonneterie importants durant la dernière guerre. L'Angleterre obtient encore la préférence pour la fourniture de ces pays ; enfin la consommation intérieure n'est pas même réservée en entier aux fabriques nationales, et l'introduction de la bonneterie anglaise, soit en fraude, soit en acquittant les droits de 10 pour 100 imposés sur la bonneterie étrangère, nuit singulièrement à nos fabriques. Le goût peu patriotique de la nation pour les marchandises anglaises contribue à ce préjudice : beaucoup de marchands, plus occupés de leur intérêt particulier que du bien général, ne se font aucun scrupule d'en débiter ; et la prépondérance qu'a prise le corps des marchands bonnetiers sur celui des fabricants depuis leur réunion, empêche ces derniers de défendre leurs droits, et de s'opposer avec succès aux opérations qui leur sont contraires.

Chaque métier peut faire cinquante douzaines de paires de bas par an, mais on ne peut attendre ce produit que de ceux de ville ; le travail de ceux de campagne, souvent interrompu , ne peut être compté que pour la moitié... La douzaine de paires de bas est évaluée à 3o livres. »

Le 17 juillet 1785, un arrêt du conseil du roi prohiba l'importation de la bonneterie anglaise ; nous avons vu que cette mesure ne suffit pas pour ranimer la fabrique de Montdidier.

Pendant la Révolution, le commerce de bas eut beaucoup à souffrir ; il reprit un peu d'activité au commencement de ce siècle, et le coton, en se substituant à la laine, vint apporter quelques changements à la fabrication, mais cette industrie n'a pu se soutenir, et elle est tombée tout à fait. Une sorte de fatalité semble peser sur notre ville ; on dirait que ce qui est possible partout ailleurs ne l'est point chez nous : nous ne saurions pourtant nous résigner à le croire, et, sans méconnaître, d'une part, la justesse des motifs allégués par les maîtres dans le siècle dernier, de l'autre, l'exactitude des plaintes et des reproches articulés contre les ouvriers, nous pensons qu'il est juste et en même temps plus consolant de faire la part des événements et des circonstances.

Montdidier était non-seulement le centre de la fabrication des bas, mais encore l'endroit où l'on fabriquait les métiers ; cette dernière industrie était excellente, elle attirait en ville l'argent de la campagne et formait d'habiles serruriers. II y a quinze ans on comptait encore quatre platiniers, c'est le nom qu'on donnait aux fabricants de métiers ; ils employaient une trentaine d'ouvriers, aujourd'hui il n'y en a plus un seul. Notre ville est déchue et déchoit tous les jours ; le peuple est loin cependant de manquer d'intelligence, il en a même plus que dans beaucoup d'autres villes ; il ne lui manque que la bonne volonté : s'il voulait s'appliquer à quelque travail, il y réussirait certainement.

La tannerie est encore dans une position assez prospère, quoiqu'elle ait singulièrement perdu de son ancienne importance. Le dix-septième siècle fut l'époque de son apogée ; alors les tanneurs, propriétaires des offices, droits de prudhomie, et autres, dont ils avaient fait l'acquisition en 1650 et années suivantes, s'inspectaient et s'exerçaient eux-mêmes, sans être gênés dans la préparation de leur marchandise. Ils payaient au roi des tailles modiques dont ils faisaient la recette, et possédaient, aux portes de la ville, un moulin qui leur fournissait à peu de frais le tan nécessaire. Ces avantages favorisèrent le commerce ; aussi, à l'époque dont nous parlons, voyait-on neuf tanneries en pleine activité. Les marchands étrangers affluaient de toutes parts, assurés de trouver dans ces nombreux ateliers ce dont ils avaient besoin ; l'excellence de la préparation des cuirs, et la réputation des tanneries montdidériennes, concouraient à attirer les acheteurs.

Le commerce de la tannerie déclina au commencement du siècle dernier, et sa décadence marcha rapidement. En 1745, on ne comptait plus que trois tanneurs, faisant environ pour 15,000 liv. d'affaires par an. Le moulin à tan avait été brûlé ; hors d'état de le faire rebâtir, les tanneurs achetaient le tan à Daours près Corbie, mais l'éloignement augmentait le prix de revient : pour se dédommager, ils mettaient moins de tan sur les cuirs, ce qui nuisait à la qualité et éloignait les marchands. A partir de 1759, cette industrie devint encore plus languissante ; des arrêts du conseil et des lettres patentes supprimèrent ses priviléges et assujettirent les tanneurs au payement de droits dont ils étaient exempts ; aussi avant la Révolution n'y avait-il que deux tanneurs à Montdidier, au lieu de dix à douze qu'ils étaient cent ans auparavant. Les tanneurs devaient marquer les cuirs d'une empreinte particulière portant leur nom ; un double de cette empreinte était déposé à l'élection, afin qu'il fût facile de faire la comparaison, si quelque doute s'élevait sur l'origine de la marchandise ; les marques de fabrique, universellement réclamées depuis quelque temps, ne sont qu'un retour à cet ordre de choses. On trouve maintenant à Montdidier trois tanneries et deux moulins à tan, dont un mû par la vapeur. Cette industrie occupe cent quinze personnes ; elle exige des capitaux assez importants : il y a des avances à faire, des rentrées longues à attendre ; mais les bénéfices sont certains et considérables ; c'est à la tannerie que plusieurs familles de notre ville doivent leur fortune.

Le jardinage et la vente des légumes forment aujourd'hui le principal commerce de Montdidier. Depuis Ayencourt jusqu'à Framicourt toute la vallée est transformée en jardins cultivés avec beaucoup de soin. L'industrie  maraîchère ne remonte guère à plus d'une centaine d'années ; en 1750, la vallée était encore en grande partie couverte d'arbres et de prairies qui ne rapportaient qu'un foin médiocre ; peu à peu on l'a mise en culture, et elle est actuellement d'un excellent rapport. La terre est légère, spongieuse, noirâtre, légèrement tourbeuse, surtout près du Monchel et de Framicourt, la rivière des Dom y entretient une fraîcheur continuelle. La culture est morcelée à l'infini ; chaque parcelle de terre est divisée en petits compartiments appelés parquets, séparés les uns des autres par des fossés remplis d'eau, qui servent à la fois de clôture et de canaux d'arrosage. La largeur des parcelles de terre n'excède jamais cinq à six mètres ; la longueur varie extrêmement. La valeur des terrains mis en jardinage est fort élevée, et diffère suivant qu'ils sont plus ou moins éloignés de la ville ; on l'estime de 6,000 à 8,000 fr. l'hectare ; le prix de location est de 200à 250 francs. La contenance cadastrale de la partie cultivée en légumes sur le territoire de Montdidier est évaluée à 77 hectares, mais on peut la porter au double en comptant celle que les jardiniers exploitent sur les territoires d'Ayencourt, de Courtemanche et de Fontaine. Les canaux qui délimitent chaque pièce de terre sont curés avec soin ; la vase sert à relever les plates-bandes, et forme un engrais fertile, composé des débris de plantes de toute espèce, qui y ont pourri avec le temps.

Les jardiniers n'emploient ni cloches ni châssis ; ils ne font pas de primeurs et ne cultivent point les légumes fins, dont ils trouveraient cependant un débit assuré ; beaucoup de progrès sont encore à réaliser de ce côté. Ils s'adonnent exclusivement à la culture des gros légumes qu'ils exportent dans les pays environnants ; Montdidier approvisionne les marchés de Rollot, Maignelay, Saint-Just, Breteuil, Ansauvillers et Moreuil. Tous les jours on rencontre sur les routes les jardinières allant au marché dans leurs charrettes chargées de légumes et attelées d'un cheval ou d'un mulet ; elles partent de grand matin et ne reviennent que le soir. Il est peu de labeur aussi pénible que celui d'un maraîcher toute l'année courbé sur sa bêche et souvent à deux genoux, exposé à un soleil ardent ou à une humidité pénétrante ; aussi n'y a-t-il point de paresseux dans cet état, et trouve-t-on difficilement des ouvriers pour se faire servir. Les jardiniers sont laborieux et rangés, plusieurs sont à l'aise ; c'est presque la seule partie de la population qui fasse rentrer quelque argent dans la ville, et ils méritent à ce titre que l'on ait pour eux tous les ménagements possibles ; ils habitent les faubourgs de Becquerel, Saint-Médard et Saint-Martin, les plus rapprochés de leurs jardinages ; les personnes qui vivent de cette industrie sont au nombre de trois cent quarante-trois.

Les cultivateurs sont disséminés dans presque tous les faubourgs. La moyenne culture domine ; on compte cependant deux ou trois grandes exploitations ; la plus importante contient environ 200 hectares. En 1855, on a fait usage pour la première fois d'une machine à battre à vapeur ; c'est un progrès que nous tenons à constater. Le territoire, traversé dans toute sa longueur par la rivière des Dom, est accidenté et sillonné par des ravins profonds ; les terres labourables présentent une superficie de 1,021 hectares ; les bonnes terres se louent de 40 à 44 fr. le journal (ancienne mesure de Montdidier équivalant à 42 ares 91 cent.), et se vendent de 1,400 à 1,600 francs. La culture prend chaque jour des développements, et de nombreux troupeaux viennent en favoriser les progrès. L'usage des jachères et de l'assolement triennal est presque abandonné ; celui des prairies artificielles tend constamment à augmenter. Il serait à désirer que l'on cultivât plus de plantes grasses et sarclées qu'on ne le fait ; certaines parties avoisinant la vallée pourraient être converties avantageusement en chanvrières ; ce serait un très-bon produit, qui est entièrement négligé. Nous donnerons, au chapitre IX, de plus grands détails sur la nature des terrains et sur leur division cadastrale.

On a cessé complétement de cultiver la vigne. En 1761, il y en avait encore vingt journaux sur le territoire de Montdidier ; l'ouverture de nouvelles voies de communication, en facilitant l'introduction des vins étrangers, a contribué puissamment à faire tomber cette culture ; deux communes seulement du canton, Rubescourt et le Cardonnois, n'y ont pas renoncé tout à fait ; elles exploitent encore quelques parcelles de vignes ; le vin se garde plusieurs années ; il est aigrelet et rafraîchissant dans les fortes chaleurs. La vigne était anciennement répandue dans presque toute la Picardie. Monstrelet dit, en parlant du départ précipité des Flamands, qui faisaient partie de l'armée du due de Bourgogne lors du siége de Montdidier, en 1411 : Et ce n'est pas à oublier que ce voyage se flet au mois de septembre que les vendanges sont en poinct. Et se boutoient assez asprement parmy les vignes et prenoient tant dedans leur ventre, que plusieurs en furent trouvés morts et crevés dedans lesdites vignes. Autrefois le vin de Montdidier était assez estimé pour qu'on le transportât à Amiens, lors du marché au vin qui se tenait dans cette ville le 11 novembre, et il y occupait un rang distingué parmi les vins de la Somme..

Il y a à Montdidier deux brasseries assez achalandées ; cependant la bière n'est en usage que dans une certaine classe de la population. Le cidre est la boisson ordinaire du peuple ; il est de bonne qualité, mais se conserve difficilement plus de deux années. La récolte des pommes est extrêmement variable ; les arbres ne donnent guère de fruits en abondance que tous les trois ans ; le pays est élevé, découvert, sujet à des coups de vent et à des gelées tardives qui font couler la fleur et détruisent les espérances du cultivateur. Dans les années de disette, on supplée à l'insuffisance de la récolte par des pommes que l'on fait venir à peu de frais de la Normandie ; la Bretagne elle-même a été mise parfois à contribution et en a expédié des chargements considérables.

L'introduction des pommes à cidre dans le pays date du dernier siècle. Les plantations qui bordent les routes d'Amiens et de Compiègne rappellent l'époque, féconde en améliorations, où la Picardie avait à sa tête des hommes d'élite comme MM. d'Agay et Chauvelin ; mais depuis, sous l'administration bien différente de M. Thévenin de Tanlay, ces belles plantations furent impitoyablement mutilées sous le prétexte dérisoire que l'extrémité des branches dépassait les fossés de la route ; ce fut un préjudice immense causé à l'agriculture. Les tracasseries de tout genre suscitées aux propriétaires les ont détournés de l'idée de planter sur leur terrain, et les routes nouvelles, privées d'ombre et de verdure, présentent l'aspect le plus monotone.

La vannerie est l'objet d'un commerce assez étendu, dont on expédie les produits à Amiens, à Beauvais et à Paris ; l'osier que l'on cultive dans la vallée est d'une qualité supérieure ; il est lourd et propre à tous les usages ; on en travaille quatre espèces différentes. Cette industrie, qui occupe environ soixante-dix personnes, avait beaucoup souffert dans ces dernières années ; mais, depuis neuf ou dix ans, des négociants de Rouen et du Havre sont venus dans le pays acheter des quantités considérables d'osier, qu'ils exportent à New-York, et nos vanniers, qui luttaient avec peine contre la concurrence qu'ils rencontraient sur les marchés environnants, ont vu s'ouvrir pour eux un excellent débouché. L'osier tout préparé se vend de 12 à 16 fr. les 50 kilogrammes.

Il y a dans l'étendue de la commune trois briqueteries qui donnent de l'occupation à quarante-sept individus, et quatre fours à chaux. Le mille de briques cuites au charbon de terre vaut 14 fr. ; l'hectolitre de chaux coûte 1 fr. 30 centimes. L'argile dont on se sert est mélangée d'une terre forte qui nuit à l'apparence et à la qualité de la brique. Depuis longtemps on a renoncé à la pierre du pays, et on ne l'utilise que comme moellons. La brique était encore peu commune au dix-septième siècle ; en 1659, l'échevinage accorda à Jacques Dugropré, qui était venu établir une briqueterie à Montdidier, l'exemption du logement des gens de guerre, ustensiles, subsistances et contributions, et que sa taille seroit réduite à dix sols par an tant qu'il fera des briques pour la commodité de la ville.

Une fabrique de sucre de betteraves a été construite, en 1854, à l'intersection du chemin d'Ailly et de la route de Breteuil ; c'est une ressource précieuse pour la classe ouvrière, qui y trouve de l'ouvrage, précisément à l'époque de l'année où tous les travaux sont interrompus ; elle emploie plus de cent quinze personnes, et peut produire 500,000 kilogrammes de sucre non raffiné, et même davantage, suivant le rendement de la plante. La quantité de terre ensemencée en betteraves est de 500 hectares environ, répartis sur diverses communes des alentours ; la location d'un hectare s'élève à 300 fr., frais de culture compris, le sarclage et l'enlèvement de la récolte restant à la charge des fabricants. Les dépenses de première installation ont monté, dit-on, à 300,000 fr. ; la machine à vapeur et, les presses viennent de Saint-Quentin, les turbines de Paris ; les chaudières et autres appareils ont été exécutés à Ham. L'usine est éclairée au gaz, ce qui, pour beaucoup de nos compatriotes, est une nouveauté dont la ville pourra plus tard faire son profit. Il est vivement à souhaiter que l'industrie sucrière se propage dans l'arrondissement, et l'on doit s'étonner, en présence des bénéfices énormes que réalisent les sucreries du Nord, que des fabriques de cette nature ne se soient pas multipliées davantage. Le sol de la Picardie convient admirablement à la culture de la betterave ; mais, dans notre département, les esprits sont très-apathiques, et les capitaux peu entreprenants.

Le commerce des grains a pris de l'extension depuis que le voisinage du chemin de fer a permis d'exporter sur Paris et sur le Nord ; c'est même vers ce dernier point que l'avoine s'expédie de préférence, les fabricants de sucre n'en récoltant pas et en consommant pour leurs bestiaux une quantité assez notable. La vente des farines est encore une autre branche d'industrie. La petite rivière qui passe au bas de la ville met en mouvement six moulins à blé ; malheureusement le manque d'eau ne leur permet pas de tourner en tout temps, et les usines de Bouillancourt et de Pierrepont, alimentées par des chutes plus puissantes, leur font une rude concurrence. Les meuniers et boulangers de Montdidier approvisionnent non-seulement la ville, mais encore une grande partie des villages environnants. Les mœurs ont changé.

Autrefois chaque ménagère faisait son pain : aujourd'hui on ne cuit presque plus à la campagne ; on a reconnu que, tout calculé, le chauffage du four, l'achat de la farine et le temps employé, le pain fait chez soi revient plus cher que celui qu'on achète chez le boulanger, et l'on y a renoncé. Il y a plus de quatre-vingts ans, Parmentier terminait par les réflexions suivantes sa brochure intitulée : Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes : « En supposant la meilleure méthode de moudre et boulanger, l'expérience prouve qu'on aura moins d'embarras et plus de profit en vendant son grain pour acheter de la farine à la place ; que ce double avantage sera encore plus marqué, en prenant son pain chez le boulanger, qui le fabriquera toujours mieux et à moins de frais que la ménagère la plus économe et la plus adroite. »

Les boulangers de Montdidier se trouvent bien de ce changement : on voit chaque jour des voitures s'arrêter à leur porte, et s'en retourner chargées de pain ; des revendeurs le distribuent dans la campagne, avec un bénéfice de 10 centimes par pain de six kilogrammes.

Le premier moulin à eau est situé dans le faubourg de Paris, sur l'ancien chemin de Breteuil ; il en est fait mention dans la bulle d'Alexandre III, du 3 février 1173. (Bibliotheca Cluniacensis, p. 73.) Le prieuré de Notre-Dame avait droit de prendre cinq muids de blé par an sur ce moulin, en vertu d'une donation de Robert de la Tournelle : Quinque modios frumti ad molendinum novum de eleemosina Roberti de Tournella. Cette donation fut portée à douze muids en 1178. Jean de la Tournelle vendit à la ville ce moulin, ainsi que tous les droits qui lui appartenaient à Montdidier, en 1289, et depuis cette époque jusqu'à la Révolution on l'appela le moulin Neuf, et plus souvent le moulin de la Ville. Les boulangers et pâtissiers étaient obligés d'y faire moudre leur blé ; le meunier avait le droit de les empêcher de porter leur grain ailleurs ; les vieilles constitutions de l'échevinage contenaient un article ainsi conçu : Tous vendans pain voisent moldre au noef molin de la ville et non ailleurs sur l'amende. Cet article donnant lieu à de fréquentes contestations, il fut ordonné que les boulangers ne seraient admis à exercer leur profession qu'autant qu'ils s'engageraient à faire moudre un sac de blé par semaine au moulin de la Ville. Outre les douze muids de froment dus au prieuré de Notre-Dame, ce moulin était encore grevé d'une rente de treize autres muids envers la commanderie de Fontaine ; le meunier était tenu d'acquitter ces charges et de payer à la commune une redevance qui, dans le siècle dernier, s'élevait à peu près à 800 livres. Ce moulin formait un des principaux revenus de la commune, qui le posséda sans interruption pendant plus de cinq cents ans. Le mauvais état de ses finances l'obligea à s'en dessaisir, et il fut vendu, en 1792, moyennant 8,525 liv. ; rasé en 1843, on éleva à sa place la belle minoterie qu'on voit aujourd'hui. L'engrenage est tout de fonte ; les pièces ont été fondues à Amiens, chez Cavillier, et ajustées par Vaniambourg, de Montdidier : il y a trois paires de meules qui pourraient moudre facilement chacune dix hectolitres de blé par jour ; mais la chute n'est pas assez forte, et jamais les trois paires de meules ne sauraient tourner à la fois ; une seule fonctionne habituellement, et les eaux sont souvent tellement basses que cette belle usine s'est vue à différentes époques dans l'obligation de chômer.

Près du pont de l'Ave-Maria, qui sert à communiquer du faubourg Saint-Médard à la rue des Tanneries, existait le moulin Hubert, dont il est parlé dans la charte de Philippe-Auguste : ce moulin, désigné dans les titres des quinzième et seizième siècles sous le nom de moulin l'Étoffé, fut abandonné en 1550. Au bas du faubourg Becquerel se trouve le moulin de ce nom : il en est question dès le quatorzième siècle. Cette usine est pourvue de deux paires de meules, mais il n'y en a guère qu'une seule qui marche continuellement. Vient ensuite le moulin d'Ourscamp, anisi nommé parce qu'en 1379 environ, Pierre de Hangest, conseiller du roi, en fit don à cette abbaye, à la charge de dire tous les jours une messe des morts à son intention. Ce moulin s'appelait auparavant moulin des Jardins ; il servait anciennement à moudre la waide ; il est petit, mal situé, en mauvais état, et n'a qu'une paire de meules.

Le moulin la Planche, reconstruit à neuf il y a peu d'années, et situé sur le bord du chemin qui conduit de Saint-Martin à Fontaine, appartenait au prieuré de Notre-Dame. Le pape Alexandre III en fait mention dans sa charte de 1173 : Apud Montisdesiderium molendinum de ponte. Ce moulin tirait son nom d'un pont qui se trouvait à côté, aujourd'hui il emprunte sa dénomination à une simple planche sur laquelle on passe la rivière. Compris autrefois dans l'intérieur de la ville, il est maintenant tout à fait en dehors de Montdidier ; il a deux paires de meules, mais la chute n'est pas assez forte pour les faire mouvoir ensemble.

Le cinquième moulin, placé plus bas que celui dont nous venons de parler, a été restauré entièrement en 1856 ; son engrenage est de fonte : les anciens titres le désignent sous le nom de moulin Enguerrand ; il appartenait pour moitié au prieuré de Notre-Dame. Le dernier moulin est dans la banlieue, sous le Forestel, à l'extrémité d'une chaussée qui traverse la vallée ; nous avons dit précédemment qu'il s'appelait moulin le Pot, et servait clans le seizième siècle à fouler les draps ; il a trois paires de meules, dont une de rechange.

La chute la plus élevée est celle du moulin du faubourg de Paris ; elle a 2m,30, mais elle est la moins abondante, la rivière n'ayant point encore reçu les eaux de la fontaine des Blancs-Murets, lesquelles s'y réunissent en aval de la roue. La chute du moulin d'Ourscamp n'a que 0m,80 de hauteur, les autres usines ont en moyenne des chutes de 1m,25 à 1m,30. En 1852, on a foré dans la vallée plusieurs puits artésiens qui ont bien réussi ; si l'on continuait ces premiers essais, il en résulterait une augmentation sensible dans le volume des eaux, avantage précieux que l'on atteindrait encore par une meilleure police de la rivière et par la réouverture d'un certain nombre de sources que l'intérêt privé a fait combler, mais dont les anciens du pays se rappellent parfaitement l'existence. En 1856, 1'autorité administrative a nommé un syndic et un garde-rivière ; espérons que les fonctions de ce dernier ne seront pas illusoires, et n'auront pas pour unique résultat d'accroître la cote des contribuables.

Presque tous les moulins sont montés d'après les procédés de mouture nouvellement adoptés ; on les appelle fort improprement moulins à l'anglaise. Les Anglais ne sont pas les auteurs de ces perfectionnements : ce sont des Français qui les ont imaginés ; mais dans notre pays, pour donner de la vogue à une invention, il faut l'annoncer comme étant d'origine anglaise, bien qu'elle n'ait jamais vu le jour de l'autre côté du détroit. Les Anglais nous sont supérieurs dans un assez grand nombre de choses, sans qu'on leur attribue des découvertes qui ne leur appartiennent pas. La meunerie anglaise est inférieure à la meunerie française, et personne n'ignore que la première qualité de farine que l'on consomme en Angleterre vient de France. Les Espagnols, moins esclaves que nous des préjugés de la mode, ont conservé à la nation qui a fait progresser l'art de la meunerie ses droits à la reconnaissance universelle, et ils appellent avec raison moulins à la française, les moulins perfectionnés établis dans leur pays. En Aragon, dans les provinces Vascongades, dans la montagne de Santander, d'où l'on exporte une quantité considérable de farine pour l'île de Cuba, les principales minoteries sont montées par des Français. J'ai rencontré des constructeurs de notre nation dans toute l'Espagne, même dans les provinces les plus éloignées : à Alcala de Guadiaira, où se trouvent les boulangeries qui alimentent Séville, les grandes usines sont l'ouvrage de nos compatriotes. N'est-ce pas un de nos concitoyens, Parmentier, qui par ses nombreux et savants écrits, a contribué à propager en France et à l'étranger les meilleures méthodes de meunerie et de boulangerie ? Sachons apprécier notre pays ; ne vantons pas constamment l'étranger, et surtout ne lui faisons pas sottement honneur de ce qui doit être pour nous un titre de gloire.

Indépendamment des moulins à eau, il existe sur le territoire de Montdidier quatre moulins à vent ; un seul est destiné à faire de la farine, et se trouve à la sortie de la ville, près du chemin de Breteuil. Ce moulin était anciennement sur le territoire du Mesnil ; il a été transporté à la place actuelle au mois de septembre 1848. A deux cents mètres de la promenade du Chemin-Vert, à gauche du vieux chemin de Roye, on voit un moulin à tan et un moulin à huile. Le quatrième moulin, qui sert également à faire de l'huile, est sur le bord du chemin du Monchel, à une centaine de mètres de l'extrémité du faubourg. Il y avait un moulin à cet endroit dès 1538 ; les titres de cette époque parlent, en effet, du moulin à vent près la justice royale au chemin du Monchel : en 1591, comme l'on appréhendait que les royalistes ne fissent une tentative contre Montdidier et ne se fortifiassent dans ce moulin, les maïeur et échevins en firent l'acquisition d'Adrienne Parmentier, veuve de François Depuille, moyennant cent écus une fois payés, neuf écus deux tiers de rente et dix-huit setiers de blé ; les meules furent enlevées et montées dans un moulin à cheval établi dans la ville ; la maison du meunier fut transformée en corps de garde. La commune resta propriétaire de ce moulin jusqu'en 1644, elle le vendit alors pour rembourser la rente due au seigneur de Chepoix ; près de là se trouvait la justice royale, où l'on exécutait les criminels condamnés par une juridiction autre que celle de la mairie.

Chaque fois que les ennemis assiégeaient Montdidier, ils ne manquaient pas de brûler les moulins situés dans la vallée : c'était un sujet continuel de doléances. Les redevances que la ville percevait sur le moulin Neuf formaient un de ses principaux revenus ; mais l'intérêt poussé trop loin finit par aveugler et par faire manquer d'excellentes occasions de s'enrichir ; c'est ce qui arriva à Montdidier : la crainte de perdre le produit des moulins fit qu'on s'opposa à la canalisation de la rivière sur laquelle ils étaient placés, et on laissa échapper une source de prospérité et de bien-être qui ne se représentera peut-être jamais. Qu'est-ce que ce mince filet d'eau qui fuit inaperçu au pied de Montdidier, comparé à un beau canal animé par le mouvement de la navigation, par le chargement et le débarquement des marchandises, canal qui, reliant l'Oise à la Somme, aurait vivifié la ville, y aurait fixé le commerce et développé l'industrie en ouvrant un débouché facile aux productions de la contrée ? L'étroit amour du gain et de mesquines considérations particulières empêchèrent de réaliser cette magnifique conception. Puisque l'occasion s'en présente, entrons dans quelques détails sur la rivière de Montdidier et sur les projets de canalisation dont elle fut autrefois l'objet : c'est un sujet qui se rattache essentiellement à celui que nous traitons en ce moment.

*
 

Retour
Retour

Accueil
Suite