Blason santerre.baillet.org

Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VIII - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Édit d'Amboise

Lettre de Charles IX aux maïeur et échevins

Persécution contre les réformés

Leur opiniâtreté

Principaux ministres protestants à Montdidier

François le Cirier et Charles de Lamoignon en mission dans notre ville

 

Le roi avait signé l'édit d'Amboise malgré lui ; aussi s'empressa-t-il de le révoquer dès qu'il le put. Dès le 13 mai 1562, Charles IX écrivait aux maire et échevins que plusieurs fois il avait commandé au sieur de Sénarpont, son lieutenant général en Picardie, en l'absence du prince de Condé, « de faire cesser tous les prêches et exercices qui se faisoient dans la province, et que, pour assurer l'exécution de ses volontés, il venoit de charger Antoine de Crequy, évêque d'Amiens, de s'entendre avec eux, et d'avoir à ne plus souffrir à l'avenir ni ministre, ni prédicant, ni prêche, ni assemblée, et de ne recevoir pour y annoncer la parole de Dieu que les personnes envoyées par l'évêque. » Cette défense n'empêcha pas le ministre de Laplace de continuer à prêcher publiquement à Montdidier.

La mésintelligence régnait dans la ville entre les diverses autorités. Antoine de Brouilly, seigneur de Mesviller, capitaine de Montdidier, était protestant, le maïeur, Claude Vuion, était catholique ; comme ils se défiaient l'un de l'autre, il fut résolu qu'ils auraient chacun une clef de l'endroit renfermant l'artillerie. Le 19 juin, il s'éleva entre eux une contestation, à la suite de laquelle les catholiques, qui étaient en majorité, voulurent empêcher les réformés de faire le guet et de monter la garde aux portes. Les sujets de discorde allaient toujours en augmentant.

Pour se conformer à la lettre de Charles IX du 13 mai précédent, on défendit, le 2 juillet, l'exercice de la nouvelle religion, et on décréta d'ajournement personnel contre vingt-deux personnes ; Jean Tandoufle, qui avait été maire en 1555-56 et 1559 fut du nombre ; il prenait le titre de lieutenant du sieur de Mesviller, capitaine et gouverneur de Montdidier. Les protestants se dérobèrent par la fuite à l'exécution de cette mesure, et quittèrent la ville, suivis de plusieurs de leurs partisans. Comme l'on craignait qu'ils ne tentassent quelque entreprise, on permit, le 11 août, aux catholiques de porter des armes, et le 23 septembre on désarma tous les réformés.

La veille de Pâques 1563, on publia un édit portant défense, sous peine de mort, de tenir aucune assemblée de la nouvelle religion ; mais les protestants n'en tinrent aucun compte, et sans plus tarder, le lendemain, jour de Pâques, ils se réunirent au nombre de deux ou trois cents au logis du baron de Dammartin. Le ministre de Laplace, qui était arrivé le mercredi précédent, y célébra le service divin en présence de ses coreligionnaires, et jusqu'à sa mort il continua sans interruption de prêcher à Montdidier. De Laplace mourut de maladie à l'âge de trente-deux ans, vers le milieu du mois d'août suivant : c'était un homme très-ardent et qui eut une grande part aux progrès de l'hérésie dans le pays. Pendant le colloque de Poissy, (1561), il resta à Montdidier, et fit plusieurs baptêmes et mariages dans le temple ; d'où nous devons conclure que dès 1561, par conséquent avant l'édit d'Amboise, les huguenots avaient déjà dans notre ville des lieux publics de réunion. Au décès de Laplace, les catholiques s'opposèrent à son enterrement et refusèrent de recevoir le corps dans le cimetière ; il fallut que la justice intervînt et prît sur elle de le faire enterrer : de Laplace fut inhumé dans le cimetière de l'Hôtel-Dieu, où il avait été déposé après sa mort. La persécution le poursuivit jusque dans sa dernière demeure, et, sans respect pour l'asile des morts, des fanatiques voulurent déterrer le cadavre pendant la nuit. On peut juger du mérite de ce ministre par la haine que lui portaient ses adversaires et par l'admiration qu'il inspirait à ses partisans ; c'est de lui que Denis Peronnet entend parler dans un de ses sermons, lorsqu'il dit qu'une femme hérétique de Montdidier faisoit tant d'estime d'un ministre qu'elle réserva précieusement ce qui lui avoit servi en sa vie, et voulut par dévotion user des linceuls esquels il étoit mort, sans les laver.

Antoine de Brouilly, partisan de la religion réformée, avait perdu toute autorité. Le pouvoir était passé entre les mains du maïeur, qui dirigeait les affaires, de concert avec le lieutenant général au bailliage ; lui seul donnait le mot au guet, chose inouïe jusqu'alors. Le 12 juillet 1563, il défendit de travailler les jours de fête reconnus par l'Église romaine. Mais il avait affaire à des adversaires opiniâtres : les protestants ne se laissèrent pas intimider, et, pour répondre par un défi éclatant aux coups qu'on leur portait, en dépit de tous les édits et de toutes les défenses, ils se réunirent cette année même en synode à Montdidier, sous la présidence de Mathieu Viret. Ce synode fut un des premiers que les protestants tinrent en France ; le choix qu'ils firent de notre ville pour lieu de réunion montre les racines profondes que l'hérésie avait jetées dans le pays. Les réformés s'assemblèrent dans une maison qui faisait le coin de la rue de Compiègne et de la rue de l'Hôpital, là où fut longtemps l'auberge de Notre-Dame de Liesse. « Que les ministres, » dit Florimond de Rœmond dans son Histoire de la naissance de l'hérésie, « recherchent les actes secrets de leurs synodes tenus à Montdidier, en Picardie, l'an mil cinq cens soixante et trois, ou présidoit Mathieu Viret : à la Ferté-sous-Jouarre, l'an mil cinq cens soixante et quatre : Alisi sur Ours, l'an mil cinq cens soixante cinq : à Lumigni en Brie, l'an mil cinq cens soixante et six. Je cotte les anciens et premiers de leurs conciles... Là ils verront les regens qui des premières classes estoient montez en la chaire de leurs temples, ou autres qui n'ayant peu vendre leur caquet au barreau, laissant le nom d'avocat avoient pris celui de ministre, s'entre regarder, honteux de se voir appelez au gouvernement des ames sans mission, et confesser souvent par ensemble que l'Église romaine estoit l'Église de Jésus-Christ. »

Mathieu Viret était peut-être frère de Pierre Viret, natif d'Orbe, en Savoie, Avant d'être ministre, Pierre Viret avait été carme : « Il était homme de son naturel grand parleur, » dit l'auteur que nous venons de citer. « Calvin, qui ne prisoit autre que soi mesme, l'appeloit Pierre du caquet. Je l'ay autrefois ouy prescher à Paris lorsque le calvinisme entra en vogue. On disoit des lors, scavoir de Calvin, véhemence de Farel et eloquence de Viret ; comme à la vérité cestuy-cy estoit un grand pipeur des aines foibles. Ces trois furent appelés par les autheurs reformés le trepié d'eslite, et privativement a tous les antres, les ministres de l'Évangile : c'est le titre que Beze leur donne. »

Quelque désir qu'eût Charles IX de ne reconnaître en France que la religion catholique, il fut cependant obligé, pour pacifier les troubles du royaume, de tolérer la liberté de conscience ; en vertu de l'édit d'Amboise, des commissaires furent envoyés dans les provinces afin d'opérer, s'il était possible, une réconciliation générale.

Le 13 septembre 1563, François le Cirier et Charles de Lamoignon, conseillers au parlement, désignés par le roi pour la pacification du pays, arrivèrent à Montdidier. Le lendemain, ils firent publier une ordonnance portant défense, sous peine de la vie, à toutes personnes « de contester ensemble du fait de la religion, d'en faire aucun exercice ou de tenir ancune assemblée hors des lieux permis par l'édit et sans armes, à peine d'être punis sur le champ comme rebelles. » Cette manière de faire de la conciliation est assez étrange.

Le 15, sur la plainte des maïeur et échevins, ils défendirent aux réformés d'ouvrir des écoles dans l'intérieur de la ville pour l'enseignement de leur religion, d'y tenir des assemblées et de se livrer à des exercices religieux, avec menace, en cas d'infraction, d'être traités comme perturbateurs du repos public et rebelles envers Sa Majesté. De pareilles restrictions étaient opposées à la volonté du roi ; l'édit d'Amboise se bornait à interdire aux protestants la faculté de s'assembler dans l'intérieur de la ville. Des tailles abusives avaient été établies sur les huguenots, les commissaires les firent répartir indistinctement entre tous les habitants ; cette dernière mesure était une des conditions de l'édit sur laquelle on comptait le plus pour satisfaire aux réclamations des calvinistes.

Les réformés de Montdidier avaient un protecteur immédiat dans la personne de Louis de Bourbon, prince de Condé, gouverneur de Picardie. Par suite de son mariage avec Éléonore de Roye, ce prince était devenu seigneur des Tournelles et de terres nombreuses dans les environs de notre ville ; le séjour qu'il fit dans le pays, et l'autorité dont il jouissait, contribuèrent beaucoup au développement de l'hérésie. Éléonore de Roye n'était pas moins zélée que son mari pour la nouvelle religion ; elle mourut le 23 juillet 1564, laissant un testament dans lequel est exprimé en termes les plus vifs son attachement au calvinisme : dans les derniers instants de sa vie, cette princesse eut toujours auprès d'elle Perrucel, un des plus fougueux ministres du temps.

Le 10 septembre 1564, le prince de Condé écrivit au maïeur pour l'engager à contenir le peuple dans son devoir, et à faire exécuter l'édit de pacification. D'après la teneur de sa lettre, le zèle des catholiques n'était pas moins exagéré que celui des protestants ; le prince se plaint « de défenses que l'on dit avoir été faites par le maïeur de ne chanter chansons en l'honneur de Dieu ès maisons privées, de saisie de biens sans formalités de justice, recherches de livres, et qui pis est, jusqu'à faire rebaptiser les enfants. »

*
 

Retour
Retour

Accueil
Suite