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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre I - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Église de Notre-Dame

A quelle époque elle remontait

Sa forme

Son étendue

Objets principaux qu'elle renfermait

 

L'église de Notre-Dame était la première et la plus ancienne de la ville, l'église principale et matrice, comme disaient les Bénédictins. Sa construction remontait certainement au treizième siècle, peut-être même était-elle contemporaine des comtes de Montdidier ; aujourd'hui toute vérification est impossible, et c'est un problème dont la solution restera incertaine.

Aucun de nos chroniqueurs ne s'est occupé de la description des monuments ; tous sont restés indifférents à ce qui concerne les arts et les antiquités ; une ennuyeuse question de juridiction municipale a plus d'attrait pour eux que la recherche et l'appréciation des curiosités artistiques qui s'offrent à leurs regards ; ils dissertent longuement sur les titres d'une église, et oublient entièrement de nous la faire connaître. Ce silence s'explique par cette considération, qu'ayant constamment les objets sous les yeux, et ne pensant pas qu'ils dussent sitôt disparaître, ils croyaient superflu d'en parler, puisque chacun pouvait les examiner à son gré.

Suivant Scellier, l'église du prieuré était d'ordre gothique ; c'est tout ce qu'il se borne à dire ; il ajoute « que quelques curieux et connaisseurs de la suite de Louis XIV, lorsqu'il passa à Montdidier le 17 avril 1676, visitant cette église, dirent que sa forme et sa composition étaient d'un goût des plus antiques, et qu'on la pouvait regarder comme un des plus anciens monuments en ce genre de la province ; qu'ils ne connaissaient que l'église de Saint-Acheul, au faubourg d'Amiens, qui puisse être de son même temps, étant bâtie de la même façon. »

En s'appuyant sur le témoignage de ces nobles visiteurs, et raisonnant par analogie, on pourrait dire que l'église de Notre-Dame avait vu nos comtes s'agenouiller sous ses voûtes, puisque le chœur de l'église de Saint-Acheul, à laquelle on la compara, fut bâti en 1073. Pour corroborer cette opinion, on invoque cette circonstance, que la tombe de Raoul de Crépy, mort en 1074, était encore en 1723 conservée dans l'église de Notre-Dame, dans le chœur, du côté de l'évangile, à l'endroit même où, suivant d'anciens actes du prieuré de Saint-Arnoul de Crépy, elle avait été placée après la mort du comte.

Mais ce sentiment ne nous paraît pas à l'abri de la critique, et la preuve que l'on prétend tirer de la position du tombeau de Raoul n'est pas irrécusable, si surtout on ajoute foi à certains mémoires d'après lesquels les tombeaux des comtes de Montdidier auraient été enlevés de la chapelle où ils se trouvaient originairement, derrière le pignon de la Salle du Roi, et transportés dans le chœur de l'église. Les sculptures qui décoraient le tombeau de Raoul excédaient le mur du chœur, et devaient être d'une époque postérieure au onzième siècle ; c'étaient pierres bien taillées et cizelées, remplies d'ouvrages à jour artistement travaillés, avec des colonnes et deux petites pyramides à chacune des extrémités. Ces ornements indiquent plutôt le treizième que le onzième siècle. Des chroniqueurs affirment cependant que l'église du prieuré, détruite un peu avant la Révolution, était la même que celle où fut enterré Raoul de Crépy.

Dans les manuscrits de Du Cange, on lit cette note concernant Montdidier : « Au lieu du chateau est baty le prieuré, sous le nom de la Sainte Vierge. » Nous avons dit, dans le tome Ier, page 87, que le château avait été abattu dans le treizième siècle ; or le prieuré, élevé sur son emplacement, datait de cette époque. Quant à l'église, était-elle antérieure ou fut-elle bâtie en même temps que le prieuré ? Aucun titre ne peut nous renseigner à cet égard ; il est probable néanmoins qu'elle fut reconstruite en même temps que le couvent, c'est-à-dire dans le treizième siècle ; car, auparavant, les chanoines et les Bénédictins, leurs successeurs, célébraient l'office dans la chapelle du château. Le château ayant été détruit, la chapelle suivit nécessairement le sort de l'édifice dans lequel elle était renfermée, et fut démolie avec lui ; mais il y a lieu de croire que le chœur, où se trouvait le tombeau de Raoul, fut conservé : les observations faites par les gentilshommes de la cour de Louis XIV en sont la preuve. D'ailleurs l'inscription gravée sur la tombe du prieur Raoul, mort en 1262, atteste d'une manière incontestable que le chœur remontait à une haute antiquité : nous rapporterons cette inscription en donnant la liste des prieurs.

L'église eut beaucoup à souffrir dans le quatorzième siècle ; une partie s'écroula ; celle qui restait était en si mauvais état qu'il fallait se hâter d'y porter remède, si l'on voulait prévenir la chute totale de l'édifice. Les travaux devaient, disait-on, exiger cinquante années : exagération évidente. Le prieur, Pierre Robant, s'excusait de ne pouvoir faire les réparations, à cause de la pension de 150 liv. tournois qu'il était obligé de payer à l'abbé de Cluny, et des dépenses auxquelles l'avait entraîné un procès qu'il soutint pour être dispensé du payement de cette pension. Pierre Robant n'eût-il pas mieux fait de relever son église que de perdre son argent à plaider ? La preuve de ce que nous avançons ressort d'un acte de visite de 1410, déposé anciennement dans les archives de l'abbaye de Cluny : « In prioratu Montisdesiderii non sunt nisi novem monachi, priore computato. Definitum est quod ordinata per visitores debita observentur, videlicet quod ecclesia quæ pro majori parte cecidit, in quinquaginta annorum lapsu repararetur, saltem in parte subsistente, nam muri sunt ruinosi, et nisi celeriter provideatur, totum cadet. Sed prior se excuset et primo super pensione domini nostri et litigio propterea subsecuto. Definitum est tamen quod ordinata ibi observentur. »

Il est évident, d'après le passage que nous venons de citer, que l'église primitive du prieuré eut une durée assez courte, et qu'elle fut rebâtie presque en totalité au commencement du quinzième siècle. Adrien de Hénencourt y fit de grandes réparations ; continuées par Philibert de Baudreuil, elles furent terminées en 1508. L'église, d'après un titre de cette année, était magnifique et parfaitement restaurée ; les ornements étaient nombreux et les reliquaires du plus grand prix : « Invenimus.... altare majus et decenter et sumptuose ornatum, vestimenta quoque et ornamenta et reliquaria pretiosissima in sacristia bene et decenter reposita et conservata in magna copia.

Quoad ecclesiam est etiam magnifica et bene reparata. » (Acte de visite du 22 décembre 1508.)

L'église de Notre-Dame occupait l'emplacement de la chapelle du collége et une partie du terrain adjacent ; elle était à peu près aussi grande que l'église du Saint-Sépulcre. L'entrée était à six toises de la voûte du palais de justice ; du mur de l'église à celui de l'ancienne prison il y avait trente-deux pieds. Le chœur regardait le levant. Le portail, dépourvu d'ornement et terminé par un pignon percé d'une rosace, faisait face à la promenade. Au milieu se trouvait la grande porte de l'église ; on ne l'ouvrait que rarement ; habituellement on entrait par un petit portail pratiqué sur le côté gauche. A droite de ce portail, on voyait le grand crucifix de bois que l'on remarque à Saint-Pierre ; du temps d'Adrien de Hénencourt, qui en avait fait don au prieuré, il était placé dans la nef centrale, et accompagné des statues de la Vierge et de saint Jean.

Par suite de l'exhaussement du terrain, il fallait, pour entrer par le grand portail, descendre huit ou neuf marches ; aussi l'église était-elle très-humide. Une flèche pointue s'élevait au-dessus du transsept et servait de clocher ; les cloches, au nombre de quatre, avaient été refondues en 1602 par les soins de D. François de la Cour, prieur commendataire, qui fit mettre sur la plus grosse cette inscription :

DOM FRANÇOIS DE LA COUR EN Sts DECRETS DOCTEUR
FIT PAR LA FOURNAISE DE TUBAL.
RACCORDER NOTRE HARMONIE MAUVAISE
L'AN MIL SIX CENT DEUX EN SEPTEMBRE. DE COURT.

Au bas était écrit :

BON MARECHAL NOUS A FAIT.

Sur une des cloches, on lisait :

FRANCISCO LACOUR PROPRIORE SEDENTE PRIORE
PONTIFICI CLARO JURIS DOCTORE REFUSA
CONCORDES FORNACIS SONOS DE CANTICO MILLE
SEXCENTOSQ. DUOS SEPTEMBRIS SEX NOVA MILLE.

Le 16 août 1656, la foudre tomba sur le clocher, et de là pénétra dans l'église, où elle causa quelques phénomènes singuliers que le P. Daire a consignés dans son Histoire de Mondidier.

L'église de Notre-Dame formait la croix latine, mais le bras droit avait été coupé à une époque dont on n'avait conservé aucun souvenir, ce qui doit paraître fort extraordinaire. Dans un procès avec les moines, relatif à un droit de passage entre l'église et la Salle du Roi, le maire et les échevins soutenaient même que ce bras n'avait jamais été élevé, et peut-être avaient-ils raison. Le bras gauche faisait une saillie de vingt pieds. Nous avons dit précédemment que, du bas côté droit au mur de la prison, il y avait trente-deux pieds ; or, lorsque le bras de ce côté de l'église existait, comme sa longueur était la même que celle du bras gauche, il ne restait que douze pieds d'intervalle jusqu'à la Salle du Roi, qui communiquait avec l'église au moyen d'une galerie dont quelques arcades subsistaient encore en 1720.

L'intérieur de l'église, dont bien peu de nos concitoyens se souviennent, était sombre ; les cloîtres adossés contre la paroi extérieure interceptaient le jour qui aurait pu venir par les fenêtres des bas côtés. Il y avait trois nefs ; celle du milieu était fermée par un plafond, et séparée des nefs collatérales, qui étaient basses et voûtées, par des colonnes cruciales, cantonnées de quatre colonnettes ; ces colonnes formaient cinq travées qui pouvaient avoir quinze pieds de largeur ; une galerie régnait au-dessus des arcades de la nef principale. De petites arcades aveugles pratiquées dans l'épaisseur de la muraille, et séparées entre elles par des colonnettes de cinq pouces et demi de diamètre, décoraient les murs des bas côtés. Un banc de pierre enclavé dans la maçonnerie faisait le tour de l'église. Les bas côtés avaient dix-sept pieds de large ; ils étaient terminés par deux chapelles dédiées, l'une à saint Benoît, l'antre à la Vierge. Anciennement on tournait autour du chœur, mais depuis l'établissement de ces deux chapelles la circulation fut interrompue.

A l'exception de la tombe de Raoul de Crépy, dont nous avons donné la description dans le tome II, page 18, l'église ne contenait aucune antiquité. Sur une plaque d'airain appliquée contre une colonne près de la grille du chœur, on distinguait cette épitaphe :

Cy dessous gist noble damelle Jaqueline De Tannay en son vivant Dame du Ployron et Rubescourt et ve de feu noble homme Louis Dalli qui fut seigr de Bellonne et de Cunchy laquelle a fondé en l'église de céans par chacun jour de l'an perpétuellement une messe pour le salut De l'âme d'icelle et ses parents et amis trépassés et finit ses jours le XXIV janvier l'an MDII.

Au-dessous de l'inscription étaient attachés une cotte de mailles, des gantelets, un casque, une épée et des éperons dorés ; ces armes, qui avaient appartenu vraisemblablement à Louis Dalli, se voyaient encore en 1690, et furent enlevées dans le dix-septième siècle, probablement quand on restaura l'église, car Scelher n'en parle point dans ses Mémoires ; il rapporte l'inscription, mais d'une manière inexacte. Jacqueline de Tannay avait laissé 50 liv. tournois pour faire dire la messe dont parle son épitaphe ; 48 liv. étaient destinées au couvent, et 40 sols aux petits novices pour avoir du bois ou charbon pour eux chauffer au retour des matines.

L'église et la sacristie étaient ornées de vitraux peints, dus en partie à la générosité d'Adrien de Hénencourt. Sur une fenêtre on lisait :

Cette verrière a fait faire Domp Alphonse de Bonneville qui fut prevost de chien.... puis prieur.... l'an de grâce mil quatre cens.

Dans le siècle dernier, tous les vitraux avaient disparu.

Le chœur, rallongé en 1560, n'avait que vingt pieds de large ; il était plus élevé que la nef, et se faisait remarquer par la délicatesse et la hauteur de ses fenêtres. La fermeture du chœur fut refaite en 1685 ; une grande porte brisée, surmontée d'une niche renfermant une statue de la Vierge avec un crucifix au-dessus, donnait entrée dans cette partie de l'église ; à droite et à gauche de la porte, étaient deux petits autels de bois ornés de colonnes, de pilastres et de frontons : deux rangs de stalles, datant de 1459, garnissaient le chœur. Les vers suivants, gravés sur la première, indiquaient le nom du prieur qui les avait commandées, et celui de l'ouvrier qui les exécuta :

de domp Jean de Chessoy in  
  digne.
Prieur de cette église Cens  
   
Ces ouvrages beaux et re  
  cens
L'an de grace mille quatre  
   
Et cinquante neuf faire  
  fis.
Par Gilles Andrieu et par son

Jean de Chessoy était originaire de Méry, et propriétaire du moulin du faubourg Becquerel ; il fit présent de plusieurs verrières à l'église et de deux stalles du chœur, sur l'une desquelles étaient tracés les vers que nous venons de rapporter.

En 1600, Pierre le Maire, prieur commendataire, fit peindre des sujets dans l'intérieur des stalles, et il eut soin d'y faire figurer son portrait dans deux tableaux représentant, l'un la sainte Trinité, l'autre la mère du Sauveur. Ces stalles furent démolies à la fin du dix-septième siècle, et remplacées par d'autres qui n'avaient rien de remarquable.

En 1659, Antoine Prou, peintre, sculpteur et doreur, exécuta un nouveau tabernacle pour le maître-autel, moyennant la somme de 630 livres. Au-dessus du grand autel se voyaient une Descente de croix, et les images des saints Lugle et Luglien. Le calice, la patène d'argent et l'ostensoir dont se servaient les religieux dans les jours de fête, attiraient l'attention des curieux ; sur le pied de l'ostensoir était écrit :

Che vaissel fit faire domp Robant, prieur de le Nostre-Dame de Montdidier, l'an de grâce 1422.

En 1660, on commença à reconstruire la voûte du chœur au-dessus du maître-autel ; le travail n'était pas encore achevé en 1682.

Au mois de juin 1590, des ouvriers, en creusant la terre dans un jardin voisin de l'église, où l'on prétendait qu'avait existé le bras droit du transsept, découvrirent d'anciens tombeaux que l'on crut être ceux des fondateurs du prieuré. Le 20 juin, on célébra un service solennel pour le repos de leur âme, et on déposa leurs restes dans le chœur de l'église ; à cette occasion, le receveur du prieuré paya, sur l'ordre du lieutenant général au bailliage, aux moines et aux ouvriers, la somme de 5 écus 20 sols tournois. C'est vraisemblablement de ces tombeaux que Pagès entend parler, quand il dit que les tombeaux découverts durant les dernières guerres civiles de la Ligue, lorsqu'on a travaillé aux remparts de Montdidier du côté du Prieuré, sont ceux du roi Didier et de son épouse. Voilà ce qui s'appelle trancher une difficulté.

Les décorations de Notre-Dame, exécutées en grande partie à l'époque de la Renaissance, semblèrent de mauvais goût aux connaisseurs du dix-huitième siècle : les stalles, les boiseries, le chœur et la nef, tout fut impitoyablement changé. Le chœur et le sanctuaire furent ornés d'un lambris à pilastres corinthiens, lequel devait faire un triste effet sous les sombres voûtes de la vieille église. Pour opérer cette modification maladroite, on expulsa sans respect Raoul de Crépy de la place qu'il occupait depuis tant de siècles, et on le relégua, en 1723, entre les deux piliers de la seconde travée de la nef ; une épaisse couche de couleur grise s'étendit sur les murs. Ces travaux furent terminés en 1760, par Duvillé, menuisier à Montdidier, sous la direction de D. Rolland, sacristain, très-connaisseur et de très-bon goût, à ce qu'assure Scellier, ce dont nous doutons fort, malgré les éloges de notre compatriote : ces embellissements, comme il les appelle, ce gris et ce corinthien, devaient produire un contraste choquant avec le style et le caractère architectural de l'édifice ; mais la couleur locale, dont on abuse maintenant, n'était pas le cachet distinctif de l'époque dont nous parlons.

Cependant ces réparations ne parurent pas suffisantes ; il fallut quelque chose de plus moderne encore. Le vieux couvent avait disparu en 1785 ; la vieille église subit le même sort. Le désastreux ouragan du 13 juillet 1788 accéléra sa ruine ; elle fut tellement maltraitée qu'il y eut nécessité de l'interdire de suite. Le couvent, rapporte un témoin, était, après cet orage, comme un fort que le canon aurait foudroyé pendant plusieurs heures. Les Bénédictins durent célébrer la messe dans une salle du Prieuré. Le 23 octobre de cette année, ils portèrent à Saint-Pierre les bustes des saints Lugle et Luglien pour y faire leur office solennel ; enfin, en 1788-1789, le plus ancien monument de Montdidier fut détruit sans pitié. Le sol était préparé pour recevoir une nouvelle église, et déjà les matériaux étaient apportés, lorsque la Révolution vint disperser les ordres religieux. De 1788 à 1790, les Bénédictins assistèrent à l'office dans une chapelle provisoire qu'ils avaient fait construire à l'endroit occupé par le réfectoire du collége.

L'église de Notre-Dame était exempte du droit de visite épiscopale. Jean de Boissy, évêque d'Amiens, ayant prétendu exercer ce droit et recevoir la somme de 160 liv. tournois, qui y était attachée, fut, par arrêt de la chambre des requêtes du 18 janvier 1408, déclaré mal fondé dans ses prétentions.

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