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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre X - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Le roi passe à Montdidier

Demande de l'échevinage

Confirmation de l'établissement des foires et francs-marchés

Contestations dont ils étaient l'objet

Louis XIV à Montdidier

 

Après la reddition de Corbie (14 novembre 1636), Louis XIII retourna à Paris ; il voulut passer par Montdidier, pour voir, disait-il, cette ville qui lui avait été si fidèle et qu'il aimoit particulièrement. Ses courtisans cherchèrent vainement à l'en dissuader, lui représentant que la peste y exerçait de grands ravages ; mais le roi persista dans sa résolution. Son entrée ne donna lieu à aucune des cérémonies usitées en pareille occasion. Le maïeur et les habitants en petit nombre s'étaient rangés le long de l'hôtel de ville, sans oser aborder le roi, qui était dans son carrosse, au milieu de la place. Louis XIII les fit venir à la portière : Approchez, messieurs, leur dit-il, je ne crains rien quand je suis avec des sujets que je chéris comme vous. Ceux-ci s'étant avancés : Eh bien, mes bons et fidèles sujets, ajouta-t-il avez-vous pensé à ce que je vous ai dit dernièrement à Halluin ? — Sire, répondit le maïeur après s'être incliné profondément, puisque Votre Majesté veut bien s'intéresser si fort pour nous et les nôtres, nous la supplions très-humblement de nous vouloir accorder deux foires franches par an, savoir, le 15 mai et le mardi en suivant la Vierge de septembre, avec deux francs marchés par semaine, le mardi et le samedi. — Je le veux volontiers, reprit le roi, et aussi annoblis le majeur et sa postérité, je vous en ferai expédier les patentes nécessaires à mon arrivée à Paris.

Antoine de Fevin, maïeur de Montdidier en 1636, était procureur aux bailliage et siéges royaux ; on ne saurait douter qu'il ait rendu des services à la ville, bien que les mémoires et les relations du temps n'en fassent aucune mention. La famille de Fevin, qui a depuis longtemps quitté le pays, a peu marqué dans les annales montdidériennes : ce n'est qu'en 1635 qu'on la voit figurer au premier rang ; en 1602, un de Fevin était greffier au gouvernement de Montdidier ; en 1695, Pierre, fils d'Antoine de Fevin, demeurait à Lucheux. Jacques de Maurepas reçut la récompense de la valeur qu'il avait montrée durant le siége : le 23 novembre 1636, le roi lui confia le gouvernement de la ville qu'il avait si vaillamment défendue. Les capitaines de quartier, ainsi que les lieutenants qu'il avait nommés, conservèrent leurs grades. Milon de la Morlière obtint le commandement d'une compagnie de cavalerie. Nous ignorons quelle part eut Bosquillon de Sainte-Hélène à la bienveillance royale ; il était protestant, peut-être sa religion fut-elle un motif d'exclusion dans les faveurs du roi ; il ne méritait pas cependant d'être traité avec cette rigueur. Connue ses généreux émules, il avait eu l'honneur de sauver la ville, et de mettre en fuite les plus terribles ennemis de la France.

Aussitôt après la retraite des Espagnols, on s'occupa de réparer les fortifications. Une taxe fut établie sur les habitants ; les pauvres donnèrent 1 sol ; les gens dans une position médiocre, 2 sols, et les riches, 3 sols par semaine : c'était peu, mais la guerre et la peste avaient cruellement diminué les ressources déjà si modestes dont pouvaient disposer nos aïeux.

Louis XIII tint fidèlement sa promesse. Par lettres-patentes du mois de décembre 1636, il reconnaît « que les mayeurs, eschevins et habitans de Montdidier ont fait tout ce que l'on pouvoit attendre de bons, vrais et loyaux serviteurs et subjets en la conservation de ladite ville contre les efforts et les courses des ennemis qui estoient entrés en la province de Picardie, et les estimant dignes de quelques grâces particulières, qui puissent estre veues et connues de la postérité, il crée et établit deux franches foires en la dite ville, savoir, la première le quinzième de mai, et la dernière le premier mardi d'après la Notre-Dame de septembre, et deux marchés francs chaque semaine, savoir, le mardy et le samedy. » Les lettres-patentes de Louis XIII sont imprimées en entier au liv. II, chap. VII, § 2 de cette histoire.

On attribue généralement à Louis XIII l'établissement de la foire de Montdidier : c'est une erreur. La foire du mois de septembre, la seule, on peut dire, qui se soit conservée, existait bien avant ce roi ; cent ans auparavant, au mois de janvier 1538, François 1er avait maintenu la ville dans la possession de deux foires par an, l'une le 15 mai, l'autre le mardi après la Notre-Dame de septembre ; elles devaient durer huit jours : ce prince avait aussi accordé deux marchés par semaine, le mardi et le samedi, avec tels priviléges, franchises et libertés qu'ès autres foires et marchés du royaume. Ces concessions furent confirmées par Henri III au mois de février 1588 et par Henri IV en 1594.

Les titres primitifs ayant disparu, les habitants se virent inquiétés dans la jouissance de leurs priviléges Au mois d'octobre 1610, Simon Alix, fermier des vingtièmes et impositions de la ville, voulut lever l'impôt du vingtième sur deux poinçons de vin vendus au marché de Montdidier par un appelé Valleran le Saige ; l'échevinage, blessé dans ses prérogatives, prit fait et cause pour ce dernier, et s'opposa à la perception du droit. Il y eut procès à la cour des aides. Les habitants excipèrent de leurs privilèges, invoquant les lettres confirmatives de François 1er et l'article 8 du traité fait avec Henri IV. Le 25 mai 1612, la cour des aides ordonna aux maïeur et échevins de représenter ces lettres de François Ier ; les habitants se récrièrent et firent parvenir leur réclamation jusqu'au roi, demandant à être maintenus dans leur ancienne jouissance.

Au mois de juillet 1612, Louis XIII fit droit à la requête des habitants, et manda à la cour des aides que, s'il apparoissoit par dépositions et attestations bonnes et valables, que les dits maïeur et échevins, manans et habitans eussent jour desdites foires et marchés francs durant quatre vingts années, que leurs titres qu'ils avoient de ladicte concession, de ladite franchise, ayent esté perdus pendant les troubles, et qu'ils leur ayent esté confirmé par le feu roy décédé, lors de la rédaction d'icelle ville en son obeysance, audict cas, la dicte cour ait a leur laisser faire jouyr des dictes foires et francs marchés, tout ainsi qu'ils en auroient cy devant jouy. Les maïeur et échevins présentèrent ces lettres patentes à la cour des aides pour les faire entériner ; mais le fermier du vingtième prétendit qu'elles avaient été obtenues subrepticement et par surprise, et demanda qu'il fût passé outre au jugement de l'affaire. Vainement les maïeur et échevins insistèrent pour être admis à faire la preuve de la perte de leurs titres, comme les y autorisaient les lettres du roi ; après une procédure compliquée qui dura deux années entières, la cour des aides, sans avoir égard aux lettres royales, condamna, le 18 août 1612, Valleran le Saige à payer au receveur des vingtièmes les droits et impositions du vingtième de deux poinçons de vin vendus, le 10 octobre, au marché de Montdidier.

C'est en vue d'éviter à l'avenir toute difficulté que les habitants sollicitèrent Louis XIII de leur accorder de nouveau l'établissement des foires et des francs marchés, dont l'existence pouvait encore être attaquée plus tard, comme elle l'avait été en 1612. Les difficultés suscitées par la cour des aides ont lieu de nous étonner. Si l'original des lettres patentes de François Ier n'existait plus aux archives de la ville, une copie authentique était déposée à Paris à la cour des comptes ; elle est conservée aujourd'hui aux Archives nationales, où nous en avons pris connaissance. A défaut de titre original, ce duplicata aurait dû suffire pour préserver les habitants de toute action judiciaire.

La foire de Montdidier est, comme l'on voit, plus ancienne que le règne de Louis XIII ; elle remonte même au delà de celui de François Ier ; elle existait dès 1402. Il en est parlé plusieurs fois dans les ordonnances de police de la ville de 1433, ordonnances qui ne sont que la reproduction d'autres, publiées à une époque bien antérieure : nous sommes entré à cet égard dans des détails plus étendus au liv. II, chap. VII, § 2.

Le 27 janvier 1637, Montdidier fut taxé à 25,000 livres par forme d'emprunt ; le jour même les délégués furent envoyés au sieur de Bellejamme, intendant de la province, avec mission de lui représenter les dépenses considérables que la ville avait été obligée de faire depuis le 4 août, jour où les ennemis étaient entrés en Picardie, jusqu'à la levée du siége, ainsi que pendant la peste qui suivit. Ce fléau avait enlevé beaucoup d'habitants, et des plus riches. L'intendant fit droit à ces observations, et l'emprunt fut réduit à 8,000 livres.

En 1640, le cardinal de Richelieu se trouvant au château de Chaulnes, le maïeur Pierre Petit et les échevins allèrent le trouver, espérant obtenir quelques concessions avantageuses pour les octrois de la ville ; mais, ayant manqué aux lois sévères de l'étiquette que le cardinal avait introduites pour être admis en sa présence, ils virent leur demande impitoyablement repoussée. La simplicité et la franchise picardes s'accordaient mal avec le cérémonial des cours et la souplesse des courtisans.

A la fin du mois de mai 1646, Louis XIV, la reine-mère, mademoiselle d'Orléans, le prince de Condé et le duc d'Elbeuf traversèrent Montdidier ; on leur offrit les vins de présent. L'année suivante, le roi et la reine-mère repassèrent dans notre ville ; le roi coucha chez le sieur de Romanet, trésorier général de France, et la reine aux Ursulines. Les années 1648 et 1649 furent marquées également par le passage du roi et de la reine-mère ; dans ce dernier voyage, Louis XIV logea chez le sieur l'Empereur, conseiller en l'élection, et la reine chez le sieur de Romanet, qui demeurait en face de l'église du Sépulcre : sa maison subsiste encore.

Les guerres que la France soutenait contre l'Autriche donnèrent lieu à un mouvement de troupes continuel et à l'établissement de garnisons très-onéreuses. Pendant plusieurs années, Montdidier fut constamment occupé par différents corps : en 1647, il y avait en même temps les deux régiments irlandais du prince Robert et de Rœby, plus une compagnie de gentilshommes de la même nation ; en 1649, c'était un régiment polonais qu'on envoyait se refaire dans nos murs : il avait pour colonel, la chose vaut la peine d'être remarquée, le cardinal Mazarin ; la lettre de Louis XIV adressée au sieur de Bracquemont en fait foi :

« Monsieur de Braquemont, envoyant à Montdidier, sept compagnies du régiment d'infanterie polonoise commandé par mon cousin le cardinal Mazarini pour s'y reposer pendant quelque temps, et y demeurer jusques à nouvel ordre. Je vous faicts cette lettre pour vous dire par l'advis de la Royne regente madame ma mère que vous ayez à faire recevoir et loger au dict Montdidier les dictes sept compagnies du dict regiment d'infanterie polonoise avec l'estat major d'iceluy que nous y envoyons pareillement, et à tenir la main à ce que les vivres necessaires et Fustanelle soyent fournis aux presents et effectifs conformement à mes reglements du quartier d'hyver, et à ce qu'il n'arrive aucun desordre de la part des dicts gens de guerre, ny difficultés ou mauvais traitement de la part des habitants. Et sur ce je prie Dieu qu'il vous ayt Monsieur de Braquemont en sa saincte garde. Escrit à Sainct Germain en Laye le XIIe avril 1649.

Louis.

Le Tellier. »

Au dos de la lettre on lit : « A Monsieur de Braquemont commandant pour mon service à Montdidier, et en son absence à celuy qui y commande. »

En 1650, le régiment de son Altesse royale, fort de quinze cents hommes ; non compris l'état-major et l'artillerie, passa quatre ou cinq jours à Montdidier, y vivant à discrétion et commettant des désordres infinis ; pour hâter son éloignement, il fallut lui promettre une somme d'argent qui devait, sous forme de prêt, être levée sur les personnes les plus aisées.

Le 25 février 1649, Pierre de Bertin, sieur d'Inneville, lieutenant criminel au bailliage, fut nommé député aux états généraux convoqués à Orléans pour le 15 mars suivant (Pièce just. 52) ; en 1651 il fut encore désigné pour assister à l'assemblée des états dont la réunion devait avoir lieu à Paris : mais ces deux convocations restèrent sans effet, et, depuis 1614 jusqu'à la fin du règne de Louis XVI, les états généraux n'ont jamais été réunis.

L'année 1652 fut remarquable par une très-grande sécheresse. Pendant plusieurs mois il ne tomba pas une goutte d'eau ; les céréales périrent jusque dans la racine. Dans cette calamité on eut recours aux patrons de Montdidier, et le 5 juin 1652 on fit une procession générale : « Au retour de la cérémonie, » rapporte de Blémur, « le peuple étant à genoux devant les saintes reliques, qui étoient sur un des reposoirs, il survint une pluye si abondante qu'à peine on put gagner l'église Saint-Pierre qui étoit la plus proche. Cette inondation dura une grosse heure, et l'on eut le loisir de bénir Dieu de sa miséricorde et de publier le mérite de ses fidèles serviteurs ; chacun se sauva ensuite comme il put et assez en désordre, et les ornements des prêtres furent aussi trempés que si on les eût jetés dans la rivière. »

Cette année, la cherté des vivres fut extrême ; la famine désola le pays et diminua le nombre des habitants. La présence de l'ennemi vint encore ajouter à leur misère. Le prince de Condé, qui avait déserté le drapeau de la France pour embrasser le parti de l'Espagne, entra en Picardie à la tête de vingt-cinq mille hommes ; il passa la Somme à Saint-Simon au mois d'août 1653, et s'empara de Chaulnes et de Nesle, qui se rendirent sans coup férir. Le 3 août, le prince fit investir Roye par les Lorrains aux ordres du chevalier de Guise. Pour effrayer les bourgeois, ils mirent le feu à plusieurs villages et firent des courses jusqu'à Saint-Taurin, commettant des violences abominables. Le sieur de Carvoisin, lieutenant de roi, gouverneur de la place en l'absence du maréchal d'Hocquincourt, se prépara à soutenir le siége, et reçut les assaillants à coups de canon. Le prince de Condé, arrivé le même jour à Carrépuis, envoya sommer la ville par un trompette ; mais la noblesse du pays et les bourgeois lui répondirent qu'ils avoyent de la poudre et du plomb pour se défendre. Le prince dut avoir recours à la force ; il donna plusieurs assauts, et s'empara de la place le 5 août, malgré la résistance des habitants. La nouvelle de la prise de Roye fut apportée à Montdidier parle sieur de Montigny, capitaine du château de Mesviller (Piennes), qui venait du camp ennemi, où il était allé à la découverte. Le conseil s'étant assemblé à l'hôtel de ville, on dépêcha aussitôt vers les maréchaux de Turenne et de la Ferté-Senneterre, qui commandaient une petite armée à Varenne, au-dessus de Noyon. Les seigneurs de Bains, de Vuillancourt, d'Hargicourt, de Faverolles, de Vaux, du Frétoy, de la Morlière et d'autres gentilshommes du voisinage vinrent chercher un refuge à Montdidier ; un grand nombre de paysans s'étaient également retirés dans,la ville. On en dressa le rôle, il s'en trouva cinq cents en état de porter les armes ; ils offrirent de travailler aux fortifications et d'exécuter ce qu'on leur ordonnerait, à la condition qu'on leur fournirait le pain et les munitions, ce qui fut accepté. Deux jours auparavant on avait fait mûrer et garnir de fascines la porte de Roye.

Florent de Bracquemont avait succédé à Jacques de Maurepas dans le gouvernement de Montdidier ; comme lui, il avait pris une part glorieuse au siége de 1636, et il est à croire que son concours ne nous eût point fait défaut dans cette circonstance ; mais, par une fatalité singulière, il était absent : ainsi, à deux reprises différentes, et lorsqu'elle en avait le plus besoin, la ville se trouvait sans capitaine.

Il fallait pourvoir à son remplacement. On proposa le commandement à Isaac de Lancry, seigneur de Bains ; il accepta, et prit aussitôt toutes les mesures que réclamait la situation : des postes furent établis dans les moulins de la ville et de la banlieue ; les brèches étaient considérables et n'avaient pu être bouchées qu'imparfaitement, on fit en sorte de les garder le mieux possible.

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