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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre I - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Le camarade Buquet

Porte Becquerel

Esplanade du Prieuré

Motte de Juvenssy

Porte d'Amiens

Jardins de Babylone

 

La tour des Juifs était à droite de la rue de ce nom. En 1486, cette rue n'allait pas jusqu'au fossé ; elle s'arrêtait à la rue des Escohiers (Pelletiers), aujourd'hui rue Capperonnier ; son extrémité joignant le fossé s'appelait rue de la Poterne. Cette dernière, la plus courte de la ville, n'avait que quelques mètres de longueur. A l'époque que nous venons de citer, un personnage redoutable demeurait dans cet endroit retiré ; c'était Régnault de Faverolles, maître des hautes oeuvres de Montdidier ; sa maison payait à la ville 16 sols de surcens, à la fête de la Chandeleur. Le fossé qui est au bout de la rue des Juifs s'appelle le Camarade Buquet : ce nom lui vient du sobriquet donné à l'individu qui, au dix-septième siècle, habitait la maison de Régnault de Faverolles ; il se nommait Nicolas Buquet, dit Camarade, maître des coches de Montdidier à Paris ; il décéda en 1660 environ. Son fils, Jacques Buquet, suivit la même profession. Comme il arrive souvent, surtout dans le peuple, le sobriquet du père passa au fils : Jacques hérita de la maison paternelle ainsi que du surnom de Camarade ; et l'on était tellement habitué à l'appeler de la sorte que, sa femme étant venue à mourir, on mentionna ainsi son décès : Françoise Lefebvre, femme du camarade Buquet. On a depuis conservé l'habitude de désigner sous ce nom la partie des fossés qui se trouve derrière la maison de l'ancien messager de Montdidier à Paris. I1 y a quelques années, on ne descendait dans ce fossé que par un sentier roide et étroit ; depuis on y a porté des terres, et la descente est devenue praticable : il serait facile de l'améliorer encore, et le jour n'est pas éloigné où les voitures venant des rues des Juifs et de la Commanderie pourront gagner la route de Breteuil sans être obligées de prendre par la rue Parmentier.

De la tour des Juifs on allait à la tour Becquerel, élevée à plomb sur le rocher : elle protégeait la porte Becquerel, dont les derniers restes, consistant en deux arches ogivales, ont été démolis en 1840. Scellier rapporte dans ses Mémoires que, lorsque les reliques des saints Lugle et Luglien furent transférées de Paillart à Montdidier, la procession entra par la porte qu'on nomme présentement Becquerel, du nom, à ce que l'on prétend, de la rue du village de Paillard, où étaient ces saints ; selon le P. Daire, le nom donné à cette porte serait celui d'une ancienne famille bourgeoise. Ces deux étymologies méritent peu de confiance : la porte Becquerel était ainsi nommée à cause de sa proximité de la rivière, que l'on appelait autrefois rivière de Becquerel. A droite de cette porte, en face de l'église Saint-Pierre, il existait une terrasse servant de place d'armes : de là jusqu'au Prieuré, il n'y avait aucun ouvrage extérieur ; la hauteur des murs et l'escarpement du rocher formaient une défense suffisante.

La plate-forme du Prieuré était en partie entourée de murs, et en partie défendue par la seule élévation du roc que l'on avait taillé à pic ; de cet endroit on commandait la campagne au nord et au couchant. On voit dans l'énumération des travaux exécutés sous Philippe-Auguste, que ce prince fit faire deux cents toises de fossé autour de cette butte : et IIc tesias fossati circa metam parandi.

Ce lieu fit, dans la suite, partie du jardin des Bénédictins, d'où lui vient le nom qu'il a gardé jusqu'à présent. François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraye, capitaine de Montdidier (1540-1547), s'étant épris d'un beau zèle pour la ville où il commandait, voulut y élever des fortifications considérables, et en faire une place en état d'arrêter la marche des Impériaux, avec lesquels la France était en guerre. Dans ce but, il résolut de construire une citadelle capable de résister à tous les efforts de l'ennemi. La position isolée du Prieuré lui parut très-propre à réaliser ce projet : il s'empara du jardin des moines, et, sans scrupule, fit jeter bas les arbres qui le garnissaient pour établir une plate-forme. Afin de rendre la position de plus facile défense, le terrain fut rehaussé ; on apporta sur le rocher, qui était alors presque à découvert, les immondices de la ville et des faubourgs. Tout le bois qui se trouvait à Montdidier et dans les villages environnants fut enlevé et employé à consolider ce terrassement ; on peut lire au chapitre VII les lettres de François Ier et du maréchal d'Annebault, adressées en 1544 au gouverneur de Montdidier. La mort vint surprendre la Châtaigneraye et interrompre ses projets. Blessé en duel par Jarnac, au moment où il croyait triompher de son adversaire, il eut à peine le temps d'ébaucher les travaux de la citadelle. Les changements fréquents survenus après lui parmi les capitaines de Montdidier ne permirent point de poursuivre les plans qu'il avait conçus.

En 1570, pendant l'espèce de blocus formé par des corps de partisans royalistes, les habitants, craignant qu'on n'incendiât les moulins de la vallée, firent monter sur l'esplanade du Prieuré un moulin à blé. En 1605, ce moulin fut cédé aux tanneurs, moyennant un droit de cens ; il devint l'objet d'un procès entre la ville et les religieux, qui réclamaient le terrain comme leur ayant appartenu, et prétendaient que le moulin, d'où l'on dominait chez eux, devait être démoli. Le maire et les échevins soutenaient, au contraire, que la plate-forme du Prieuré, ayant été faite d'après les ordres du roi, relevait d'eux et de leur juridiction. Le vent se chargea de mettre les parties d'accord : en 1612, un orage violent renversa le moulin, et mit fin à la contestation.

Derrière le Prieuré on remarque une tour ruinée qui existait dès 1497 ; c'est la tour à Cloquettes (clochettes), ou à Blocailles (moellons)  : on lui donnait indifféremment ces deux noms, et quelquefois aussi celui de tour de l'Abbaye. Elle est bâtie sur le roc, et ne descend pas jusqu'au fond du fossé. La tour Charlot ou du Bourreau était derrière l'église du prieuré, à l'endroit où est à présent la porte de la basse-cour du collége ; elle faisait une forte saillie sur le fossé. Sa construction était très-belle. Le nom de tour du Bourreau lui venait probablement de ce que dans son voisinage se trouvait le cimetière des Pendus, ainsi nommé parce qu'on y déposait le corps des suppliciés.

Après la tour Charlot, on rencontrait celle de Juvenssy ou Jouvency, bâtie en 1589-90-91 ; les murs avaient neuf pieds d'épaisseur : on en voit encore quelques restes ; elle était appuyée contre la motte de Juvenssy, aujourd'hui enclavée dans un jardin particulier. Cette motte, ou cavalier, fut élevée en 1553, d'après le plan du capitaine Méliory, qui était venu reconnaître le terrain, en compagnie de Jean d'Humières, gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye. Cet ouvrage, à l'époque où il fut exécuté, était regardé comme indispensable à la sûreté de la place ; ce qui subsiste peut faire juger de sa force : c'était une montagne artificielle qui masquait tout le côté nord de la ville. Le terrain qu'elle occupe faisait partie, au seizième siècle, du jardin d'un sieur de Hangest, qui se plaignit vivement de ce que, pour élever cette motte, on s'était emparé de sa propriété. Le nom de Juvenssy, sous lequel elle est connue, est probablement celui de l'ingénieur qui la fit construire. Il devait être Irlandais, à en juger d'après la finale de son nom ; j'ajouterai que sur un plan manuscrit de Montdidier de 1636, conservé dans ma bibliothèque, cette tour est désignée sous le nom de tour des Hirlandois. En 1849, on avait formé le dessein de renverser ce cavalier, et d'ouvrir une communication directe entre la porte d'Amiens et la rue qui longe la chapelle du collége ; cette nouvelle voie aurait été établie dans presque toute sa longueur sur les anciens fossés : on a eu grand tort de ne pas donner suite à cette idée.

De la motte de Juvenssy on gagnait la porte d'Amiens, défendue par une tour et un éperon ; elle fut murée en 1573, lors des guerres de la Ligue. En dehors, on remarquait les armes de Louis XII, soutenues par deux porcs-épics et entourées du collier de l'ordre de Saint-Michel ; sur le mur de l'éperon on voyait celles de François Ier avec la salamandre ; celles du Dauphin ; celles du duc de Bourbon, gouverneur de Picardie ; celles de François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraye, capitaine de Montdidier, et celles de la ville. Ces armoiries prouvaient évidemment que cette partie des fortifications avait été construite à différentes époques.

Derrière le jardin du couvent des sœurs de Saint-François existait un cavalier semblable à celui de Juvenssy, mais moins considérable ; il en a été tiré un parti avantageux, et il forme des jardins en terrasse que l'on désigne dans le peuple sous le nom de jardins de Babylone. Cet endroit était le plus élevé de la ville ; l'abbé Picard, astronome du roi, y fit des observations sur le méridien en 1670.

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