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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XII - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Création du district

Rivalité de Roye et de Montdidier

La mairie rendue élective

Les habitants prêtent le serment civique

 

L'Assemblée nationale, dans sa fièvre d'innovations, détruisait impitoyablement les unes après les autres toutes les institutions qui avaient régi nos pères. La suppression du bailliage et des autres juridictions, l'établissement du directoire et du tribunal de district, causaient une grande agitation. Depuis des siècles notre ville était le chef-lieu d'un bailliage dont relevaient plus de cent soixante communes, et d'une élection qui comprenait deux cent trente paroisses et une population de quatre-vingt-dix mille âmes. Plusieurs projets étaient en présence ; chacun cherchait à assurer le triomphe de la ville qu'il représentait. Péronne, Roye, et jusqu'à Breteuil, auraient voulu annihiler Montdidier et n'en faire qu'une ville sans aucune prérogative, comprise modestement dans le ressort de leur juridiction. Une telle prétention était insoutenable. Les habitants ne s'endormirent point. Le 17 décembre 1789, ils s'assemblèrent à l'hôtel de ville, et nommèrent douze commissaires chargés de se rendre à Paris pour y défendre les intérêts de la cité. Ces commissaires étaient : MM. de Saint-Fussien de Vignereul, maire ; Bosquillon de Bouchoir, lieutenant-colonel de la garde nationale ; Bosquillon de Jenlis, avocat ; Dom Bertrand, prieur claustral des Bénédictins ; Boullenger, lieutenant particulier au bailliage ; Cauvel de Beauvillé, procureur du roi en l'élection ; Cauvel de Carouge, président au grenier à sel ; Daugy, doyen des procureurs ; Lendormy, avocat ; Maillart, procureur du roi au bailliage ; Pucelle, avocat du roi, subdélégué, et de Saint-Fussien, receveur des tailles. Les commissaires devaient joindre leurs efforts à ceux de M. Liénart, député de Montdidier à l'Assemblée nationale. M. de Bussy ayant, pour raison de santé, donné sa démission de représentant au mois d'août 1789, M. Mareux, son suppléant, qui dirigeait à Tricot une exploitation agricole importante, se souciant peu de sacrifier son intérêt particulier à l'intérêt général, balança longtemps sur le parti qu'il prendrait ; enfin il refusa, laissant pendant trois mois le bailliage de Montdidier sans représentant à l'Assemblée nationale. Ce fut durant ce temps qu'on détermina les limites du district. Les députés de l'Oise en profitèrent pour faire entrer dans leur département des communes situées à la porte de Montdidier. M. Liénart avait, dès le mois de novembre, siégé en qualité de suppléant, en remplacement de M. de Bussy ; il fut installé comme représentant définitif au mois de décembre 1789 ; mais le mal était fait, et, si la promulgation de la circonscription des districts n'avait pas encore eu lieu, leur composition était du moins arrêtée en principe, et il n'y avait plus à revenir sur cet objet.

Les commissaires nommés le 17 décembre partirent de suite pour Paris, et ne revinrent que le 12 février 1790, après une absence de six semaines ; ils étaient restés tout ce temps dans la capitale, et avaient lutté constamment contre les prétentions des villes voisines, nos rivales.

Pour Montdidier c'était presque une question de vie ou de mort. Notre pays ne se soutenait et ne se soutient encore, il faut le dire, que par les établissements publics et les fonctionnaires qui y sont attachés ; les supprimer, c'était le ruiner. Après bien des contestations et une polémique aussi vigoureuse qu'intéressante, la victoire nous resta. Le chef-lieu du district fut fixé à Montdidier, malgré les efforts continuels de M. Prévost, avocat du roi au bailliage de Roye et député de cette ville. Il faut rendre à chacun la justice qui lui est due : les Royens avaient dans M. Prévost le député le plus capable de réaliser leurs espérances, et, sans le concours actif que nous prêtèrent dans cette circonstance MM. de Lameth et Bouteville du Metz, peut-être aurions-nous succombé dans la lutte.

Les commissaires envoyés à Paris firent dans nos murs une rentrée triomphale. Une cavalcade de trente jeunes gens, bien montés, capitaine, lieutenant et sous-lieutenant de la garde bourgeoise en tête, alla au-devant d'eux jusqu'à Saint-Just, où les délégués reçurent les félicitations du capitaine, M. de Monchy. Une compagnie de cinquante gardes nationaux se porta à leur rencontre jusqu'au Monchel. A leur approche, les cloches sonnèrent à volée ; l'artillerie et les mousquets firent de joyeuses décharges. Les commissaires furent complimentés à l'entrée de la ville par quelques-uns de leurs collègues dont le retour avait précédé le leur ; la foule qui les entourait était telle que c'est à peine s'ils purent se frayer un passage jusqu'à la mairie, où la garde les attendait sous les armes. Les discours, les compliments recommencèrent : Scellier, premier échevin, après avoir terminé le sien, présenta la couronne civique à M. de Saint-Fussien de Vignereul. On se félicitait, on s'embrassait : c'était pour chacun un succès ardemment désiré. Escortés de l'infanterie et de la cavalerie bourgeoises, les commissaires furent reconduits chez eux avec le même cérémonial qu'on avait mis à leur réception ; le 10 février fut un véritable jour de fête pour la ville entière ; toutes les maisons étaient pavoisées, le soir il y eut illumination générale, et le lendemain un bal, suivi d'un souper, réunit à l'hôtel de ville l'élite de la société.

L'organisation municipale fut changée entièrement et ramenée, sauf quelques modifications, à sa forme primitive. La mairie, qui avait cessé d'être élective pour tomber dans les charges vénales, redevint la première dignité de la ville, et la nomination du maire fut de nouveau confiée aux lumières et au patriotisme des citoyens.

Le 18 janvier 1790, on procéda, conformément au décret de l'Assemblée nationale du 14 décembre 1789, à l'élection du maire. La population excédant quatre mille âmes (elle était de quatre mille trente et un), on partagea la ville en deux sections : la première, composée des quartiers de la porte Becquerel et de la Place, se réunit au tribunal ; la seconde, formée des quartiers de la porte de Roye et de la porte de Paris, s'assembla au couvent des Capucins. Le résultat du dépouillement du scrutin des deux sections fut proclamé à l'hôtel de ville : M. de Saint-Fussien de Vignereul, maire depuis dix-huit ans, ayant obtenu quatre-vingt-neuf voix sur cent cinquante-trois votants, fut continué dans ses fonctions. Les jours suivants, on s'occupa de la nomination des huit officiers municipaux, des dix-huit notables et du procureur de la commune. Le maire et les huit officiers municipaux formaient le conseil municipal ; réunis aux notables et au procureur, ils composaient le conseil général de la commune. Pour avoir une connaissance complète du système municipal de cette époque, il faut consulter la loi du mois de décembre 1789 et celle du mois de janvier 1790. Un des premiers soins de la nouvelle municipalité fut de réorganiser la garde nationale dont on augmenta beaucoup le personnel ; les compagnies furent portées à huit, fortes chacune de quatre-vingts hommes, non compris les officiers et sous-officiers : le nombre total des gardes nationaux s'élevait à sept cent cinquante et un ; ils étaient commandés par un colonel, un lieutenant-colonel et un major.

Le 21 février 1790, les habitants prêtèrent le serment civique, à l'exemple de ce qui s'était passé à Paris et dans les autres cités du royaume. A la sortie des vêpres, les officiers municipaux se rendirent à l'hôtel de ville ; l'état-major, les officiers et un détachement de la garde nationale prirent position sur la Place, où était rassemblée la majeure partie de la population. Le maire donna, du haut du balcon de la mairie, lecture du discours du roi prescrivant la prestation du serment, et réclama pour les officiers municipaux l'honneur de le prêter le premier. Le conseil municipal, étant descendu de la salle des délibérations, s'approcha d'un autel qui avait été dressé sur la Place ; là, le maire jura à haute voix fidélité à la nation, à la loi et au roi ; les officiers municipaux, la garde nationale et les habitants présents à la cérémonie suivirent son exemple. Le serment était prêté individuellement ; chaque citoyen, après avoir levé la main, était reconduit à sa place par un garde national ; on se rendit ensuite à l'église Saint-Pierre, où M. Pillon de la Tour, curé du Sépulcre, prononça un discours de circonstance.

Le 23 février, les nouveaux officiers municipaux entrèrent en fonction ; entourés de la garde nationale, ils se placèrent en rond au bas des marches de l'hôtel de ville, puis le maire lut la loi municipale, que tous jurèrent d'observer fidèlement. La politique tournait les têtes, chacun se mêlait de vouloir gouverner l'État. Une des manies de l'époque consistait à envoyer des adresses à l'Assemblée nationale ; la ville céda comme les autres à cet entraînement, et le 24 mai, par l'intermédiaire de M. Liénart, elle faisait déposer sur le bureau de l'Assemblée une adresse dans laquelle elle la suppliait instamment de ne quitter ses travaux qu'après avoir achevé l'ouvrage immortel de la constitution, qui doit faire le bonheur de vingt‑quatre millions de Français.

On était alors au début de l'institution de la garde nationale ; une cruelle expérience n'avait point encore fait connaître combien, sous des dehors spécieux, cette agglomération de citoyens armés, étrangers par nature et par état à tout sentiment de discipline et de devoir militaire, renferme d'inconvénients et de dangers. L'idée de réunir à Paris des représentants de toutes les milices de la France devait séduire des imaginations avides de nouveautés ; une fois mise en avant, ce fut un élan incroyable. Le 2 mai, on procéda à la nomination des délégués de la garde nationale qui, le 14 juillet, devaient assister, dans la capitale, à la fête de la Fédération. Sur cent quarante-quatre communes, cent vingt-huit répondirent à l'appel ; la ville de Roye, qui ne pouvait se consoler d'avoir été privée du tribunal et d'être incorporée dans notre district, refusa de déférer à l'invitation, et fit ce qu'elle put pour empêcher les communes de ses environs de venir à Montdidier.

La réunion se tint au tribunal ; il y avait à peu près six cents personnes, mais, malgré cette affluence, la séance se passa dans le plus grand ordre. Le nombre de délégués à nommer était dans la proportion d'un pour deux cents hommes. D'après le chiffre des gardes nationaux du district représentés à cette réunion, c'était quatorze délégués qu'il y avait lieu d'envoyer à Paris ; la ville de Montdidier, dont l'effectif de la garde nationale montait à près de huit cents hommes, avait droit par conséquent à quatre délégués : mais, par courtoisie ou tout autre motif, les communes portèrent entièrement leurs suffrages sur des habitants du chef-lieu du district, et, au scrutin général, quatorze gardes nationaux de la ville furent désignés pour se rendre dans la capitale.

La séance, commencée à huit heures du matin, ne se termina qu'à dix heures du soir. Malgré l'heure avancée, un banquet rassembla tous ceux qui avaient pris part à la réunion. Une table de quatre cents pieds de long était dressée sur la Place, et s'étendait de la rue de la Borne-du-Lion à l'église du Saint-Sépulcre ; aux deux extrémités s'élevaient des arcs de triomphe couverts de feuilles de lierre, d'où pendaient deux écussons représentant les attributs du clergé, de la noblesse et du tiers état : la crosse, le sabre et la bêche, noués ensemble par un ruban tricolore. La table était servie avec frugalité, mais convenablement ; des torches supportées par une balustrade qui régnait à l'entour, éclairaient les convives. L'appétit devait être excité par une longue attente ; à dix heures on a faim, et bientôt il ne resta rien sur la table, porte le Registre de la ville. Peut-être ce repas tardif était-il trop léger pour des estomacs affamés ; mais, continue le rédacteur du procès-verbal, les premiers besoins furent à peine satisfaits qu'on s'empressa de porter la santé des législateurs dont les heureux travaux procuraient une réunion si flatteuse.

Le maire était placé au centre de la table, entre les curés de Saint-Pierre et du Sépulcre ; les officiers municipaux et ceux de la garde nationale, qui avaient voulu supporter à eux seuls les frais de la fête, faisaient les honneurs du festin. La ville était entièrement illuminée ; partout on riait, on chantait, l'allégresse était universelle ; une partie de la nuit se passa en réjouissances et en danses au Chemin-Vert.

C'est dans ce banquet aux flambeaux, du 24 mai, que les couleurs révolutionnaires se montrèrent pour la première fois à Montdidier : elles y parurent, formant des nœuds de rubans, et relevant par leur éclat les décorations d'un festin.

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