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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre III - Section V

par Victor de Beauvillé

Section V

Philippe de Flandre lui succède

Il tient sa cour à Montdidier

Sceau du comté

Mort d'Élisabeth de Vermandois

Guerre avec le roi de France

Le comte de Flandre passe l'hiver à Montdidier

Entreprise de Philippe-Auguste contre cette ville

Traité conclu entre le roi et le comte de Flandre

 

Raoul II mourant sans laisser de postérité, Philippe de Flandre, par suite de son mariage, réunit à son patrimoine les comtés de Vermandois, de Montdidier, d'Amiens, etc.

Plurima quæ regis debebant esse tenebat
Nam Desiderii-mons, Roia, Nigella, Perona,
Cumque suburbanis urbs Ambia subditione
Ejus erant.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Le comté de Montdidier avait toujours été distinct de celui de Vermandois, et, bien qu'ayant longtemps suivi la même destinée, il ne s'était jamais confondu avec lui. Peut-être pourrions-nous dire, sans craindre d'exagérer, qu'il ne lui cédait pas en importance ; car Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, en parlant des terres que Philippe acquit par son mariage, n'en cite que deux, comme étant sans doute les plus considérables : Per uxorem dominus duorum comitatuum, scilicet : Viromandensis et Montisdesiderii. Il met sur le même rang les comtés de Montdidier et de Vermandois. Quelle était l'étendue du comté de Montdidier ? On peut faire à ce sujet toutes les conjectures imaginables ; mais en préciser les limites est chose impossible.

Philippe de Flandre n'eut pas d'enfants de son mariage avec Élisabeth de Vermandois. Craignant de perdre, après la mort de sa femme, les terres qu'elle lui avait apportées en dot et celles qu'elle avait héritées de Raoul, son frère, il se fit donner par la comtesse tous les biens qui lui appartenaient, et prit soin de faire confirmer cette donation par Louis le Jeune et par Philippe Auguste, encore mineur.

En 1169, le comte, étant à Roye avec Élisabeth son épouse, mit un terme aux empiétements commis par Eudes, maire de Mesviller, sur les droits que possédait dans cette commune l'abbaye Saint-Corneille de Compiègne. Ego Philippus Flandrensium et Viromandensium comes, cum charissima conjuge nostra Isabeli comitissa... A la fin de l'acte se trouve l'indication des témoins dont les noms suivent : Robert, prévôt d'Arras ; Gauthier d'Arras ; Germond de Celloy ; Pierre de la Tournelle, Rogue son fils, et Bernard de Caix.

Le comte de Flandre vint souvent à Montdidier. Il existe plusieurs actes datés de cette ville, passés en sa présence : l'un, de 1170 environ, est un document intéressant pour l'histoire de la justice féodale. Une difficulté s'était élevée entre Rogue de Roye et Philippe de Coudun, au sujet de la terre de Monchy, que ce dernier avait acquise par voie d'échange de l'abbaye de Corbie. Le comte de Vermandois réclamait l'hommage qui lui était dû pour cette terre : Rogue de Roye ne s'y refusait pas, mais il invoquait la garantie de Raoul de Coudun, son beau-père, qui lui avait donné cette terre en mariage, offrant de s'en rapporter à la décision de la cour du comte. Rogue prit jour pour comparaître devant Philippe à Montdidier. Au jour indiqué, il amena Raoul avec lui ; mais celui-ci refusa la garantie que Rogue exigeait et déclina la compétence de la cour. Le comte de Flandre et Élisabeth, son épouse, qui était présente, sur le refus de Raoul de Coudun, adjugèrent à Rogue de Roye la possession immédiate de la terre de Monchy, pour la tenir et pour relever d'eux directement. Parmi les seigneurs, au nombre de vingt et un, qui assistèrent à ce procès, on remarque Bernard de Moreuil ; Rogue de la Tournelle ; Adam la Rage, de Montdidier ; Nevelon de Villers ; Raoul du Tronquoy ; Germond de Roye et Hugues son fils : ils sont qualifiés de fidèles du comte et de barons de Vermandois. (Pièce just. 5.)

En 1176, Philippe tint encore sa cour de justice à Montdidier ; il y termina le différend qui s'était élevé entre deux de ses vassaux et les religieux de Saint-Jean de Guise, relativement à la terre de Giromont près Monchy. L'accord fut consenti en présence de Gauthier d'Arras et de Raoul, prévôt du comte : Bérenger, prieur de Notre-Dame de Montdidier ; Simon, Gervais, chanoines ; Dreux, chapelain du Saint-Sépulcre, et beaucoup d'autres personnes dont nous ne relatons point ici les noms, sont indiqués comme ayant été témoins à cet acte. (Pièce just. 6.) Simon et Gervais étaient probablement les deux derniers chanoines du chapitre de Saint-Augustin de Montdidier, supprimé en 1130, lorsque l'église de Notre-Dame fut unie à l'ordre de Cluny ; leurs noms figurent parmi les signataires du contrat d'union passé cette année-là entre Garin, évêque d'Amiens, Simon de Vermandois, évêque de Noyon, et les chanoines de Montdidier.

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Le sceau de Philippe de Flandre, que nous avons fait dessiner, diffère de ceux qui ont été décrits par Olivier de Wrée et par D. Grenier. Le comte de Vermandois est représenté à cheval, tenant de la main droite l'épée levée prête à frapper ; sa main gauche soutient un bouclier chargé d'un lion. Sous le ventre du cheval se trouve un buisson, et sur les branches sont trois petits oiseaux. Le contre-scel offre un écu en pointe où l'on ne peut rien distinguer ; il est entouré d'enroulements fort gracieux. Sur la face principale il ne reste qu'une partie de l'inscription : GILLVM ... MTI... AND... probablement Sigillum Philippi comitis Flandrie ; au revers on lit très-distinctement X ET VIROMANDIE. Ce sceau existe aux Archives nationales ; il est de cire brune, pendant à des fils de soie, et attaché au bas d'un titre de 1177, portant donation à l'hôpital de Noyon d'une maison et de biens situés à Éterpigny près Péronne. Lorsqu'en 1839 on défonça le terrain de la promenade du Chemin-Vert, on découvrit quelques pièces de monnaie de billon portant le nom du comte de Flandre : ces pièces sont très-rares ; elles ont été communiquées par M. Antoine Gamot à M. Rigollot, qui en donna la description et le dessin dans le tome V des Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie.

Élisabeth de Vermandois mourut à Arras le samedi saint 1182, qui était le dernier jour de l'année ; elle fut inhumée au milieu du chœur de la cathédrale. Après son décès, Aliénor, sa sœur, mariée au comte de Beaumont, revendiqua les biens dont elle avait été dépouillée par la donation qu'Élisabeth avait faite à son mari. Elle eût échoué dans ses prétentions si Philippe-Auguste, jaloux de la puissance du comte de Flandre, n'eût pris parti pour elle. Le roi engagea plusieurs vassaux de ce dernier à lui refuser l'hommage qu'ils lui devaient : de ce nombre fut Raoul de Clermont ; celui-ci le dénia pour son château de Breteuil, qu'il tenait du comte, dont il était homme lige. Les hostilités commencèrent. Philippe-Auguste attaqua le comte de Flandre, qui usa promptement de représailles. Il envahit les terres du roi, et, au mois de décembre 1183, s'avança jusque sous les murs de Noyon, brûlant et ravageant tout sur son passage. De cette ville, le comte se dirigea vers Montdidier, accompagné de Baudouin de Hainaut, son allié, qui était venu à son secours avec une armée. Philippe, se trouvant dans nos murs, apprit par ses espions que le roi avait rassemblé ses troupes et se disposait à pénétrer dans le Valois. Il confia la garde de Montdidier et des pays environnants à Baudouin, et se porta jusqu'à Pierrefonds à la rencontre de son adversaire. Le comte de Hainaut, demeuré à Montdidier, ne resta pas oisif ; il continua activement la guerre, et Raoul de Clermont, l'un des instruments dont Philippe‑Auguste s'était servi, n'eut pas à se féliciter d'un pareil voisinage : Il ardoit, dit l'abréviateur de Jacques de Guise, et brisoit tout le pays de Sainct-Just qui estoit l'ung des chasteaulx de monseigneur l'evesque de Beauvais, et à toute la terre de Bertœil menoit il une très dure et forte guerre à cause du conte de Flandres.

Philippe-Auguste et le comte de Vermandois, voulant en venir à une action décisive, réunirent leurs forces. Baudouin fut rappelé de Montdidier et alla rejoindre le comte ; mais, à la suite de conférences qui se tinrent dans un endroit appelé la Grange Saint-Arnould, entre Senlis et Crépy, les hostilités furent suspendues. Baudouin revint à Montdidier, accompagné de Henri, fils de Godefroy, duc de Louvain, qui venait d'être reçu chevalier ; ce jeune seigneur était suivi de trente chevaliers et d'autant de serviteurs. Le comte de Hainaut profita, pour retourner dans son pays, d'une trêve conclue vers les fêtes de Noël, tandis que le comte de Flandre passa l'hiver à Montdidier. Pendant les cinq semaines que dura cette guerre il dépensa dix-huit cent cinquante marcs d'argent, grand poids.

Ce fut probablement durant son séjour dans notre ville que Philippe confirma (1183) le traité fait entre l'église de Beauvais et le maire de Puceuses, village de la châtellenie de Montdidier, près Ravenel, détruit depuis plusieurs siècles. (Pièce just. 7.) L'acte offre cette particularité remarquable, qu'il fait mention de deux prévôts du comte, Raoul de Montdidier et Pierre de Montigny ; on voit figurer dans l'acte plusieurs seigneurs des environs : Milon de Montdidier, Laurent de Houpaincourt, Arnould du Cardonnoy, Gaultier de Chepoix, etc. Houpaincourt était un fief situé dans la banlieue de Montdidier, près du Monchel : il y avait en cet endroit un moulin et un étang de quatre journaux.

Entre deux princes d'humeur aussi belliqueuse que le roi de France et le comte de Flandre, la trêve ne pouvait être de longue durée. Ce dernier n'ayant point accepté les propositions que le roi lui avait fait faire à Rouen, par l'intermédiaire du roi d'Angleterre, la guerre recommença. Philippe‑Auguste se mit en campagne ; le comte de Flandre appela de nouveau à son secours Baudouin de Hainaut, « comme il avoit accoustumé, lequel trouvoit tousjours prest à toutes ses affaires. » Baudouin vint le rejoindre à Montdidier, où Philippe avait passé l'hiver ; il amenait avec lui quatre-vingts chevaliers et autant de serviteurs bien montés. Il se logea « pour le mieulx en une ville qui est assez près de Mondidier, nommée Favrelles. Adoncq le conte de Flandres soy reposant en ladicte ville de Mondidier, le conte Baudouin de Hainnau à tous ses gens et aucuns Flamens tenoit les champs, gastoit et ardoit de tous costés, et n'espargnoit point de chevaucher par froit temps et pluvieux, dont il recepvoit souvent moult de meschief. Tant fist il qu'il brusla toute la terre du roy qui est entre Compiengne et Beauvais entre lesquels il brusla Neufville le Roy qui est au pays de Beauvoisins, dont ce fut grant dommage. »

Le rôle que Montdidier avait joué dans la guerre précédente, l'importance de cette place, qui servait de résidence et de poste avancé au comte de Flandre, n'avaient point échappé à l'attention du roi ; aussi essaya-t-il de s'en rendre maître. Dès le début de la campagne, il pénétra dans le Vermandois à la tête de ses troupes, et se présenta devant la ville ; mais tous ses efforts pour s'en emparer furent impuissants. Les serviteurs du comte, qui étaient en quartier dans les environs, accoururent et repoussèrent avec vigueur les attaques du roi. Philippe-Auguste mit le feu aux faubourgs et se retira précipitamment, après avoir éprouvé un échec sous nos murs. Rex... Viromandiam intrat ; accedensque ad castrum quod Mons-Desiderii dicitur, suburbana illius succendit ; sed per fideles comitis, qui circumquaque in prœsidiis morabantur, ocius est inde repulsus. (Genealogia comitum Flandriæ.) Il est probable que ce furent les Flamands du comte de Hainaut qui obligèrent le roi à battre en retraite. D'après les continuateurs de D. Bouquet, ce fut au mois de novembre 1184 que Philippe-Auguste échoua dans sa tentative ; au commencement de l'hiver, chaque parti se retira sur ses terres.

Le comte de Flandre s'était refusé, en 1184, à un arrangement que le roi d'Angleterre avait voulu ménager entre les deux rivaux ; arrangement par lequel, suivant Meier, Philippe d'Alsace conservait la jouissance du Vermandois sa vie durant. Le motif de son refus était que le comté devait appartenir en propriété à lui et à ses héritiers. Il accéda cependant à cette proposition ; puis, mécontent d'y avoir adhéré, il s'allia avec l'empereur d'Allemagne, à qui il fit hommage du comté de Flandre, et recommença la guerre.

Philippe-Auguste prit les armes, et s'avança au-devant de son adversaire. Les deux armées campèrent à Boves, près Amiens. Une action générale paraissait inévitable ; mais Thibaut, comte de Champagne, et Guillaume, archevêque de Reims, interposèrent leur médiation et parvinrent à empêcher la bataille. Le comte de Flandre consentit à venir trouver Philippe-Auguste dans son camp, et l'on détermina les conditions de la paix (1185). Le comte de Flandre remit au roi une partie du domaine qu'il possédait du chef de sa femme ; les auteurs contemporains citent le nom des principales villes dont il fit l'abandon au roi ; parmi elles, disent-ils, on remarquait Montdidier : Inter ea vero castella quœ reddidit eminebant... Monsdesiderii.

Par ce traité, Philippe de Flandre conservait la jouissance des villes de Péronne, Ham, Saint-Quentin, etc., et gardait le titre de comte de Vermandois, qu'il continua de porter jusqu'à sa mort, arrivée au siége de Saint-Jean d'Acre, en 1191. Il fut enterré dans l'église de Saint-Nicolas hors des murs de cette ville ; son corps fut ensuite rapporté et inhumé dans l'église de Clairvaux.

En vertu du traité conclu en 1185, la comtesse Aliénor recouvra une portion de l'héritage d'Élisabeth, sa sœur ; mais Philippe-Auguste, qui s'était constitué son champion, n'était pas venu à son aide par pur désintéressement et dans le simple but de lui faire rendre les États dont elle avait été frustrée par le comte de Flandre : ce n'était qu'un prétexte dont il s'était servi pour satisfaire son ambition ; aussi, après la paix, se fit-il céder par Aliénor un grand nombre de seigneuries afin de s'indemniser des frais de la guerre.

Aliénor conserva le Valois, une partie du Vermandois et le comté de Montdidier. Du Cange prétend que notre ville fut réunie à la couronne en 1185, en même temps que le comté d'Amiens, et il se fonde sur ce passage de la Philippide :

Sic regio quæ lata patet Viromannia tota
Ambianensis humus, pariter cum Santeriensi
Ubertate soli, regi cessere Philippo.

L'induction n'est pas exacte. Ces vers prouvent seulement que le comte de Flandre se désista des prétentions qu'il avait sur Montdidier, compris par le poète, suivant du Cange, dans la désignation générale de Santerre, mais ils n'établissent nullement que, dès cette année, le roi fût entré en possession de notre ville. Il est tellement vrai qu'Aliénor garda la propriété de Montdidier, que six ans plus tard Philippe-Auguste fut obligé de traiter avec elle pour obtenir sa renonciation aux droits qu'elle exerçait sur le comté.

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