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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre III - § I - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Louis XIV confirme les priviléges des habitants

Droits et prérogatives de la mairie

Justice de l'échevinage

Sentences de mort

 

Louis XIV qui devait porter un coup si terrible aux immunités sommunales, avait, lui aussi, confirmé les priviléges et les franchises de la ville.

« Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut. Nos chers et bien amés les mayeur et eschevins de nostre ville de Mondidier nous ont très-humblement fait remontrer que Philippe, second du nom, surnommé Auguste, roy de France, par ses lettres en forme de chartre de l'an mil cent quatre-vingt-quinze, leur avoit accordé, entre autres priviléges, les droicts de justice, haulte, moyenne et basse, et tous les droicts de seigneuries, reveneus et emoluments, mesme droict de police, travers, tant en ladite ville que banlieue, et pour l'exercice de la justice pouvoir de commettre officiers, sçavoir : mayeur, eschevins, jurés, advocat et procureur fiscaux, greffiers tant de l'eschevinage que de l'ordinaire et sergens, lesquels droicts lesdits exposants ont acquis dès ce temps-là à tiltre onéreux de six cents livres parisis qu'ils paient encore en nostre acquit et descharge, lesquels priviléges leur ont esté confirmés par le roy Philippe le Bel en l'an mil deux cent quatre-vingt-dix-sept, dont ils sont en possession immémorialle, mesme de faire loix et statuts de mestiers, qui ont esté confirmés et homologués par plusieurs arrests de nostre cour de parlement, et ont passés en forme de coustume ; mais d'autant que depuis Philippe le Bel leurs prédécesseurs ont continué la jouissance de leurs priviléges, comme ils font encore sans contre-dit, sans avoir obtenu de nos prédécesseurs roys les confirmations requises et nécessaires, lesdits exposants, pour d'autant plus asseurer leurs droits, désireroient nos lettres de confirmation qu'ils nous ont fait supplier leur vouloir accorder. A ces causes, voulant gratifier et favorablement traiter lesdits habitants de nostre ville de Mondidier en considération de l'affection et fidélité inviolable qu'ils ont toujours tesmoignés pour le bien de nos Estats, nous avons de nostre grâce spéciale, pleine puissance et auctorité royalle, loué, approuvé et confirmé, et par ces présentes signées de nostre main louons, approuvons et confirmons les priviléges qui leur ont été accordés par les roys nos prédécesseurs, pour en jouir par eux et leurs successeurs tout ainsy qu'ils en ont bien et deument jouy et usé,  jouissent et usent encore bien et devinent à présent, pourveu que lesdits priviléges n'ayent esté revosqués par aucuns esdicts, arrests et déclarations faites en nostre conseil.

Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenans nostre cour de parlement à Paris, que ces présentes nos lettres de confirmation ils ayent à enregistrer, et du contenu en icelles faire, souffrir et laisser jouir et user lesdits exposans pleinement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens à ce contraires, car tel est nostre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, nous avons fait mettre nostre scel à ces dites présentes. Donné à Paris au mois de septembre, l'an de grâce mil six cent cinquante-huit, et de nostre règne le seizième. Louis. Par le roi, de Guenegaud. Scellé du grand sceau. Enregistré en parlement le 15 novembre 1658, du Tillet. »

Malheureusement le roi oublia trop ses promesses, et le dix-septième siècle vit disparaître une grande partie de l'ancienne organisation municipale.

Le maire avait toute justice dans la ville et dans la banlieue, à l'exclusion des seigneurs, qui n'y pouvaient exercer aucun acte de juridiction. Ce privilège, contraire à l'usage des fiefs en Picardie, était particulier à la ville de Montdidier, et contribuait puissamment à rehausser la dignité du maïeur ; à lui seul appartenaient la police, le droit de faire des règlements, de publier des ordonnances. Nous avons inséré aux Pièces justificatives les Commandements ordonnances et constitutions faites, ordonnées et constituées d'anchienneté pour le bien et entretenement de la ville de Montdidier, par Jean du Mannel maire, en 1433 ; ce règlement est très-curieux, et mérite d'être lu avec attention : il contient notamment sur le commerce de la ville des indications que l'on ne rencontre nulle autre part ; nous avons cru pouvoir nous dispenser de l'analyser, ses principales dispositions n'échapperont pas à la sagacité du lecteur. Cette ordonnance, publiée en 1433, était certainement en vigueur dans le siècle précédent ; nous n'affirmerons pas qu'elle date de l'établissement de la commune, comme l'indiquait une note entre parenthèse d'une écriture postérieure à l'insertion faite sur le Livre-Rouge ; mais plusieurs des articles qu'elle renferme remontent incontestablement au treizième siècle. (Pièce just. 73). A la suite de ce règlement est rapporté celui qui fut fait en 1602 par Claude le Caron ; il présente beaucoup moins d'intérêt. (Pièce just. 74.)

Les chartes de Philippe-Auguste et de Philippe le Bel ne font qu'énoncer une partie des priviléges de la mairie ; elle jouissait encore du droit de vente, de prisée, de celui d'apposer les scellés, de faire inventaire, de déférer la tutelle, de connaître des matières réelles et des causes qui naissaient en exécution du scel royal ; le commissaire examinateur au bailliage ne pouvait exercer ses fonctions dans l'étendue de la justice municipale, dont les actes judiciaires, par une faveur spéciale, n'étaient pas assujettis au contrôle du receveur des consignations.

Les amendes prononcées par le maire étaient attribuées, comme nous l'avons dit, à la commune ; elles donnèrent lieu, en 1538, à une petite émeute. Jusqu'à cette époque la perception en avait été faite par un employé de la mairie ; on voulut changer ce mode de recette, et affermer les amendes qui ne dépasseraient pas 3 livres. Le peuple, mécontent de cette innovation et redoutant la rapacité des nouveaux collecteurs, se souleva et empêcha l'application de cette mesure fiscale : « Il avoit raison, » dit le maïeur de la Morlière : « ces sortes d'amendes sont ordinaires et fréquentes ; si elles estoient baillées à ferme, il les faudroit exactement payer, sans espérance de remise ni de grace. Quant elles sont à la disposition des maïeur et eschevins, qui sont plustot au regard des habitants des pères et des arbitres que des juges sévères, si rarement ils les remettent, souvent ils les modèrent. »

Les appels des jugements de l'échevinage étaient portés au parlement de Paris, mais l'exécution de l'arrêt avait lieu à Montdidier. En 1572, les maire et échevins ayant condamné à la peine capitale Matthieu Rivière, pour avoir tué d'un coup de dague Jean Mallet, le meurtrier en appela au parlement, qui confirma la sentence ; renvoyé à Montdidier, Rivière y subit sa peine. Le 15 avril 1647, une servante nommée Madeleine le Mercier fut condamnée à mort pour avoir caché sa grossesse et étouffé son enfant ; le jugement fut confirmé par arrêt du 11 mai, et exécuté à Montdidier le 8 juin suivant. Dans le montant des frais figurent : 24 liv. pour avoir conduit la coupable à la Conciergerie, 130 liv. pour l'avoir ramenée, et 16 liv. pour l'exécuteur des hautes œuvres.

La ville succédait aux personnes qui mouraient sans héritier. Les aubaines, les épaves, les trésors, lui appartenaient, ainsi que d'autres droits dont l'énumération se trouve à la suite de la Coutume ; aussi de la Villette dit-il avec raison en tête de son Commentaire : Montdidier est la principale, voire la première des trois villes pour ce qui est de la justice ; et comme pour les armes et forteresses elle le cède à Péronne, ainsi Péronne à Montdidier pour la justice.

Parmi les droits que Philippe-Auguste abandonne aux habitants, le tonnelieu figure en première ligne : on appelait ainsi une redevance en argent que l'on devait acquitter pour les marchandises vendues et achetées ; c'était un des revenus les plus importants de la ville. En 1267, la commune acheta moyennant 100 sols parisis de rente, payables à la Saint-André, le tonnelieu que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem percevaient dans les fiefs qu'ils possédaient sur le territoire de Montdidier. Le droit de tonnelieu est spécialement indiqué dans la vente faite en 1289 par Jean de la Tournelle ; on peut voir aux Pièces justificatives le tarif en vigueur au quinzième siècle. (Pièce just. 75.)

Le travers, second droit énoncé dans la charte, était ce que l'on payait pour aller d'un lieu dans un autre ; il y a une grande analogie entre ce droit et celui de barrière existant en Belgique, en Angleterre et dans une partie de l'Allemagne. Les habitants de Boiteaux, village près Laboissière, qui s'en prétendaient exempts, y furent assujettis par arrêt de la cour du 4 juin 1204. (Pièce just. 15.) Nous avons rapporté au liv. Ier, chap. iv, p. 111 de cet ouvrage, quelques conventions intervenues entre la ville et divers seigneurs des environs, relatives au péage réclamé pour obtenir la liberté de circuler ; le besoin de concessions mutuelles ne tarda pas à se faire sentir, et l'abbaye de Corbie, qui dans le principe avait montré peu d'empressement à entrer dans cette voie, suivit l'exemple que lui avait donné le seigneur de Pierrepont. En 1368 , Jean de Teintrey , chevalier, bailli de Vermandois, tenant ses assises à Montdidier, sanctionne une convention passée entre la ville et l'abbaye de Corbie, en vertu de laquelle les nombreux vassaux que l'abbaye possédait dans nos environs étaient affranchis du droit de travers. Nous donnons aux Pièces justificatives l'indication des droits à payer en 1433 pour le travers. (Pièce just. 76.)

Ni la charte ni la Coutume ne parlent de l'afforage, mais il n'en existait pas moins : on appelait ainsi le droit de fixer le prix du vin et de permettre de pendre enseigne. On voit dans un bail passé au nom de la ville, qu'elle afferme : la prévôté de la Tournelle avec l'afforage de la ville ès paroisses de Saint-Pierre et de Saint-Sépulcre. Le peu d'importance de ce droit l'avait fait négliger et confondre avec celui de forage, qui consistait dans une certaine somme que l'on payait pour le fond du vase dans lequel se trouvait le vin vendu en broc et en détail ; en 1670, le forage et l'afforage réunis ne rapportaient que 30 livres. Dans les premiers temps qui suivirent l'établissement de la commune, la ville jouissait simplement d'une partie de ces droits ; la charte de Philippe-Auguste, porte : Pro uno sextario de foragio. Ils étaient à cette époque en la possession des différents seigneurs qui avaient conservé leurs prérogatives à Montdidier ; cela résulte clairement d'un acte de 1211, par lequel Jean Libugres, vicomte de Breteuil, confirme l'Hôtel-Dieu de Montdidier dans la jouissance du droit de forage du vin dans la ville, privilége concédé à cet établissement par Arnould son père. Le comté de Breteuil appartenait aux filles de Valéran III, mort sans enfants mâles ; Jean Libugres, à défaut du seigneur, administrait la seigneurie, vice comitis. (Pièce just. 77.) On peut consulter sur le roage, le cerquemanage et autres droits féodaux, le Commentaire sur la Coutume et les auteurs qui ont écrit sur les fiefs.

Il n'était pas permis à un habitant d'abandonner son pays pour aller se fixer ailleurs sans payer auparavant un droit d'issue ou de sortie. Le compte de 1402, rendu par Jean de Hangest, argentier de la ville, fait mention de 32 sols reçus le 18 juin de maître Gilles le Barbier, qui se partit de ceste ville pour aller demeurer à Noyon. Laurent Fernel, hôtelier à l'enseigne du Chat noir, père du célèbre Jean Fernel, fut, par sentence de l'échevinage du 1er décembre 1509, contraint de payer le droit d'issue avant de quitter Montdidier pour s'établir à Clermont : ce droit était fort onéreux ; en 1519, il était du tiers des biens de la personne qui s'éloignait. Mais ce moyen de prévenir l'émigration et de retenir les habitants dans leurs foyers ne réussissait pas toujours, comme on le voit par les exemples que nous venons de citer, et par d'autres que nous pourrions ajouter. Ne valait-il pas mieux les attacher au sol par de bonnes lois, une police bien faite, et la perspective d'avantages sérieux, plutôt que par la menace d'une confiscation ?

Le maire présentait le maître de l'Hôtel-Dieu à l'approbation de l'évêque, et nommait directement celui de la Maladrerie : il avait le patronage de la chapelle de Sainte-Barbe, dans le cimetière de l'ancienne église du Saint-Sépulcre, et de la chapelle de Sainte-Marie-Madeleine, fondée dans l'église paroissiale de Guerbigny.

La police des arts et métiers lui appartenait exclusivement, et nul ne devait exercer dans la ville sans son autorisation. Ce droit subsista jusqu'à la Révolution.

Lorsque le maïeur, les échevins et les habitants se réunissaient pour délibérer sur les affaires de la commune, on appelait, aux treizième et quatorzième siècles, ces assemblées générales, faire halle. La justice municipale siégeait à la mairie. Les bourgeois, aux termes de la charte de Philippe-Auguste, ne pouvaient être contraints de plaider hors de la ville : Homines pacis extra castellum placitare non compellentur. Ce qui était dans l'origine un privilége devint dans la suite une obligation : en 1628, il fut défendu de plaider devant une juridiction autre que celle du maire, soit au civil, soit au criminel, à peine de 50 liv. d'amende. Dans le quatorzième siècle, la mairie tenait ses plaids à l'heure de complies ; sous Henri II, l'heure fut avancée ; une ordonnance de l'échevinage, du 23 août 1559 porte : Les plaids de la ville se tiendront à huit heures du matin depuis Pasques jusqu'à la Saint-Remy, et depuis la Saint-Remy jusques à Pasques à neuf heures. Les maïeur et eschevins tenant le siége en plaids ordinaires auront robes, à peine de LX s. parisis d'amende envers la ville pour chacune fois qu'ils seront deffaillans. En 1789, la justice municipale ouvrait ses audiences le jeudi à dix heures.

Les malfaiteurs n'avaient pas meilleure chance quand ils étaient traduits devant la mairie que lorsqu'ils étaient livrés à la prévôté : on a connaissance de plusieurs sentences de mort prononcées par le maïeur et les échevins pour des faits qui, de nos jours, seraient loin de motiver une répression aussi rigoureuse. Le 15 mai 1503, un voleur nommé Jean Charlot fut condamné à être pendu pour de nombreux larcins qu'il avait commis ; il supplia vainement qu'on lui infligeât un châtiment moins cruel : la justice fut inflexible, et le jugement reçut son exécution. Charlot avait déjà été arrêté plusieurs fois, fustigé et condamné à avoir l'oreille gauche coupée, ce qui aurait dû mettre les gens en garde contre lui ; de plus, il était banni du royaume, circonstance aggravante. Voici la sentence de l'échevinage :

« Veu par nous maïeur et eschevins de la ville de Montdidier les charges et informations allencontre de Jehan Charlot prisonnier ès prison d'icelle ville pour raison de plusieurs larchins par luy commis, perpetrés et continués à plusieurs et diverses fois tant ès maisons où il a demeuré comme ailleurs en plusieurs lieux et à plusieurs personnes ; les interrogatoires faits audit prisonnier ; les confrontations à lui faites, sa confession volontaire et le procès fait contre luy en cette partie par lequel il a confessé grand nombre de larchins et que deux fois il en a esté reprins et pugny de a justice en la ville de Creil ; et à la dernière fois avoir esté battu au cul de la charette, essorillé et banny de ce roiaume et tous ses biens confisqués ; sur lequel procès information et confession il a prins droit et requis miséricorde et grace luy estre faite ; veu aussi le procès piéçà fait par le prevost de ladite ville de Creil contre ledit prisonnier pour plusieurs autres larchins par luy commis, selon qu'il est contenu en iceluy procès ; la sentence sur ce donnée par ledit prevost par laquelle il appert iceluy prisonnier avoir esté pour ses larchins, reprins de la justice dudit Creil, et que par ledit prevost il avoit esté condamné et esté fustigé, essorillé, banny et ses biens confisqués selon sa confession et selon laquelle sentence et exécution d'icelle ledit prisonnier est trouvé essorillé de l'oreille senestre ; que ce nonobstant, toujours demeurant depuis l'espace de cincq à six ans en ça, en cette ville de Montdidier et à l'environ, a continué et persévéré à faire larchins, comme devant, ainsi qu'il est plus au long contenu esd. informations et procès. En veu les requestes et conclusions faites par les advocat et procureur d'icelle ville, qui ont conclud allencontre dudit prisonnier à ce que pour raison desdits larchins et malefices par luy commis, et comme coustumier et fameux larron, il fut pendu et estranglé au gibet de ladite ville tant que mort s'en ensuivît, ensemble ses biens et heritages acquis et confisqués à ladite ville et tout veu et considéré et sur ce conseil et advis à saiges. Nous le dit Jehan Charlot prisonnier pour lesdits larchins et ses malefices, attendu mesmement qu'il ne s'est abstenu de faire et commettre lesdits larchins, combien qu'il en eust esté plusieurs fois reprins de justice, pugny corporellement et banny de ce roiaume avons condamné et condamnons a estre pendu et estranglé au gibet de ladite ville et mairie de Montdidier, par l'exécuteur de la haulte œuvre, telement que mort s'en ensuive, et si avons déclaré et déclarons ses biens et héritages acquis et confisqués a icelle ville sur lesquels préalablement seront restituées les parties qui ont esté dérobées, se restituées ne sont, si avant qu'il apperra par lesdits procès et par raison, et sur iceux préalablement prins les frais et mises de justice raisonnablement ; par nostre sentence deffinitive et a droit. Fait le quinzième jour de mars l'an mil cinq cens et trois par Jehan Hérault mayeur de ladite ville, Me Jehan Baterel, Me Jehan Cailleu, Me Jehan Boullé, Antoine Hubelet, Me Jehan Descroisetes, Henry le Pot, Pierre Mallet, Colart le Fournier, eschevins et moy Jehan de Baillon, greffier de ladite ville ; ainsi signé, J. Baterel, J. Boullé, A. Hubelet, Descroisetes, Pierre Mallet, le Forgnier, Henry le Pot et J. de Baillon.

Cette sentence a esté prononcée audit prisonnier ès prisons de ladite ville par moy Jehan de Baillon greffier de ladite ville ès presence de M. Jehan Boullé eschevin, Nicolas Dongnies, Jehan le Boullenger sergent à mace, Louis Deschippes aussi sergent et autres, dont ledit prisonnier n'a appelé, mais priant mercy a requis et demandé s'il seroit possible le pugnir autrement. Et depuis a esté mené au gibet de ladite ville nommé Maurevuart, où il a esté executé telement que mort s'en est ensuivi. Et en le menant a confessé outre les larchins contenus en son procès avoir robé un escu d'or à la gibecière de Jehan Bartoul lors son maistre, demeurant au dit Montdidier, et aucune quantité de bled. » Signé « Herault » et « de Baillon. »

Les maire et échevins font usage du pouvoir arbitraire qui leur est dévolu par la charte. La faculté de rachat n était plus admise, autrement Jean Charlot n'aurait pas manqué de donner une satisfaction suffisante pour échapper au dernier supplice, puisqu'il demandait qu'on le punît autrement. Nous avons dit précédemment que la disposition de la charte de Philippe le Bel, qui attribuait au prévôt l'exécution des arrêts rendus par le maire et les échevins, n'avait jamais été mise a exécution : le jugement intervenu contre Jean Charlot en est la preuve ; on voit que c'est l'échevinage qui fait pendre le coupable.

Nous rapportons une autre sentence capitale, concernant une mère dénaturée qui avait donné la mort à son enfant. C'était un meurtre ; mais, conformément à la règle adoptée en matière d'homicide, le prévôt ne réclame pas la connaissance de l'affaire, et c'est l'échevinage qui prononce la condamnation :

« Veu par nous maïeur et eschevins de la ville de Montdidier, les charges et informations faites à la requête du procureur de ladite ville allencontre de Jehanne Resty présentement audit Montdidier prisonnière pour raison de la mort par elle commise et perpetrée à la personne de Pierre son enfant de l'aage de huict jours, les interrogatoires et confessions volontaires réitérées plusieurs fois par ladite Jehanne prisonnière, laquelle a confessé avoir multry malicieusement ledit enfant de son espaulle en soy couchant dessus luy, les conclusions sur ce prinses par le procureur de ladite ville, et veu en oultre tout ce que en cette partie faisoit avoir et considerer, et sur ce conseil et advis à plusieurs saiges et notables personnes, nous avons dit et disons que pour reparation dudit multre ladite Jehanne prisonnière serait traînée dessus une cloie depuis l'hostel de ladite ville jusques à la porte de Becquerel , et d'illec menée au gibet de ladite ville nommé et appelé Maurouart, auprès duquel gibet elle sera mise à une atache et illec bruslée et consommée en chendres, telement que mort s'en ensuive à l'exemple des autres, et si declairons ses biens confisqués à ladite ville par nostre sentence deffinitive, jugement et a droit. Fait et délibéré le mercredy 24 jour de septembre mil cincq cens et onze par Jehan de Baillon, maïeur de la ville de Montdidier ; Pierre de Vuignacourt, escuier, Me Jehan Lagoul, Jehan Cailleu, Jehan de Focquembergue, Jehan Desquennois, Jehan Parmentier, Charles Dailly, escuier, eschevins : Gaudefroy de Baillon, Jehan Férac, Simon Charlet conseillers audit Montdidier, et Jehan Desclainviller, escuier. Laquelle sentence ce jour dit a esté executée selon sa forme et teneur. »

On remarquera que la condamnation de Jeanne Resty est prononcée, non-seulement par les maire et échevins, mais encore par trois conseillers et un écuyer, tandis que, dans le procès de Jean Charlot, il n'y a que les membres de l'échevinage qui prennent part au jugement. Dans les affaires graves ou douteuses, la mairie ne faisait pas difficulté d'avoir recours aux lumières des gens qu'elle croyait les plus aptes à éclairer ses décisions ; elle prenait conseil et advis a plusieurs saiges et notables personnes, comme on le voit par le texte des deux arrêts que nous venons de rapporter. Cette défiance de soi-même est le caractère du vrai mérite ; le maire et les échevins n'avaient pas autrefois la prétention d'être infaillibles, ils appelaient, au besoin, des tiers pour participer à leur délibération : c'était une garantie de plus accordée aux justiciables.

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