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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre I - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Origine du prieuré

Établissement des Bénédictins

Droits et priviléges de la communauté

Ses revenus

Prérogatives du prieur

 

Le prieuré de Notre-Dame doit naturellement occuper le premier rang lorsqu'il s'agit des établissements qui existaient autrefois à Montdidier. Son origine se confond avec celle de la ville. Dans le principe, ce n'était qu'une simple chapelle érigée dans le château et dédiée à la Vierge ; grâce à la générosité de nos comtes, elle ne tarda pas à s'accroître : un chapitre composé de treize chanoines de l'ordre de Saint-Augustin vint rehausser son importance, et des prébendes bien rétribuées furent affectées à son entretien. Mais l'oisiveté, et la trop grande liberté laissée à ces chanoines, ne tardèrent pas à leur être funestes : le relâchement s'introduisit parmi eux, et le service divin cessa de se faire avec régularité ; il fallut procéder à une réforme, et remédier au scandale que causait l'abandon des devoirs religieux.

Les Bénédictins de Cluny jouissaient alors d'une grande réputation ; plusieurs communautés avaient adopté leur règle et s'étaient mises sous leur dépendance : ce fut à cet ordre célèbre que l'on résolut de réunir le chapitre de Notre-Dame. Ce projet, tenté une première fois en 1080, avait échoué ; repris de nouveau quelques années après, il n'eut pas un meilleur sort. Dans une charte de Louis le Gros de l'an 1119, imprimée dans l'Histoire de Li-Huns en Sang-ters de Sébastien Roulliard, et contenant l'indication de différents prieurés dont la possession est confirmée à l'abbaye de Cluny, on voit figurer au second rang le nom du prieuré de Montdidier. On pourrait conclure de là que, dès cette époque, le chapitre n'existait plus et qu'il avait été annexé à cette abbaye : il n'en était rien cependant ; Louis le Gros avait devancé dans sa charte l'époque de cette réunion, il en était fortement question, mais elle n'était pas encore opérée ; les deux négociateurs chargés par le pape de la direction de cette grave affaire étaient Garin, évêque d'Amiens, et Simon, évêque de Noyon.

Des difficultés s'étant élevées entre les Bénédictins et les chanoines relativement à leurs prébendes, ce ne fut qu'après le règlement de ces contestations que les Bénédictins s'établirent à Montdidier, en 1130 environ ; de cette année seulement date l'établissement du prieuré de Notre-Dame. La réunion du chapitre à l'ordre de Cluny ne pouvait avoir lieu qu'avec l'assentiment du comte de Montdidier, dont la famille avait fondé le chapitre dans la chapelle du château : Raoul de Vermandois donna son consentement, et par reconnaissance les Bénédictins le regardaient comme leur fondateur.

Les soins du temporel occupaient les chanoines au moins autant que ceux du spirituel. Dans l'accord passé en 1130 avec les Bénédictins, ils se réservent la jouissance de leurs prébendes leur vie durant, ce qui pour eux était l'essentiel ; aussi ils insistent à deux reprises sur cet article, en même temps qu'ils apportent la plus grande attention à régler le casuel d'une manière nette et précise. Au moyen âge, lorsqu'on sentait sa fin prochaine, on se faisait revêtir d'habits religieux, et l'on terminait ses jours en embrassant en quelque sorte pendant ses derniers instants la vie monastique ; on croyait par ce moyen effacer ses péchés et gagner plus sûrement le ciel. Le clergé était intéressé à favoriser cette croyance, d'où résultait pour lui une source abondante de revenus. Le traité d'union de 1130 statue sur ce point délicat, et décide que si quelqu'un, à l'article de la mort, désire se faire moine et laisse une partie de ses meubles aux Bénédictins, ceux-ci en hériteront, mais qu'ils seront tenus, avant l'enlèvement du corps, de donner 10 sols aux chanoines si le décédé avait de la fortune, et, quand le défunt ne laissera que 10 sols ou moins encore, les Bénédictins et les chanoines devront partager par moitié. Le traité prévoit encore différents cas qui pouvaient se présenter dans les successions. Si un paroissien en bonne santé, ou touché par la crainte de la mort, laisse quelque chose à l'église sans en faire le partage entre les moines et les chanoines, le montant de la donation sera partagé entre les possesseurs de prébendes. Un malade qui n'aura pas voulu se faire moine dispose-t-il en faveur des Bénédictins spécialement, ceux-ci n'ont droit qu'à la moitié du legs, l'autre appartient aux chanoines : si celui qui prenait l'habit religieux à la fin de ses jours était noble, les chanoines n'avaient pas le droit de prélever les 10 sols dont il vient d'être question. Les prières, publiques ou particulières, dont on chargeait un moine ou un chanoine, devaient être dites indistinctement et également par les prébendiers seuls. Les chanoines se réservent expressément le chœur et le droit d'y officier, ainsi que les ornements de l'église, tant que les Bénédictins ne seront pas en possession de six prébendes : ce nombre atteint, les Bénédictins pouvaient célébrer l'office dans le chœur ; jusque-là ils devaient se contenter de la partie de l'église qui leur était affectée. Les moines n'étaient pas obligés de suivre l'office canonial, mais seulement d'assister aux messes et aux processions. (Pièce just. 91.)

Le chapitre de Notre-Dame, sur lequel il ne reste guère d'autres renseignements que ceux qu'on trouve énoncés dans la transaction de 1130, était un des plus considérés du pays, à en juger par la qualité des personnes qui participèrent à cet acte. Simon, le premier nommé parmi les chanoines, était évêque de Noyon, prince du sang, petit-fils de Henri Ier roi de France, et frère de Raoul de Vermandois, comte de Montdidier. Le nom de Simon suffirait seul pour justifier le haut rang que tenait le chapitre dans l'opinion publique ; sa médiation dut exercer une grande influence sur l'esprit de ses confrères, et contribuer puissamment à opérer la réunion que l'on désirait.

Le traité intervenu entre les chanoines et les Bénédictins n'est pas daté ; il ne saurait toutefois être antérieur à 1130, puisque c'est cette année seulement qu'Innocent II, dont le nom figure dans l'acte, monta sur le trône pontifical. Le père Daire fixe la réunion du chapitre de Notre-Dame à l'abbaye de Cluny à l'année 1134, mais il ne fournit aucune preuve à l'appui de son assertion. Toujours est-il que cette mesure importante fut sanctionnée par une bulle d'Innocent II du 13 mars 1136, adressée à Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Dans cette bulle, qui est imprimée dans le Bibliotheca Cluniacensis, p. 49, Raoul, comte de Vermandois, est désigné sous le nom de Raoul de Péronne. Le pape Luce II confirma de nouveau cette réunion le 22 mai 1144.

Les droits et priviléges du prieuré de Notre-Dame sont énoncés pour la première fois dans une charte de 1146 de Thierri, évêque d'Amiens, insérée dans le Gallia Christiana, t. X, inst. p. 309. Les religieux sont maintenus dans la possession des treize prébendes dont jouissaient les chanoines ; ils conservent l'administration des écoles de Montdidier, et le droit d'administrer l'extrême-onction aux malades dans toute la ville et ses dépendances, à Saint-Médard et à Saint-Martin, que la charte désigne sous les noms de villa et furcellicurte. Ils nomment aux cures de Saint-Pierre, du Saint-Sépulcre, de Saint-Martin, de Saint-Médard et à la chapelle du Mesnil son annexe, à celles de la Neuville, d'Ételfay, de Caix, de Contoire, de Braches, de Sauvillers et à la chapelle d'Aubvillers, qui en relevait, aux cures de Courtemanche, de Fignières et d'Andechy ; les Bénédictins prélevaient tout ou partie de la dîme de ces paroisses. Nous avons indiqué, dans les chapitres consacrés à la description de Saint-Pierre et du Saint-Sépulcre, la nature des prérogatives attribuées aux religieux dans ces deux églises.

Les Bénédictins étaient propriétaires à Montdidier du moulin du Pont (le moulin la Planche) ; chaque semaine ils prélevaient 3 deniers, monnaie de Vermandois, sur le tonnelieu du pain ; la moitié du moulin du Pré, sis à Contoire, leur appartenait ; ils possédaient à Fourquivillers la portion de bois et de terre que tenait Élisabeth la Rage, et au Plessier Raoul-le-Vieux, les trois parties du champart de Goy. Le Plessier Raoul-le-Vieux, aujourd'hui le Plessier-sous-Grivesne, s'appela, par corruption, dans le dernier siècle, d'abord le Plessier-Raulevé (Radulfi vetuli), puis le Plessier-Raulet. Fourquivillers, dans la charte Forsenviller, était une annexe de Coullemelle, confondue aujourd'hui avec cette commune ; c'est la partie du village qui se trouve du côté de Quiry et du Mesnil-Saint-Firmin. Ces diverses possessions, énumérées à la fin de la charte de Thierri, étaient vraisemblablement depuis peu entre les mains des religieux, car il n'en est nullement fait mention dans l'acte d'union de 1130 ; on n'y parle que des prébendes des chanoines, estimées 30 sols, monnaie de Provins. En 1165 environ, le couvent de Notre-Dame acquit, par suite de transaction avec l'abbaye de Corbie, ce que cette dernière possédait à Contoire et au Quesnel, à la charge d'une redevance annuelle de trois muids de blé livrables à Corbie. Les témoins sont nombreux et divisés en plusieurs catégories ; on voit figurer d'abord ceux du chapitre de Corbie, puis ceux du chapitre de Montdidier, ensuite les chanoines de Montdidier, réduits à trois, enfin viennent les témoins laïques communs aux deux chapitres. (Pièce just. 92). Cette transaction donna lieu dans la suite à des difficultés qui nécessitèrent, en 1301, un accord entre Guy, prieur de Montdidier, et les moines de Corbie.

Les Bénédictins ne tardèrent pas à accroître leurs prérogatives et à augmenter leurs domaines ; ils obtinrent d'Alexandre III une bulle qui interdisait de bâtir aucune église ou chapelle, et de percevoir des dîmes dans l'étendue des paroisses placées sous leur juridiction, sans leur permission expresse. (Pièce just. 93.) Le souverain pontife confirma, en 1173, les droits énoncés dans la charte de Thierri, et y ajouta de nouvelles faveurs ; on peut juger, par la lecture de ces deux pièces, combien en vingt-sept années les Bénédictins avaient fait de progrès. Aux paroisses dont ils étaient déjà décimateurs, Alexandre III ajoute celles du Frétoy, de Domélien, de Dompierre et de Courcelles ; il leur assure la propriété des dîmes d'Espayelles (village réuni aujourd'hui à Courcelles), que leur avait donnée Eudes, évêque de Beauvais, sur la demande de Raoul, comte de Vermandois, et d'Yves, comte de Soissons ; la grosse dîme de Septoutre, le champart de Plainville, cinq muids de froment à prendre sur le moulin Neuf, les revenus de la moisson de Corobria, la moitié du moulin d'en haut à Contoire, et à Montdidier la moitié du moulin Enguerrand. Le pape accorde aux moines la permission de donner la sépulture dans l'intérieur du couvent à quelque personne que ce soit, excepté aux excommuniés et aux interdits, sans toutefois porter atteinte à la juridiction des églises d'où le corps des défunts est enlevé ; il les autorise, quand même toute la terre serait en interdit, à célébrer l'office divin, mais à voix basse, portes fermées, sans sonner les cloches, et hors de la présence des excommuniés et des interdits ; il exempte de toutes dîmes les terres défrichées que les religieux cultiveront eux-mêmes ou qu'ils feront cultiver à leurs frais. La bulle d'Alexandre III a été imprimée dans le Bibliotheca Cluniacensis, p. 73.

Les priviléges conférés aux Bénédictins étaient trop importants pour qu'ils ne cherchassent point à s'en assurer la conservation ; aussi, douze ans après, et dans ce dessein, s'adressèrent-ils à Urbain III, qui, le 16 décembre 1185, sanctionna et augmenta les droits et biens du prieuré. Après avoir rappelé tous ceux qui sont relatés dans la charte de Thierri et dans la bulle d'Alexandre III, Urbain III y ajoute la propriété de la forêt de la Hérelle, fonds et dîmes réunis ; il permet aux moines de recevoir dans leur couvent, pour les convertir, tout clerc ou laïque qui veut fuir le monde, et de le garder malgré les réclamations qu'on pourrait élever ; il leur concède la faculté de nommer aux cures des paroisses qu'ils possèdent, l'évêque d'Amiens maintenu dans le droit de délivrer les provisions sur la présentation des religieux ; l'évêque demeure responsable du spirituel ; les religieux, du temporel. Les moines devaient recevoir les ordres sacrés des mains de l'ordinaire, mais gratuitement ; le chrême, la bénédiction des saintes huiles, la consécration des autels et des églises étaient aussi réservés au diocésain. Le pape prononce l'anathème contre ceux qui s'empareraient des dîmes du prieuré ; il défend toute espèce de violence, rapine, vol, incendie, arrestation et meurtre dans l'étendue du monastère, lequel, avec ses dépendances, devait être soumis à perpétuité à l'abbaye de Cluny. Le père Daire a donné dans l'Histoire de Mondidier la bulle d'Urbain III ; mais il y a plusieurs inexactitudes dans son texte : elle est rapportée d'une manière plus correcte dans le Bibliotheca Cluniacensis. Cette bulle est la plus complète de toutes celles qui concernent le prieuré de Notre-Dame.

Une charte de Thibaut, évêque d'Amiens (1198), mentionne plusieurs biens qui ne sont pas énoncés dans le titre analysé ci-dessus. Ces biens appartenaient depuis peu aux moines. On voit, par exemple, que, grâce à la libéralité du roi, ils étaient propriétaires de l'étang attenant au moulin Neuf (le moulin de la porte de Paris) : Philippe-Auguste étant entré en possession définitive de Montdidier en 1191 seulement, il y avait donc sept ans au plus que les moines jouissaient de cet étang. Afin d'éviter toute difficulté, les Bénédictins avaient soin de faire reconnaître par l'évêque les donations nouvelles dont ils étaient l'objet. Ainsi la charte constate que les religieux avaient obtenu du prévôt Raoul un muid de blé, à prendre sur la grange du Forestel, pour le repos de l'âme d'Adèle, son épouse, indépendamment d'une certaine quantité de terre labourable à la Folie-Guérard, que le même Raoul leur avait donnée pour le salut de son âme, et ce, du consentement d'Arnoul de Longe-Peresaines, qui en était seigneur. L'évêque d'Amiens cite ensuite différents revenus que les Bénédictins touchaient à Esclainvillers, à Grivesnes et à Hailles, ainsi que diverses donations qui leur avaient été octroyées par plusieurs individus. (Pièce just. 83.)

L'origine des douze muids de blé que le prieuré percevait sur le moulin Neuf est rapportée en détail dans un acte de donation de 1178, passé par Pierre de la Tournelle, Havois, son épouse, et Roger leur fils, en faveur des religieux. L'investiture des douze muids de blé est faite à leur profit par l'offrande d'un livre déposé sur l'autel de la Vierge ; l'acte de donation contient des indications généalogiques très-précises sur la famille de la Tournelle : au nombre des témoins figurent les personnes les plus honorables du pays, viri probatissimi. (Pièce just. 94.)

En 1194, Bérenger, prieur de Montdidier, céda à Alvrède, abbé de Breteuil, ce qu'il avait à Aubvillers moyennant un cens annuel de 12 sols parisis ; l'original existe aux archives du département de l'Oise. (Pièce just. 95.) Trois ans après, le même prieur et les moines abandonnèrent aux Templiers de Fontaine, que l'acte désigne sous le nom de Berlincort, du nom d'une de leurs fermes située près de Cuvilly, appelée aujourd'hui Bellicourt, cinq setiers de terre, quinze setiers de bois et deux jardins contigus que les Bénédictins possédaient près de la ferme de Berlincort, moyennant une rente annuelle de deux muids de blé ; le titre original de cette cession, daté de 1197, est conservé aux archives du département de la Somme. Les religieux témoins à l'acte sont au nombre de quatre, et les Templiers en nombre égal : ce sont, pour ces derniers, Poncius, natif de Rigaut, tunc temporis magister Francie, Nevelon de la Tournelle, Renaud de Gournay et Aloïs de Fontaine. (Pièce just. 96.)

En 1201, il intervint une transaction entre les religieux de Montdidier et Raoul d'Alphin ou Daufin, au sujet d'une contestation qui s'était élevée entre eux relativement à la terre d'Agumont, sise entre Pierrepont et Boussicourt, et dont Raoul Daufin était seigneur. Aux termes de cet accommodement, ce dernier s'oblige à payer annuellement à la Saint-Remy, à l'église de Montdidier, 5 sols de cens pour la terre et le marais d'Agumont, et à fournir trois muids de froment, mesure de Montdidier, pour le moulin, la nasse et la chaussée. Le jour de l'échéance, personne ne pouvait recevoir de blé au moulin avant la livraison des trois muids de froment ; à défaut de pavement au moulin de Contoire, les trois muids devaient se prendre au moulin de Pierrepont les religieux se réservent le droit de pêcher dans l'étang du moulin d'Agumont avec un pêcheur en barque, une fois par an, la veille de la fête de la Vierge, de mettre l'étang à sec, et d'y couper chaque année mille roseaux. Raoul Daufin s'engage à réunir dans l'église de Contoire tous les meuniers, et à leur faire jurer sur les choses sacrées de ne point retenir les eaux de la rivière et de ne pas les laisser couler de manière à causer du dommage aux moines. (Pièce just. 97.) Cette transaction, passée en présence de Thibaut, évêque d'Amiens, reçut l'approbation de nombreux témoins dont les noms figurent au bas de l'acte, savoir : Henri, sacristain ; Enguerrand, aumônier ; André, doyen ; Robert de la Tournelle ; Gilles de Courtemant (vraisemblablement Courtemanche), Pierre de Regibat (Regibay) ; Eustache de Hangest, Pierre, maire de Contoire, et beaucoup d'autres.

Par suite d'un arrangement conclu avec l'abbaye de Saint-Martin-au-Bois (1224), les Bénédictins lui abandonnèrent les grosses dîmes et le champart de Tricot, et en échange les moines de Saint-Martin cédèrent au prieuré ce qu'ils avaient à Contoire, contractant en outre l'engagement d'apporter tous les ans, à la Saint-André, dans la grange des Bénédictins, sept muids et deux mines de froment à crole, plus trois muids d'avoine, mesure de Montdidier. En 1283, le maire, les jurés et les échevins de Montdidier prirent à bail perpétuel des religieux, moyennant une rente annuelle de 14 liv. parisis, payable dans l'octave de la Purification, l'étang du moulin Neuf avec les marais et dépendances compris entre ce moulin et celui de Houpaincourt ; en cas de retard du payement, la ville devait, outre la redevance, remettre aux religieux 2 sols parisis à titre d'amende. (Pièce just. 98.) Cet étang, ainsi qu'il a été dit précédemment, avait été donné aux moines par Philippe-Auguste. Le mauvais état dans lequel il se trouvait détermina la ville à refuser, en 1445, le payement des 16 liv., et il y eut à ce sujet un procès au Châtelet de Paris ; les religieux laissèrent combler l'étang, et le vendirent dans le seizième siècle à quelques particuliers : il était alors entièrement desséché et converti en prairie ; nous sommes entré dans quelques détails à cet égard au Livre II, chap. vii, p. 317.

Les Bénédictins embrassèrent, en 1303, le parti de Philippe le Bel contre Boniface VIII, et déclarèrent s'en rapporter, pour le jugement de l'affaire qui divisait la France et la cour de Rome, au concile général qu'on devait assembler à cet effet, ne reconnaissant point au pape le droit de les suspendre, de les interdire ou de les excommunier, pour avoir pris cette délibération, et en appelant à l'avance, si Boniface usait de ces moyens, au prochain concile et au futur, véritable et légitime souverain pontife. Ces expressions hardies menaçaient le pape d'une véritable déposition. L'original de la protestation des religieux est conservé aux Archives nationales. (Pièce just. 19.)

Le prieuré eut à souffrir des guerres occasionnées par la rivalité de la France et de l'Angleterre ; on voit dans un acte du 11 décembre 1362, signé de Aymeri, prieur de Montdidier, et de Philippe de Brosse, prieur doyen de Davenescourt, que le prieuré de Notre-Dame n'avait rien touché depuis six ans de huit muids de blé qui lui étaient dus par le doyen de Davenescourt, celui-ci n'ayant pu rien percevoir, mortalitatis causa et guerrarum duorum Franciœ et Angliœ regum.

Les bulles et les chartes dont nous avons parlé plus haut ne renferment qu'une énumération incomplète des biens du prieuré. Les Bénédictins avaient encore d'autres immeubles qui se trouvent spécifiés dans un état de la valeur des propriétés du couvent dressé en 1457 par Jean de Chessoy ; cependant, dès cette époque, la guerre avait fait une brèche dans la fortune des moines, et plusieurs de leurs revenus ne figurent dans cet état que pour mémoire. Après avoir énoncé les cens en argent et chapons dus au monastère dans la ville et dans la banlieue, l'inventaire contient les articles suivants :

« Le droit de moitié de toutes les obligations, legs et funérailles qui viennent et escheent chacun an en l'église et paroisse de Saint-Pierre dedans ladite ville de Montdidier ; à ladite église et prieuré apartenant allencontre du curé d'icelle église qui y prend l'autre moitié, lequel droit se baille à ferme, dont on souloit avoir anciennement 20 liv. ou 24 liv. parisis, ne vaut pour le présent que 60 sols p. seulement, obstant ce que par certain traité et accord fait entre led. prieur dernier trépassé et frère Pierre Mareschal, curé de ladite église Saint-Pierre, led. prieuré est demeuré deschargé de quatre muis et quatre sestiers et demy de bled pour son gros aud. curé, moiennant laquelle descharge est quitte en paiant seulement lesd. LX s. parisis.

Item, doit led. curé à cause des menues dixmes de sad. cure de Saint-Pierre chacun an audit prieuré, XXV s. p.

La ferme de la cure de l'église Saint-Sépulcre dedans lad. ville de Montdidier, qui souloit anciennement valoir 16 liv., ne vaut à présent que V liv. p.

La ferme des menues dixmes et nataux de la cure de Saint-Martin en la vallée, XXXII s. p.

La ferme des menues dixmes et oblations de la cure de Saint-Maart, LXs.p.

Le droit de tonlieu que ledit prieuré a et prend en la dite ville de Montdidier le jour de la franque feste d'icelle ville, et les huit jours suivans que dure lad. feste qui est la tierche partie allencontre de lad. ville qui y a et prend les deux autres tiers, peut valoir par an XXXVI s. p.

A lad. église et prieuré compète et appartient de rente 14 liv. parisis quelle souloit prendre et avoir par chacun an sur lad. ville de Montdidier à cause d'un vivier situé en dehors, assez près d'icelle ville lequel venu est de pièça en ruine, de laquelle rente puis 12 ans en ça lad. ville n'a rien voulu paier ; obstant que led. vivier est en ruine, que dit est, et autres raisons par eux alléguées pour raison duquel refus procès s'est meu entre lesd. parties, lequel est pendant au Châtelet de Paris dès le compte dessus dit, lequel a cousté grans deniers audit prieuré et partant neant.

Item, et pareillement competoit et appartenoit audit prieuré de Montdidier six muis de blé de rente par an sur un moulin appelé le moulin du Pont situé en la vallée dudit Montdidier, lequel moulin par les guerres a esté ars et desmoly du tout, et pour ce ladite rente perdue et annichilée et la place et masure rebaillée à nouveau cens à 60 s. parisis seulement, est à sçavoir audit prieuré 62 s. p. le surplus montant à huit sols parisis au couvent d'illec pour ce cy lesd. LII s. p.

Les dixmes appartenantes aud. prieuré au terroir et banlieue de Montdidier et Estelfaye, environ 20 muis ; sçavoir : 12 muis de bled, six muis d'avoine ; les deux autres muis restans, segle, orge et autres grains.

Aud. prieuré apartient par chacun an de rente sur le moulin Neuf 12 muids de bled.

Le droit des dixmes des vins quand l'année adresse peut valoir 18 à 20 quesnes pour l'année presente 1457, et les deux précédentes chacune quatre quesnes.

Aud. prieuré apartient droit de pressoir à presser vin, situé en la ville auxquels sont banniers la pluspart de tous ceux qui ont vignoble. Quand le vin adresse, le vin peut monter six ou huit quesnes l'année présente, et les deux précédentes par chacune deux quesnes. »

Le prieuré possédait des immeubles à Contoire, Agumont, Hangest, à la Neuville, au Plessier, à Braches, Coullemelle, Fourquivillers, Aubvillers, Sauvillers, Mongival, Courcelles, Epayèlles, Faverolles, Ételfay, Arvillers, Tricot, Cuvilly, Catenoy, Sechelles, Nointel, au Tronquoy, au Frétoy, à Rocquencourt, Domélien, Ayencourt, Courtemanche, Dompierre, Andechy, à la Hérelle, à Verderonne et à Cingueux. Il avait les deux parts des grosses dîmes du Mesnil, le quart de celles de Pérennes, le tiers de celles d'Harrissart, les deux parts des dîmes tant grosses que petites de Septoutre, et la moitié des dîmes de Ferrières.

Les rentes en grains consistaient en dix muids fournis par l'abbaye de Saint-Martin-au-Bois, et dans une même quantité livrée par celle de Moreuil. La commanderie de Fontaine devait trois muids et demi de blé ; le prieuré de Davenescourt huit muids, le personnat de Domfront trois setiers ; deux habitants de Ferrières sept setiers ; la mairie de Coivrel seize setiers, et le curé d'Assainvillers neuf autres setiers. Le muid, mesure de Montdidier, contenait douze setiers ; la valeur du muid de blé et d'avoine est ainsi cotée dans l'inventaire de 1457 : « Le muid de blé vaut en rente assiétée audit pays deux livres, et l'avoine 34 s. p., et vaut le muid de bled cette année 1457 deux escus, et l'avoine 30 sols parisis. » Les Bénédictins perdirent, dans le quinzième siècle, les droits de tonnelieu qu'ils percevaient à l'époque de la foire ; la guerre, en les forçant à s'éloigner, les mit dans l'impossibilité de soutenir leurs droits.

A la suite des revenus du prieuré se trouve, dans le compte de 1457, l'indication des charges et dépenses ; en voici quelques-unes :

« Au curé de Saint-Martin sous Montdidier, pour son gros, quatre muis et demy de grain.

Au curé de Saint-Maard trois muis, 4 setiers de grain.

A M. Baudot de Noyelle, chevalier, auquel est deub chacun an sur la terre de Contoire, 4 sestiers d'avoine. »

Suit le montant des dépenses pour les moines.

« Audit prieuré de l'église Nostre-Dame de Montdidier y a 13 religieux, parmy le prieur, y compris d'eux d'iceux qui ne sont point du nombre, jacoit qu'ils soient à la despense, le curé de ladite église, serviteurs, officiers, jusques au nombre de neuf personnes, tant religieux que serviteurs 23 personnes, pour le pain, vin, verjus, vinaigre, lard, sel, chandelle, etc. »

Vient ensuite ce que l'on paye pour le vestiaire des religieux, gages des officiers, etc., pour gouvernement des chevaux, ferrage, rembourage, achat de fourrages, etc., etc., L'état de 1457 se termine par l'observation suivante : « Le prieur remontre que depuis 8 ou 10 ans qu'il est prieur du prieuré, il a mis en ouvrages et refections nécessaires audit plus de 500 liv., sans y comprendre autres ouvrages qu'il a fait faire neufs, tant de massonnerie comme de charpenterie mesmement en l'année passée, aux murs de la ville de Montdidier, qui sont de la retenue dudit prieuré. Aud. Courcelles sur une maison et lieu aud. prieuré appartenant, et mesme en le couvent dudit prieuré dudit Montdidier. »

Le prieuré devait 250 liv. tournois de pension à l'abbé de Cluny : ce droit se payait encore au commencement du quinzième siècle.

Dans le pouillé de l'évêché d'Amiens, de 1302, les revenus du prieuré sont portés à 1,000 liv. ; nous donnons aux Pièces justificatives un relevé détaillé des biens de la maison en 1663 (Pièce just. 99.). Lors du dénombrement de la Picardie, exécuté en 1698 par Bignon, intendant de cette province, les revenus des Bénédictins montaient à 6,600 liv. ; la manse des religieux était de 2,200 liv., et celle du prieur de 4,400 livres. A l'époque de la Révolution, les recettes, toutes charges déduites, allaient à 7,000 liv., dont 3,000 liv. pour les religieux et 4,000 liv. pour le prieur commendataire. Le couvent était taxé en cour de Rome à 50 livres. Dans l'estimation des biens nationaux faite en 1790, l'évaluation des biens du prieuré situés dans le district de Montdidier s'éleva à 84,251 liv., non compris les dîmes, cens, champarts et autres droits féodaux supprimés par l'Assemblée constituante. Ces 84,251 liv. représentaient la valeur des immeubles calculée sur le pied de vingt-deux fois le revenu ; l'on estimait par conséquent les propriétés foncières à peu près à 5 %, mais on ne trouva pas d'acheteur même à ce prix, et le gouvernement fut obligé de traiter à des conditions beaucoup plus défavorables.

La bulle d'Urbain III ne contient pas l'indication de toutes les paroisses qui étaient dans la dépendance du prieuré, la voici d'une manière plus exacte et par ordre alphabétique : Andechy, (le prieur nommait à cette cure alternativement avec le prieur de Saint-Leu d'Esserant), Braches, Caix, Contoire, Courcelles, Courtemanche, Domélien et Royaucourt, Dompierre, Ételfay, Frétoy et Tronquoy, Ferrières, Fignières, Hangest, la Hérelle, Montdidier, la Neuville, Sauvillers. Le prieur était patron et décimateur de toutes les églises de la ville ; il y officiait le jour de la fête patronale, et de plus il prétendait, aux fêtes de la Vierge, à celles des saints Lugle et Luglien et de saint Benoît, empêcher de prêcher ailleurs qu'au prieuré. Au temps des Rogations, le prieur se rendait le premier jour à Saint-Pierre, le second jour au Saint-Sépulcre et le troisième à Saint-Martin ; lorsqu'il enterrait dans l'église ou dans le cimetière de Saint-Pierre, le luminaire lui appartenait. Les Stations se prêchaient à Notre-Dame, et jusqu'en 1534 le prieur eut le droit exclusif de nommer le prédicateur. Dans les assemblées du clergé, le prieur tenait le premier rang ; il portait le Saint Sacrement aux processions générales, à celles de la Fête-Dieu, et de l'Octave ; le curé de Saint-Pierre était astreint à lui remettre les mandements concernant les prières publiques, et le prieur fixait l'heure à laquelle elles devaient se réciter ; l'ouverture des jubilés et les Te Deum d'actions de grâces pour les événements politiques ou religieux commençaient toujours à Notre-Dame. Lors des processions, les Capucins et le clergé des paroisses venaient prendre solennellement les religieux à leur monastère et les y reconduisaient après la cérémonie.

Les processions étaient assez fréquentes ; elles avaient lieu les jours de saint Marc, de saint Georges, de saint Jacques, de saint Adrien, aux deux fêtes des saints Lugle et Luglien, le dimanche des Rameaux, le lundi de Pâques, les trois jours des Rogations, aux fêtes de l'Ascension et de l'Assomption ; les divers corps judiciaires y assistaient, et attachaient au moins autant d'importance que les religieux à conserver le rang qui leur était dû. Présider à ces cérémonies, précédés de leur croix, flattait trop la vanité des Bénédictins pour qu'ils se relâchassent le moins du monde de leurs prétentions. Il est à observer, porte le Registre capitulaire, que MM. les curés voudraient bien que notre croix fût mêlée avec les leurs clans les processions générales ; ce qu'il ne faut pas souffrir, sous quelque prétexte que ce soit. Marcher entre deux religieux et se faire porter la queue était encore un sujet d'envie, un crève-cœur continuel pour le curé de Saint-Pierre, jaloux des honneurs rendus au prieur. Pour ces questions de préséance, que de brigues ! que d'intrigues ! De là, force disputes, force procès.

La supériorité des prieurs sur les curés de la ville venait de ce qu'aux termes des bulles pontificales, ils étaient collateurs des différentes paroisses de Montdidier ; aussi étaient-ils regardés comme curés primitifs de la ville ; et pendant des siècles ils ne donnèrent à ceux de Saint-Pierre, du Saint-Sépulcre et aux autres, que le titre de vicaires perpétuels ; mais cette supériorité ne se maintenait qu'aux dépens de leurs revenus, car, dans le siècle dernier, les prieurs étaient obligés de payer à chaque curé 300 liv. de portion congrue.

L'amour-propre des moines et l'orgueil des curés donnaient lieu à des luttes regrettables ; l'animosité était portée jusqu'aux pieds des autels, où les mots les plus piquants s'échangeaient de part et d'autre : il n'était pas rare de voir les hommes de paix en venir à des querelles ouvertes, et bien des gens que ce scandale affligeait, évitaient, pour ne pas être témoins de scènes inconvenantes, d'assister aux offices les jours où le clergé des paroisses et celui du prieuré devaient se réunir.

Un arrêt du conseil, du 5 octobre 1726, mit un terme à ces dissensions en réglant le droit de curé primitif, attribué aux abbés et aux prieurs : il fut décidé qu'ils ne pourraient exercer ce droit que par eux-mêmes, sans pouvoir le déléguer à leurs inférieurs ; or, comme le prieur commendataire de Notre-Dame ne résidait jamais à Montdidier, toute discussion à cet égard cessa ; aussi, depuis 1726, n'y eut-il plus de procession générale des paroisses, excepté à l'Assomption et aux fêtes des saints Lugle et Luglien. Un second arrêt du conseil du 15 janvier 1731, ayant encore restreint les prérogatives ecclésiastiques, le prieur de Montdidier perdit presque toutes celles dont nous avons parlé. Les religieux, blessés de ces mesures restrictives, se tinrent à l'écart ; ils cessèrent absolument de se joindre au clergé séculier, et, pour opérer plus complétement la séparation, ils firent enlever le banc qu'ils avaient à Saint-Pierre.

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