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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre I - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Situation de Montdidier

Son aspect

Rues et places principales

Position de l'ancienne ville

Son étendue

Opinion invraisemblable de quelques chroniqueurs

 

La ville de Montdidier, chef-lieu d'arrondissement du département de la Somme, est située, d'après les observations faites par les officiers du corps d'état-major, au 49° 39' 0" de latitude, et au 0° 13' 50" E. de longitude ; sa hauteur au-dessus du niveau de la mer, mesurée au portail de l'église Saint-Pierre, est de 98m,04. Cette ville est bâtie sur le penchant d'une montagne calcaire, dont la pente principale regarde le midi. Au nord et à l'ouest, la montagne sur laquelle notre cité s'élève est très-escarpée ; en quelques endroits même elle est entièrement à pic. Cet escarpement n'est pas simplement l'ouvrage de la nature, il est dû encore à la main de l'homme, qui, pour augmenter en temps de guerre ses moyens de défense, a combiné habilement les ressources de l'art avec les accidents du terrain.

Au levant, une plaine fertile s'étend jusqu'au Santerre ; au couchant, coule la rivière des Trois-Dom, qui prend sa source à peu de distance, et sépare la ville d'une partie des faubourgs.

La position de Montdidier sur une montagne a toujours été un obstacle à son agrandissement ; les abords en étaient roides, dangereux : des travaux de rectification récemment exécutés les ont rendus plus faciles aux voitures.

L'intérieur de la ville se ressent de cette situation : le terrain y est rare ; les maisons manquent d'espace, elles se pressent, s'élèvent en amphithéâtre, serrées les unes au-dessus des autres ; très-peu ont un jardin ; beaucoup n'ont point de cour. Les rues sont généralement en pente et d'un parcours désagréable.

L'aspect de Montdidier est celui de toutes les petites villes, calme et monotone ; peu ou point de mouvement ; les jours de marché seulement, la vie s'y fait sentir : la présence des gens de la campagne lui communique alors une certaine animation : les autres jours, rien n'interrompt le repos des habitants que la cloche du beffroi annonçant de temps à autre quelque vente, ou le tambour de la garde nationale, dont le bruit importun vient fatiguer les oreilles.

Depuis plusieurs années, la physionomie de la ville a bien changé : de jolies boutiques se sont ouvertes ; les antiques auvents, avec leurs ardoises cassées, leurs ais branlants et leurs planches disjointes, ont disparu. On ne voit plus de ces grandes portes inclinées, à deux battants vermoulus, qui avançaient sur la voie publique et donnaient entrée à des caves profondes, véritables gouffres béants, toujours prêts à engloutir les imprudents qui osaient affronter leur approche ; d'anciennes habitations ont fait place à de nouvelles ; les vieilles façades se sont rajeunies ; les toits aigus, les pignons triangulaires, ont été livrés impitoyablement au maçon et au charpentier. Que l'amateur ne les maudisse point : il ne devait pas chercher dans notre ville de ces curieuses demeures toutes festonnées d'élégantes sculptures, aux toits surmontés de crêtes légères, ou dentelés de gracieux épis, comme on en admire à Rouen ou à Nuremberg ; rien de pareil n'existait dans notre cité, et nous n'avons à déplorer aucune perte artistique.

Les établissements publics que renferme Montdidier lui assurent un rang distingué parmi les villes de province. Le palais de justice, l'hôpital, l'école des frères de la Doctrine chrétienne, le collége, peuvent être montrés comme des modèles. Le caractère bienfaisant des habitants, leur goût éclairé et judicieux, se révèlent dans la construction de ces édifices.

Malgré les améliorations effectuées dans ces derniers temps, Montdidier, comme bien d'autres villes, gagne plus à être vu de loin que de près. De quelque côté qu'on y arrive, l'oeil flatté se repose avec plaisir sur un tableau agréable. Vient-on par la route d'Amiens, le collége offre son architecture sévère, ses jardins en terrasse et ses groupes d'arbres verts ; sur la droite, les ruines de la tour à Blocailles, et quelques débris informes de ces murs qui bravèrent, si longtemps l'effort de l'ennemi. Du côté de Saint-Just et de Tricot, la ville se présente en amphithéâtre : c'est une multitude de toits, de fenêtres, de lucarnes où l'oeil se perd, s'égare ; où tout se mêle, se confond ; l'habitant le plus exercé cherche vainement dans ce chaos pitoresque à reconnaître sa demeure. La Place coupe la ville en deux parties égales ; on voit la vie arriver à cette grande artère, et de là se répandre dans les différents quartiers ; les clochers des églises s'élèvent graduellement l'un au-dessus de l'autre, et le sombre profil du palais de justice forme l'extrémité du tableau.

Mais c'est surtout en venant par la route de Breteuil que l'aspect est vraiment remarquable. Montdidier se déploie dans toute sa longueur, couronnant fièrement la montagne, qui de ce côté est taillée à pic. La ville va en montant du sud au nord : le plan inférieur est occupé par la vallée dont les arbres touffus cachent les habitations des faubourgs. Une rangée de belles maisons, précédées de jardins en terrasse, d'où l'on jouit d'un horizon immense, se dessine sur le haut de la montagne. Des massifs de verdure s'étendent le long des anciennes murailles, s'enfoncent dans le creux du rocher, ou s'élancent jusqu'au faîte des vieilles fortifications ; de petites maisons, qu'on dirait suspendues dans l'espace, se montrent et disparaissent dans le feuillage. Le dôme de Saint-Pierre, le campanile à jour de l'hôtel de ville, le clocher de l'église du Saint-Sépulcre et le blanc sommet de son nouveau portail ressortent dans le tableau, et laissent croire que la ville se prolonge bien au loin, renfermant dans son sein de nombreux habitants. Le spectateur aperçoit à sa gauche le faubourg Becquerel, dont les habitations superposées semblent se séparer du rocher et se précipiter dans la vallée ; au-dessus, la masse imposante du tribunal avec son antique façade de grès, sa tourelle, ses fenêtres ogivales, ses lourds contreforts et son large pignon : à son air altier, on reconnaît la Salle du Roi. La promenade du Prieuré, avec ses épaisses allées de tilleuls, termine merveilleusement le paysage. Les arbres, souvent battus par le vent et les orages, s'élèvent au-dessus de quelques pans de murs en ruine et d'un roc calcaire entièrement dénudé ; leur sombre verdure contraste agréablement avec la blancheur éclatante du rocher qui les supporte ; derrière la promenade, on aperçoit le petit clocher du collége, qui paraît fuir les regards.

En entrant à Montdidier par la route de Breteuil, le voyageur est frappé de la largeur de la rue qui s'ouvre devant lui : c'est la rue Parmentier, auparavant rue du Saint-Sépulcre, et plus anciennement rue de la Mercerie ; elle précède la Place, dont elle fait en quelque sorte partie ; aussi, quand on la désigne, se sert-on souvent de cette expression, le bas de la Place. Il n'y a pas dans notre ville de place véritable ; ce qu'on nomme la Place, ou le Marché-au-Blé, n'est qu'une rue plus large que les autres, qui commence à la rue Parmentier et finit à celle de la Croix-Bleue, avec laquelle elle se confond.

La place de la Croix-Bleue tire son nom d'une croix de pierre peinte en bleu qui s'y trouvait autrefois : elle fut abattue en 1793 ; cette place a été agrandie en 1847 pour ériger la statue de Parmentier. On fit sauter alors toute une rangée de maisons longeant la rue de la Croix-Bleue ; mais, malgré cet élargissement, ce n'est en réalité qu'un carrefour. La place du Marché-aux-Vaches, près de la porte de Roye, est assez spacieuse ; celle du Marché-aux-Chevaux, en dehors de la porte d'Amiens, est embellie par la façade de la nouvelle école des Frères ; ces deux places ne sont point pavées. Dans les faubourgs, aucune rue ne l'est encore ; des tas de fumier croupissent devant les maisons et obstruent la voie publique, qui, pendant l'hiver, est en aussi mauvais état que dans l'intérieur d'un village. En général, le défaut de pavage se fait sentir d'une manière fâcheuse, notamment dans les rues du Moulin-à-Vent, Capperonnier et des Capucins. Les principales rues sont celles de Roye, du Marché-aux-Herbes, des Juifs, de la Croix-Bleue et Parmentier ; il n'y en a pas une seule qui soit alignée. Les trottoirs sont chose à peu près inconnue. Au-dessous des rues et des maisons s'étendent des caves profondes pratiquées dans le roc, véritables catacombes d'où est sortie la ville actuelle. Autrefois on ne bâtissait qu'avec la pierre du pays ; chacun tirait du sol qui lui appartenait les matériaux nécessaires pour construire son habitation : de là viennent ces immenses souterrains qui sillonnent la ville en tous sens ; aussi dit-on vulgairement que Montdidier est creux comme un violon. L'usage de la brique a fait renoncer à cette pierre, qui est sensible à la gelée et d'un petit appareil. Dans les constructions de quelque valeur, on emploie avec la brique la pierre de Pont-Sainte-Maxence ou de Senlis, et, depuis l'ouverture du chemin de fer, celle des environs de Creil.

On compte à Montdidier six faubourgs : celui d'Amiens, le moins considérable de tous ; les faubourgs de Roye, de Paris, de Becquerel, de Saint-Médard et de Saint-Martin : dans ces deux derniers la population se livre exclusivement aux travaux agricoles. On peut, pour avoir de plus grands détails sur la topographie montdidérienne, consulter ce que nous disons au livre II, chap. IX de cette Histoire.

La ville de Montdidier n'a présentement qu'une importance très-secondaire ; confondue dans la foule des sous-préfectures qui végètent sur la surface de la France, elle est bien déchue de ce qu'elle était au temps où Philippe-Auguste et le comte de Flandre s'en disputaient la possession les armes à la main.

En observant la vallée du haut de la promenade du Prieuré, on peut se faire une idée assez exacte de l'ancienne ville ; elle occupait l'emplacement de la cité actuelle, et, de plus, l'espace compris entre la montagne sur laquelle est bâti Montdidier et la colline qui borde la vallée du côté du Mesnil-Saint-Georges. Que l'on rejoigne par une ligne d'habitations, passant au moulin la Planche, le faubourg Saint-Martin avec le faubourg Saint-Médard ; que l'on relie ce dernier à celui de la porte de Paris ; que l'on coupe l'intervalle qui les sépare par des rues, des places, des maisons, et l'on aura une idée vraie de ce qu'était Montdidier il y a sept cents ans.

La situation de la plus grande partie de la ville dans là vallée est un fait attesté par les monuments, par la tradition et par des documents authentiques.

Il suffit de jeter les yeux sur l'église de Saint-Martin, sur le lieu où était celle de Saint-Médard, pour se convaincre que là où aujourd'hui il n'y a que des champs et des jardins, s'élevaient autrefois de nombreuses habitations. L'église de Saint-Martin est en dehors du faubourg, entièrement isolée des maisons ; celle qui était dédiée à Saint-Médard, détruite en 1793, se trouvait à plus de trois cents mètres du faubourg de ce nom. L'isolement de ces deux édifices n'est-il pas une preuve évidente que la vie s'est retirée de ces quartiers ?

Aurait-on à dessein construit des églises hors de la portée des habitants, dans un endroit complétement dépourvu de paroissiens ? Non, assurément. Auprès du temple se groupent les maisons, il en devient le centre, et les fidèles viennent se placer sous l'égide de sa croix tutélaire. Dans un aveu de la terre de la Houssoye, près Remaugies, mouvant de la châtellenie de Montdidier, donné le 13 mai 1399 par Jean, sire de Bains et de Boulogne-la-Grasse, il est fait mention d'un grand nombre d'habitations situées aux faubourgs Saint-Martin et Saint-Médard, louées par an 8 sols et trois chapons. Les églises de Saint-Médard et de Saint-Martin étaient, aux douzième et treizième siècles, dans l'intérieur de Montdidier ; à la même époque, celle du Saint-Sépulcre se trouvait dans le faubourg de Paris, et l'hôpital à l'extrémité de la rue de Tricot. La position de ces divers édifices indique parfaitement l'étendue de la vieille ville.

Dès le douzième siècle, il y avait à Montdidier cinq églises, plusieurs hôpitaux et établissements de charité : preuves certaines de l'importance de la cité. Raoul de Crépy, ce haut et puissant seigneur, maître de tant de villes et de châteaux, choisit Montdidier pour le lieu de sa sépulture ; de son vivant, il y fait élever le tombeau où il reposera après sa mort. En 1114, la comtesse Adèle y tient un lit de justice. Cette princesse, l'une des plus riches du siècle, avait coutume de dire que, de toutes les villes du comté de Vermandois, aucune ne lui produisait un aussi grand revenu que Montdidier : Péronne et Saint-Quentin, qui faisaient partie du Vermandois, étaient donc alors des cités moins considérables que la nôtre, En 1115, Godefroy, évêque d'Amiens, y réunit en grande pompe un synode général : Ce qui marque, comme le fait observer de la Villette, que dès ce temps la ville ne manquoit pas d'appas pour obliger les personnes de considération à y demeurer. Philippe de Flandre y établit son quartier en 1183, et y passa l'hiver ; lorsque Philippe-Auguste l'eut réunie à la couronne, elle lui fournit un fort contingent en hommes de guerre et en argent. La rente élevée que les habitants s'engagèrent à payer tous les ans au roi pour l'établissement de la commune, est un témoignage irrécusable de leur prospérité. Cette rente était de 600 liv. parisis, qui représentent, au cours de notre monnaie, 12,500 fr. ; si l'on ajoute à cette somme celle de 237 liv. parisis, ou 4,372 fr., que la ville était encore obligée de fournir annuellement au seigneur de la Tournelle pour l'acquit de ses droits seigneuriaux, on voit qu'à la fin du treizième siècle, Montdidier était dans une situation assez florissante pour payer chaque année 16,872 fr., sans parler des charges ordinaires auxquelles toutes les villes sont assujetties ; de nos jours, elle succomberait sous le poids d'une pareille dette : il est vrai que ces charges étaient compensées jusqu'à un certain point par les priviléges que lui avaient cédés le roi et le sire de la Tournelle.

Ce n'est pas sur la montagne où elle est étroitement resserrée que notre ville pouvait acquérir le degré de splendeur auquel elle était arrivée. Dans la vallée, elle s'étendait et se développait librement. Au temps de Philippe‑Auguste et de ses successeurs, il y avait deux mille maisons à Montdidier, habitées par des gens riches et puissants ; aujourd'hui on ne compte que mille trente et une maisons, et sur ce nombre que de chaumières !... Cette décadence s'était déjà manifestée avant le terrible incendie de 1470. Dès cette époque, il n'y avait plus que quatre cent quatre-vingt-treize maisons dans la ville, et six à sept cents dans les faubourgs. Les années qui s'écoulèrent depuis 1465 jusqu'à 1478 furent désastreuses pour le pays. Dans une requête présentée au roi en 1492, à l'effet d'obtenir la remise d'une partie des rentes qu'ils étaient obligés de payer, les habitants exposent : « Qu'à l'occasion des guerres anciennes arrivées lors depuis cent ans, les fauxbourgs de la ville, qui en estoient au temps de Philippe-Auguste la principale communauté, furent bruslés, détruits et abattus, et n'ont de‑ puis été réédifiés, et que depuis vingt-six à trente et un ans, la ville avec ce qu'il y avoit de maisons et fauxbourgs a esté bruslée et détruite, tant par le feu de meschief que le fait des guerres. Il y avoit anciennement 493 maisons, sans comprendre celles des fauxbourgs ; il n'y avoit lors que 171 en la ville. » On peut voir, à ce sujet, ce que nous rapportons au chapitre VI de cette Histoire.

Les faubourgs, par leur position dans la vallée, furent fréquemment exposés aux ravages de l'ennemi. En 1184, pendant la guerre que le comte de Flandre soutint contre le roi de France, Philippe-Auguste y mit le feu ; chaque fois que les Anglais et les Bourguignons attaquèrent Montdidier, les faubourgs furent les premières victimes de leur agression. Tel est cependant l'attachement de l'homme pour le sol où il est né, que les faubourgs Saint-Médard et Saint-Martin, si souvent ruinés et dévastés, ont toujours vu leurs habitants relever avec persévérance les maisons qu'avaient occupées leurs pères.

Le mot faubourg n'avait pas anciennement la même signification qu'à présent. Ce mot, excepté à Paris, implique généralement l'idée d'un quartier plus mal bâti, moins bien habité que le reste de la ville, et cela est vrai ; mais autrefois il n'en était pas ainsi, et, lorsque l'on parlait des faubourgs de Montdidier au temps de Philippe-Auguste, on entendait par là tout ce qui n'était pas compris dans l'enceinte du château. C'est ce qu'exprime l'auteur de la Généalogie des comtes de Flandre, lorsqu'il dit que le roi incendia les faubourgs de Montdidier : Rex... Viromandiam intrat ; accedensque ad castrum quod Mons-Desiderii dicitur, suburbana illius succendit. (Thesaurus anecdotorum, t. III, p. 391.)

Ce mot suburbana indique parfaitement la position de la ville dans la vallée, comparée avec celle du château qui était sur la hauteur ; c'est aussi le langage que tiennent les habitants dans leur requête présentée au roi en 1492, lorsqu'ils disent que sous Philippe-Auguste les faubourgs étaient la principale communauté.

Le faubourg Saint-Médard était au centre de la commune ; il possédait le beffroi et l'hôtel de ville : toutes ces grandeurs se sont éclipsées, et il ne forme plus aujourd'hui qu'une seule rue, habitée par de modestes jardiniers. Le moulin la Planche, maintenant en dehors des habitations, était jadis entouré de maisons. Jusqu'au quinzième siècle, la basse ville fut la plus importante ; ce n'est qu'à partir des guerres des Bourguignons que les habitants l'abandonnèrent pour chercher un refuge derrière les murailles de la haute ville, qui ne tarda pas à s'accroître aux dépens de l'autre.

En 1485, on arracha, pour paver la ville actuelle, deux mille trois cents pavés entre le Thilloeul et le pont Saint-Étienne : le tilleul était dans le quartier Saint-Médard, et le pont Saint-Étienne près de l'écluse, à cent soixante et dix mètres environ après le pont de l'Ave-Maria. On lit dans des extraits d'anciens comptes : « 1533. Quantité de gros grès, vieil pavé arraché « aux faubourgs dont on a fait 5,700 de carreaux. — 1534. Arracher grès au chemin de la Justice et en la vallée des Teinturiers, et le refaire ou refendre pour paver le marché ; on a pavé la rue de la porte de Roye, le commencement de la rue des Fèvres, la rue des Bouchers en descendant vers la porte Becquerel, etc. ; en tout 373 toises, à 3s 6d la toise. »

Pendant le seizième siècle, les faubourgs furent mis largement à contribution pour venir en aide à la ville. En 1560, on dépava le faubourg de Paris, et on enleva les grès depuis la porte d'Amiens jusqu'au chemin qui conduisait à la Croix du bois de la ville.

Le bois de la ville était à droite de la route d'Amiens, après le fonds qui est à la sortie de Montdidier ; il consistait en trente journaux environ, rapportant 22 liv. au commencement du seizième siècle ; on en coupait cinq journaux par an. Ce bois fut vendu en 1644 à Jacques de Saint-Fussien, moyennant 1,800 liv. et 1 sol de cens par journal payable chaque année au jour de la Saint-Remy ; il a été défriché dans le dix-septième siècle. En 1845, on découvrit à l'entrée du chemin d'Abbémont, à cinquante centimètres de profondeur, une chaussée dont le pavé était de fort échantillon ; on trouva également au même endroit un grand nombre de fers de chevaux dans un état complet d'oxydation. Cette quantité considérable de grès, enlevée à différentes époques, confirme ce que nous avons dit précédemment, que la ville principale était dans la vallée. Malgré notre prétention de vivre dans un siècle de progrès, nous sommes, sous certains rapports, moins avancés que nos ancêtres. Dans le quartier Saint-Médard, le long de la rivière, on enfonce dans la boue et l'on marche les pieds dans l'eau, là où jadis il y avait un pont et une excellente chaussée : la comparaison de l'ancien et du nouveau Montdidier ne tournerait pas à notre avantage.

Avant que notre cité fût tombée dans le triste état où la réduisirent les guerres des Bourguignons, elle était divisée en douze petits quartiers, désignés chacun par le nom de la rue principale qui le traversait ; c'étaient : les rues des Juifs, du Temple, de la Commanderie, des Vieilles-Écoles, de la Mercerie, de la Vieille-Monnaie, des Teinturiers, des Orfévres, de Dagobert, du Lion, de Saint-Pierre et de Paris. Dans la vallée on remarquait les rues de la Quenolle, des Teinturiers, de la Madeleine, du Tilleul ; dans le faubourg d'Amiens se trouvait la rue de la Sangle ou de la Vièze-Chengle. De vieux titres font mention de diverses rues dont il ne reste pas la moindre trace.

L'ancienne ville de Montdidier, beaucoup plus grande que la ville actuelle, l'aurait été bien davantage si l'on s'en rapportait à des mémoires écrits par quelques habitants auxquels l'amour de la patrie paraît avoir tourné la tête. Dans leur zèle pour le lieu qui les vit naître, des chroniqueurs n'ont pas hésité à dire que Montdidier s'étendait depuis Bérencourt, annexe d'Ételfay, jusqu'au Mesnil-Saint-Georges, et de Gratepanse-lès-Ferrières jusqu'à Courtemanche ; peu de capitales pourraient se flatter d'occuper un pareil espace : deux lieues de long sur près de trois lieues de large! Les partisans de cette opinion extravagante, qu'il suffit d'énoncer pour en faire sentir tout le ridicule, s'appuyaient sur une donation faite au douzième siècle, par Robert, abbé d'Ourscamp, à l'église Saint-Martin aux Jumeaux d'Amiens, du labour d'une charrue dans le territoire de Montdidier au lieu nommé Bérencourt : Carrucatam terrœ in territorio Montisderiensis in loco qui Berrolcurs) appellatur : ils se fondaient aussi sur un titre du treizième siècle, émanant du seigneur de Bérencourt, qui permet à un habitant de Montdidier de construire en cet endroit une maison, des bâtiments et un four auquel ceux de ladite ville auront la faculté de faire cuire, comme estant de leur appartenance et dépendance. Ce sont ces derniers mots qui ont servi de point de départ à certains chroniqueurs pour déterminer les limites de notre cité.

Mais, pour peu qu'ils y eussent réfléchi, Bérencourt ou Bélancourt, comme l'on dit maintenant, pouvait fort bien dépendre de la ville sans être compris dans son enceinte. Ce titre du treizième siècle, invoqué par de trop zélés Montdidériens, ne concerne que quelque fief relevant de Montdidier. Bérencourt subsistait encore au quatorzième siècle ; en 1369, Jean de la Tournelle en était seigneur. Il y avait à cette époque entre Ételfay et Montdidier plusieurs fermes ou maisons ; dans le dix-septième siècle, on en découvrit des vestiges en labourant la terre : en 1690, lors du défrichement du bois d'Avesne, qui s'étendait depuis Ételfay et Faverolles jusqu'à la borne de la banlieue, on trouva de gros fondements, des cheminées, des voûtes, des caves, des murs de pierre dure. Ces restes d'habitations, le titre dont nous avons parlé, et cette circonstance, que la principale rue d'Ételfay s'appelait rue de Saint-Médard de Montdidier, firent croire à quelques habitants jaloux de l'importance de leur ville, qu'elle s'était autrefois étendue jusqu'à Ételfay.

Des indices de même nature avaient également donné naissance à l'opinion que Montdidier allait jusqu'au Mesnil-Saint-Georges. En 1632; le maïeur Baptiste Capperonnier, ayant appris que des cultivateurs du Mesnil avaient découvert dans la banlieue, entre ce village et le faubourg Saint-Médard, de grandes fondations de pierres dures, bien taillées, quantité de briques et de tuiles d'une épaisseur et d'une grandeur extraordinaires, des marques de maisons et de bâtiments, se transporta sur les lieux au mois de mai de la même année, accompagné des échevins, procureur, greffier, sergents de ville et de plusieurs habitants. Jean Bosquillon, sieur de Sainte-Hélène, qui quatre ans plus tard s'illustra par son courage au siége de Montdidier, était du nombre. Le maïeur et les personnes qui l'assistaient relevèrent avec soin l'état des lieux, et rédigèrent un procès-verbal de ce qu'ils avaient observé ; malheureusement leur rapport n'est point arrivé jusqu'à nous, et il est impossible de savoir à quoi s'en tenir sur la valeur réelle de cette découverte. On aime à retrouver dans cette circonstance le nom de Capperonnier ; il semble qu'on doive toujours le rencontrer là où il y a quelque chose d'utile à entreprendre pour le progrès des lettres et l'étude de l'histoire.

Ces vestiges d'habitations exhumés en 1632 sont loin de prouver que Montdidier se soit prolongé jusqu'au Mesnil, puisque c'est dans les limites de la banlieue qu'ils ont été trouvés ; aussi ne nous arrêterons-nous pas à combattre une pareille prétention.

Une partie d'Ételfay et le Mesnil dépendaient de la paroisse Saint-Médard ; on ne saurait toutefois tirer de ce fait aucune conséquence raisonnable en faveur de la grandeur de la cité. Nos chroniqueurs s'efforcent bien de justifier leur assertion en ce qui concerne ces deux communes ; mais, à l'égard de Gratepanse et de Courtemanche, ils n'indiquent pas sur quel motif ils se fondent pour avancer que la ville se continuait jusque-là : peut-être était-ce pour lui donner des dimensions convenables et pour proportionner sa largeur à sa longueur ; quant à nous, nous ne voyons pas d'autre raison. Au reste, comme les suppositions ne coûtent rien, ils pouvaient se donner carrière et satisfaire leur amour-propre tout à leur aise.

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