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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre II - § I

par Victor de Beauvillé

§ I

ÉGLISE SAINT-MÉDARD.

Église Saint-Médard.

 

Les églises Saint-Médard et Saint-Martin étaient les plus anciennes de la ville, mais il est impossible d'indiquer d'une manière même approximative l'époque de leur fondation ; les titres qui les concernaient ont disparu ; tout, jusqu'à l'origine de leur nom, est enveloppé d'épaisses ténèbres.

La charte de Thierri, évêque d'Amiens, en date de 1146, dont nous avons déjà plusieurs fois invoqué la teneur, classe ces deux églises parmi celles qui se trouvaient sous la dépendance du prieuré, et où les religieux avaient le droit d'administrer l'extrême-onction : Oleum infirmorum totius oppidi cum appenditiis suis, videlicet villa et furcellicurte. (Gall. christ. t. X, inst., p. 309.) Le mot villa ne peut s'entendre que de l'église Saint-Médard ; car, dans un autre passage de la même charte, l'évêque ajoute : Ecclesiam etiam de villa, cum capella du Mesnil, cum altaribus et atriis et decimis : or, on sait qu'anciennement le village du Mesnil-Saint-Georges faisait partie de la paroisse Saint-Médard. Mais pourquoi donne-t-on à ces deux églises les noms de villa et furcellicurte, au lieu des dénominations sous lesquelles elles ont été connues depuis ? On ne peut, à cet égard, hasarder que des conjectures.

Scellier prétend que, Philippe-Auguste ayant fait entourer de murailles la partie de Montdidier située sur la montagne, les habitants vinrent s'y fixer de préférence, abandonnant la basse ville, qui se dépeupla entièrement ; les maisons ruinées par les ennemis ou par le temps ne se relevèrent point ; « il n'en resta, dit-il, que quelques murs épars dans les champs et dans les marais. Alors cet endroit ne fut plus appelé que villa, comme les autres de la campagne, et c'est ce qui a donné lieu de dire dans la charte de Thierry, évêque d'Amiens, et dans les bulles d'Alexandre III et d'Urbain III : Ecclesiam de villa, c'est à-dire l'église des maisons de campagne dépendantes de Montdidier ou du village sous Montdidier. »

Notre chroniqueur ne fiait pas attention à une chose bien importante, c'est que la charte de Thierri est de 1146, antérieure par conséquent de cinquante ans à celle de Philippe-Auguste, qui obligea les habitants à ceindre Montdidier de murailles ; il n'est donc pas exact de dire que, du temps de Thierri, les habitants de la basse ville l'avaient déjà délaissée pour chercher un refuge derrière les murs de la haute ville, puisqu'alors ces murs n'existaient pas. Quant à cette assertion de la destruction des maisons de la vallée par les ennemis, rien ne la justifie. Scellier avance ce fait sans le prouver. En 1146, Montdidier n'avait encore soutenu aucun siége dont l'histoire fasse mention ; ce n'est qu'en 1184, lors des guerres du comte de Flandre avec le roi de France que Philippe-Auguste, ayant essayé, mais vainement, de s'emparer du château de Montdidier, mit en se retirant le feu à la partie de la ville qui était bâtie au pied : de cette époque seulement date la période de décadence dont l'action, s'exerçant insensiblement et d'une manière continue, finit par amener la ruine presque complète de la portion de la cité construite dans la vallée.

Le mot villa ne désigne pas exclusivement un village, une habitation de campagne, comme l'assure Scellier, dans la dissertation à laquelle il se livre sur ce point ; il s'applique aussi aux villes. En parlant d'Amiens, de Beauvais, de Soissons, etc., les titres du douzième siècle leur donnent le nom de villa ; la charte communale de Montdidier fait également usage de ce mot pour exprimer l'ensemble de la ville : intra terminos villœ illius ; l'expression y est plusieurs fois répétée. C'est à tort que notre compatriote avance que le mot villa inséré dans la charte de Thierri a été employé pour indiquer la position champêtre de l'église Saint-Médard et l'état de détresse dans lequel se trouvait la partie de la ville où elle était située ; sous Philippe-Auguste, ce qui forme à présent les faubourgs constituait la partie la plus riche, la plus populeuse et la mieux habitée de Montdidier.

Ce mot villa, appliqué à l'église Saint-Médard, sans aucune autre désignation, suffisait pour faire entendre que c'était de l'église primitive, de l'église la plus ancienne de Montdidier, que l'on voulait parler, celle de Notre-Dame exceptée. Un vieux fragment de parchemin, conservé au Prieuré, justifie notre opinion ; on y lisait, dans un passage concernant Saint-Médard : Prima et antiqua ecclesia de villa. Le mot villa, dont se sert seulement l'évêque Thierri, indique que Saint-Médard était l'église par excellence, prima ; celle de la ville, villa : il n'était besoin d'aucune autre qualification.

L'étendue de cette paroisse confirme ce que nous disons de la prééminence de son église : le village du Mesnil-Saint-Georges et une partie de celui d'Ételfay, appelée Bérencourt, en dépendaient ; les autres églises, au contraire, Saint-Pierre, Saint-Sépulcre, Saint-Martin, avaient leurs dépendances circonscrites dans les limites de la commune. Cet immense territoire attribué à Saint-Médard dénote évidemment une supériorité quelconque ; elle nous reporte à cette époque reculée où les églises étaient moins nombreuses qu'elles ne le furent depuis ; d'après la tradition, celle de Saint-Médard était considérée comme l'une des plus anciennes de la Picardie.

Quelques chroniqueurs montdidériens ont avancé que la ville de Montdidier avait eu la même étendue que la paroisse Saint-Médard, et qu'elle couvrait tout l'espace compris entre Ételfay et le Mesnil ; dans ce cas, Montdidier eût été aussi grand que Paris. On peut voir ce que nous avons dit à ce sujet au Liv. I, chap. i, page 10 de cette Histoire.

Le nom de Saint-Médard paraît pour la première fois dans un acte de 1302, où nous trouvons maître Robert de Onvillers qualifié curé de Saint-Maart de Montdidier : depuis la bulle d'Urbain III de 1185, aucun titre ne parlant de cette église, nous sommes autorisé à penser que c'est seulement à partir du quatorzième siècle qu'elle a porté le nom qu'elle conserva jusqu'au jour de sa destruction.

Les habitants d'Ételfay s'affranchirent de l'obligation de venir les dimanches et fêtes à Saint-Médard, en abandonnant, au commencement du dix-septième siècle, onze journaux de bonnes terres au curé, à la condition que celui-ci renoncerait à toutes dîmes et offrandes. Lorsque les habitants de Bérencourt venaient à la messe à Montdidier, ils passaient la rivière au pont d'Ourscamp, détruit aujourd'hui ; de là ils gagnaient l'église en suivant une chaussée qui existait encore en 1680. Cette chaussée traversait les prés situés entre la rivière et la rue d'En-Bas ; elle coupait le pâtis Pinguet et aboutissait en face de l'église. Le pâtis Pinguet est la pièce de terre cultivée en jardinage, que l'on trouve à droite en sortant du faubourg Saint-Médard ; autrefois elle était couverte d'habitations ; son nom lui vient d'une ancienne famille de robe à laquelle elle appartint. Dans le dix-septième siècle, Paul Pinguet, conseiller assesseur au bailliage, laissa, par testament, à l'église Saint-Pierre trois journaux de terre en deux pièces sises dans la banlieue de Montdidier, proche l'église Saint-Maart, appelée le Paty, à la charge d'une basse messe par semaine et d'un obit. Le village d'Ételfay a conservé le souvenir du lien religieux qui l'unissait à notre ville : la rue principale s'appelle rue Saint-Médard de Montdidier. On y voyait anciennement une chapelle de pierre dédiée à ce saint ; elle fut rasée en 1636, lors de l'invasion des Espagnols. Quant au village du Mesnil, il a continué jusqu'à la Révolution à faire partie de la paroisse Saint-Médard.

L'église, par sa position en dehors des fortifications, était en butte à tous les coups de l'ennemi. Les Anglais et les Bourguignons campèrent dans son voisinage en 1369 et 1411 ; elle fut saccagée et brûlée dans le quinzième siècle ; les protestants y mirent le feu en 1568 ; ruinée et rebâtie bien des fois, il n'en reste plus vestige ; le marteau révolutionnaire a été plus impitoyable que le fer de l'ennemi. L'église se trouvait à gauche du vieux chemin de Montdidier à Fontaine, à cent cinquante mètres environ de son intersection avec la route d'Ailly ; son emplacement est marqué sur la carte ; elle était fort petite, et n'avait rien de remarquable ; vendue, le 16 décembre 1791, au sieur Lesturgie, maçon, avec le cimetière attenant, moyennant la somme de 1,250 liv. (964 francs), elle fut démolie en 1793. On peut voir sa forme dans la planche qui est en tête de ce volume. Cette église avait un petit carillon que l'on touchait les jours de grandes fêtes ; une des cloches passait pour être de plus grande valeur qu'aucune autre de la ville et contenait, disait-on, beaucoup d'argent.

En 1825, une femme du faubourg, Marie-Élisabeth Liébert, veuve Gobin, fit placer une croix de fer à l'endroit qu'occupait l'église ; on y lit cette inscription :

d.o.m.
autrefois vous veniez ici m'adorer dans mon sanctuaire, aujourd'hui venez vous prosterner au pied de ma croix et réclamez-en la vertu.

La pose de cette croix se fit avec solennité le 7 août ; elle fut portée sur un brancard par des jeunes filles voilées, vêtues de blanc, tenant un cierge à la main ; mais la pluie vint interrompre la fête et couper court à l'allocution que le curé de Saint-Pierre avait commencée dans le cimetière de Saint-Médard.

La cure était à la nomination du prieur de Notre-Dame, qui était gros décimateur : dans le dénombrement de l'évêché d'Amiens de 1302, elle est estimée 20 liv., et 600 liv. dans le pouillé du diocèse de 1648. Il n'y avait pas de presbytère, le curé demeurait en ville, le dernier titulaire résidait au Mesnil ; la paroisse Saint-Médard fut supprimée le 1er juin 1791, et réunie à celle de Saint-Pierre. En 1789, le revenu de la cure consistait en une portion congrue payée par les Bénédictins, et en sept quartiers de terre, au faubourg, dont le curé jouissait à titre d'indemnité de logement ; il touchait au Mesnil vingt setiers de grains, deux tiers en blé et un tiers en avoine, payés par le duc de Villequier, seigneur du Mesnil ; il avait en outre la jouissance de huit journaux deux tiers, pour l'acquit de diverses fondations.

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