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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XIII - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Difficulté de composer la mairie

Fermeture des églises Saint-Martin et Saint-Médard

Émotion populaire

Installation du tribunal de commerce

Adresse de la Société populaire au club des Jacobins

Création des assignats

 

Pendant plusieurs jours la ville fut dans un état continuel d'agitation. Le 4 septembre, M. de Saint-Fussien, receveur du district, fut élu ; mais, lorsqu'il fallut prêter serment, il ne parut point, et l'on retomba dans l'anarchie. Les officiers municipaux s'emparèrent alors de l'autorité et prirent la direction des affaires : c'étaient Lemasson, marchand de bas ; Leroux, libraire arpenteur ; Lhermitte, directeur des carrosses ; Chopart, marchand de fer ; Mouton, sellier ; Moussette, maréchal vétérinaire ; de Baillon, bourgeois, et Lainé, vitrier.

La loi du 20 mars 1791 avait supprimé les deux églises des faubourgs, et réuni leur circonscription à la paroisse Saint-Pierre : l'église du Sépulcre était conservée, mais simplement comme oratoire. Cette loi avait été enregistrée depuis longtemps au greffe du tribunal de district, et envoyée, dès le 19 juin, à la municipalité pour être mise à exécution. M. Cousin l'avait, a dessein, laissée dormir dans les cartons ; mais les nouveaux municipaux n'eurent garde de l'oublier, ne voulant point rester en arrière de leurs collègues de Roye, qui avaient déjà exécuté cette mesure antireligieuse.

Le 9 septembre, ils se rendirent à Saint-Martin, à Saint-Médard, aux Capucins, et en fermèrent les portes. Les ornements sacerdotaux furent transportés à l'hôtel de ville, et les vases sacrés déposés à Saint-Pierre par l'abbé Hémery, cordelier retiré à Montdidier. Le lendemain ils continuèrent leur opération par la fermeture de l'église du Saint-Sépulcre. Déjà, la veille, ils avaient excité le mécontentement d'une grande partie de la population ; aussi, dans leur nouvelle expédition, jugèrent-ils prudent de se faire précéder de cinquante gardes nationaux ; ce déploiement de force ne put prévenir un mouvement dans lequel les femmes étaient en majorité. Les municipaux furent assaillis par une grêle de pierres, et, sans l'intervention d'un détachement du régiment de Lorraine-infanterie qui passait ce jour-là à Montdidier, il serait arrivé malheur aux nouveaux administrateurs. La présence de la troupe empêcha le désordre de prendre de plus grandes proportions ; les municipaux purent pénétrer dans l'église et apposer les scellés sur les objets servant au culte. La grande porte ne fut point fermée (l'église étant conservée comme oratoire), mais on enleva le battant de trois cloches, et on n'en laissa qu'une seule en état pour sonner les messes basses.

Louis XVI ayant prêté serment à la constitution le 14 septembre 1791, la nouvelle de cet événement fut transmise à toutes les cités du royaume, et des réjouissances publiques furent ordonnées. Le 18, le secrétaire de la mairie fit lecture, au balcon de l'hôtel de ville, de la prestation de serment du roi ; les autorités se rendirent à l'église Saint-Pierre, et l'on chanta le Te Deum ; sur la Place était préparé un feu de joie. A défaut du maire, Lemasson premier officier municipal, présidait à la fête ; il présenta un flambeau au président de l'assemblée électorale, au président du directoire de district et au commandant de la garde nationale : tous trois mirent le feu en même temps au bûcher, au bruit des décharges nombreuses de la garde nationale assemblée sous les armes. Les assistants obligés retournèrent ensuite à l'hôtel de ville, où Lemasson prononça un discours dans lequel il disait que la révolution était finie. Elle ne faisait, hélas ! que de commencer. Au moins les hommes de cette époque étaient-ils de bonne foi dans leur erreur ; ils croyaient sincèrement à la réalisation de leurs idées politiques, l'expérience ne les avait pas encore désillusionnés ; tandis qu'aujourd'hui, après les enseignements du passé, nous ne voyons à chaque révolution que des imposteurs et de pauvres dupes.

Le dimanche 9 octobre, on procéda à l'élection des membres du tribunalde commerce, institué par un décret de l'Assemblée nationale du 6 janvier 1791. Il se composait d'un président et de quatre juges ; Claude Scellier, fils de Gabriel Scellier, auteur des Mémoires conservés à l'hôtel de ville, fut nommé président. Le tribunal, installé solennellement par le conseil général de la commune le 12 décembre 1791, tint sa première audience le 19 du même mois. Ce corps, dont le personnel laissait beaucoup à désirer, fut supprimé en 1823.

Il était indispensable de pourvoir à la place de maire, vacante depuis deux mois. Les électeurs se réunirent les 13, 14 et 15 novembre. M. Maillart obtint le plus grand nombre de suffrages ; mais il refusa, s'excusant sur son âge, et il fallut recourir à une seconde élection. M. Leroux, libraire arpenteur, ayant eu soixante-quinze voix sur cent seize votants, fut proclamé maire le 20 novembre 1791, et prêta serment le même jour.

Les sociétés populaires avaient contribué puissamment au changement de l'esprit public. Un club organisé à Montdidier s'était mis en rapport avec les autres réunions du même genre ; l'adresse qu'il envoya, le 27 octobre 1791, à l'Assemblée nationale et au club des Jacobins, donne une idée du style de l'époque :

« La liberté, chassée depuis quatorze siècles de son pays natal, a vu à son retour la France se rallier autour d'elle. Vos augustes prédécesseurs ont combattu pour la fixer dans son antique patrie ; un peuple aussi vaillant, aussi fier que généreux, a dit : Je veux être libre, et il a été libre ; et la liberté s'est fixée à jamais dans l'empire des Francs.

L'Assemblée constituante a bien mérité de la patrie ; nous lui devons reconnaissance : les bons citoyens ont applaudi aux remercîments que vous lui avez votés. Si dans la carrière orageuse qu'ils ont parcourue ils ont acquis de la gloire, il y en a encore dans celle où vous venez d'entrer ; nous attendons de vous, sages législateurs, l'affermissement de notre sainte constitution, l'exécution et la force à la loi. Nous n'ignorons pas les combats que vous aurez encore à livrer ; nous n'ignorons pas non plus que nos représentants ont été élus par des hommes libres, et nous ne doutons pas de leur fermeté. Loin de nous la crainte et les vaines terreurs dont les ennemis de notre patrie cherchent à nous environner ; nous sommes forts de notre liberté, et nous vous dirons : Si la constitution était en danger, si autour de vous la liberté commençait à se couvrir de nuages, que vous puissiez craindre pour elle, nous vous assurons que notre patriotisme, ainsi que celui des braves habitants de nos campagnes, est aussi ardent qu'au temps de la conquête, que nous sommes prêts à voler à son secours, d'entourer de nos respects et de nos armes son temple, et de vaincre ou périr pour la défendre. C'est ainsi que nous accomplirons le serment que nous avons prêté de vivre libres ou mourir. » — « Votre adresse, » répondait, le 6 novembre 1791 le club des Jacobins, « est marquée au coin de la noblesse et de l'énergie qui caractérisent les bons citoyens de votre contrée, surtout dans les campagnes, etc. »

Ces phrases retentissantes n'empêchaient pas les embarras politiques d'augmenter sans cesse. Le manque de numéraire se faisait sentir d'une manière fâcheuse ; outre les assignats créés par lé gouvernement, il se forma dans les villes, et jusque dans les bourgs, des associations pour l'émission de valeurs de convention. En 1792, MM. Bosquillon Dufay, ancien procureur au bailliage, et Geudet, marchand de bas, fondèrent une caisse d'association et mirent en circulation des billets de 5, 10, 15, 20, 30 et 40 sols, revêtus de leur signature et appelés billets d'association de secours.

Leur exemple trouva promptement des imitateurs. MM. Baillet, négociant, et Cousin de la Morlière, avocat, établirent une caisse gratuite de Montdidier et émirent d'autres effets, dits billets de la commune, de la valeur de 5, 1, 15, 25, 30, 40 sols et 3 livres ; les porteurs n'avaient d'autre garantie que la position personnelle de ceux qui créaient ces valeurs. Le conseil général de la commune, convoqué pour délibérer sur la question de savoir s'il devait émettre des billets de confiance, échangeables contre des assignats, fut d'avis de ne point se charger de cette opération. Cette réponse, jointe à une nouvelle création d'assignats nationaux, votée par l'Assemblée législative, empêcha le papier-monnaie de Montdidier de prendre une grande extension.

Le 17 janvier 1792, arrivèrent à Montdidier les volontaires du bataillon de la Charente, commandant de la Chelle ; ils logèrent dans la ville et dans les communes environnantes. La bonne tenue de ces troupes et leur discipline sévère, qui offraient un contraste frappant avec celles des cuirassiers que l'on avait eus précédemment en garnison, leur concilièrent l'amitié des habitants, qui ne les virent s'éloigner qu'à regret. Lors du départ du bataillon, le conseil général lui fit présent, comme témoignage de sa haute satisfaction, d'un drapeau tricolore sur lequel on lisait cette divise : Les citoyens de Montdidier aux volontaires du premier bataillon de la Charente le 17 mars 1792, et plus bas : Nous ne les laissons partir que pour aller à la victoire.

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