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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VIII - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

La religion réformée s'établit à Montdidier

Michel de la Grange brûlé vif

Bataille de Saint-Quentin

Mesures extraordinaires dont elle est la cause

Passage du duc d'Albe

Troubles occasionnés par les controverses religieuses

 

L'hérésie qui avait pris naissance en France sous François Ier grandit sous son successeur, et ne tarda pas à envahir le royaume. La ville de Montdidier, voisine du lieu où Calvin reçut le jour, fut une des premières où les nouvelles idées religieuses comptèrent des partisans. Des émissaires de la religion réformée parcouraient le pays, distribuant les écrits des ministres et resserrant les liens qui unissaient les néophytes au réformateur. Un de ses envoyés venu de Genève, Michel de la Grange, natif de Meaux, fut arrêté à Montdidier. On lui fit son procès. Par sentence d'Antoine de Bertin, lieutenant général au bailliage, il fut condamné à être brûlé vif au milieu du marché, pour avoir vendu et distribué dans la ville plusieurs livres de Calvin, de Bèze et autres novateurs. Ce jugement déplorable fut exécuté. Le jeudi saint 1555, la veille du jour où Jésus-Christ était mort sur la croix, le bûcher s'alluma sur la place de Montdidier pour consumer un malheureux égaré ; les écrits de Calvin et de Bèze furent attachés de la main du bourreau aux carrefours de la cité. Cette justice terrible effraya les religionnaires, et, pendant plusieurs années, on n'en entendit plus parler.

On continua sous Henri II les travaux de fortification entrepris sous son prédécesseur. Le roi écrivit en 1555 à Gaspard de Coligny, gouverneur de Picardie, de défendre sous peine sévère aux maire, gouverneur et échevins qui avaient l'administration des deniers d'octroi, « de les employer ailleurs qu'aux réparations, fortifications, emparemens, entretenemens de pavés, portes, fossés et autres nécessités de la ville pour lesquelles ils avoient été destinés. » Afin de s'assurer de l'exécution de cette défense, le 18 janvier 1556, le sieur de Marivaux, lieutenant du gouverneur de Picardie, vint, d'après ses ordres, visiter les fortifications que le maire voulait entreprendre.

Il était prudent de se tenir sur ses gardes, les Impériaux qui occupaient les frontières de la Picardie faisant de fréquentes incursions dans la province : cette année ils s'avancèrent jusqu'à une lieue et demie de Montdidier ; l'abondance des neiges, et plus encore le bon état des fortifications et la réputation de bravoure des habitants, les empêchèrent d'aller plus avant : on donnait à nos aïeux le surnom de braves de Montdidier ou de braves de Picardie.

Les appréhensions où l'on était d'une attaque de la part des Espagnols engagèrent les Montdidériens à aviser à tous les moyens de défense. Le 21 juin 1557, il fut décidé que le maïeur Antoine Bosquillon, hôtelier de la hache, irait trouver le gouverneur de la province, et lui exposerait la nécessité de pourvoir la ville de poudre, de munitions de guerre, et d'envoyer un homme avec autorité pour faire ouverture le long des remparts et ordonner tout ce qui seroit nécessaire pour les fortifications.

La disposition dans laquelle étaient nos ancêtres de se défendre vigoureusement si l'ennemi se présentait, fut secondée par la noblesse des environs ; le baron de Magnac, les seigneurs de Morviller, de Brouilly, de Saillant, de la Mairie, offrirent de s'enfermer dans nos murs pour aider au besoin les habitants.

Leur secours heureusement ne fut pas nécessaire ; il s'en fallut de bien peu cependant que leur bonne volonté ne fût mise à l'épreuve.

Au mois de juillet 1557, Philibert de Savoie pénétra en Picardie à la tête d'une armée espagnole ; la victoire qu'il remporta le 10 août près de Saint Quentin, suivie de la prise de cette ville, jeta la frayeur dans le royaume. Le duc de Nevers se hâta de réunir les débris de l'armée française et de garnir de troupes les places environnantes ; Bussy d'Amboise fut envoyé pour commander à Montdidier. Les ennemis s'emparèrent de plusieurs villes : le Catelet, Chauny, Ham, tombèrent en leur pouvoir ; ils firent des courses jusqu'à une lieue de Montdidier. Le 21 août, Jean d'Estouteville, lieutenant de l'amiral de Coligny, fit publier dans toutes les communes de la province, que ceux qui avaient du blé ou autres grains eussent à les faire battre et mettre en lieu de sûreté le plus tôt possible, s'ils voulaient éviter que le duc de Nevers ne les fit brûler pour ôter toute ressource aux ennemis : ordre fut donné également de mettre le feu à tous les villages entre Ham et Montdidier, jusqu'à deux lieues de cette dernière ville, afin d'empêcher les Espagnols qui étaient à Ham d'entrer dans le pays. Des mesures aussi violentes trouvèrent de la résistance. Romain Pasquier, prévôt de Montdidier, fut envoyé à Laon vers le duc de Nevers pour obtenir le retrait de l'ordre qui prescrivait de brûler les blés ; il réussit dans sa mission : on députa également vers le roi qui était à Paris, afin de faire différer la destruction des villages entre Ham et Montdidier. Cette mesure, dont l'exécution aurait été plus préjudiciable aux Français qu'aux Espagnols, fut heureusement contremandée, et bien des communes échappèrent ainsi à une ruine totale.

La frayeur causée par la perte de la bataille de Saint-Quentin avait été telle qu'un certain nombre d'habitants avaient quitté la ville, dans la crainte d'un siége : cette désertion exposait Montdidier aux plus grands dangers. Les maire et échevins s'adressèrent à Jean d'Estouteville, le priant d'user de son autorité afin de faire rentrer les fugitifs.

Le 28 août, il fit annoncer à son de trompe que ceux qui avaient quitté leurs foyers eussent à y revenir au plus tôt pour faire le guet, monter la garde et réparer les fortifications, recommandant au maïeur de prendre les noms de ceux qui enfreindraient ses ordres, pour les punir ensuite comme ils le méritaient. Cet avertissement, et plus encore l'amour de la patrie, suffirent pour faire rentrer dans leur devoir des individus qui n'avaient été qu'un moment ébranlés ; on fit bonne garde, et, bien qu'il n'y eût qu'une faible garnison, l'ennemi n'osa l'attaquer.

Cette garnison était elle-même un embarras plutôt qu'une garantie de sûreté, l'on avait autant à se préserver de ses violences que de celles de l'ennemi ; elle se composait de lansquenets, troupes tirées d'Alsace et des frontières d'Allemagne, et introduites dans l'armée française sous Charles VIII. Le 28 novembre 1557, on fut obligé d'envoyer à Compiègne vers le duc de Guise pour lui exposer les désordres intolérables que causaient ces étrangers : ils se conduisaient comme dans une place prise d'assaut, pillant les habitants, coupant les arbres des jardins et des prairies, démolissant les maisons de la ville. Le guet se faisait avec une rigueur extrême : personne n'en était exempt, les ecclésiastiques et les femmes y furent astreints comme les autres. Le 25 décembre, il fut résolu que les prêtres dont on dressa le rôle feraient la ronde, depuis le moment où sonnerait la cloche pour commencer le guet, jusqu'à celui où l'on aurait placé les sentinelles ; Michel Boucher, plus tard curé de Notre-Dame, fut nommé commandant de cette compagnie sacrée. La ville fut divisée en huit quartiers, ayant chacun à leur tête un capitaine et un lieutenant auxquels on devait obéir comme au maïeur ; une compagnie était chargée de veiller spécialement sur le corps de ville. Le 26, les capitaines et lieutenants furent mandés à la mairie pour prendre possession de leurs charges, et recevoir le rôle des habitants de leur quartier, avec indication du nombre d'hommes qu'ils devaient constamment tenir sous les armes ; les capitaines étaient responsables de l'exécution des ordres de leurs supérieurs, sous peine d'emprisonnement.

Des punitions sévères étaient prononcées contre ceux qui manquaient au service ; ils étaient condamnés à 20 liv. parisis d'amende pour la première fois ; à 200 liv. et à l'emprisonnement en cas de récidive ; pour la troisième fois l'amende était arbitraire et aussi forte qu'il plaisait au maïeur de l'infliger, le produit était applicable aux fortifications.

Henri II leva, en 1547, une contribution de 50 livres tournois sur Montdidier ; cette somme faisait partie des 100,000 livres qu'il prenait sur les bonnes villes du royaume, en exécution de ses lettres patentes données à Villers-Cotterets le 16 septembre 1554. La répartition de cet impôt se faisait à proportion des revenus dont chaque ville devait fournir un état au roi.

La paix conclue au Câteau le 3 avril 1559, mit un terme aux hostilités qui régnaient entre la France et l'Espagne. La nouvelle en fut apportée à Montdidier le 7 avril, par Bardin, secrétaire du gouverneur de Picardie et héraut d'armes du roi. Dans la lettre que l'amiral de Coligny écrivait aux maïeur et échevins pour leur en faire part, il les priait d'user de la plus grande démonstration qu'ils pourront du contentement qu'ils en ont ou doivent avoir. Cette paix, peu avantageuse pour la France, fut blâmée vivement. Craignant qu'elle ne fût mal accueillie à Montdidier, Coligny terminait sa lettre par une phrase significative et qui n'admettait pas d'observation : contents ou non, les habitants devaient se réjouir ; cela ressemble fort à ces prétendues fêtes nationales que l'on célèbre à contre-cœur.

Cette même année, le duc d'Albe et le comte d'Egmont, accompagnés du prince d'Orange, passèrent à Montdidier ; ils allaient à Paris négocier le mariage de Philippe II d'Espagne, avec Élisabeth de France. Ils furent reçus dans la salle du Roi, qu'on avait tendue de tapisseries, de même que les autres chambres du bailliage ; on leur présenta des pièces de four, ainsi qu'à l'amiral de Coligny, qui leur faisait les honneurs de son gouvernement, conjointement avec Jean de Monchy, seigneur de Sénarpont, son lieutenant en Picardie.

Les craintes de guerre étant passées, on fit revenir d'Amiens le coffre aux papiers de la ville, qu'on y avait envoyé de peur que l'ennemi ne s'en emparât. C'était une sage précaution à laquelle nos pères ne manquaient jamais.

Le mouvement religieux, contenu difficilement sous François Ier et sous Henri II, prit une extension redoutable sous leurs successeurs. L'exécution de Michel de la Grange prouve que, dès 1555, le calvinisme comptait des adhérents à Montdidier. Cet abominable auto-da-fé, qui souille la mémoire de ceux qui l'ordonnèrent, n'empêcha point la réforme de suivre son cours, et ce fut surtout dans les classes aisées que la doctrine nouvelle fit le plus de prosélytes : presque tous les gens de robe, le lieutenant particulier, les avocat et procureur du roi, substitut, greffier, élus, grènetiers, contrôleurs, la plupart des avocats, procureurs et notaires, professaient ouvertement la religion réformée.

Les protestants de Montdidier s'étaient mis en rapport avec ceux d'Amiens, mais cette affiliation ne leur fut point favorable. Des troubles, excités dans la capitale de la Picardie par d'imprudentes prédications qui se faisaient chez différentes personnes, motivèrent des arrestations, et plusieurs Montdidériens, convaincus d'avoir pris part à ces réunions, furent emprisonnés. Le roi ordonna de les mettre en liberté, mais cet ordre ne fut point exécuté, et il fallut que François II écrivît au bailli d'Amiens pour faire élargir les détenus. Le 14 mars 1560, le maïeur d'Amiens informa son conseil que le bailli de cette ville avait reçu, le 5 de ce mois, une lettre du roi, dans laquelle il lui mande qu'il a été adverti que, combien que par cy devant il lui ait escript qu'il eust a mettre a délivrance tous les prisonniers détenus pour le faict de la religion, néantmoins il en detenoit encore aucuns de Montdidier, et d'autres choses qui ne lui estoient guères agréables ; a ceste cause lui commandoit et enjoignoit très expressement, sur certaines et grandes peines, qu'il eust à mettre en entière délivrance lesdits prisonniers de Montdidier et tous autres détenus pour le faict de la religion.

Le 10 juin 1560, dans une assemblée tenue à l'hôtel de ville, à laquelle assistait Antoine de Bertin, lieutenant général au bailliage, le maïeur Claude Vuion exposa que plusieurs habitants avaient l'intention de présenter une requête au roi, à l'effet d'obtenir l'autorisation d'ouvrir un temple. Sur ce, le lieutenant général envoya immédiatement chercher un tabellion nommé Laleane, lequel déclara que, le jour même, il avait dressé une procuration signée par environ deux cent soixante habitants de la ville et des environs, qui suppliaient Sa Majesté de leur accorder un local pour l'exercice de leur religion. Antoine de Bertin, zélé catholique, s'opposa fortement à cette requête ; par suite de ces remontrances, elle fut désavouée, et, séance tenante, il fut décidé qu'on adresserait au roi une contre-requête, pour solliciter l'interdiction d'un temple et de toute religion différente de celle qu'on avait pratiquée jusqu'alors.

De pareilles discussions ne pouvaient amener que troubles et malheurs ; déjà des luttes violentes avaient ensanglanté la ville. Le jour de l'Ascension de cette année 1561, il s'éleva un grand tumulte causé par le sermon d'un carme de la ville de Montreuil. Les protestants, au nombre de plus de deux cents, s'étaient réunis pour prier et chanter des cantiques en public ; les catholiques, excités par la prédication du carme, les attaquèrent : la mêlée fut si vive et la violence portée à un tel point, que le père ne connaissait plus le fils ni le fils le père. De Bertin dressa un procès-verbal, qu'il envoya au roi, au duc de Guise et au cardinal de Lorraine. Le lieutenant civil d'Amiens fut commis pour informer ; beaucoup d'arrestations eurent lieu ; les prisonniers furent dirigés sur Amiens, où ils restèrent trois mois, puis ils furent relâchés et renvoyés sous caution. Le cardinal de Pellevé, évêque d'Amiens, se rendit à Montdidier peu de temps après cette affaire, avec Jacques d'Humières, gouverneur général des trois villes, et il fit une procession solennelle pour l'extinction de l'hérésie.

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