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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IV - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Guerre du roi de France avec Édouard III, roi d'Angleterre

Philippe de Valois à Montdidier

Lettres de ce prince

Assemblée dans cette ville des trois ordres de la Champagne et de la Picardie

Réunion à Roye et à Noyon des députés de plusieurs cités picardes

 

Les hostilités éclatèrent en 1336 entre Philippe de Valois et Édouard III, qui avait pris parti pour Robert d'Artois. Afin de subvenir à l'entretien des troupes, de nouveaux impôts furent établis ; la ville fut obligée de payer une somme assez forte pour acquitter les droits que l'on avait mis sur l'argent, sur les vivres et les denrées (1337).

La perte de la bataille de Crécy porta un coup terrible à la France ; depuis ce jour néfaste, la Picardie fut le théâtre de guerres continuelles, qui nécessitèrent souvent la présence du roi dans la province. Le 28 avril 1347, Philippe de Valois, se trouvant aux champs entre Davenescourt et Montdidier, fit un règlement concernant les officiers royaux de la ville de Lyon. L'acte est ainsi terminé : Datum super campos, inter Montem-Desiderium et Daven et curiam domini millesimo trecentesimo quadragesimo septimo mense aprilis.

Le 1er mai. Philippe de Valois, étant à Montdidier, donnait un mandement an sénéchal de Beaucaire, portant que les simples soldats ou sergents en garnison dans les châteaux seraient justiciables en première instance du châtelain, en seconde instance des sénéchaux, et en troisième du roi ou de ses députés. (Ord. des rois de France.) Le lendemain, 2 mai, veille de la fête de la Sainte-Croix, le roi alla à Davenescourt et y assista à l'office divin, qui fut céléhré par Hugues de Vers, abbé de Corbie. Voici deux lettres datées l'une de Montdidier, l'autre de Davenescourt, que Philippe de Valois adressait à la reine :

« Dame. Nous avons bien veu ce que escript nous avez. Si ne sommes recordans avoir fait aucuns capitainnes de gens d'armes qui nous doivent servir au leur se ce n'est de pays d'Orlenois et de Sens et n'en pensons plus à faire et n'est pas nostre entente que se aucun des dis capitainnes ou de ceuls qui sont avec euls nous doivent service ou pour euls ou pour le fait des lombars, usures que pour ce en soict quittes. Mais est notre entente qu'il nous facent le service que faire nous doivent. Si faites sur ce savoir comment il en est et guier gens nous doivent service afin qu'il le nous facent en tèle manière que fraude n'y ait et faites aussi ordener que ceuls qui servir nous doivent pour le fait des dis lombars soient prest et en bon arroy pour nous faire et paier ledit service. Car il y sont bien tenus et leur avons fait grant grace et grant courtoisie. Et ne voulons que quelconques dons que nous faciens soient passés, ce ce n'estoient choses piteables et nécessaires et prouffitables a passer. Le Saint-Esprit vous ait en sa sainte garde. Escript à Montdidier le xxvij jour d'avril au soir. »

« Dame vous savez comme notre cousin de Flandres s'est partis de son pays et est venus devers nous et n'a a présent chevaux ne finance de quoy il noust puist servir se nous le aydons. Et pour ce de présent nous mandons aus abbés et à nos trésoriers qu'il delivrent pour notre dit cousin viij grans chevaux que ses gens acheteront à Paris car autrement convendroit que nous li baillissions autant des notres qui vaudroient plus la moitié et nous veroit destourbier et dommage. Si faites delivrer par nos dites gens yceulx viij grans chevaux et qu'ils soient delivrés et bailliés aus gens de notre dit cousin en tèle manière qu'il n'y ait point de deffaut et qu'on en fine comment qu'il soit aus marchans. Et sachiez dame que nous ne nous en cuidions pas pour tant passer. Et aussi commandez à nos gens qu'il délivrent pour le sire de Saint Venant les mil livres dechevaux dont autreffoys leur avons escript. Le Saint-Esprit vous ait en sa garde. Donné à Davenescourt le xxviij jour d'avril. »

Le comte de Flandre dont il est question dans ces lettres était Louis II, dit de Marie, qui était venu chercher un refuge en France, à la suite d'une révolte de ses sujets.

Philippe de Valois allait au secours de Calais, qu'assiégait le roi d'Angleterre ; mais il lui fut impossible d'en faire lever le siége, et la retraite de l'armée française rendit inutile la défense héroïque des habitants ; Calais fut obligé de capituler le 3 août 1347. La prise de cette ville eut un immense retentissement ; le pays tressaillit de voir tant de dévouement n'aboutir qu'à une catastrophe. Les États sollicitèrent le roi de les convoquer pour aviser sur le parti à prendre dans une conjoncture aussi malheureuse ; mais on ne sut point profiter de cette généreuse initiative et utiliser l'élan de l'esprit national. Si Philippe de Valois s'était appuyé davantage sur l'affection de ses sujets, il aurait évité une partie des maux qui affligèrent son règne.

Le séjour que le roi fit à Montdidier et dans les environs avait laissé une impression favorable dans son esprit. Se trouvant à Amiens au mois de septembre 1347, il choisit notre ville pour servir de lieu de réunion aux trois ordres de la province de Reims, du Vermandois et du Beauvoisis, qui devaient s'y rendre à l'effet de délibérer sur l'état des affaires. La lettre de convocation est pressante, et peint bien la situation déplorable dans laquelle la perte de la bataille de Crécy et la prise de Calais avaient jeté le royaume. Les États provinciaux sont assemblés pour s'entendre sur certaines grosses besongnes touchans nous et eulz, sur le fait de nos présentes guerres et pour ce que les choses et besongnes sont grosses et hastives et désirent brief et hastif conseil. La lettre du roi est du 15 septembre, et la réunion était fixée au 25 du même mois.

Cette assemblée se tint-elle ? Quelles mesures y prit-on, et quels en furent les résultats ? C'est ce que nous ne savons. Rien de ce qui s'est passé à cette époque n'est parvenu a notre connaissance, et, sans les lettres dont nous donnons copie (Pièce just. 23.) nous ignorerions absolument cette convocation dans notre ville des trois États d'une partie de la Champagne et de la Picardie.

La lettre adressée aux communes n'est pas jointe à celles de la noblesse et du clergé ; mais la demande de concours qui leur fut faite n'est pas douteuse, puisque l'abbé de Corbie charge le receveur de Vermandois de leur porter les lettres du roi qui leur sont expédiées, ainsi qu aux nobles et aux prélats. Tous les auteurs gardent à ce sujet le silence le plus absolu : c'est pourtant un fait historique sur lequel il serait bon d'être éclairé. Réduit aux seules lettres que nous avons rapportées, nous n'hésitons pas, malgré l'absence de tout autre renseignement, à penser que cette assemblée provinciale a eu lieu ; autrement il faudrait supposer que du 15 au 25 septembre il est survenu des événements qui auraient fait ajourner la réunion, et rien n'autorise une pareille hypothèse.

Les malheurs qui accablèrent le pays allaient sans cesse croissant, et la France paraissait fatalement entraînée vers sa ruine ; le règne de Jean Ier ne fut qu'une longue suite de revers.

Ce prince succéda à son père le 23 août 1350. A son avénement au trône, les habitants du Vermandois, désirant obtenir un peu de tranquillité, lui accordèrent, pour un an, une taille de 6 deniers pour livre, payable par le vendeur d'objets de toute nature ; mais à la condition qu'ils seraient exempts de servir à l'ost du roi, excepté pour l'arrière-ban. L'établissement de cette taille ne se fit pas sans difficulté ; elle donna lieu à des rixes sanglantes. Les Archives nationales possèdent des lettres de grâce accordées à différents particuliers de Montdidier qui s'étaient portés à des voies de fait à l'occasion de la levée de la taille. (Pièce just. 24.)

Le roi, voulant récompenser les villes du Vermandois du secours en argent qu'elles lui avaient fourni, leur accorda, au mois d'août 1353, la faculté de percevoir à leur profit certaines impositions auxquelles elles avaient été assujetties tant par lui que par son prédécesseur. A Montdidier, ces impositions consistaient dans le droit de prendre pour chaque lot de vin vendu a broche dans la ville deux deniers et dessous une maille parisis. Le lot était une mesure de capacité équivalant à 1 litre 27 cent. ; la maille était une monnaie de billon inférieure au denier.

C'est en vain que les habitants se flattaient d'être plus tranquilles sous Jean Ier qu'ils ne l'avaient été sous Philippe : ce prince fut encore plus malheureux que son père ; fait prisonnier à la bataille de Poitiers, il laissa le royaume dans l'anarchie la plus profonde.

Les villes, privées de l'appui qu'elles devaient trouver dans la royauté, furent contraintes d'aviser entre elles à leur conservation. Le dimanche avant la Chandeleur 1357, il se tint à Roye une assemblée des trois ordres du Vermandois, du Beauvoisis et de Corbie, afin de délibérer sur le moyen de défendre le pays. Cette réunion n'eut probablement aucun résultat, car, le mardi après la Chandeleur, nous voyons de nouveau les gens du clergé, de la noblesse et des bonnes villes du Vermandois et du Beauvoisis, se concerter à Noyon pour établir une aide destinée à combattre les ennemis de l'État. Corbie n'envoya point à cette seconde réunion, qui se composait des députés de Noyon, Laon, Soissons, Beauvais, Chauny, Ham, Montdidier, Saint-Quentin, Péronne, Bray, Compiègne, Clermont, Roye et Nesle. La confusion se mit dans l'assemblée ; l'on ne put s'entendre, et les déterminations prises ne furent pas les mêmes pour toutes les villes : c'était le moyen de n'arriver à aucune solution satisfaisante. Noyon, Laon, Chauny, Montdidier, Compiègne, Clermont, Roye et Nesle accordèrent une imposition d'un denier par livre par an, à prendre sur certaines taxes nouvelles qu'ils devaient introduire dans le régime des impôts. Le défaut d'union paralysait toutes les résolutions, et, en augmentant notre faiblesse, ne faisait qu'accroître les forces de l'ennemi.

Au mois d'avril 1358, le Dauphin, accompagné de plusieurs gens d'armes, passa à Montdidier ; il venait de Compiègne, où il avait convoqué les États du Vermandois, et se rendait à Corbie. Il donna l'ordre aux maïeurs de bannières et à d'autres habitants d'Amiens de venir le joindre dans nos murs ; mais ceux-ci, à l'instigation de Jacques de Saint-Fussien, capitaine d'Amiens, partisan déclaré du roi de Navarre, qui leur avait dit que le régent, alors à Montdidier, se préparait à venir piller Amiens, firent répondre au Dauphin qu'ils n'iraient point le trouver, et poussèrent même l'insolence jusqu'à déclarer qu'ils consentaient bien à le recevoir dans leur ville, mais a condition que les gens de sa suite se présenteraient sans armes. L'abaissement du pouvoir l'obligeait à supporter ces affronts. Le roi était prisonnier, et le Dauphin, trop faible pour résister aux factieux, avait été forcé de quitter la capitale.

Le roi de Navarre fomentait les troubles et concevait l'odieuse pensée de s'emparer de la couronne ; des bandes d'aventuriers couraient le pays, pillant et brûlant tout sur leur passage ; le peuple, écrasé, foulé aux pieds par les Anglais et par les seigneurs qui auraient dû le défendre, se souleva, prit les armes, et la guerre civile vint mettre le comble à tous les maux.

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