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Histoire de Montdidier
Livre IV - Chapitre II - Section XII

par Victor de Beauvillé

CAPPERONNIER (Claude) naquit le 1er juin 1671, de Jean Capperonnier, marchand tanneur, et de Charlotte de Saint-Léger. Au lieu de suivre la profession de son père, il se sentit entraîné vers l'étude par un penchant irrésistible. Le hasard lui ayant mis une grammaire entre les mains, il apprit seul le grec et le latin. Son oncle maternel, Charles de Saint-Léger, religieux bénédictin à Corbie, frappé de ses dispositions, le fit entrer au collége de Montdidier, et l'envoya ensuite terminer ses humanités au collége des Jésuites, à Amiens. En 1688, Capperonnier vint à Paris, où il s'adonna à la philosophie et à la théologie ; il s'appliqua également à l'étude des langues orientales ; Feydeau de Brou, évêque d'Amiens, jeta les yeux sur lui, et l'envoya en 1694 à Abbeville, et en 1695 à Montreuil, enseigner la langue grecque dans des communautés religieuses.

Capperonnier retourna à Paris en 1696. et se fit recevoir maître ès arts, puis bachelier en théologie et licencié en 1698 ; ses ressources étaient très-restreintes : il vivait de quelques répétitions et des revenus d'une chapelle dans l'église Saint-André des Arts. Collesson, célèbre professeur de droit, qu'il comptait au nombre de ses élèves, l'obligea d'accepter un logement chez lui. Collesson avait épousé la petite-fille de Jean le Caron, avocat, frère de l'auteur du Commentaire. En 1704, Bossuet s'adressa à Capperonnier pour être mis en état de lire les Pères de l'Église dans le texte original. Le disciple fait assez l'éloge du maître.

Aussi désintéressé qu'instruit, Capperonnier résigna son bénéfice de Saint-André des Arts, aussitôt qu'il fut chez Collesson ; mais ses amis, plus prévoyants, lui firent obtenir en 1706 une pension de 400 liv. sur les revenus de la Faculté des Arts, à condition qu'il surveillerait la correction des livres grecs destinés à l'instruction de la jeunesse. Il en témoigna sa reconnaissance par un petit poëme grec qu'il fit imprimer avec la traduction que Billet, professeur de rhétorique au collége du Plessis, en avait faite en vers latins. D'une piété égale à son savoir, Capperonnier refusa la chaire de grec qui lui était offerte à l'université de Bâle, ne voulant pas, étant engagé dans les ordres sacrés, se fixer dans un pays protestant.

Capperonnier resta chez Collesson jusqu'en 1710, travaillant assidûment sur les auteurs grecs dont les ouvrages étaient restés manuscrits dans les bibliothèques de la capitale. Son érudition le mit en rapport avec les principaux savants de l'époque, Montfaucon, Tournemine et autres. En 1711 il entra chez Crozat, et fit l'éducation de ses trois fils : on est redevable à l'un d'eux du canal qui unit l'Oise à la Somme. En 1722 Capperonnier fut nommé professeur de langue grecque au Collége de France : c'était la seule place qu'il eût jamais désirée.

Pendant vingt ans il remplit ses fonctions sans interruption, partageant son temps entre sa chaire et le travail du cabinet, revisant les anciens auteurs, préparant des éditions plus correctes de leurs ouvrages, aidant ses contemporains dans la publication de leurs œuvres. Personne ne connaissait mieux que lui la langue grecque ; aussi était-il consulté comme un oracle sur cette matière ; il en possédait si intimement toutes les richesses qu'il improvisait des vers dans cet idiome avec autant de facilité que d'autres improvisent des vers français. Il parlait également l'hébreu, l'italien, l'espagnol, le grec moderne, et, pour cette dernière langue, il faisait gratuitement les fonctions d'interprète du roi. Cétait, dit Gouget, un des plus habiles philologues qui aient paru depuis longtemps. Les infirmités ayant mis Capperonnier dans l'impossibilité de continuer ses devoirs de professeur, il donna sa démission en 1743, en faveur de son neveu, Jean Capperonnier. Le 24 juillet de l'année suivante, il mourut à Paris d'une paralysie à la gorge, à l'âge de soixante-treize ans, et fut inhumé dans le cimetière Saint-Joseph. Capperonnier n'avait jamais reçu la prêtrise ; il était simplement diacre du diocèse d'Amiens, qualité qui lui fut conférée en 1698.

Le portrait de Capperonnier, peint par Aved, a été gravé par Lépicié ; c'est une œuvre très-remarquable : nos pères se faisaient un honneur d'avoir cette gravure dans leurs salons ; c'était un témoignage public d'estime rendu à un de leurs concitoyens. Aujourd'hui on préfère les aquarelles, les miniatures, les lithographies : à quoi bon le portrait d'un professeur de grec pour des gens qui n'en savent pas un mot ?

L'éloge de Capperonnier, par Lefebvre de Saint-Marc, parent de Jean Capperonnier, forme une brochure in-douze de 16 pages d'impression, très-fine et très-nette, sans indication de date, lieu et nom d'imprimeur ; elle est fort rare. Cet éloge a été inséré dans le tome V de l'édition des Œuvres de Boileau, donnée par de Saint-Marc en 1747 ; le P. Daire l'a copié presque textuellement dans sa notice sur Capperonnier, Gouget s'en est servi également dans ses Mémoires historiques sur le Collége royal.

Voici l'indication des travaux littéraires de notre compatriote :

Sur le mariage de M. de la Villette, avocat en parlement, et de mademoiselle Cauvel de Bonviller (sic). Ode. In-4°, 8 p., s. d. n. l. d'impr.

Réimprimé à cinquante exemplaires. Paris, Didot, 1857.

Cette ode, qui n'a pas moins de dix-huit strophes de dix vers chacune, fut composée en 1695, à l'occasion du mariage de Jean Édouard de la Villette, seigneur de la Tour-Mory, avec Marie Madeleine Cauvel de Beauvillé ; sa cousine, fille de Pierre Cauvel de Beauvillé, procureur du roi en la mairie. Jean Édouard de la Villette succéda à son père dans la charge de lieutenant criminel au bailliage, et en remplit les fonctions pendant trente-six ans ; il fut maire de Montdidier en 1717-1718.

ΤΗ ΛΑΜΠΡΟΤΑΤΗ ΑΚΑΔΗΜΙΑ ΠΑΡΙΣΙΑΚΗ, etc. ; ΕΥΧΑΡΙΣΤΗΡΙΟΝ.

Le petit pöeme grec imprimé sous ce titre, et que Capperonnier composa pour remercier l'Université de la pension de 400 liv. qu'elle lui avait accordée, contient quarante-quatre vers. L'auteur y fait l'éloge de l'Université, et adresse, en terminant, un compliment à Pierre Viel, qui en était recteur. Capperonnier fit imprimer ce poëme avec la traduction de Billet, et lui donna pour titre : Illustrissimœ Academiœ Parisiensi, francorum regum primogenitœ filiœ, et litteratorum matri ac nutrici, atque amplissimo ejusdem rectori Petro Viel, gratiarum actio. Paris, Thiboust (1706), in-4°, sept pages.

La traduction latine contient quarante-neuf vers, elle est signée P. B.

Les noms de lieu, d'imprimeur et celui de Capperonnier sont en grec.

L'indication que Barbier donne de cet ouvrage dans le Dictionnaire des anonymes est fautive.

Dans le même temps, Capperonnier publia quelques autres pièces de vers grecs dont nous ignorons le texte et le sujet ; elles étaient déjà peu connues dans le siècle dernier.

Apologie de Sophocle, ou Remarques sur la troisième lettre critique de M. de Voltaire. Paris, Coustelier, 1719.

Brochure in-8° de 30 pages, plus un feuillet non chiffré qui contient l'approbation. Cette apologie est écrite sous forme de lettre, et datée du 18 mars 1719. Capperonnier justifie l'Œdipe de Sophocle des critiques de Voltaire.

Marci Fabii Quinctiliani de Oratoria institutione libri XII. Totum textum recognovit, etc. ; Claudius Capperonnius Mon-Desiderianus, licentiatus theologus Parisiensis, et regius græcarum litterarum professor. Parisiis, Coustelier, in-fol., 1725.

Cette édition, l'une des meilleures que l'on connaisse, est dédiée au roi, qui récompensa l'auteur par une pension de 800 liv. sur l'archevêché de Sens ; après l'épître se trouve une préface adressée à Fleury, évêque de Fréjus.

La mort de Coustelier, arrivée pendant le cours de l'impression, fut cause que Capperonnier ne donna plus rien au public ; il regardait cet imprimeur comme le seul qui pût lui convenir. Notre compatriote avait préparé plusieurs ouvrages dont les philologues et les critiques doivent déplorer la perte. La réputation de Capperonnier se serait singulièrement accrue s'il avait mis au jour ces divers travaux auxquels il avait donné tous ses soins ; leur indication peut donner une idée de sa vaste érudition :

Antiqui rhetores latini e Francisci Pithoei bibliotheca olim editi, recognovit, emendavit, notis auxit Claudius Capperonnerius Mon-Desiderianus, in sacra Facultate Parisiensi licentiatus et regius græcarum litterarum professor. Argentorati, sumptibus Jo. Gothofr. Baueri, 1756, in-4°.

Cet ouvrage fut publié après la mort de Claude Capperonnier, par Jean Capperonnier son neveu.

Corrections et observations sur la bibliothèque de Photius.

Discours latin sur l'usage et l'excellence de la langue grecque, prononcé en décembre 1722 lorsqu'il prit possession de la chaire de grec au Collége de France.

Collation de deux manuscrits de Platon.

Œuvres de Théophilacte, patriarche des Bulgares.

Observations philologiques.

Elles auraient formé plusieurs volumes in-4°.

Remarques critiques sur la traduction de Longin, par Boileau ; de Quintilien, par l'abbé Gédoyn, et sur la Rhétorique du père Lamy.

Ces remarques auraient composé un fort volume ; quelques-unes sont rapportées dans le tome III de l'édition de Boileau, publiée par de Saint. Marc, page 479, sous ce titre :

Explication et justification du sentiment de Longin touchant le sublime d'un passage de Moïse.

Lectiones synodicæ, ou Observations sur le texte et la traduction latine des conciles grecs.

Il y avait la matière d'un volume in-4°.

Traité de l'ancienne prononciation de la langue grecque.

Cet ouvrage eût formé un volume in-4° : il était terminé, et muni de l'approbation de l'abbé Couture.

Commentaires grecs d'Eustache sur l'Iliade et l'Odyssée d'Homère.

Capperonnier en préparait une édition ; il en avait déjà traduit six livres en latin avec notes, lorsqu'il apprit qu'un savant étranger s'occupait d'une publication semblable : il cessa alors son travail.

Imperatoris Manuelis Palæologi cum illustri quodam Perga ; dialogus de christiania religione itemque de mahometana.

On n'a retrouvé dans ses papiers que le quart de la traduction de cet ouvrage grec.

Trésor latin de Robert Étienne.

Il travailla toute sa vie sur cet ouvrage, et laissa une foule de corrections et de notes destinées à une édition plus complète que toutes celles qui avaient paru.

Histoire byzantine.

Cette histoire, que l'on devait imprimer au Louvre, l'occupa pendant deux ou trois ans.

Traité d'Origène contre Celse.

Le père de la Rue, à qui Capperonnier communiqua ses corrections, en fit usage dans l'édition qu'il a donnée des œuvres de ce docteur de L'Église.

Dans l'édition des Lectiones antiquœ de Canisius, imprimée en Hollande, in-folio, on trouve, de Capperonnier, des observations et corrections sur la version latine des fragments d'Hippolyte par Anastase, sur un passage des fragments de Clément d'Alexandrie, et sur la version de l'Apologie d'Eunonius.

Capperonnier a beaucoup aidé Boivin dans la publication de son édition de Nicephore Gregoras. Paris, 1702, 2 vol. in-fol. C'est de lui qu'est la version de la dispute de Nicéphore Grégoras avec Cabasilas ; des notes savantes accompagnent la traduction. Il a aussi fourni à Rollin des remarques sur les grammaires grecque et latine, insérées dans son Histoire ancienne.

En voyant la nomenclature des travaux inédits de Capperonnier, travaux perdus aujourd'hui, on ne peut s'empêcher de regretter que des considérations auxquelles il attachait trop d'importance l'aient empêché de les livrer à l'impression : ce sont autant de titres de gloire perdus pour notre ville.

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