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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre IV - § I

par Victor de Beauvillé

§ I

FRANCISCAINES.

Établissement des Sœurs de Saint-François. — Leur bienfaitrice. — Bénédiction de l'église. — Opposition des Bénédictins. — Le couvent est détruit et relevé. — La peste le désole. — Les religieuses ont à souffrir des guerres de religion. — Incendie du couvent. — La communauté s'agrandit. — La clôture est ordonnée. — Suppression des Franciscaines. — Leurs revenus.

Le couvent des Sœurs de Saint-François était, après celui des Bénédictins, le plus ancien de la ville ; sa fondation ne datait cependant que de la fin du quinzième siècle : les ordres monastiques s'établirent fort tard à Montdidier, et, pendant plus de trois cents ans, les Bénédictins y dominèrent sans partage. Comme, d'après les bulles pontificales, ces derniers avaient le droit exclusif d'autoriser la construction de toute église ou chapelle dans l'intérieur de la cité, il en résultait qu'aucune congrégation ne pouvait y prendre racine sans leur assentiment, et l'on comprend qu'ils étaient intéressés à empêcher l'établissement d'un ordre rival qui aurait amoindri la prépondérance dont ils jouissaient.

L'échevinage, appréciant les services que rendaient les Sœurs de Saint-François, s'adressa, en 1494, au provincial de l'ordre, afin d'obtenir qu'une communauté du tiers ordre fût instituée à Montdidier ; il y consentit, à la condition qu'on donnerait une maison convenable. Les maïeur et échevins en parlèrent à Jacqueline de Tannay, dame de Rubescourt et du Ployron, femme de Louis Dalli, seigneur de Bellonne, et de Conchy-lès-Pots : cette généreuse dame, apprenant qu'il mourait à Montdidier beaucoup de personnes privées de toute espèce de secours, et que la présence des Sœurs de Saint-François remédierait à cet état de choses déplorable, n'hésita point, et, le 21 juillet 1495, elle fit don de la maison qu'elle avoit clans la ville proche la porte d'Amiens, nommée l'hôtel de Saint-Jacques, tenant d'un lez aux alloirs ou remparts de la ville, d'autre à Jean Héraut, receveur des tailles de Roye, Péronne et Montdidier, pardevant à la rue de la porte d'Amiens, et parderrière aux alloirs de la ville et au jardin de Jean Héraut et à une voirie et issue derrière la dite place répondant assez près de la rue du Bourbier, ledit hôtel Saint-Jacques consistant en une maison, masure, cour, jardin, étables, place et pourpris. Cette donation fut approuvée par Louis Dalli, en 1496, et par son fils unique en 1497, à la condition que les religieuses diraient, à l'intention des fondateurs, une antienne à la Vierge et un De profundis après les matines, et de plus, tous les dimanches après vêpres, les vigiles des morts à neuf psaumes et neuf leçons, et le lendemain les commendaces et une basse messe.

Le logement des Sœurs assuré, les maïeur et échevins s'adressèrent à Jean Varime, visiteur de l'ordre, alors au couvent de Beauvais, et le supplièrent d'envoyer quelques religieuses. Le visiteur accéda à cette demande, et se rendit lui-même à Montdidier avec cinq religieuses professes et une novice qu'il installa dans la nouvelle maison. Par un acte authentique du 20 novembre 1495, les maïeur et échevins reçoivent les dites religieuses à eux ainsy amenées par ledit visiteur benignement et amoureusement, pour demeurer elles et celles qui leur succéderont, dans ledit monastère, à condition qu'elles le construiront et entretiendront, y feront l'office selon leurs reigles, leur ayderont à assister les malades, de quelques maladies que ce soit, quand elles en seront requises, au moien en quoi ils leur permettent de quester par la ville et fauxbourg et les prennent sous leur garde et protection.

Le corps de ville présenta ensuite une requête à Jean Frestart, prieur commendataire de Notre-Dame, à l'effet d'obtenir l'autorisation de bâtir une chapelle dans l'intérieur de la communauté. Jean Frestart donna son consentement le 13 avril 1496, sous la réserve qu'il n'y aurait pas de tronc dans la chapelle pour recevoir les aumônes, qu'on ne construirait point de clocher élevé, qu'on n'administrerait ni le baptême ni l'extrême-onction, que le chapelain recevrait ses pouvoirs du prieur, etc. François de Halluin, évêque d'Amiens, sanctionna la création de ce couvent par lettres patentes datées de Maignelay le 30 octobre 1505. Le 19 août 1509, il procéda à la bénédiction de la chapelle, malgré les Bénédictins, qui prétendaient s'y opposer, se fondant sur ce que le terrain n'était point amorti : ils empêchèrent bien la cérémonie d'avoir lieu le 18 août, jour désigné à cet effet ; mais le lendemain l'évêque, assisté d'Antoine de Lignières, seigneur de Domfront, chanoine de la cathédrale de Noyon, passa outre, et, malgré l'opposition qui lui fut signifiée, bénit la chapelle, ainsi que le terrain destiné à servir de cimetière. Indépendamment de cette première bénédiction, François de Halluin consacra solennellement la chapelle, le 12 juillet 1512, et, le 15 mars 1517, il la plaça sous le vocable de saint Louis de Toulouse ; on y conservait des reliques de saint Hubert et de saint Nicaise. A la verrière, derrière le maître-autel, on voyait les armes de Jacqueline de Tannay. Michel Pavie avait donné un Ecce Homo assez estimé.

Les Anglais et les Bourguignons, s'étant emparés de Montdidier en 1523, pillèrent et brûlèrent une partie du couvent. Les Sœurs avaient pris la fuite. Jean de Halluin, protonotaire du Saint-Siége, chancelier de l'église cathédrale d'Amiens et grand vicaire de l'évêque, ordonna, le 20 novembre de cette année, à tous les abbés, abbesses, prieurs et autres ecclésiastiques, de venir au secours des religieuses par leurs aumônes, et de les aider à réparer les désastres causés par les ennemis, qui avaient enlevé les calices, les ornements sacrés, tous les meubles de la maison, et avaient abattu les murs de clôture. La chapelle ayant été promptement restaurée, François de Halluin confirma de nouveau l'existence du monastère, et permit aux Franciscaines d'avoir deux autels.

En 1530, Jean Hérault, seigneur de Pronleroy, ancien maïeur de Montdidier, concéda aux religieuses une portion de jardin attenante à leur maison, pour construire un bâtiment destiné au logement des Sœurs qui assistaient les pestiférés. Jeanne Hérault, sa fille, donna le reste du jardin et deux granges qui en dépendaient (1546). Sur l'emplacement d'une partie de ce jardin fut élevée, vers 1540, la plate-forme de terre dont on voit les restes ; les Franciscaines l'entourèrent d'une muraille pour prévenir l'éboulement des terres qui envahissaient leur propriété. Lors de la peste violente de 1533, les religieuses se sauvèrent : instituées pour soigner les malades, elles manquèrent dans cette pénible circonstance au premier de leurs devoirs. Abandonné pendant plusieurs années, le couvent fut relevé en partie par Nicolas de Pellevé, évêque d'Amiens (1558).

Les Franciscaines ou Sœurs grises, comme le peuple les appelait de la couleur de leur habit, eurent beaucoup à souffrir pendant les guerres de religion ; leur église fut pillée et ruinée par les hérétiques. Le 5 mai 1590, le duc de Mayenne ordonna de lever une contribution de 600 liv. sur les biens des réformés, à l'effet d'indemniser les religieuses du jardin qu'on leur avait pris pour la fortification de la ville, et afin de réparer autant que possible le préjudice que les protestants leur avaient occasionné ; mais sur cette somme elles ne reçurent que 120 livres.

Le 25 décembre 1599, le feu prit au lit d'une Sœur âgée de soixante-dix-neuf ans, nommée Marie de Cambronne ; elle ne dut la vie qu'à l'intrépidité de sa nièce Barbe Clérice, religieuse de la même maison, qui périt dans les flammes en sauvant sa tante. L'incendie se propagea rapidement et réduisit en cendre le couvent, à l'exception de l'église et de l'infirmerie ; il était tellement violent que des charbons enflammés volaient jusqu'à l'hôtel de ville. Dans cette calamité, on eut recours aux patrons de Montdidier : les reliques des saints Lugle et Luglien ayant été portées sur le théâtre du sinistre, le feu, au dire de témoins, s'apaisa miraculeusement.

Le couvent ne comprenait à cette époque que la maison donnée par Jacqueline de Tannay. Le 1er décembre 1600, Jean Coullet, sieur de Bussy, et Marie de Cougnère, sa femme, vendirent aux religieuses, moyennant 900 écus, à 60 sols l'écu, une maison sise rue de la porte d'Amiens, et tenant au monastère ; elle existe encore. En 1645, les Sœurs achetèrent de Jean Ricquier, conseiller secrétaire du roi, une autre maison contiguë à celle de Jean Coullet. Le couvent occupait à peu près la moitié de la rue de la Porte d'Amiens et une partie de la rue du Bourget, qu'on appela jusque dans le dix-septième siècle la rue du Bourbier.

L'incendie de 1599 eut pour les religieuses des résultats plus heureux qu'elles ne pouvaient l'espérer : elles s'adressèrent au roi, qui, en 1616, leur accorda les revenus de la maladrerie, mais à la condition qu'elles seraient cloîtrées, formalité qui fut accomplie le 13 novembre 1633 par le ministère du P. Bonaventure Serment, vicaire provincial. Les maïeur et échevins opposèrent presque la violence à l'exécution de cette mesure ; ils se fondaient sur ce que les Sœurs n'avaient été admises dans la ville qu'à la condition de visiter les malades, ce qu'elles ne pourraient faire s'il leur était défendu de sortir. Les Sœurs, auxquelles la clôture déplaisait, favorisaient sous main cette résistance ; mais il fallut se soumettre.

Au mois d'août 1702, Louis XIV confirma l'établissement des Franciscaines, et leur permit d'acquérir des héritages destinés à augmenter leur monastère. L'échevinage s'efforça de combattre cette nouvelle disposition : il représenta que les religieuses de chœur, au lieu d'être douze, comme il avait été convenu, étaient au moins trente, presque toutes de famille noble, sans compter les converses et les servantes ; de plus, qu'un grand nombre de pensionnaires étaient nourries dans la maison ; que l'intérêt public ne pouvoit souffrir que les religieuses agrandissent leur maison, la petitesse de cette ville de Montdidier, où les habitants ne trouvent que difficilement à se loger et qui oblige plusieurs de transférer ailleurs leurs domiciles, ce qui fait qu'on a beaucoup de peine à satisfaire aux impositions publiques et à trouver de quoi loger les troupes, ne permettant pas qu'elles augmentent leur maison et clôture par nouvelles acquisitions, lesquelles seroient préjudiciables à la ville. Malgré ces protestations, les religieuses obtinrent l'autorisation d'acheter des immeubles.

Une déclaration de Louis XV ayant interdit aux religieuses la faculté de recevoir des novices et de prendre des pensionnaires, le couvent ne tarda pas à s'éteindre ; fermé le 10 juillet 1765, il fut supprimé définitivement en 1768 par Mgr de la Motte, évêque d'Amiens ; depuis quatre ans, il se trouvait dans un état de délabrement complet. Les religieuses n'étaient plus, en 1765, année où elles se séparèrent, qu'au nombre de cinq, trois dames de chœur et deux converses, toutes fort âgées, incapables de régir leurs biens et de remplir les devoirs de leur profession ; on les fit entrer à l'Hôtel-Dieu, et on leur assigna une pension pour le reste de leurs jours. La plus âgée avait quatre-vingt-douze ans, et vécut encore deux années ; la plus jeune avait quatre-vingt-quatre ans, et prolongea sa carrière fort longtemps : elle mourut le 11 décembre 1781, âgée de cent deux ans moins neuf jours ; elle était de Paris, et se nommait Bruillart, en religion sœur Saint-Charles.

Les biens de la communauté consistaient en deux cents journaux de terre situés dans la banlieue, au Mesnil et à Courtemanche, et provenant de la maladrerie ; cependant ces deux cents journaux ne figurent pas dans un état des biens délivré en 1702 ; il est fait mention seulement de quarante-deux journaux au Mesnil, de soixante et dix à Caix, de trente-cinq à Contoire, de quarante au Quesnel, et de deux autres petits marchés de terre, qui tous ensemble rapportaient, non compris ceux de la maladrerie, vingt-six muids de blé. Les rentes s'élevaient à 1,580 livres. Les dépenses montaient à 6,150 livres. On estimait à 150 liv. par an la nourriture et l'entretien de chaque religieuse. L'excédant des dépenses était couvert par les secours que les religieuses tiraient de leur famille, par le produit de leur travail et par la rétribution des pensionnaires.

Les lieux réguliers étaient fort étroits, les cours et jardin peu étendus ; la communauté ne pouvait s'agrandir qu'en achetant trois ou quatre petites maisons qui la séparaient de la rue du Bourget : c'était l'objet de ses désirs, et le sujet de la résistance de l'échevinage. Le couvent tenait, à l'ouest, à la rue de la porte d'Amiens ; à l'est et au nord, aux remparts de la ville ; au midi, à la rue du Bourget ; l'ensemble avait une contenance de quarante-cinq ares environ.

Les biens-fonds des sœurs de Saint-François furent partagés entre les Ursulines et l'hôpital général ; le collége de Montdidier obtint les rentes ; le couvent, qui était tombé dans le lot des Ursulines, fut vendu à un particulier. C'était un bâtiment de brique fort triste ; il existe encore en partie, et fait face à l'ancien Hôtel-Dieu ; depuis quelques années il a été divisé pour former plusieurs maisons. Le jardin longeait la rue du Bourget ; on l'aliéna séparément, et des habitations se construisirent sur son emplacement.

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