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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XIV - Section V

par Victor de Beauvillé

Section V

Cherté des vivres

Changements opérés dans la municipalité

Rétablissement du culte

Suppression de la mairie

Agents municipaux

Le calme se rétablit

 

La disette se faisait toujours sentir. Le 11 juillet 1794, quatre commissaires, Cayeux, Bourgeois, Vallet et Renaud, nommés par le directoire du département, vinrent à Montdidier, chargés de vérifier les provisions que chacun avait en réserve et la quantité que l'on pouvait en prendre pour aider la ville d'Amiens. Les envoyés reçurent un accueil favorable ; on s'empressa de secourir des compatriotes qui nous touchaient de si près, et, le jour de leur arrivée, trente sacs furent mis à la disposition des commissaires.

La loi qui fixait un maximum au-dessus duquel il était défendu de vendre les denrées n'avait jamais été exécutée, et c'était une lutte continuelle entre le vendeur et l'acheteur. Les jours de marché, les habitants se précipitaient en masse sur la Place, et pillaient le peu de beurre et les quelques œufs que les gens de la campagne apportaient : de pareils actes éloignaient ces derniers et rendaient les approvisionnements plus difficiles. Afin de remédier à ce désordre, il fut résolu qu'un officier municipal serait en permanence sur le marché, qu'il veillerait à la conservation des objets exposés en vente, et ferait arrêter les personnes qui tenteraient de s'en emparer.

Le changement des jours de marché influait également sur la rareté des subsistances. Dans sa manie d'innover, le conseil de la commune avait, par arrêté du 15 avril 1794, décidé que les marchés se tiendraient les 5 et 9 de chaque décade ; il résulta de l'adoption de cette mesure irréfléchie que le marché de Montdidier tombait le même, jour que celui de plusieurs communes environnantes, qui avaient maintenu leurs anciens usages ; cette coïncidence fâcheuse, en disséminant les vendeurs, diminuait aussi les approvisionnements. Pour connaître le prix arbitraire fixé pour la vente des denrées et marchandises pendant les années 1793 et 1794, il faut consulter le Tableau dit maximum des denrées et marchandises qui se consomment ordinairement dans l'étendue du district de Montdidier. Imprimerie deBigot, an II, in-4°. Ce tableau, dressé par les administrateurs du district, le 22. mars 1794, est plus complet que le tableau arrêté le 17 octobre 1793, et imprimé à Amiens chez Caron Berquier.

La fête anniversaire du 10 août fut célébrée avec la même pompe que l'année précédente. Toutes les autorités se réunirent sur la Place, en face de la mairie, et se rendirent à la montagne, précédées de la musique, des tambours et d'un détachement de la garde nationale. Entre les rangs venait un chariot couvert de branches de laurier, attelé de quatre chevaux, et renfermant quinze à seize défenseurs de la patrie blessés sur le champ de bataille. Quand on fut arrivé au Chemin-Vert, plusieurs morceaux de musique furent exécutés, et différents airs chantés en chœur. L'agent national de la commune rappela dans un discours les circonstances de la fête que l'on célébrait à cette même heure par toute la République ; ensuite les assistants descendirent de la montagne, et, disséminés dans les allées de la promenade, formèrent des danses qui durèrent le reste du jour et une partie de la nuit.

Au mois d'août 1794, les prisons s'ouvrirent sur les malheureuses victimes du régime de Robespierre ; on ordonna de mettre d'abord les cultivateurs en liberté ; chacun voulut profiter de cette disposition, et s'empressa de se dire cultivateur.

Les changements étaient fréquents dans l'administration municipale. Les maires se succédaient avec une rapidité extrême ; il y avait à peine sept mois que M. Petit était à la tête des affaires lorsqu'on lui donna un successeur. Le 24 octobre 1794, Sautereau, représentant de la Nièvre à la Convention, envoyé en mission dans les départements de la Seine-Inférieure et de la Somme, procéda à l'épuration et à la réorganisation, comme il le dit dans son arrêté, de toutes les autorités du district. Le conseil de la commune, le comité révolutionnaire, les tribunaux de district, de commerce et de paix, furent renouvelés ; le personnel s'améliora, et l'on vit revenir aux affaires des hommes que la tourmente révolutionnaire avait écartés ; le nouveau maire fut M. Soyer, ancien assesseur du juge de paix.

La situation financière de la nouvelle administration était loin d'être prospère. Les recettes étaient de beaucoup inférieures aux dépenses, elles ne s'élevaient au plus qu'à 1,400 liv., tandis que les dépenses montaient au moins à 7,600 liv. ; les biens-fonds communaux, déclarés propriété nationale, avaient été saisis par le receveur des domaines ; la ville était écrasée de dettes, les fournisseurs refusaient de livrer à crédit, et menaçaient même de ne plus avancer le bois et l'huile demandés pour le service de la mairie. Afin de parer aux nécessités les plus pressantes, on fit un emprunt de 2,500 liv. sur la caisse du bureau de charité, sauf à rendre quand on pourrait, et à faire face ensuite, au fur et à mesure, aux dépenses qui se présenteraient.

Cependant le calme commençait à renaître : une délibération du conseil municipal du 2 mars 1795 ayant autorisé la garde nationale, qui depuis plusieurs années était sur pied jour et nuit, à cesser ce service fatigant, les citovens dont elle se composait purent reprendre d'utiles travaux.

Le gouvernement n'avait aucune fixité, et les agents qui le représentaient offraient la même mobilité ; à peine étaient-ils nommés qu'ils devaient faire place à d'autres. Ce changement continuel rendait impossible toute amélioration : à MM. Petit et Soyer, qui ne firent que passer aux affaires, succéda M. Levavasseur, qu'un arrêté en date du 16 avril 1795, rendu par Froger, député de la Sarthe, envoyé extraordinaire dans les départements qui environnent Paris, appela aux fonctions de maire ; c'était le troisième dans le cours d'une année. Les collègues qu'on lui adjoignit, MM. L,eclercq-Duchaussel, Vérani de Varenne, Cauvel de Beauvillé, le Boucher, Cocquerel, et autres, étaient généralement des hommes investis de l'estime publique. Après des épreuves aussi violentes que celles qu'on venait de traverser, on avait besoin de repos et de stabilité. Il fallait reconstituer sur des bases nouvelles l'édifice social, assurer la tranquillité et la sûreté des citoyens : pour remplir cette tâche difficile, le pouvoir cherchait à s'entourer des hommes qui, par leur position sociale, leurs antécédents respectés et leur salutaire influence, pouvaient augmenter sa force et lui donner de la considération.

L'administration s'occupa d'abord de l'exécution des mesures tendantes à ramener l'abondance dans la ville ; l'arrêté qui avait changé les jours de marché fut rapporté, et, à partir du 30 avril on revint à l'ancien ordre de choses. Plus de trois cents ménages se trouvaient dans une détresse absolue ; il était urgent de pourvoir à leur subsistance ; les réquisitions en nature, qui jusqu'alors avaient servi à l'approvisionnement de la ville, devaient cesser d'être exigibles le 18 du mois de juin ; dès lors ce n'était plus qu'à prix d'argent qu'on pouvait se procurer le grain indispensable. Pénétré des sentiments d'humanité qui doivent porter tous les habitants d'une même commune à concourir au soulagement de leurs concitoyens, le conseil municipal décida, le 7 juin, qu'il serait ouvert un emprunt volontaire de 60,000 fr. sur les habitants, pour fournir, par voie d'achat, du blé aux indigents. L'emprunt devait être à 4 %. MM. Petit et le Boucher furent chargés de recueillir les fonds. Ce ne sont plus là de vaines déclamations, de grandes phrases sur la philanthropie et l'égalité, comme on en faisait les années précédentes ; ce sont des faits, ils parlent assez d'eux-mêmes ; ce progrès indique l'immense changement qui s'était opéré dans la direction des affaires.

Secondée par une administration qui comprenait ses besoins, la population ne tarda pas à manifester l'expression sincère de ses vœux : un décret du 30 mai 1795 ayant autorisé la réouverture des églises, aussitôt le conseil général de la commune fut assailli de solliciteurs qui en réclamèrent l'exécution. (Pièce just. 57.) Le 7 juin, ce sujet important fut mis en délibération ; il s'agissait d'abord de s'entendre sur le nombre d'églises que l'on conserverait : le décret du 30 mai n'avait rien décidé à cet égard ; il se bornait à permettre l'ouverture des églises, en laissant leur entretien à la charge des citoyens.

L'opinion publique, qui s'était fortement prononcée pour le partage de la ville en deux sections, entraîna la décision du conseil municipal ; les églises de Saint-Pierre et du Sépulcre furent rendues au culte, et les clefs remises aux paroissiens, qui les demandaient avec instance. Le 26 juillet 1795, M. Bigorgne, grand vicaire de Mgr de Machault, et M. Thomas, ancien vicaire de Saint-André des Arcs à Paris, vinrent faire la réconciliation de la seconde église. Comme cette formalité n'avait pas été accomplie pour la fête patronale, qui se célébrait alors le 15 juillet d'une manière fixe, on fit l'office du Saint-Sépulcre dans la maison de M. Marchant, ancien avocat au bailliage : cette maison fait l'angle de la rue du Sépulcre avec la petite place qui donne sur le rempart. Dès le 22 mars, on avait dit publiquement la messe chez madame Cousin et chez mesdemoiselles de la Morlière, ses sœurs, qui demeuraient dans la rue de la Halle-aux-Draps.

L'église du Sépulcre, desservie exclusivement par des prêtres non assermentés, fut la première où l'on célébra solennellement le service divin ; celle de Saint-Pierre, qui, en 1794, avait été transformée en magasin à grains pour la subsistance des armées, ne fut rouverte que plus tard ; l'abbé Guédé, ancien principal du collége, remplaça comme curé de cette paroisse M. Turbert, décédé l'année précédente. Les bustes de Marat et de Lepelletier furent enlevés, et jetés ignominieusement dans l'égout situé à l'extrémité de la rue de la Halle-aux-Draps.

Le 18 juin, terme de rigueur pour la cessation des réquisitions en nature, approchait ; l'Hôtel-Dieu, l'hôpital, le bureau de charité, les prisonniers, étaient sur le point de manquer du nécessaire. Le 16 juin, cinq commissaires, accompagnés de la force armée, se transportèrent dans les campagnes pour explorer les granges des cultivateurs, et faire rentrer en ville le grain des réquisitionnaires qui n'avaient point encore satisfait aux injonctions de la loi. L'emprunt de 60,000 fr. dont nous avons parlé ne faisait que d'être décidé ; il fallait, avant son recouvrement, aviser au plus pressé ; tous les habitants furent invités à faire un nouvel effort et à restreindre leurs dépenses personnelles pour venir en aide à leurs concitoyens ; on ouvrit à cet effet, à la municipalité, un registre sur lequel chacun inscrivait la déclaration de son offrande. Les secours, répartis entre les plus nécessiteux, ne donnaient qu'une demi-livre de pain par jour et par individu : c'était à peine de quoi se soutenir.

A la Convention nationale, qui termina ses travaux le 25 octobre 1795, succéda le Directoire, véritable époque de transition. Une modification très-importante fut introduite dans l'organisation communale : la place de maire fut supprimée, et remplacée par celle d'agent municipal ; l'agent et un adjoint composaient le personnel actif de la nouvelle administration ; ces fonctions étaient électives. Le 6 novembre 1795, on procéda à l'élection ; M. Daugy, ancien procureur au bailliage, ayant obtenu la majorité, fut proclamé agent municipal. Son pouvoir fut de très-courte durée ; il n'administra la ville que jusqu'au 1er janvier 1796, époque à laquelle il eut pour successeur Sonnet, épicier, ancien officier municipal. Bosquillon Dufay, homme de loi, naguère secrétaire de la municipalité révolutionnaire, remplaça Sonnet, le 5 avril 1797 ; il fut à son tour évincé par Sonnet, qui revint une seconde fois aux affaires, et s'y maintint jusqu'en 1800, époque du rétablissement de la mairie.

Les agents municipaux semblent avoir pris à tâche de faire oublier tout ce qui pouvait rappeler leur administration ; aucune délibération ne se trouve consignée sur les Registres de la ville : dans une douzaine de pages, seuls vestiges de leur cinq années d'existence, on ne voit figurer que des ordres de transport pour le service militaire et la pose de quatre réverbères. Cette disette de faits, si elle est affligeante pour l'écrivain, est au moins la preuve irrécusable de la tranquillité dont jouissait le pays ; les temps de troubles et de malheurs sont, il faut le reconnaître, ceux qui fournissent le plus de matériaux à l'histoire.

Sous le Directoire reparaissent les plaisirs et les fêtes le peuple recommence à s'amuser, signe incontestable que la situation politique s'est bien améliorée. Le 26 septembre 1798, le nommé Dufour, ménétrier à Montdidier, demanda à l'agent municipal la permission de jouer du violon tous les jours impairs de chaque décade ; le 3 octobre suivant, un autre individu sollicita l'autorisation d'ouvrir un théâtre de marionnettes les jours pairs : de sorte que chaque jour de la semaine était pris par des danses et des spectacles. Outre ces divertissements publics, il y avait encore fréquemment des bals dans la société, et l'on jouait souvent la comédie dans des maisons particulières. Quand à chaque instant l'on avait à craindre pour sa liberté et pour sa vie, et qu'à cette triste perspective venait se joindre celle de mourir de faim, on n'était pas tenté de danser ou d'aller voir des marionnettes : cette crise traversée, on passa subitement d'un extrême à l'autre, et sous le Directoire on se livra au plaisir avec passion ; on semblait vouloir tout oublier, et jamais, en France, on ne s'amusa peut-être avec autant d'entraînement et de fureur qu'à cette époque indécise qui suivit une ère de sang.

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