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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre II - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Origine de cette église

Première et seconde église du Sépulcre

Leur situation

Principaux objets qu'elles renfermaient

 

L'église du Saint-Sépulcre n'a plus aujourd'hui le titre de cure ; ce n'est qu'une succursale dépendant de la paroisse Saint-Pierre ; mais cette infériorité hiérarchique ne lui enlève rien de son mérite, et les objets qu'elle renferme sont bien dignes de fixer l'attention des amateurs.

Les églises dites du Saint-Sépulcre sont extrêmement rares ; dans le département de la Somme il n'y en a que deux, l'une à Montdidier, l'autre à Abbeville. Avant la Révolution, les églises désignées sous ce nom n'étaient guère plus communes, et même dans beaucoup de diocèses cette dénomination était complétement inconnue.

Le nom donné à une église peut quelquefois servir à préciser l'époque de sa construction : Jérusalem ayant été prise le 15 juillet 1099, c'est donc postérieurement à cette date que l'on doit faire remonter l'origine de presque toutes les églises qui portent le nom du Saint-Sépulcre. En France, la ville de Montdidier fut une des premières à élever un temple sous ce patronage ; dès le commencement du douzième siècle, il y existait une église du Saint-Sépulcre, dont il est fait mention dans la charte de Thierri, évêque d'Amiens, de 1146, insérée dans le Gall. Christ., t. X. lnst. p. 310. Ce prélat maintient le prieur de Notre-Dame dans le droit de nommer à cette cure et de toucher les dîmes : Ecclesiam quoque Sancti Sepulcri, cum altari et atrio et duabus partibus minutœ decimœ. Les papes Alexandre III, en 1173, et Urbain III, en 1185, étendirent les droits du prieur des Bénédictins ; au lieu des deux tiers de la petite dîme, ils lui accordèrent la dîme tout entière : Ecclesiam Sancti Sepulcri, cum altari, atrio et decima. (Bibl. Clun., p. 73.)

Plusieurs circonstances peuvent avoir déterminé la fondation de cette église. Il y avait à Montdidier un hôpital où l'on soignait les pèlerins qui revenaient de la terre sainte ; l'histoire de leurs longs voyages et de leurs cruelles souffrances dut échauffer le zèle de nos ancêtres, et les engager à bâtir une église qui portât le nom du lieu révéré où avait reposé le corps de notre Sauveur. L'enthousiasme religieux, si facile à exciter à cette époque, devait s'enflammer encore au récit des exploits de Hugues de France, comte de Vermandois et de Montdidier, l'un des héros de la première croisade ; il n'est pas étonnant que les habitants aient voulu, par un pieux monument, conserver le souvenir de l'événement glorieux qui termina le onzième siècle.

De cette église il ne reste absolument rien ; l'église actuelle n'est que la fille cadette de celle que la foi de nos pères avait élevée au douzième siècle.

La première église du Saint-Sépulcre se trouvait au bas de la ville, à l'intersection des routes de Rouen à la Capelle et de Tricot à Rosières ; elle occupait une partie de l'emplacement compris entre la première de ces routes et la rue du Val-à-Carré ; à l'époque de sa construction, elle était enclavée dans la ville, et ne se trouva reléguée dans le faubourg que lorsque Philippe-Auguste eut fait ceindre Montdidier de murailles. Nous avons fort peu de. détails sur ce qui la concerne. En 1298, Guillaume de Hangest, trésorier de France, donna 12 liv. pour la fondation d'une chapelle et l'entretien d'un chapelain, qui était tenu de résider à Montdidier ; en cas d'absence les maïeur et échevins devaient distribuer aux pauvres les revenus de la chapelle : 12 liv. de cette époque équivalent à peu près à 220 fr. de notre monnaie. Un cimetière entourait l'église ; on y enterrait encore en 1802 ; il s'appelait cimetière Sainte-Barbe, du nom d'une chapelle fondée au commencement du quinzième siècle par Jean de Bains, chevalier, chambellan du roi Charles VI. Par son testament du 12 novembre 1428, il déclare vouloir être enterré dans cette chapelle, et laisse 40 liv. (208 fr.) pour chanter tous les jours une grand'messe à son intention.

L'église du Saint-Sépulcre, placée depuis Philippe-Auguste en dehors des fortifications, était trop exposée aux coups de l'ennemi pour échapper à la dévastation dont notre pays fut le théâtre pendant les guerres désastreuses des Français et des Bourguignons ; elle disparut dans les premières années du quinzième siècle. La chapelle de Sainte-Barbe, qui formait une sorte de hors-d'œuvre attenant à l'édifice, fut seule conservée : sa construction récente la sauva de la destruction, et elle continua à rester debout au milieu du cimetière, comme un témoin d'un autre âge : en 1705 le curé la fit démolir ; elle tombait en ruine. Le chapelain chargé de prier pour le repos de l'âme du seigneur de Bains fut toujours, ainsi que celui-ci l'avait ordonné, nommé par le maïeur et les échevins ; le dernier titulaire était, en 1790, M. Guédé, principal du collége ; il n'était tenu qu'à une messe par an. Ce petit bénéfice valait 10 liv. de rente ; 6 liv. étaient payées par les seigneurs de la Folie, fief situé au Frétoy, et 4 liv. par les Ursulines de Montdidier.

La seconde église du Saint-Sépulcre fut bâtie dans l'intérieur de la ville, à l'endroit où est maintenant la rue de la Vieille-Église, autrefois rue de la Faucille. Le chœur tenait à la rue du Moulin-à-Vent, qu'on appelait alors rue de la Monnoie et plus anciennement rue de Noyon. Le portail donnait sur la rue de la Mare-aux-Pourceaux, dite depuis rue de la Mare du Saint-Sépulcre, et aujourd'hui tout simplement rue de la Mare. Cette seconde église fut construite en 1419. Le 19 mars 1418, Jean de Hangest, écuyer, et Marie de Thennes, son épouse, avaient donné une maison tenant d'un bout à la rue de la Mare-aux-Pourceaux, et de l'autre à la rue de la Monnoie, pour réédifier l'église du Saint-Sépulcre, qui avait été démolie pendant les guerres. (Pièce just. 71.) Les guerres dont parle le titre cité ne peuvent être que celles qui furent occasionnées par la rivalité des maisons d'Orléans et de Bourgogne : ainsi, c'est très-probablement lors du siége de Montdidier, en 1411, que la première église du Sépulcre aura été détruite.

La générosité de Jean de Hangest et de sa femme ne se borna point à cette donation. Le 16 février 1421, ils firent don, pour loger le curé, de deux maisons sises rue aux Pourceaux. Jean de Hangest, fondateur de la seconde église du Saint-Sépulcre, mourut en 1429-1430, et fut enterré à Saint-Pierre, ainsi qu'il résulte d'un compte de cette année : « Des exécuteurs de deffunct Jehan de Hangest, tant pour un lais fais à la dicte église que pour avoir consenty que son corps ait esté enterré dedans icelle église pour ce IIII salus d'or qu'ils montent à XXIIIs chacun salusIIIIl XIIs  

IIIIl XIIs

Desdicts exécuteurs pour le luminaire Notre-Dame d'icelle égliseVs »  

Vs »

Marie de Thennes était morte avant son mari. Dans un compte de la fabrique de 1428, on lit : « Audict curé (celui de Saint-Pierre), pour le Libera de défuncte demoiselle Marie de Thennes pour son droit XXVIs et pour le droit du clerc VIs montantXXXIIs »  

XXXIIs »

La donation de Jean de Hangest détruit péremptoirement cette supposition de Scellier, que la seconde église du Sépulcre n'aurait pas été une église nouvelle, mais qu'on se serait servi simplement des bâtiments de la chapelle de l'Hôpital-Trésorier que l'on aurait agrandis. L'Hôpital Trésorier et l'église du Sépulcre étaient deux édifices complétement distincts, séparés par une ruelle, ainsi que l'indique le titre que nous avons rapporté, et c'est mal à propos que Scellier n'en fait qu'un seul et même édifice. La ruelle qui faisait la séparation existe encore, on l'appelle indifféremment rue de la Faucille ou de la Vieille-Église. L'église était à droite dans cette ruelle, en entrant par la rue du Moulin-à-Vent, et l'Hôpital-Trésorier à gauche : nous avons indiqué sur la carte l'emplacement de l'église.

Les revenus de la cure du Sépulcre s'étaient ressentis de la détresse dans laquelle la ville était tombée depuis longues années. Dans un état des biens du Prieuré, dressé en 1457, on trouve la mention suivante : « La ferme de la cure de l'église Saint-Sépulchre dedans ladicte ville de Montdidier, qui souloit anciennement valoir 16 liv., ne vaut à présent que 5 liv. parisis. »

On remarquait dans cette seconde église plusieurs antiquités provenant de la première. Sur une tombe on lisait cette épitaphe laconique :

Cy git Meguerite Tuillier
En son petit particulier.
Lan 1250.
Priez Dieu pour sneme.

Sur une autre tombe se voyait l'inscription suivante :

Cy gist Amaud Le Feron
En son vivant tirpoyon
Qui o lachiez rentes et moesons
A trois enfens tirpoyons
Il mourut le jour de saint Blaise
Et les o foet tous trois bien aise
L'an 1298.
Priez Dieu pour sneme.

Beaucoup d'oraisons funèbres ne valent pas cette épitaphe. Ce cordonnier ou tirpoyon était quelque vieil avare qui faisait mourir de faim ses enfants ; sa succession les consola bien vite de sa perte.

Le tombeau était un ouvrage de sculpture remarquable pour l'époque ; on lisait au bas, suivant Scellier :

L'en de grâce 1362 fit faire Adam Duval che chepulchre chy y ordonna chinq chierges devent l'autel. Priès pour s'ame.

Examinant, en 1854, les travaux de reconstruction du portail, je découvris dans l'intérieur du clocher, à moitié de sa hauteur, une pierre enclavée dans la muraille, et sur laquelle était écrit :

En lan de grace M. CCC.LXDDDD
feit faire Adam du Val che sepuere
Chi priés pour same.

Cette pierre provient évidemment de la première église ; l'inscription diffère, pour le style et la date, de celle qui est consignée dans les Mémoires de Scellier. Ce tombeau et les inscriptions que nous venons de citer existaient encore dans le siècle dernier. C'est à tort que le P. Daire prétend que l'épitaphe de le Féron se trouvait dans l'église de Bérencourt-Ételfay ; cet écrivain ne se donnait pas toujours la peine de vérifier l'exactitude des faits qu'il avance : de là viennent les erreurs assez nombreuses que l'on rencontre dans son Histoire de Mondidier.

L'existence de la seconde église du Sépulcre fut de courte durée. Il y avait à peine un siècle qu'elle était achevée lorsqu'elle fut démolie. Au mois d'octobre 1523, les Anglais et les Allemands, commandés par le duc de Norfolk, s'emparèrent de Montdidier, et réduisirent une partie de la ville en cendres. L'église du Sépulcre fut renversée par le bombardement qui précéda la prise de la place : elle était à l'endroit le plus exposé, les ennemis ayant ouvert la brèche et livré l'assaut entre la porte de Roye et la tour Rouge. Le portail seul resta debout et subsistait encore au dix-huitième siècle. Le cimetière fut conservé. Des débris de l'église on éleva une petite chapelle renfermant le tombeau fait aux dépens d'Adam du Val ; les personnes pieuses allaient y faire leurs prières, et jusqu'en 1720 on continua d'y dire la messe ; à partir de cette époque, cette chapelle fut entièrement abandonnée : on la rasa en 1754, et ses matériaux servirent à bâtir le presbytère actuel.

Les statues composant le sépulcre furent données aux Ursulines, qui les placèrent dans leur église ; elles suivirent le sort du couvent, et devinrent, en 17951 la propriété de l'acquéreur, M. Cousin. En 1844, elles furent achetées comme moellons par M. Billault, juge suppléant, qui les fit transporter dans le jardin de sa maison située rue de la Commanderie. Ces statues mutilées, affectées à un tout autre usage que celui auquel elles étaient destinées, justifient encore, malgré leur état de dégradation, l'estime que nos ancêtres en faisaient. Les têtes ont de l'expression, les vêtements sont soignés, et la roideur des poses n'a point d'exagération. Le Christ est parfaitement conservé ; il se trouve dans le cimetière d'Ételfay, sur la tombe de M. Cousin.

La seconde église du Sépulcre était très-exiguë ; l'emplacement qu'elle occupait, avec le cimetière attenant, ne comprenait que dix verges et demie de terrain (0h 4a 50c) ; le chevet donnait sur la rue du Moulin-à-Vent, mais le portail n'aboutissait point à la rue de la Mare. Entre cette rue et le portail, il y avait un petit cimetière qui fut supprimé en 1782. Le 26 février de cette année, après une messe solennelle célébrée pour le repos de l'âme des fidèles enterrés dans ce lieu, les ossements furent exhumés et transférés dans le cimetière Sainte-Barbe. Le terrain, rendu à une destination profane, fut loué, puis vendu.

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