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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre VIII - § II

par Victor de Beauvillé

§ II

COMPAGNIE DE L'ARC.

Toutes sections

Ancienneté de la compagnie de l'Arc. — Tir de l'oiseau. — Règlement. — Uniforme. — Prix généraux à Péronne, à Montdidier, à Compiègne. — Entrée triomphale. — Prix provincial a Montdidier. — La compagnie est dissoute. — Elle se réorganise. — Tireurs célèbres. — Fin de la compagnie. — Jardin de l'Arc.

Les compagnies d'archers, après avoir formé pendant plusieurs siècles des corps militaires, cessèrent à la longue d'être organisées sur le pied de guerre, et se transformèrent insensiblement en corporations joyeuses, dont le plaisir était le but et le lien. Le tir de l'arc était universellement répandu et estimé. Avant l'invention des armes à feu, et même longtemps après, il fut tout à la fois un délassement agréable et un exercice guerrier. Dans toutes les villes de France, il y avait des compagnies d'archers qui se faisaient un jeu, pendant la paix, de manier l'instrument léger destiné, en temps de guerre, à devenir entre leurs mains une arme terrible contre l'ennemi. Nos rois ne négligèrent rien de ce qui pouvait contribuer à fortifier ces utiles associations ; l'ordonnance de Charles VII, donnée au Montels-lès-Tours en 1448, renferme des renseignements importants sur les confréries de l'arc.

Les archers de Montdidier se livraient au tir dans un jardin situé au Pré, entre les portes de Roye et d'Amiens, et contigu à celui de l'Hôtel-Dieu ; ils l'abandonnèrent en 1560, pour s'installer près de la Salle du Roi, dans les anciens fossés du château, occupés aujourd'hui par la prison. Le jardin près de la porte de Roye étant devenu inutile, les archers le louèrent en 1585 par bail emphytéotique, moyennant 28 écus et 10 sols tournois de cens payables à la ville, et pareille redevance aux confrères, dont le nombre dépassait alors quatre-vingt-huit. L'argent provenant de cette location fut employé à améliorer le nouvel emplacement ; les confrères y firent construire, cette année même, une galerie de bois couverte, longue de cent quatre-vingt-dix-huit pieds, à l'abri de laquelle ils pouvaient se livrer en tout temps à leur jeu favori.

Les archers reconnaissaient pour patron saint Sébastien ; la veille et le jour de sa fête, ils faisaient célébrer un office solennel à Saint-Pierre ; le lendemain on chantait à l'église du Sépulcre une messe pour les confrères décédés ; à partir de 1687, le service pour les morts se fit également à Saint-Pierre, et le curé était tenu de chanter le Libera sur la tombe du dernier défunt. Les veuves pouvaient continuer à faire partie de la compagnie en qualité de demi-confrères. Cette faveur fut ensuite étendue à d'anciens titulaires (1682) qui conservaient, par ce moyen, leur entrée dans la compagnie, sans pouvoir néanmoins prendre part aux exercices. Les confrères se rassemblaient le dimanche de la mi-carême pour tirer le geai ; celui qui l'abattait était proclamé Roi et recevait un prix. En 1627, on offrait au roi du geai une quenne de vin, achetée 55 sols ; en 1638, une écuelle et deux salières d'étain du même prix. A la fin du dix-septième siècle, la valeur du prix du geai était de 6 liv. ; dans le siècle dernier, elle varia de 25 à 50 liv. : une pièce d'argenterie était ordinairement la récompense que l'on décernait au plus adroit. Chaque chevalier donnait 2 liv. pour l'achat du prix.

En 1648, on cessa de tirer le geai le dimanche de la mi-carême, et cette cérémonie fut reportée au premier dimanche de mai, ainsi que cela s'est toujours observé depuis. La veille du tir dans l'après-midi et le jour dans la matinée, le concierge du jardin de l'Arc promenait l'oiseau dans la ville, deux tambours l'accompagnaient : à une heure on battait la générale ; les confrères se rendaient au jardin, et partaient ensuite en bon ordre pour le lieu du tir, drapeau en tête, précédés de l'oiseau et des tambours. Le tir avait lieu au faubourg Saint-Médard ; l'oiseau était placé sur un grand arbre, près du Dieu-de-Pitié, à la croisière des anciens chemins d'Ailly et de Fontaine. En 1753, on abandonna le faubourg pour le Chemin-Vert, devenu la promenade en vogue, et l'oiseau alla prendre position sur la cime d'un orme près du jeu de paume. Le geai abattu, le vainqueur était reconduit en triomphe à son domicile, au bruit des tambours, et entouré de tous les confrères ; enfin une collation où régnait la gaieté la plus franche réunissait les chevaliers au jardin, et terminait la journée. Le menu devait être assez modeste, à en juger par la dépense ; dans un compte de 1627, on lit : Pour les vivres du mi-caresrme, 45 sols. Un membre de la compagnie en faisait les frais.

La gourmandise fit bientôt des progrès. Les confrères, voulant fêter plus dignement leur réunion générale, décidèrent, en 1655, que le repas du premier dimanche de mai aurait lieu à frais communs, et que la dépense serait de 40 sols par tête. Le roi du geai fut exempté de contribuer au souper (1694), mais il devait payer 5 liv. que la compagnie employait comme bon lui semblait. Le goût de la table augmentant à mesure que celui de l'Arc diminuait, on établit en 1717, un second repas général le jour de saint Sébastien. Les paris qui se faisaient au jardin de l'Arc ne pouvaient donner lieu à des pertes inquiétantes : le règlement de 1645 défendait de jouer plus de 2 sols 6 deniers la partie de douze coups. Les règles de la bien-séance étaient toujours observées : les jureurs et blasphémateurs étaient condamnés à 6 deniers d'amende ; ceux qui proféraient le nom du valet de Saint-Michel payaient 4 deniers.

Le règlement de 1656 fut longtemps en usage ; il est conservé sur un tableau représentant Saint Sébastien percé de flèches ; aux quatre angles sont les armoiries des principaux chevaliers de l'Arc : au premier, celles des Cauvel : d'azur, à trois gourdes d'argent 2 et 1 ; timbre : un casque d'argent accompagné de lambrequins de même ; au troisième, celles des Cocquerel : d'azur, à un coq d'or, crêté, becqueté de gueules, surmonté d'une étoile d'argent ; en pointe, les initiales P.C. Je n'ai pu découvrir à quelles familles appartiennent les autres armes. Ce tableau, dont nous offrons la reproduction, a 0m,61 carrés. La compagnie de l'Arc, qui l'avait fait exécuter, n'existant plus, il fut remis, en 1846, à la seconde compagnie dite la Bande Noire ; une restauration maladroite que l'on ' a faite à cette époque l'a un peu endommagé. Voici la teneur du règlement :

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« Ordonnances du noble jeu de l'Arc du jardin de Mondidier, 1656.

1° Ne sera reçeu aucun chevalier de la religion prétendue réformée, et si après sa réception il faisoit profession d'icelle, sera demis et demeureront ses estuits et armes au profit du jardin.

2° Ceux qui seront admis audict jardin presteront le serment pardevant le connestable ou autre, et paieront la somme de quinze livres pour l'entrée et vingt sols pour les blancs, et au cas qu'ils viennent à quitter et renoncer, paieront LX sols pour la sortie.

3° Les fils de chevaliers ne paieront que huict livres pour l'entrée, mais seront tenus paier les blancs et sortie comme dessus.

4° Touts blasphémateurs du saint nom de Dieu, invocants ou proférants le nom du diable, paieront trois deniers d'amende sur le champ.

5° Si l'un des officiers ou chevaliers preste ses armes à autres qui ne soient du jardin pour tirer et qu'il mettent dans les blancs, paiera ou fera paier XX sols, et i sera contrainct par saisie des mesmes armes.

6° Pour le payement des sommes qui seront mandées aux chevaliers, l'on pourra agir par saisie des estuits et armes des refusants, laquelle saisie se fera par le valet du jardin en vertu des ordonnances.

7° Sera le 1er dimanche du mois de mai tiré le gai où seront touts les chevaliers tenus d'assister, et au retour sera procédé à l'eslection d'un connestable pour un an, après lequel il pourra estre continué du consentement des chevaliers, et demeure le connestable sortant de sa charge lieutenant de celui qui entre.

8° Le connestable après son eslection paiera, par chaque année qu'il sera esleu ou continué, la somme de dix livres, emploiables aux réparations du jardin, et le lendemain de sa nomination paiera son prix de valeur de cent sols.

9° Sera pareillement tenu le connestable paier la moitié du desjeuner qui se faict le 1er jour de mai, et le roi du gai l'autre moitié.

10° Le prix du gai sera de cent sols et appartiendra à celui qui l'aura abbattu, sans qu'il soit tenu d'aucune chose pour le convoi faict en sa maison.

Les enseigne et prévost ne sont eslectifs en an, mais perpétuels ; peuvent toutes fois être démis, faute de satisfaire aux réparations et prix.

La consignation pour les prix ordinaires sera d'un escu pour les officiers et de quarante sols pour les chevaliers, et se fera entre les mains du connestable.

Quand deux coups sont de pareilles distances de la broche, le haut emporte le bas, le bas emporte les costés, et le costé droict le gauche.

Touts les différends qui arriveront ausdicts archers concernant le dict jeu seront décidés par le connestable et autres officiers, et seront leurs jugements exécutés à peine d'interdiction.

S'il arrive des chevaliers de dehors pour tirer ou voir le jardin, leurs sera présenté du vin aux dépens de touts les chevaliers.

Les chevaliers absents aux festins ordinaires qui se feront dans la chambre du jardin seront tenus de paier leurs escots comme s'ils estoient pré sens, si ce n'est en cas d'absence de la ville ou de maladie.

Toutes les assemblées, résolutions et festins se ferons en la chambre du jardin, à peine de nullité des dictes résolutions. »

Indépendamment du prix que l'on décernait le jour du tir de l'oiseau, il y en avait encore un autre, dit le prix de Ville, qui était donné par la mairie, et consistait en une somme de 12 liv. qu'on employait à faire quelque acquisition pour récompenser l'archer le plus habile ; il se tirait le lendemain du tir du geai, et fut porté à 18 liv. à partir de 1715. En 1880, on établit des prix de consignation : chaque chevalier payait 1 écu ; les officiers, 2 écus ; le prévôt et le greffier, 4 liv. Cet argent servait à l'achat de beau verre qu'on se disputait dans les joutes qui avaient lieu les dimanches et les jours de fête.

Les officiers de la confrérie étaient anciennement au nombre de quatre : un connétable, un prévôt, un enseigne et un gardien faisant fonction de secrétaire-trésorier ; le connétable était nommé le jour du tir, il était chargé de recevoir les nouveaux chevaliers ; à la fin du dix-septième siècle il y avait un capitaine, un lieutenant, un enseigne, un prévôt et un greffier gardien. Les honneurs, si petits qu'ils soient, coûtent toujours quelque chose ; le capitaine, le lieutenant et l'enseigne furent obligés de rendre un prix. L'admission dans la confrérie avait lieu par voie d'élection ; il fallait réunir les deux tiers des suffrages pour être reçu ; le nouveau chevalier devait, avant sa réception, faire visite aux officiers et payer un droit d'entrée de 20 liv., ou de 10 liv. seulement s'il était fils de chevalier : ceux qui quittaient la compagnie pavaient 5 liv. pour droit de sortie.

L'arrêt du parlement du 6 juin 1659, portant règlement entre les officiers du bailliage et de la prévôté de Montdidier, contient l'article suivant : « Les permissions générales de sonner de la trompette, de battre le tambour,
et de tirer l'arc, de l'arbaleste et de l'arquebuze, en quoy sont comprises celles qui se renouvellent d'année à année avec le droit de tirer le premier coup en conséquence desdites permissions générales, et mesmes toutes permissions pour lever des gens de guerre, appartiendront au lieutenant général du bailliage, et en cas d'absence, maladie ou empeschement de ceux qui ont droit de le précéder ; et les permissions particulières qui sont données pour chacune action seront données par le prévost. »

La compagnie de l'Arc était considérée comme la première de la ville, et avait le pas sur celles de l'Arquebuse et de l'Arbalète ; elle se composait de personnes appartenant aux familles les plus notables, et l'on se montrait assez difficile pour les réceptions. Les jours de fête, les chevaliers ne sortaient qu'en uniforme ; ils revêtaient l'habit gris de fer à collet droit avec torsade en or, boutonnières et boutons d'or, culotte semblable à l'habit, bas, cocarde et plumet blancs. Cet uniforme, que relevait la bonne mine de ceux qui le portaient, faisait reconnaître les tireurs de Montdidier dans toutes les réunions. La vigueur de leur bras était célèbre ; la portée d'un trait lancé par un archer montdidérien était de 92 toises 3 pieds 2 pouces ; leur adresse ne le cédait pas à leur force, et les prix nombreux remportés dans les tirs généraux attestaient la sûreté de leur coup d'œil.

Les compagnies d'une même province, et souvent de provinces différentes, entretenaient entre elles l'esprit de confraternité au moyen d'assemblées générales où elles rivalisaient d'adresse et de courtoisie : c'était l'occasion de plaisirs et de divertissements nombreux ; des prix d'une valeur fort élevée étaient décernés aux tireurs les plus heureux ; enfin on se séparait en offrant un bouquet à la compagnie qui s'engageait à organiser une fête semblable.

Les archers de Péronne, avant reçu le bouquet à Saint-Quentin (1671), donnèrent un prix général en 1681 ; leur jardin avait été restauré magnifiquement l'année précédente, et les chevaliers n'étaient pas fâchés d'en faire les honneurs à leurs confrères du dehors. Les compagnies de la Picardie, de la Champagne, de l'Artois, de la Flandre et du Soissonnois se rendirent à cette fête ; les chevaliers de Montdidier s'y étant distingués, on nous saura gré d'entrer dans quelques détails sur cette grande journée. Les relations qui ont longtemps existé entre Péronne et Montdidier donnent d'ailleurs un intérêt tout particulier à ce qui s'est passé dans la première de ces deux villes ; et comme le cérémonial qu'on y observa se pratiquait ordinairement dans les réunions générales, il est bon de le connaître :

« La fête du bouquet de Péronne fut fixée au 29 juin 1681 ; le 28 au matin, les tambours et les fifres de la ville donnèrent le signal de l'assemblée ; tous les chevaliers en grande tenue étoient réunis à huit heures. Monsieur Aubé , maïeur de la ville, capitaine de la compagnie, étoit à leur tète, on admiroit le magnifique uniforme écarlate dont il étoit revêtu, son ceinturon, ses gants ; la housse et le chaperon de son cheval bai qu'il montoit étoient remarquables par la richesse des galons d'or qui les garnissoient. M. Boitel, lieutenant, MM. Vinchon, sous-lieutenants, et M. Reynard, cornette, attirèrent les regards par la richesse de leurs habits, par leur bonne mine et la beauté de leurs chevaux. Les quarante chevaliers qui formoient la compagnie portoient tous l'uniforme écarlate, avec boutons et boutonnières d'or ; le chapeau, bordé en or, étoit orné d'un plumet blanc et d'une cocarde en rubans verts. La compagnie traversa la ville, ayant en tête tambours et hautbois, et alla se placer vis-à-vis le chemin couvert pour recevoir les compagnies étrangères qui avoient été invitées. La compagnie de Soissons arriva la première ; M. Cahier, maréchal des logis, fut détaché pour aller la reconnaître : aussitôt la compagne de Péronne se mit en marche, et s'avança à une demi-lieue de la place.

A l'arrivée de la compagnie de Soissons, M. Aubé mit l'épée à la main, ainsi que toute sa suite ; après avoir salué le commandant et ses chevaliers, il leur témoigna sa reconnoissance de l'honneur que son corps recevoit de leur visite. Les archers de Péronne défilèrent devant ceux de Soissons, et rentrèrent avec eux dans la ville, au son des tambours et des hautbois ; les deux compagnies firent la parade sur la place. Tandis que les chevaliers de Soissons alloient occuper le logement qui leur étoit assigné, ceux de Péronne, avertis par le guet ordinaire de la ville, se mirent en marche pour recevoir la compagnie de Saint-Quentin, qu'on découvroit du beffroi. Les chevaliers de cette capitale du Vermandois, au nombre de quatre-vingts, très-bien montés, ayant à leur tête le président Valois, furent conduits avec les mêmes honneurs que les premiers. Cette nouvelle réception étoit à peine finie qu'on vit arriver la compagnie de Montdidier, commandée par M. d'Argentière (L'auteur commet une erreur : le commandant étoit M. Dufour, seigneur d'Argenlieu.) ; on la reçut avec les mêmes prévenances ; il en fut ainsi pour toutes celles qui arrivèrent successivement. Ces réceptions durèrent jusqu'à neuf heures du soir. Tous les chevaliers se réunirent alors à un splendide souper préparé dans le jardin de l'Arc ; les chevaliers de Villers-Cotterets, presque tous attachés à la cour, se distinguèrent par la magnificence de leurs uniformes et la beauté de leurs chevaux.

Le lendemain 29, jour de Saint-Pierre, toutes les compagnies s'assemblèrent sur la place, et allèrent, tambours battants, enseignes déployées, entendre la messe.

A quatre heures après midi, chaque compagnie s'assembla de nouveau sur la place. MM. les canonniers-arquebusiers, ayant pour chef M. Vaillant, se présentèrent au nombre de quarante, vêtus en ordonnance, armés d'arquebuses et de sabres, leurs fourniments en bandoulières ; leurs chapeaux relevés ornés d'un plumet vert et blanc ; c'est à eux que la garde du bouquet avoit été confiée par MM. de l'Arc. Ce bouquet, artistement travaillé, étoit composé de fleurs de soie, dont l'éclat éblouissoit ; les religieuses de la rue du Bouloy à Paris, dont il étoit l'ouvrage, l'avoient fait voir à la reine, qui en avoit témoigné sa satisfaction.

Le bouquet étoit placé sur un piédestal au milieu de huit statues dorées : quatre étoient des attributs relatifs à la fête, et quatre autres représentoient deux nymphes, tenant une palme d'une main et un cœur de l'autre ; deux jeunes Amours décochoient chacun une flèche dans ces cœurs. Quatre hoquetons à la livrée de l'Arc furent choisis pour porter le bouquet pendant la cérémonie.

Toutes les compagnies se mirent en marche dans l'ordre réglé par le sort, et firent le tour de la ville. Le cortége s'arrêta devant la porte de l'hôtel de M. de la Broue, lieutenant du roi ; les officiers de la compagnie de Péronne allèrent lui réitérer la prière de les honorer de sa présence à la collation qui avoit été préparée dans le jardin et de tirer le coup du roi. M. de la Broue leur accorda leurs demandes, se réunit au cortége qui reprit aussitôt sa marche, escorté par les gardes du gouverneur, et accompagné par l'état-major de la place et tous les officiers de la garnison.

Des rafraîchissements préparés par les soins de MM. les échevins attendoient le cortége vis-à-vis l'hôtel de ville. Quand les chevaliers de l'Arc furent arrivés, on but à la santé du roi, aux cris de vive le roi ! et au bruit des décharges de l'artillerie ; au moment où les arquebuses à croc placées dans les galeries et rue du beffroi se firent entendre, on arbora sur cette tour les quarante drapeaux des arts et métiers.

Les chevaliers reprirent alors leur marche pour se rendre au jardin où le lieutenant de roi, après avoir tiré le coup du roi, prit sa place à une longue table dressée au milieu d'une des allées entourées de charmille ; un festin des plus splendides fut servi, au son d'une musique militaire dont l'harmonie surpassa tout ce qu'on avoit entendu jusqu'alors ; ce repas termina la fête pour ce jour-là.

Le lendemain tous les chevaliers s'assemblèrent dans le jardin de l'Arc ; les coups du tirage furent réglés par le sort ; il y avait trente-deux prix, ils avoient coûté mille écus. M. Aubé, aidé par un député de chaque compagnie, plaça les pantons an bruit de tous les instruments ; chaque archer tira à son tour, tant que le jour permit de le faire. Le tour des chevaliers de Péronne étant venu, tous parurent en vestes de brocart ou de toile de Hollande très-fine, chamarées de dentelles et de pierreries ; ils portèrent sur la tête une toque couverte de rubans de diverses couleurs.

Ces chevaliers ne furent pas heureux, ou plutôt il y a lieu de croire qu'ils étoient trop galants pour profiter de l'avantage que leur donnoit l'habitude du local ; leur maladresse, dont ils rioent les premiers, donna lieu à beaucoup de plaisanteries qui ajoutèrent aux plaisirs de la journée.

Le lendemain, comme pénétrés de douleur de leur mésaventure, ils ne se montrèrent qu'en habits et chapeaux noirs, garnis, de crêpes qui Ieur pendoient jusqu'aux talons ; la marche se fit drapeaux pliés, la lance renversée, avec un seul tambour voilé de noir, qui battoit lentement et d'une manière lugubre. M. Landru, président de l'élection, les précédoit, portant en plein midi une lanterne avec une chandelle allumée : il était accompagné d'un chevalier, porteur d'une Iunette d'approche, comme pour chercher le but qu'ils n'avoient pu atteindre la veille.

Cette scène tout à fait inattendue divertit beaucoup, et d'autant plus que les chevaliers jouoient parfaitement l'affliction. Cependant on reprit le tir, et cette fois la compagnie de Péronne remporta cinq prix. Le grand prix fut gagné par un archer de Cambray ; il consistait en une épée à poignée de vermeil artistement travaillée, rien nous en apprend la valeur : on peut en juger par celle du second prix, qui était un bassin d'argent massif, estimé trois cents francs.

Le jeudi trois juillet, dernier jour consacré aux fêtes, il y eut un feu d'artifice. Le bouquet, d'un consentement unanime, fut adjugé à la compagnie de Montdidier ; les archers de Péronne, ayant leurs officiers en tête, tous à pied, portèrent le bouquet en triomphe, et le remirent à Messieurs de Montdidier, qui, en le recevant, s'obligèrent de le rendre deux ans après.

La fête se termina par un repas où l'on enchérit encore sur ce que l'on avoit fait jusqu'alors ; ce repas fut suivi d'un grand bal. Comme une seule maison ne pouvoit contenir tous les invités, ils furent distribués dans quatre. La compagnie de Montdidier partit la dernière, et fut reconduite par celle de Péronne, au bruit de décharges continuelles de mousqueterie. » (Mémoires de Philippe Convers.)

Nos archers se signalèrent par leur habileté, et remportèrent plusieurs prix. L'engagement qu'ils avaient contracté en acceptant le bouquet était trop honorable pour qu'ils ne s'efforçassent pas de le remplir au plus tôt ; et, au mois de mai 1683, Warmé, greffier de la compagnie, fut envoyé à Versailles afin d'obtenir du roi l'autorisation d'ouvrir un tir général à Montdidier ; cette demande fut accordée. Voici les lettres patentes de Louis XIV :

« De par le roy,

Aujourd'hui dix-septième du mois de may 1683. Le roy estant à Versailles. Les archers pistoliers du jeu de l'arc de sa ville de Montdidier ayant fait entendre à Sa Majesté qu'ils ont obtenu le bouquet aud. jeu de l'arc qui a esté tiré en la ville de Peronne au mois de juillet 1681 et se sont chargés de le rendre en celle de Montdidier en la présente année, ils auroient très-humblement fait suplier Sa Majesté leur vouloir permettre de s'assembler pour cet effet dans le mois de juin ou juillet prochain. En quoy Sad. Majesté voulant favorablement traiter lesd. archers pistoliers de Montdidier, elle leur a permis et accordé de convoquer et assembler dans lad. ville, les archers dud. jeu de l'arc des autres villes voisines pour y tirer au prix suivant la coutume des lieux, à la charge que chacun se contiendra dans son devoir, en sorte qu'il n'arrive aucun désordre. M'ayant Sad. Majesté pour témoignage de sa volonté commandé d'en expédier auxd. archers pistoliers de Montdidier le présent brevet qu'elle a voulu signer de sa main et fait contresigner par moy son conseiller secretaire d'Estat et de ses commandemens et finances.       Louis.

Phélypeaux. »

Le 4 juillet fut le jour fixé pour cette fête : de toutes les villes environnantes, un grand nombre d'archers se réunirent à Montdidier ; les habitants les reçurent avec empressement et ne négligèrent rien pour leur rendre le séjour de la ville le plus agréable possible. Les coches et les chevaux de louage avaient été mis en réquisition : le vin d'honneur offert par les tireurs de Montdidier à leurs confrères consistait en deux barriques de vin ordinaire et huit douzaines de bouteilles de vin fin. Le tir commença le dimanche 4 juillet, et continua jusqu'au dimanche suivant sans interruption ; le coup du roi fut tiré par le baron d'Orvillers, capitaine général, député de la cour ; toute la semaine il y eut de grandes réjouissances, ce ne furent que plaisirs et divertissements. Le corps de l'échevinage donna aux archers, dans l'hôtel de ville, une collation qui coûta plus de 80 livres. La richesse des prix surpassa ce que l'on avait vu jusqu'alors il y avait pour 1,000 liv. d'argenterie, et une épée de 6 louis, qui fut gagnée par un archer de Fère en Tardenois, ainsi qu'un bassin et deux aiguières d'argent.

Pendant toute la durée du tir, trois trompettes sonnaient constamment pour animer les archers : la compagnie les gratifia généreusement d'une somme de 200 livres. Les prix furent vivement disputés. On compta deux cent soixante tireurs luttant ensemble de force et de dextérité : tous avaient une tenue soignée, il y en eut même qui poussèrent la recherche jusqu'à paraître chaque jour avec un costume différent. Les plus adroits faisaient entre eux assaut de générosité ; mais les archers de Ham se distinguèrent au premier rang et remportèrent le bouquet. Ce devait être quelque chose de merveilleux et de digne à tous égards de la réputation de nos chevaliers, à en juger par les soins que les représentants de Ham prirent pour assurer sa conservation. Ils adressèrent une requête à leur échevinage pour lui exposer qu'il ne se trouvait, ni dans la maison de leur capitaine non plus que dans la maison de ville, de place pour déposer ce trophée, tant pour le peu de sûreté que pour l'humidité des lieux qui en pourraient ternir l'éclat et la valeur. Pour mettre un terme à leur embarras, le procureur de roi au bailliage, alors maire en charge, consentit à garder chez lui ce glorieux dépôt, promettant de le représenter aux officiers et aux chevaliers quand ils le requerraient pour être par eux offert à qui bon leur sembleroit.

Le jeu de l'arc était un passe-temps fort agréable : l'institution des prix généraux entretenait l'émulation parmi les tireurs. A certaines époques, annoncées à l'avance avec solennité, on se rendait dans la ville désignée, et chaque chevalier était toujours certain d'y trouver bonne mine et bon accueil ; Compiègne était une des villes qui faisaient le plus de frais pour ces réunions exceptionnelles.

Au prix général qui s'y rendit en 1718, la compagnie de l'Arc de Montdidier y fut représentée par dix-sept officiers et chevaliers. Le jour de son départ, la députation fit bénir un guidon donné par son capitaine, M. Martinot, chevalier de Saint-Lazare, conseiller en l'élection ; puis elle se mit en route, accompagnée de deux tambours et de deux hautbois ; un chariot chargé de bagages la suivait : tous les chevaliers étaient supérieurement montés, et avaient pour uniforme un habit de camelot de soie gris-clair doublé de bleu, la veste de taffetas bleu, le plumet, la cocarde et les bas blancs. Arrivés à Compiègne, ils furent reçus par les chevaliers de cette ville qui se portèrent à cheval à leur rencontre, et les conduisirent à l'hôtel des Trois-Barbeaux, préparé pour les recevoir. A la parade qui eut lieu avant le tir, on compta dix-neuf compagnies, avant toutes un uniforme différent ; le coup du roi fut tiré par le major de la place.

Les archers de Montdidier soutinrent glorieusement leur réputation ; ils remportèrent sept prix, dont deux premiers. Aussitôt que la nouvelle en parvint dans notre ville, les membres de la société de l'Arquebuse dépêchèrent à Compiègne deux d'entre eux, avec un tambour, pour féliciter leurs confrères de l'Arc d'un si beau succès. A leur départ de Compiègne, nos archers furent reconduits par ceux de cette ville bien au delà des portes, et ils furent rejoints en route par les chevaliers de Montdidier qui n'avaient pu se rendre au prix général.

La compagnie de l'Arquebuse, sous les ordres de son capitaine M. Fournier, receveur des tailles, seigneur de Courtemanche et du Forestel, alla au-devant des archers jusqu'à la ferme de Defoy ; elle était suivie d'un char triomphal, que conduisaient deux hommes de grande taille, vêtus tout de blanc ; sur le devant du char étaient assis deux enfants transformés en Cupidons, avec le carquois sur l'épaule, tenant des couronnes de laurier d'une main, et de l'autre un arc et des flèches ; les flancs du char recélaient une quantité de bouteilles de vin destinées à réparer les fatigues du voyage.

Lorsqu'on se fut abordé , après les compliments d'usage en pareille circonstance, on vida gaiement plus d'un flacon, on se mit en marche : les arquebusiers, au nombre de trente-cinq, en uniforme rouge, boutonnières et boutons d'argent, plumets blancs, tous à cheval et dans la plus belle tenue, tenaient la tête du cortége ; ils étaient précédés de deux trompettes. Derrière les arquebusiers venait un groupe de chevaliers dont la victoire avait couronné l'adresse ; puis paraissait le char de triomphe, sur lequel, radieux et objets des acclamations universelles, étaient placés MM. Wuarmé et le Clercq de Ricamel, qui avaient obtenu les deux premiers prix ; la compagnie de l'Arc, avec ses hautbois et ses tambours, suivait le char. Toute la ville était sur pied pour voir cette entrée. Quand on fut arrivé sur la Place, l'échevinage présenta les vins d'honneur aux archers, et le maire harangua le capitaine ; le cortége se rendit ensuite au jardin de l'Arc pour y déposer les deux pantons et la marmotte, insignes de la victoire. Devant le presbytère de Saint-Pierre, le curé, M. de Bailly, adressa aux vainqueurs un compliment en vers, dont l'à-propos faisait le principal mérite.

Par les soins de la compagnie de l'Arquebuse, une table de soixante et dix couverts était préparée dans la Salle du Roi ; elle était garnie de mets exquis, une brillante illumination relevait la richesse du service ; aux quatre angles de la salle, des violons, des hautbois, des tambours et des trompettes provoquaient, par leur bruit éclatant, l'allégresse et la joie ; un bal magnifique compléta dignement la brillante et fraternelle réception que la compagnie de l'Arquebuse fit à celle de l'Arc.

Heureux temps que celui où la politique n'avait pas assombri les idées et étendu une épaisse couche d'ennui sur les esprits ! Tous nos graves conseillers du roi au bailliage et en l'élection se délectaient au jardin de l'Arc ; Cujas et le Guidon des finances ne valaient pas un panton ; les visages les plus rembrunis se déridaient dans le repas qui terminait le tir. De nos jours, un magistrat, sorti victorieux de plus d'une joute, a monté les cordes de sa lyre, et célébré avec esprit les doubles fonctions de concierge du jeu de l'Arc et de suisse de la paroisse Saint-Pierre : nous avons cru être agréable à nos lecteurs en insérant cette pièce de vers à la fin du volume ; l'auteur, M. Hanquez, voudra bien nous pardonner de lever le voile de l'anonyme, et de faire jouir ses compatriotes de ce gracieux badinage. (Pièce just. 90.)

Dans le siècle dernier, le prix du geai consistait en une pièce d'argenterie d'une valeur de 50 à 80 liv. ; celui qui abattait l'oiseau emportait ce prix à son domicile, et le gardait jusqu'au tir de l'année suivante ; on se faisait honneur de cet innocent trophée, on l'exposait avec complaisance dans un endroit apparent, aux regards des visiteurs ; celui qui l'avait abattu trois fois rendait un prix d'Empereur.

Le 8 septembre 1781, il y eut à Montdidier un prix provincial auquel la Bande Noire participa. Les compagnies, au nombre de quatorze, furent, à leur arrivée, conduites au jardin où se firent les saluts d'usage. Vers les onze heures, elles se rendirent, rangées sur deux lignes parallèles, chez le capitaine de la compagnie, chez le maire et à l'église du Sépulcre ; puis, accompagnées du clergé de la paroisse, elles traversèrent processionnellement la rue des Écoliers, celle des Juifs, et, rentrées à l'église, elles entendirent une messe suivie de l'Exaudiat. La clôture du tir se fit le dimanche 23 septembre, par un Te Deum chanté après le salut. La compagnie de Warsy remporta le premier prix ; celle de Guerbigny, le second. M. de Saint-Fussien de Vignereul, maire de Montdidier, avait donné un prix consistant en deux gobelets d'argent à pied.

La compagnie de l'Arc subsista jusqu'à la Révolution. Les confrères de Mgr saint Sébastien, les chevaliers du noble jeu de l'arc, devaient disparaître à une époque où, pour le plus parfait amour de la fraternité, on détruisait tout ce qui pouvait en entretenir l'esprit parmi les hommes. Le 12 juin 1790, l'Assemblée nationale prononça la dissolution des corps particuliers de milice bourgeoise, d'arquebusiers ou autres, sous quelque dénomination que ce fût, et incorpora leurs membres dans les rangs de la garde nationale ; ce décret fut promulgué le 18 juin. Le 14 juillet, les compagnies de l'Arc, de l'Arquebuse, de l'Arbalète et de la Bande Noire, convoquées par les officiers municipaux, assistèrent en corps, sur la Place, à la messe de la Fédération, et prêtèrent le serment civique ; de là elles allèrent déposer leurs drapeaux à Saint-Pierre, en exécution de l'article 4 du décret précité, qui se terminait par cette phrase : Les drapeaux des anciens corps et compagnies seront déposés à la voûte de l'église principale, pour y demeurer consacrés à l'union, à la concorde et à la paix.

Après un discours dans lequel le maire, M. de Saint-Fussien de Vignereul, fit un grand éloge du zèle, du patriotisme et de l'obéissance des compagnies qui venaient déposer ce qu'elles avaient de plus précieux, ces drapeaux pour elles signes d'union et de ralliement, chaque officier en fit la remise entre les mains du curé, M. Turbert, lui recommandant la garde de ce dépôt, dont rien n'avait pu les séparer jusqu'alors, mais que des Français devenus libres sacrifiaient volontiers à la paix et au repos du royaume. Cette cérémonie accomplie, le curé entonna le Te Deum : pendant le chant de l'hymne, les drapeaux et guidons des compagnies furent placés dans l'ordre et suivant le rang qui s'observaient entre elles : les drapeau et guidon de la première compagnie de l'Arc au pilier à droite de la grille du chœur ; les drapeau et guidon de la compagnie de l'Arquebuse, au pilier à gauche de la même grille ; le drapeau de la compagnie de l'Arbalète, au pilier au-dessus de l'œuvre, et celui de la seconde compagnie de l'Arc, dite la Bande Noire, au pilier de la chaire.

Ce fut le dernier jour de l'existence ancienne et traditionnelle de la compagnie de l'Arc ; elle se soutint quelque temps encore, en changeant ses statuts et sous la dénomination plus modeste de Société des amis de l'Arc. Aux titres de capitaine, lieutenant, enseigne et prévôt on substitua, en 1791, ceux de président, vice-président et secrétaire ; on évita soigneusement ce qui pouvait blesser la fibre égalitaire ; saint Sébastien fut maintenu dans son droit de patron, mais on restreignit ses honneurs à une basse messe : le lendemain de sa fête, on en célébrait une autre pour les sociétaires décédés. La misère trouvait toujours de la sympathie dans ces réunions : pour que les pauvres ne soient jamais oubliés, porte le règlement, on fera à la seconde messe une quête en leur faveur, dont le montant sera aussitôt versé entre les mains du trésorier de la charité.

L'assemblée générale fut fixée au jour de Saint-Sébastien. Il y avait un dîner à la salle du jardin, et le lendemain chaque membre, à tour de rôle et suivant l'ordre de sa réception, recevait un pâté qui lui était envoyé par la compagnie ; il devait, en échange, offrir à ses collègues un repas où tous avaient droit de se trouver. La compagnie s'efforçait ainsi de perpétuer une institution qui depuis longues années servait de délassement à une partie des habitants ; elle établissait des relations d'amitié entre les sociétaires, et fortifiait en eux les idées d'honneur et de politesse ; les cercles où l'on ne fait que parler politique et jouer gros jeu sont loin d'avoir le charme de ces réunions : l'exercice, la table, la conversation, la promenade, le grand air, tout contribuait à y répandre la gaieté : ne ferions-nous pas bien de garder du régime d'autrefois ce qu'il avait de bon, d'avoir moins la manie de nous croire des hommes profonds, et d'apprendre à passer le temps plus agréablement que nous ne le faisons ?

La société de l'Arc, malgré son titre peu aristocratique, ne put échapper à la tourmente révolutionnaire ; le jardin fut confisqué et déclaré propriété nationale, en vertu de la loi du 24 avril 1793. Pendant plusieurs années, les archers cessèrent de s'assembler. Le 16 juillet 1800, quelques-uns d'entre eux se trouvant réunis dans un dîner chez M. Cocquerel, à l'occasion de son installation comme maire, la conversation à la fin du repas devint plus enjouée, les soupers de la compagnie de l'Arc revinrent à la pensée des convives, on manifesta le désir devoir reconstituer une association qui avait été pour ses membres une source féconde de distractions ; les esprits s'échauffèrent, et il fut décidé sur le champ, le verre en main, qu'un des convives, ancien chevalier, serait chargé de faire toutes les diligences possibles afin de rentrer en jouissance du jardin qui n'avait pas été vendu. Cette ardeur impétueuse, digne des beaux jours de l'Arc, fut couronnée de succès ; on obtint que le jardin serait affermé, et, au mois d'août 1800, la compagnie reprit le cours de ses exercices.

Les anciens règlements furent en partie conservés : l'ouverture du jardin se faisait le premier dimanche de mai, et la clôture le dernier dimanche d'octobre ; ces deux jours il y avait un dîner, ainsi qu'à la fête de Saint-Sébastien tous les dimanches on tirait un prix de consignation, après lequel venait une collation composée de fruits, de pâtisseries, de huit bouteilles de vin et de huit bouteilles de bière : une cotisation servait à aire les frais du prix du geai. Le prix de Ville fut supprimé, mais les chevaliers le remplacèrent par un autre qu'ils fournissaient, et qu'on tirait après le dîner offert à celui d'entre eux qui avait abattu l'oiseau. Les trois prix d'officiers furent maintenus : celui du président fut fixé à 12 francs ; ceux de roi et de prévôt-trésorier, à 10 francs.

Au mois de mai 1807, M. Bosquillon de Bouchoir, malgré ses soixante-huit ans, abattit du premier coup l'oiseau pour la cinquième fois : ses hauts faits ranimèrent la vigueur de M. Lendormy, notre sous-préfet, et en 1809 il décrocha l'oiseau pour la sixième fois, ce qui ne s'était jamais vu. M. Lendormy avait remporté sa première victoire en 1771, l'année même de son admission dans la compagnie. Aussi bon convive qu'habile tireur, ses exploits gastronomiques surpassaient tous ceux de ses collègues ; c'était un archer digne des temps antiques, et jusque dans un âge avancé il conserva l'ardeur de la jeunesse. Ses succès passés ne suffisaient pas à son ambition : frappé d'une attaque qui devait terminer ses jours, il voulait encore prendre part aux récréations de ses confrères, et d'une main défaillante lancer une flèche mal assurée. M. Lendormy mourut en 84, âgé de 75 ans ; il avait été successivement avocat au bailliage, officier municipal, juge de paix, directeur de la poste aux lettres, sous-préfet, maire de Montdidier : de tous ces titres, il n'emporta dans la tombe que celui de capitaine de l'Arc ; c'était le plus modeste, et assurément celui qui lui avait procuré les plus douces jouissances.

En 1815, à cause des circonstances politiques, on tira le geai au Forestel, sur un gros orme placé derrière la ferme, du côté de la vallée. La compagnie subsista jusqu'en 1837 : elle s'éteignit insensiblement, de nouveaux chevaliers ne venaient point remplir les vides causés par la retraite des anciens. Les jeunes gens quittent les petites villes pour s'établir ailleurs : le laisser-aller, l'abandon, qui faisaient le plus grand charme des réunions de l'Arc, sont devenus impossibles avec les préoccupations de toute nature qui absorbent les esprits. M. Le Boucher fut le dernier capitaine de l'Arc. Si l'affabilité, l'enjouement, une politesse exquise, une bienveillance parfaite, avaient pu sauver la compagnie de sa ruine, elle l'eût été grâce à lui ; mais les événements et le temps sont plus forts que nous, et il est douteux que la noble confrérie de Saint-Sébastien puisse jamais se relever : c'est encore une vieille institution, un agréable divertissement tombés et perdus.

On s'empara du jardin de l'Arc en 1839, pour construire la prison ; les plaintes des malheureux retentissent là où l'on n'entendait autrefois que les accents du plaisir. Le jardin avait dix-huit ares d'étendue ; l'entrée principale était à quelques mètres de la voûte du Palais de justice, il fallait descendre plusieurs marches ; cet enfoncement garantissait les archers du vent, et était favorable à leurs jeux ; une porte de sortie donnait du côté de la route d'Amiens. Dans le jardin, il y avait deux belles allées plantées de tilleuls ; à droite était le tir des arquebusiers, à gauche celui des archers : on voyait, à main gauche en entrant, un grand pavillon servant de logement au concierge et de lieu de réunion aux tireurs. La grande salle du haut, où les dîners avaient lieu, était décorée des pancartes gagnées dans les prix généraux ; on y remarquait aussi le tableau de Saint-Sébastien que nous avons fait dessiner. Du jardin de l'Arc, si gai, si animé, il ne reste que le souvenir, et de tristes cellules ont remplacé ce pavillon, témoin de tant de joyeux festins et de charmants exploits.

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