Blason santerre.baillet.org

Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre V - § II - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Coutume de Montdidier

Sa rédaction

Rivalité entre Péronne et Montdidier

Articles principaux

Privilèges confirmés à la ville

Commentateurs de la Coutume

Le Caron

De la Villette

Louvet

 

La divergence de lois était une source fréquente de procès, et une cause de ruine pour les plaideurs ; aussi le projet de coordonner les Coutumes de chaque pays, d'en restreindre le nombre et d'en généraliser l'application a une plus grande étendue de territoire, avait-il sérieusement attiré l'attention de Henri II. Lorsqu'il s'agissait de l'interprétation de plusieurs articles de ces Coutumes : Il étoit besoin, dit le roi dans ses lettres patentes du 15 février 1558, informer par turbes de temoings, sur la manière d'en user, aux grands frais et foulle de nos sujets. La nécessité de porter la lumière dans ce chaos décida Henri II à former une commission, composée des trois membres que nous venons de nommer, chargée spécialement de reviser et de mettre en ordre les Coutumes qui régissaient le royaume.

La fin malheureuse de ce prince ne lui permit pas de réaliser cet projet. Sous le règne si court de son successeur, les commissaires ne purent s'occuper de cette utile entreprise, qu'il était réservé à Charles IX de terminer. Le 16 février 1566, les commissaires reçurent l'injonction de travailler sans retard à la réformation des Coutumes. Le clergé, la noblesse, le tiers état, au nombre de plus de mille personnes, furent convoqués à comparaître devant eux à Péronne ; les plus hauts personnages étaient cités à leur barre : l'empereur d'Autriche, le roi d'Espagne et la reine de France, propriétaires de fiefs dans la prévôté de Montdidier, étaient assignés comme les simples manants de Saint-Just, et, depuis le cardinal de Bouillon jusqu'au modeste curé de Courtemanche, tous, grands et petits, nobles ou roturiers, furent invités à prendre part à la grande mesure qui allait être adoptée. Plus de cinq cent cinquante personnes comparurent par elles-mêmes ou par leurs fondés de pouvoir ; la majeure partie des absents appartenait à la prévôté de Montdidier. La plupart des ecclésiastiques de nos environs se dispensèrent de répondre à l'appel ; les curés de la ville, les religieux des prieurés de Notre-Dame, de Pas, de Davenescourt, de Mares-moutiers, etc., etc., montrèrent une égale indifférence. Il n'en fut pas de même des habitants ; les intérêts de la ville furent soigneusement défendus ; le maïeur, le lieutenant général au bailliage, le prévôt, les élus, se rendirent à Péronne.

Ce n'était pas sans de grandes contestations que cette ville avait obtenu l'avantage d'être choisie pour le lieu de réunion. La rivalité qui se manifesta entre Péronne et Montdidier fit retarder l'époque de la rédaction de la Coutume : le débat entre les deux villes fut extrêmement vif et prolongé. Sous le règne de Henri II on n'avait pu tomber d'accord sur l'endroit où se tiendrait l'assemblée : les uns voulaient que ce fût à Péronne, comme ville capitale, et les autres à Montdidier, comme siége principal et de plus grande étendue que celui de Péronne. François II trancha la question, et, par ses lettres données à Montfort, le 1er juillet 1560, il ordonna aux commissaires, sans préjudice aux prééminences et prérogatives de chacune desdites villes de Péronne et de Montdidier et leurs siéges, de se transporter à Péronne et de procéder à la rédaction. Nos ancêtres ne se tinrent pas pour condamnés, et, après la mort du roi, ils recommencèrent leurs démarches. La question fut de nouveau débattue ; enfin, par sa lettre datée de Moulins, le 10 février 1566, Charles IX laissa les commissaires libres de se transporter dans celle des villes de Péronne ou Montdidier qu'ils jugeraient la plus commode. Le crédit de Jacques d'Humières, gouverneur général, fit pencher la balance en faveur de la ville où il faisait sa résidence. Il s'adressa à la reine, joignant ses sollicitations à celles des maïeur et échevins de Péronne, pour obtenir que cette ville fût choisie de préférence à toute autre. Voici la teneur de sa lettre :

« Madame,

Ayant les mayeur, eschevins et habitans de ceste ville de Péronne, entendu que la redaction des coustumes de mon gouvernement se debvoit fère en la ville de Montdidier, sont venuz me remonstrer que ceste dite ville a tousjoures tenu le premier lieu des deux autres et en les preheminence de y fère toutes les assemblées généralles comme estant la principale de toutes, me priant de supplier très-humblement de permettre que la convocation et assemblée se fâce en leur dite ville et qu'ilz puissent estre maintenuz en leur autorité. Et s'il plaist à Vostre Majesté
« que ainsi soyt faist, je vous supplie très-humblement, Madame, le fère commander à monsieur le premier président qui en est le commissaire, affin qu'il m'envoye la commission. Vous asseurant, Madame, que y estant comme j'espère, je tiendray la main que le service de Vostre Majesté y sera faict et toutes choses conservées en bon estat. Ne vous mandant rien de mes voisins parce que le sieur de Mauvissière qui passa hier par icy vous en aura dict ce que je vous en scauroye escripre.

Madame je prie Dieu de vous donner en santé très-longue vye. De Péronne le XVe de février 1567.

Vostre très-humble et très-obéissant sujet et serviteur,

J. Humieres. »

Bien que le gouverneur général eût assuré la reine qu'il tiendrait la main à ce que le service de Sa Majesté fût, faict et toutes choses conservées, il n'y avait pas à Péronne de local convenable pour l'assemblée, et elle fut obligée de se réunir chez un simple particulier, Jean Desmerliers, conseiller en l'élection. Christophe de Thou, Faye et Viole arrivèrent à Péronne le 14 septembre 1567 ; le 15, après avoir procédé à la vérification des titres des membres présents à l'assemblée, et leur avoir fait promettre sous la foi du serment, que en leurs loyautés et consciences ils rapporteroient ce qu'ils ont veu garder et observer des Coustumes anciennes dudict gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye et ce qu'ils en sçavent : cessant toute affection privée et particulière, ayans seulement esgard au bien public : nous disans aussi leurs advis et opinion de ce qu'ils trouveront dur, rigoureux et desraisonnable des coustumes ci-devant par eulx observées, pour comme tel estre par nous tempéré, modéré, corrigé ou du tout abrogé, ils passèrent à l'examen des cahiers contenant les différentes Coutumes du gouvernement, ainsi que les droits et priviléges particuliers à chaque ville et prévôté, dont il leur fut donné lecture par les lieutenants et autres officiers des lieux intéressés. Cette opération dura jusqu'au vendredi 19 septembre. Puis, quand chacun eut fait valoir ses prétentions, les commissaires firent lire les Coutumes qui venaient d'être arrêtées d'un commun accord, et les déclarèrent obligatoires dans toute l'étendue du gouvernement. La minute du procès-verbal fut déposée par les commissaires au greffe du parlement de Paris, le 16 août 1569.

Les articles généraux de la Coutume sont au nombre de deux cent soixante-treize ; pour les cas qui ne sont pas prévus, on suivait la coutume d'Amiens et celle de Paris. Le mari et la femme étaient solidairement responsables des dettes contractées avant le mariage (art. 112) ; pour les fiefs nobles, duchés, marquisats, comtés, l'aîné héritait de tout à l'exception d'un cinquième réservé aux puînés (art. 175) ; pour les biens roturiers, les puînés, s'ils étaient plusieurs, avaient droit à la moitié des biens, et, s'il n'y avait que deux enfants, l'aîné avait les deux tiers et le cadet l'autre tiers (art. 181-182). Dans le bailliage de Montdidier, tous les actes passés par-devant notaire emportaient hypothèque sur les biens situés dans le bailliage, sans qu'on fût obligé d'obtenir jugement ; toutes les acquisitions de biens-fonds dans la ville et dans la banlieue ne devaient que sept liards de droits seigneuriaux envers l'hôtel de ville : dix-sept jours après la saisine d'un immeuble, le retrait ne pouvait plus être opéré.

Les articles 66, 67, 70, déterminent la manière dont le vassal est tenu d'avouer ou de désavouer son seigneur, dans le cas où plusieurs seigneurs se disputent son fief ; les règles à observer à ce sujet n'existent ni dans la Coutume de Senlis, ni dans celles de Clermont et d'Amiens. La justice royale fut l'objet d'une vive contestation entre la noblesse et les officiers royaux qui avaient présenté deux articles restrictifs des prérogatives des nobles. Sur les réclamations de ces derniers, on supprima les deux articles, et on les remplaça par un autre qui empiétait moins sur les priviléges de la noblesse ; cet article, inséré dans le procès-verbal qui est à la suite de la Coutume, est ainsi conçu : « Les juges royaux peuvent prévenir en toutes causes civiles et personnelles, reelles, mixtes et possessoires, toutefois les seigneurs hauts justiciers, ou leurs procureurs demandans renvoy en estre fait par devant les officiers desdits hauts justiciers, leur sera ledit renvoy fait, hormis des cas royaux et desquels par les ordonnances la cognoissance appartient auxdits juges royaux privativement à tous autres. »

Au reste, pour avoir une connaissance exacte de la matière, il faut nécessairement lire la Coutume ; on se tromperait si l'on croyait que cette lecture est rebutante, elle est bien moins fastidieuse et présente beaucoup plus d'intérêt que celle du code : l'histoire y coudoie à chaque instant la jurisprudence ; c'est le tableau le plus fidèle de l'organisation civile et politique qui nous a régis durant plusieurs siècles.

A la suite de la Coutume se trouve un volumineux procès-verbal qui, au point de vue historique, n'en est pas la partie la moins curieuse : là sont consignés les observations et dires spéciaux à chaque ville et à chaque ordre ; on y remarque, entre autres, un certain nombre d'articles particuliers à Montdidier, que l'on peut considérer comme le complément de la charte communale, puisque, de temps immémorial, les habitants ont joui des priviléges et franchises énoncés dans ces articles. Comme ils ont un intérêt majeur et que le Coutumier de Picardie n'est pas dans toutes les mains, nous croyons devoir les mettre sous les yeux du lecteur :

« Ce faict, les maïeur et eschevins de la ville de Montdidier nous ont présenté certains articles de Coutumes localles, desquelz lecture a esté faicte en présence que dessus, et dont la teneur s'ensuit : »

A la ville de Montdidier appartient la mairie dudict lieu, droict de justice, seigneurie, revenuz, emoluments et autres droictz y appartenans : mesmement droict de police travers qui s'estend en plusieurs branches, tant en la
dicte ville que ailleurs, confiscations, aubeines, tonnelieux, droicts de rouaige, foraige, cherquemmaige, bornage, avec plusieurs autres beaux droistz.

A cause de laquelle justice et seigneurie, les maïeur et eschevins de la dicte ville de Montdidier, qui exercent icelle justice, ont tous les droicts, prérogatives et prééminences qui appartiennent à seigneurs haultz justiciers. En somme appartient à la dicte ville la dicte justice haulte, moyenne et basse, en laquelle indifféremment sont subiectz et responsables tous les habitants de la dicte ville, faulxbourgs et banlieue d'icelle, pour quelque cause et matière que ce soit, tant civille que criminelle : sans que autres, encores qu'ilz ayent fiefz en la dicte ville et banlieue, ayent ou puissent prétendre aucun droict de justice.

Pour l'exercice de laquelle justice, est loisible aux manans et habitans d'icelle ville et banlieue commettre tous officiers c'est assavoir maïeur, eschevins et jurez, advocat et procureur de ville, greffier tant de l'eschevinaige que ordinaire, sergens et autres officiers.

Que par les coustumes localles, de tout temps gardées et observées en la dicte ville et banlieue, quand aucun vend quelque maison, ou autre héritaige situé en icelle ville et banlieue, est nécessaire au vendeur faire la dessaisine, et prendre la saisine par l'achepteur, en ladicte justice desdictz maïeur et eschevins, pendant le temps de quarante jours ensuyvans la vendition, en peine de payer à la dicte ville soixante sols parisis d'amende, par celuy ou ceulx qui ne seroient venez à dessaisine : et si sera tenu en pareille somme l'achepteur, au cas qu'il se soit immiscé en la possession de ce qui luy a été vendu avant ladicte saisine prinse.

Et doibt tel vendeur payer à ladicte ville seize deniers parisis pour tous droicts seigneuriaux ; et si l'héritaige est vendu francs deniers, lesdicts seize deniers parisis viendroient à payer, et seroient deubz par l'achepteur.

Si aucun vend quelque héritaige assis en icelle ville et banlieue, lequel lui seroit venu et escheu de son propre ; en ce cas, le parent et lignager d'iceluy vendeur, du costé et ligne dont vient ledict héritaige, s'il veut retraire iceluy, doibt intenter instance pendant dix sept iours et dix sept nuictz, après que l'achepteur en sera saysi et vestu ; et ce faisant faire offre de rembourser les deniers principaulx, avec les droitz seigneuriaulx, fraiz de lettres, et tous loyaux coustemens, lesquelz doibvent être comptez et nombrez jusques et comprins le jour de la contestation en cause : autrement et faulte de ce faire pendant lesdicts dix sept jours et dix sept nuictz, ledict parent du vendeur n'y sera plus receu.

Lesdictes offres faictes, selon que dessus, et si a icelles l'achepteur veult acquiescer et le déclaire ainsi en justice, celui qui veult retraire sera tenu rembourser ledict achepteur des deniers principaulx d'icelle acquisition, droictz seigneuriaux, fraiz de lettres et autres loyaux coustz en dedans les vingt quatre heures après. Autrement tel qui veulx retraire sera débouté dudict retraict.

Quand aucun de ladicte ville et banlieue donne quelque héritaige ou autre droict y situé à ses enfants ou bien ses nepveux, cousins ou autres personnes, ou à aucuns d'eulx en faveur de mariage, et si celuy auquel telle donation auroit esté faicte, decede sans enfants yssuz dudict mariage, et sans avoir disposé, en ce cas, ce qui a été ainsi donné retournera au donateur, ses héritiers ou ayans cause, à la charge toutes fois que la femme du donataire, si elle est vivante, joyra en douaire, sa dicte vie durant, tant seulement de la moitié de l'héritaige ainsi donné. Et sera tenue telle vesve entretenir iceulx héritaiges bien et deuëment et payer la moitié des charges, et autres redevances foncières et anciennes, dont est chargé tel héritaige.

« Au deuxième desditz articles, commençant par ces mots : A cause de laquelle justice, et quatriesme commençant par ces mots : Que les coustumes localles, le sieur de Morvillier s'est rendu opposant. Sur laquelle opposition , avons renvoyé lesdictes parties en la court de Parlement, au lendemain de la Sainct-Martin. Et néantmoins ordonné que tous lesdictz articles seront inserez en nostre présent procès-verbal, comme droictz pretenduz par les maïeur, eschevins et habitants de Montdidier : esquelz droictz n'avons entendu et n'entendons déroger par la rédaction de la coustume généralle : ainsi que lesdictes parties respectivement joyront, selon leurs tiltres particuliers, ou possessions immémorialles.

Pareillement maistre Romain Pasquier, prévost et juge ordinaire de la ville et prévosté de Montdidier, nous a présenté deux articles dont la teneur ensuit : »

En ladicte Coustume il y a de tout temps et ancienneté prévost et juge ordinaire en ladicte ville et prévosté de Montdidier. Auquel, par ladicte coustume appartient jurisdiction et congnoissance, en première instance, sur tous les hostes, et subjectz roturiers de ladicte prévosté, soient subjectz du roy ou des haultz justiciers : lesquels suyvant ladicte Coustume sont justiciables, et ont de tout temps accoustumé d'estre traictéz et convenuz en toutes leurs causes et actions, tant civilles que criminelles, pardevant ledict prévost, sans préjudicier au renvoy des subjectz desdits haultz justiciers.

Lesquelz articIes avons ordonné être inserez en ce nostre procès-verbal, pour servir et valoir audict Romain, et à ses successeurs audict office de prévost et juge ordinaire de ladicte ville et prtvosté de Montdidier, ainsi que de raison, et qu'il se trouvera avoir esté joy au précedent par tiltre et possession immémorial, ausquelz n'entendons aucunement préjudicier. »

Nous avons fait quelques observations sur ces articles aux chapitres de la Mairie et de la Prevôté ; on peut, au surplus, consulter à cet égard le Commentaire de de la Villette.

La coutume de Montdidier a été imprimée plusieurs fois. La première édition est de 1569, Paris. Jehan Dallier, libraire, demeurant sur le pont Sainct-Michel à l'enseigne de la Rose blanche. Sur le frontispice on voit une rose, et au-dessus les initiales des trois villes, surmontées de la couronne royale. Cette édition parut l'année même où la Coutume fut enregistrée au parlement ; on en est redevable à Adrien Lefèvre, écuyer, seigneur de Morlemont et de Lagate, lieutenant civil et criminel à Péronne, celui-là même qui eut avec Antoine de Bertin une contestation relative à la priorité du rang. En tête de l'ouvrage l'ouvrage se trouvent une préface latine de trois pages, adressée par Adrien Lefevre à de Thou, Viole et Faye, ainsi qu'une pièce de vers latins en leur honneur par Jean Lagnier, avocat à Péronne, qui assistait également à la réunion. Cette édition forme un volume in-quarto de 70 pages ; elle est devenue rare ; les amateurs la recherchent à cause du procès-verbal qui est à la fin, et dans lequel on lit le nom de toutes les personnes qui comparurent à Péronne par elles-mêmes on par leurs fondés de pouvoir ; les défaillants y sont mentionnés. Cette nomenclature est précieuse pour l'histoire ecclésiastique et nobiliaire de la province ; dans les éditions postérieures, sans même en excepter le grand Coutumier de Picardie, on n'a donné qu'un extrait très-insuffisant de cette pièce. Plusieurs noms de paroisses, de lieux, et quelques noms propres ont été defigurés à l'impression, d'autres ont changé depuis cette époque. Malgré ses imperfections, le procès-verbal de la Coutume est aujourd'hui, pour un grand nombre de lecteurs, la partie la plus intéressante à consulter, et ce n'est que dans l'édition de 1569 qu'on peut se livrer à des recherches sur les fiefs et les familles.

Le premier commentaire sur la Coutume parut en 1621, 1 volume in-seize, imprimé chez Jacquin, à Paris, pour Charles le Queux, libraire, demeurant à Sainct-Quentin, au Dauphin. Ce commentaire est fort court et consiste en quelques notes sommaires placées au bas d'un petit nombre d'articles. L'éditeur déclare dans la préface que c'est lui qui a fait rédiger ces notes par des avocats du pays ; l'édition est dédiée à M. d'Y, procureur du roi à Saint-Quentin. A la fin de l'ouvrage on a ajouté une table des villes, bourgs, villages et hameaux régis par la Coutume. Cette table manque dans l'édition de 1569, mais elle a été réimprimée dans toutes les éditions postérieures ; l'édition de 1621, bien moins belle que celle de 1569, ne se rencontre que difficilement.

A cette époque, écrivait sur la Coutume un homme que son érudition et son savoir ont rendu justement célèbre : Claude le Caron, avocat en parlement et au bailliage de Montdidier, maïeur de cette ville en 1624-1625, passait dans le silence et l'étude du cabinet les instants qu'il pouvait dérober au barreau, où son talent lui assurait le premier rang. En 1629 et 1630, il avait publié deux brochures sur des points litigieux ; mais ce n'était que le prélude d'un plus grand travail. Agrandissant le cercle de ses investigations, il composa sur la Coutume de notre gouvernement un Commentaire qui, jusqu'à la Révolution, se trouvait entre les mains de tous les jurisconsultes. Le temps, qui d'ordinaire fait tomber dans le discrédit ces sortes d'ouvrages, respecta le sien, et ne fit qu'affermir la réputation et la solidité de l'œuvre de notre compatriote. Sa modestie ne lui permit pas de faire paraître de son vivant cet ouvrage, fruit de longues et consciencieuses recherches ; après sa mort, arrivée en 1656, il fut publié par ses deux fils, Claude le Caron, avocat du roi au bailliage, et Antoine le Caron, président en l'élection.

Le Commentaire de Claude le Caron fut imprimé à Paris, chez Nicolas Bessin, en 1660, 1 vol. petit in-octavo. Cet imprimeur en donna la même année deux éditions, toutes les deux ayant même format, même caractère, même pagination. Dans l'une, à la suite du titre, on lit : A Paris, chez Claude Barbin, dans la grande salle du palais, au Signe de la Croix ; et à Amiens, chez Gilles de Gouy, rue des Beaux-Puits. L'autre édition porte simplement, après le titre, à Paris, sans désignation de libraire. Ces deux ouvrages ont dû être tirés à un grand nombre d'exemplaires, car ils se trouvent aisément. Des pièces de vers latins et français, des anagrammes et des quatrains, insérés en tête du volume, témoignent de l'admiration des beaux-esprits du temps pour l'auteur de ce Commentaire : Louis le Maistre de Bellejamme, conseiller du roi, à qui il est dédié, ne fut point oublié, et les poëtes s'empressèrent aussi de lui adresser leurs hommages. Si le Commentaire est bon, on ne saurait en dire autant des vers qui le précèdent ; ils sont généralement détestables. Les fils de Claude le Caron avaient à peine payé à la mémoire de leur père le tribut de reconnaissance et d'honneur qu'il méritait, que la mort les surprit ; ils moururent tous les deux en 1661, à moins d'un mois d'intervalle.

Claude le Caron trouva de son temps un digne émule dans la personne de Jean de la Villette, prévôt royal. Son Commentaire n'est pas moins estimé que celui de le Caron ; ses observations sont plus développées ; des réflexions générales, placées au commencement de chaque chapitre, préparent le lecteur à la connaissance des articles et lui en facilitent l'intelligence. L'ouvrage de de la Villette a sur celui de le Caron l'avantage de renfermer des renseignements historiques qui, malgré la désuétude dans laquelle est tombée la Coutume, ont conservé leur mérite, et assurent à son travail la-supériorité sur celui de son rival.

Dans l'introduction, pleine d'érudition, qui ouvre le Commentaire de de la Villette, on lit des notices sur Péronne, Montdidier et Roye ; à la fin du Commentaire, il y a également une dissertation remplie d'intérêt sur les Coutumes locales de notre ville, dont le Caron a eu grand tort de ne point parler : ce dernier chapitre de l'ouvrage de de la Villette se recommande vivement à l'attention des personnes sérieuses. Il est bon toutefois de se rappeler que l'auteur fut pendant trente et un ans prévôt royal à Montdidier, que pendant toute sa vie il fut en lutte avec le bailliage et la mairie, et que le désir de soutenir ses prérogatives lui fait regarder comme définitivement acquis à la prévôté, des droits que ses adversaires étaient loin de lui reconnaître. De la Villette mourut le 14 avril 1663. Son Commentaire ne fut publié que longtemps après sa mort ; ce fut François de Bertin, lieutenant général au bailliage, son petit-fils, qui le donna au public ; il est inséré à la suite du Commentaire de le Caron, dans le deuxième volume du Coutumier général de Picardie, imprimé en 1726.

Les deux volumes in-folio du Coutumier général, délaissés par nos modernes fabricants d'histoire, renferment des documents fort importants que l'on néglige trop. Tout Picard (je parle seulement de ceux qui ont de l'instruction) doit les consulter ; tout bon Montdidérien devrait en avoir un exemplaire dans sa bibliothèque, et ne pas se contenter de le placer sur une tablette sans jamais y porter la main, mais le lire, le feuilleter au moins une fois dans sa vie ; c'est un devoir que l'amour de l'étude et de son pays rend facile à accomplir. Hélas ! les ouvrages de le Caron et de de la Villette, méprisés par des personnes incapables de les apprécier, relégués dans un coin obscur, couverts de poussière, deviennent chaque jour la pâture des vers et l'objet du dédain des ignorants.

D'autres Montdidériens se sont encore exercés sur la Coutume : ville de magistrature, il n'est pas étonnant que Montdidier ait donné le jour à de nombreux et savants interprètes des lois ; les de Lestocq, les de Saint-Fussien, les de la Morlière, suivirent la carrière que le Caron leur avait ouverte ; moins heureux que lui, leurs travaux n'eurent point, comme le sien, le bonheur de tomber dans des mains intelligentes, et le fruit de leurs veilles est perdu pour nous : ce n'est point à nos anciens magistrats qu'on pourrait appliquer ces vers de la Fontaine :

D'un magistrat ignorant,
C'est la robe qu'on salue.

Un homme qui s'est acquis une réputation justement méritée par les écrits qu'il a publiés sur le Beauvaisis, a consacré sa plume à mettre en lumière plusieurs des principes de droit contenus dans notre Coutume. En 1615, Pierre Louvet, de Beauvais, fit paraître un volume in-quarto intitulé : Coustumes de divers bailliages observées en Beauvaisis, à scavoir de Senlis, Amiens, Clermont et Montdidier, conférées l'une à l'autre et à celle de Paris, avec notes. Beauvais, Godefroy Valet. Le titre de l'ouvrage indique assez le but que se proposait l'auteur et l'usage auquel il le destinait. Il établit une concordance entre les Coutumes particulières à chacune de ces villes, de sorte que l'on peut en un instant observer leurs points de ressemblance et ceux dans lesquels elles diffèrent ; la comparaison de chaque article permet de suppléer au silence d'une Coutume, en empruntant les termes de la Coutume voisine. L'ouvrage de Louvet, très-commode dans la pratique et d'une utilité incontestable autrefois, a présententent peu d'intérêt.

La Coutume disparut avec le bailliage. Aujourd'hui le Code est le même partout. Le nombre des commentateurs a-t-il diminué ? l'unité a-t-elle amené la clarté et l'homogénéité dans l'interprétation des lois ? Non. L'unité est certainement une belle chose ; mais avec cette uniformité maussade qui règne sans partage sur la France, qui fait que toutes les villes ont l'air d'être jetées dans un même moule, le caractère distinctif de chaque pays tend sans cesse à disparaître, et, dans peu d'années, l'histoire des villes de province deviendra presque impossible.

*
 

Retour
Retour

Accueil
Suite