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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre III - § I - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Gibet

Police des femmes publiques

Ordonnance concernant les mariages

Règlements municipaux

Étendue de la banlieue

 

Le gibet s'élevait sur la colline, en face de la fontaine de la Madeleine : on appelait ce lieu Maurevuart, ce qui veut dire Mauvais-regard, nom très-significatif ; par corruption on en fit Maurouart et ensuite Montrouart. Les fourches patibulaires étant une marque distinctive de haute justice, leur rétablissement fut un des premiers objets qui attirèrent l'attention de la mairie, lors de la reconstruction de la ville, après sa destruction par les ordres de Louis XI. Dès 1487, les deux piliers de la justice communale étaient relevés ; le vieux chemin de Pérennes, par où les condamnés étaient menés au supplice, s'appelle encore aujourd'hui le chemin des Pendus. Le pilori était à la place de la Croix-Bleue, les cachots à l'hôtel de ville ; ils furent détruits au commencement du dix-huitième siècle, sans que le maire et les échevins se missent en peine de les rétablir. Dans le dernier siècle, les fourches patibulaires du Montrouart furent délaissées, et la potence se dressait sur la Place ; après l'exécution, le corps du supplicié était porté au cimetière de la paroisse Notre-Dame, que l'on nommait pour cette raison le cimetière des Pendus.

Lorsque l'individu coupable d'un crime entraînant peine de mort était trouvé digne d'indulgence, il était condamné à être banni à perpétuité de la ville sur la hart et mené dehors à son de cloche : dans certaines circonstances il était obligé de faire amende honorable en présence du maire et des échevins. La procédure était expéditive et peu compliquée. On en trouve le détail dans un jugement rendu la première année du seizième siècle. Le 24 mai 1500, le maïeur Richard Trouvain avait renouvelé la defense de tenir des pourceaux dans la ville, défense que justifiaient la malpropreté régnante et les maladies contagieuses qu'elle occasionnait. Cette ordonnance déplut à un nommé Matthieu Hessine, qui tint des propos menaçants, disant que, « si elle était mise à exécution, il pourrait bien en résulter un soulèvement, comme cela était arrivé pour le blé. Hessine fut arrêté et mis en prison. Interrogé, il reconnut avoir dit que, si on expulsait les pourceaux de la ville, ce serait la mutemaque des blés. On lui demanda ce qu'il entendait par ce mot ; il répondit que, peu de temps auparavant, un marchand de blé de Péronne étoit venu en acheter à Montdidier comme il étoit déjà cher et qu'on craignoit de voir le prix augmenter, les personnes du petit commun se mutinèrent contre lui, et l'eussent tué n'eût été qu'il se refugia dans l'hôtel de la Hache. Sur cet interrogatoire, le procureur fiscal conclut à ce qu'il soit banni à tousjours hors la paix de la ville et ses biens déclarés acquis et confisqués à ladite ville. Après lesquelles conclusions a esté demandé au prisonnier s'il vouloit prendre droit sur sa confession avec lesdites conclusions, lequel a répondu que oui et qu'il se submettoit à droit. Sur ce ledit Mathieu Hessine a esté condamné à venir mardy prochain, heures de plaids, au lieu où on les a accoustumé plaider et illec tenant une torche en main pesant livre et demie, crier mercy a Dieu, aux maïeur et eschevins en la présence desquels il a dit ladite parole, et dédier ladite torche au service divin pour estre portée en l'esglise Saint-Pierre, condamné en outre en quatre livres d'amende arbitraire envers la ville et aux frais et mises de justice et à tenir prison jusques audit jour mardi et à pleine satisfaction. »

Quelle sévérité pour une parole mal sonnante à l'oreille des échevins ! Deux femmes trouvées porteuses d'arsenic furent condamnées, en 1562, à être fouettées par les carrefours de la ville ; l'exécution dut être passablement scandaleuse.

Lorsque le coupable était en fuite, l'instruction se poursuivait par défaut, et le supplice avait lieu par effigie ; s'agissait-il d'un assassinat, on exposait aux regards du public, non-seulement le portrait du meurtrier, mais encore celui de la victime. Louis Dubault, de Montdidier, ayant été assassiné en 1614, par des individus de la Berlière qui ne purent être arrêtés, ceux-ci furent jugés par contumace. Le 10 janvier 1615, on paya au maître des hautes-œuvres, « pour avoir attaché un tableau, 3 liv. 4 sols ; pour le tableau d'effigie, 40 sols, et pour le portrait du cadavre de Florent Dubault, 50 sols. » En l'absence de l'exécuteur de Montdidier, celui de Compiègne venait prêter son ministère : il soutenait avoir droit à une havée ou poignée de sel sur chaque sac, toutes les fois qu'il venait faire une, exécution ; mais la ville s'opposa à cette prétention.

En 1664, Jean le Loux, couppeur de bourse, fut simplement attaché au carcan. Pour un fait de cette nature on pendait un homme en 1503 : la sévérité des lois allait, on le voit, en diminuant. D'un autre côté, si la justice s'était adoucie, les mœurs publiques étaient aussi devenues meilleures. En 1666, Madeleine Millon et sa fille, accusées de prostitution, sont bannies de la ville. Dans le quinzième siècle on était moins rigide ; les femmes de mauvaise vie avaient une existence légale. Les ordonnances relatives à cette classe d'êtres à part se publiaient hautement, en même temps que celles qui intéressaient l'universalité des habitants. Elles avaient un quartier qui leur était affecté. Dans de nombreux titres on, voit figurer la rue des Bordeaux et la Putain ruelle, aujourd'hui rue des Hurleurs. Il ne leur était pas permis d'habiter ailleurs, excepté pendant la durée de la foire, où il leur était enjoint de se tenir en dehors des portes et de rentrer au soleil couchant dans leurs hôtels, après la clochette sonnée, à peine de 20 sols parisis d'amende et d'avoir les cheveux brûlés. Les misérables qui vivaient aux dépens de ces femmes étaient emprisonnés et bannis de la ville ; celles qui trafiquaient de leurs corps pour le compte d'autrui subissaient le même sort, après avoir eu les cheveux brûlés. Le règlement de la mairie de 1433 porte : « Nous bannissons tous houlliers vivans de femmes en houllerie et tous ceux que nous y porrons trouver ou savoir, ils seront mis en prison longuement et l'amenderont, et puis seront bannis de la pais de le ville, et les femmes que nos porrons savoir qui aient houlliers, elles seront mises en prison et puis brûlées par les cheveux et bannies de la pais de le ville. » (Pièce just. 73.)

Le suicide était sévèrement puni : en 1602, Pasquette Rolepot fut traînée sur une claie pour avoir attenté à sa personne, et ses biens furent confisqués.

Les mariages donnaient souvent lieu à des rixes déplorables. Les jeunes gens exigeaient des nouveaux mariés une somme d'argent qu'ils employaient à se divertir ; quelquefois leur demande était refusée, et il en résultait des actes de violence. Afin de prévenir ces désordres, l'échevinage, tout en conservant le droit de bienvenue, le règle de manière a n'être onéreux à personne. Une ordonnance du 27 septembre 1614 fait défense aux jeunes gens de forcer et violenter pour fiançailles et mariages aucunes personnes à payer droits de bienvenues qui sont arbitrés pour personne de médiocre condition à 8 sols, pour les autres un peu plus relevées à 40 sols, et pour les plus riches à 60 sols.

Les ordonnances de police étaient inscrites sur le Livre-Rouge. Aussitôt son entrée en charge, le maire les faisait publier soigneusement ; ces ordonnances variaient fréquemment, car elles suivaient l'état des mœurs et devaient être en rapport avec les progrès de la civilisation. (Pièce just. 74.) Le règlement fait en 1763, par Claude Mallet, a été imprimé ; il contient quatre-vingt-treize articles ; quoique d'une date déjà éloignée, il est encore bon à consulter. L'article 9 porte :

Quiconque sera trouvé yvre sera sur-le-champ constitué prisonnier au pain et a l'eau pendant 24 heures pour la première fois, trois jours pour la seconde, et sera prononcé contre lui telle autre peine qu'il sera estimé nécessaire.

Si l'on pouvait revenir à une pareille législation, ce serait fort heureux ; cet article seul suffirait pour faire regretter l'ancien pouvoir municipal, car il est peu de ville où l'abus des liqueurs fortes soit poussé aussi loin qu'à Montdidier. Le règlement de 1763 empêchait-il les buveurs de se livrer à leur passion ? Étaient-ils moins nombreux qu'à présent ? C'est là la question. Il est probable qu'ils étaient au dix-huitième siècle aussi incorrigibles qu'ils le sont aujourd'hui. Une ordonnance du 19 septembre 1556 faisait défense à tous habitants mariés ou a marier d'aller aux cabarets, a tous les hosteliers et cabaretiers de les y recevoir. Rien de mieux ; mais à qui les cabaretiers trouvaient-ils à vendre ? car la majorité de la population est mariée ou a marier.

La juridiction du maire s'étendait sur la ville et sur la banlieue. La circonscription de cette dernière avait été déterminée, soit par la tradition, soit par suite d'un accord passé entre la commune et le roi, mais on n'a aucune donnée à cet égard ; la charte ne s'explique que d'une manière générale, infra terminos pacis. Les limites de la banlieue étaient marquées par quatre bornes, plantées dans la campagne aux quatre points cardinaux, et correspondant à une borne centrale placée dans la ville au coin de la rue de la Borne du Lion. Cette rue n'est pas très-ancienne ; en 1562 seulement, la ville fit l'acquisition de la voirie du Lion-Rouge, ainsi nommée d'un vieil hôtel dont il est parlé dans un titre de l'église Saint-Pierre de 1465 : Le Rouge-Lion séant au bourg de Montdidier aboutit a la rue du Bourgel. Lorsque le Lion-Rouge eut été acheté pour ouvrir une rue, on construisit sur ce qui restait de son emplacement deux hôtels, dont l'un continua de s'appeler le Lion-Rouge, et l'autre fut nommé le Lion-d'Argent. En 1614, les habitants de la rue du Lion obtinrent de l'échevinage la permission de faire mettre une petite barrière à chaque extrémité pour empêcher le passage des charrettes ; la barrière a été supprimée, mais la rue n'a pas augmenté de largeur, et les jours de marché il est impossible de s'y aventurer en voiture. Le nom de cette rue vient, ainsi que nous l'avons dit, de ce qu'elle fut ouverte sur le terrain de l'hôtel du Lion, et aussi d'une grosse borne en grès placée à l'encoignure du côté de la Place. Cette borne ayant été rompue en 1648 , on enleva avec soin la partie restée en terre, pour voir s'il ne se trouvait pas à la base quelque marque particulière ; il n'y en avait aucune. On la remplaça par une autre qui représentait un lion grossièrement sculpté, et servait également de point de repaire pour délimiter la banlieue ; on en voit un fragment sur la place des Six Coins, à l'angle d'un café.

Les quatre bornes situées dans la campagne n'étaient pas à même distance de la borne centrale celle du côté d'Amiens en était éloignée de 7,340 pieds : elle a été enlevée au commencement du siècle, lors du redressement de la route nationale ; celle de Breteuil, à 7,058 pieds, existe encore sur le sentier qui conduit de la route de Breteuil au chemin du Mesnil-Saint-Georges ; la borne de Rubescourt était à 6,927 pieds, elle a disparu ; celle de Faverolles, encore intacte, est à 4,930 pieds : elle a été déplacée en 1845, pour livrer passage à la route de Rouen à la Capelle. Non loin de là se trouve une pièce de terre que l'on appelle le camp des Bourguignons : c'est un souvenir des guerres du quinzième siècle.

Cette dernière borne a causé une distraction bien singulière à l'un des antiquaires les plus recommandables du département : aux yeux de M. Dusevel, elle s'est métamorphosée tout à coup en un monument druidique. « A certaine époque de l'année, » dit-il, « les villageois des environs viennent en foule dans cet endroit, et demeurent quelque temps l'oreille appliquée contre la pierre, croyant qu'elle rend des oracles et fait entendre des sons mélodieux comme une autre statue de Memnon. » (Lettres sur le département de la Somme, page 203.) Un philosophe a bien raison d'appeler l'imagination la folle du logis, et c'est surtout dans l'étude de l'antiquité que l'on doit s'en défier. Au reste, les amateurs de monuments celtiques peuvent se consoler de l'injure qu'a subie la pierre de Faverolles. Ce respectable débris d'un autre âge n'est autre qu'une borne en grès de 2 mètres de haut sur 0m,30 de large, plantée en l'an de grâce 1707 ; on l'a reculée de quelques mètres sur la gauche, et maintenant elle se trouve sur le bord de la route, et sert de limite à une pièce de terre appartenant à l'hospice de Montdidier. Cette borne est la moins éloignée de la ville ; selon la tradition, la banlieue de ce côté aurait été diminuée sous le règne de Henri III ; elle s'étendait auparavant presque jusqu'à Faverolles. Cette borne a fourni à M. Galoppe le sujet d'une pièce de vers, imprimée dans la Feuille d'affiches de l'arrondissement de Montdidier, du 30 octobre 1835 ; peut-être, sans s'en douter, le poéte a-t-il contribué à induire l'historien en erreur.

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