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Histoire de Montdidier
Livre II - Pièce justificative 80

par Victor de Beauvillé

Pièce justificative 80

Renseignements concernant Babeuf

Babeuf, comme tous les ambitieux, cherchait à se faire des partisans dans le peuple en flattant ses passions ; il attaquait les impôts et prêchait la révolte contre les droits établis sur les boissons, vieux moyen qui sert constamment de levier aux révolutionnaires : « Il a paru depuis peu, » écrivait, le 20 mai 4790, M. Lendormy, avocat au bailliage, à M. Liénart, député à l'Assemblée nationale, « un ancien feudiste, demeurant à Roye, nommé Babeuf ; cet homme est, dit-on, l'ennemi le plus acharné des commis. Il est l'auteur de plusieurs Mémoires des cabaretiers et brasseurs de Péronne ; il a sans doute le projet d'une association générale de tous les vendans boisson du royaume pour faire une guerre ouverte à la régie générale. Nos cabaretiers et autres qui ne payent pas de droits depuis le décret qui a ordonné l'acquittement de l'arriéré mois par mois se sont unis, et le Babeuf est parti avec leurs signatures et, je crois, leur argent ; mais, comme nos cabaretiers en ne payant pas les droits ne diminuaient pas leur vin, qu'on leur faisait le reproche de profiter seuls de ces droits, ils ont annoncé, à compter de mardi dernier, une diminution de 2 s. par lot. »

C'est à Babeuf, je pense, qu'il faut attribuer une brochure intitulée : Pétition sur les impôts, adressee par les habitants de en à l'Assemblée nationale, dans laquelle il est démontré que les aides, la gabelle, les droits d'entrée aux villes, etc., ne doivent et ne peuvent plus subsister, même provisoirement, chez les Français devenus libres. 1790. In-8°, 38 pages. S. l. n. d'imp. Il est probable que l'auteur était à Montdidier lorsqu'il rédigea cette pétition , car, en parlant de Roye il s'exprime ainsi : Nous savons, Messieurs, que les patentés de la ville de Roye, nos voisins, vous ont manifesté, etc. Il parle aussi de Péronne, mais jamais de Montdidier.

Arrivé aux affaires, Babeuf attaqua ce qu'il avait encensé : de feudiste qu'il était et partisan par état des droits féodaux, il en devint l'adversaire déclaré ; la noblesse n'eut pas d'ennemi plus acharné. La lettre suivante, qu'il adressait au conseil de la commune, en est la preuve :

« Citoyens,

Nous vous adressons copie de l'arrêté que nous avons rendu dans notre séance d'hier, pour l'anéantissement de tout ce qui nous restoit encore de signes propres à perpétuer parmi nous le souvenir de notre ancienne servitude. Vous recevrez aujourd'hui ou demain de ces vestiges honteux les parties qui, par leur nature combustibles, peuvent être réduites à rien par les flammes. Nous avons cru devoir vous prier de vouloir bien vous charger de l'exécution de ce sacrifice expiatoire. Sans doute que ce sera au pied de l'arbre de la Liberté, que par un auto-da-fé civique vous voudrez que les images des tyrans et leurs vains attributs soient changés en cendres. Vous jugerez s'il est convenable de donner quelque solennité à cette exécution, comme de l'annoncer au peuple et de lui en indiquer le jour, en affichant à la porte de la maison commune notre arrêté, qui peut-être ne pourroit que donner de la confiance dans notre civisme, surtout à la vue de la disposition en faveur des pauvres, de l'objet dont on peut tirer pour eux un parti d'un certain avantage.

C. Babeuf.
Cochepin           Jaudhuin.

Les administrateurs du directoire du district de Mondidier,

Aux citoyens officiers mx de la commune de Mondidier. »

Babeuf fut obligé de quitter Montdidier à la suite d'un faux commis dans les circonstances suivantes. Le 30 décembre 1792, la ferme de Fontaine, appartenant à l'ordre de Malte, fut vendue comme bien national. M. Levavasseur, qui désirait l'acheter, était présent à la vente. Ayant la vue basse et ne pouvant suivre l'extinction des feux, il pria Villas, ancien curé d'Ételfay, membre du directoire du district, d'enchérir pour lui, ce qu'il fit. L'adjudication terminée, Villas déclara, séance tenante, que son command était M. Levavasseur, et ce dernier signa la déclaration : la vente avait été faite moyennant 76,200livre (monnaie de convention). La ferme rapportait I,500livre de revenu.

Un mois après, M. Levavasseur, se présentant pour payer le douzième voulu par la loi, apprit, à son grand étonnement, que, la veille, les fonds avaient été versés par un nommé Debrainne, fermier de Fontaine, au profit duquel avait été passée une déclaration de command. Ce Debrainne voulait acheter la ferme de Fontaine, qu'il exploitait à un prix très-modique ; mais, M. Levavasseur lui ayant promis un long bail aux conditions existantes, il s'était abstenu de mettre des enchères ; devenu propriétaire, M. Levavasseur oublia sa promesse ; alors Debrainne chercha à se venger de ce manque de parole. Il alla trouver Villas et Jaudhuin, membres du directoire, ainsi qu'un nommé Leclerc, juge au tribunal du district, qui spéculait. sur les biens nationaux, et les mit tous trois dans ses intérêts. Ceux ci s'entendirent avec Babeuf, et, à la suite d'un dîner dans une auberge, ils se rendirent au district qui siégeait au Prieuré. Là, Babeuf se fit apporter le procès-verbal d'adjudication de la ferme de Fontaine ; Villas assura que Debrainne était son command : Babeuf raya le nom de M. Levavasseur, et y substitua celui de Debrainne.

M. Levavasseur dénonça le fait aux administrateurs du district, qui l'apprécièrent comme il devait l'être. Le 7 février 1793, l'administration : « Considérant que le citoyen Babeuf a été l'instrument des variations que l'on a fait subir audit acte, que des présomptions puissantes portent à croire qu'il en a même été le machinateur, et qu'aucun motif plausible ne peut justifier l'abus qu'il a fait à cet égard du ministère auquel il a été appelé par les suffrages du peuple, etc. ; le renvoie devant le procureur général syndic du département. »

Babeuf fut, à raison de ce fait, cité pour faux devant la cour d'assises de la Somme, le 23 août 1793, et condamné par contumace à vingt ans de fer.

Peu de nos compatriotes se rappellent ce fameux personnage : il demeurait au district, aujourd'hui le collége ; ses cheveux lui tombaient en mouillettes de chaque côté de la figure ; quand il sortait, il portait sous le bras un grand sabre droit, dont le fourreau en cuir était garni de laiton. Apprenant la mort de Louis XVI, alors que toute la ville était consternée, il se frotta les mains en disant : « C'est bien fait. » Huit jours après il était poursuivi comme faussaire.

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