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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre III - § III - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Premier hôtel de ville

Sa situation

Hôtel de ville actuel

Beffroi

Jean Duquesne

Cloche

Couvre-feu

Horloge

Intérieur de l'hôtel de ville

 

L'hôtel de ville suivit le sort de la commune et partagea toutes ses vicissitudes. Lorsque Montdidier s'étendait dans la vallée, la maison de ville se trouvait au milieu de ces terrains aujourd'hui convertis en jardins, mais autrefois couverts d'habitations ; elle était bâtie à peu de distance de l'église Saint-Médard, à gauche de la chaussée qui traverse la vallée et conduit du moulin la Planche à la croix de la Madeleine ; les bâtiments, cours et jardins qui en dépendaient comprenaient une superficie de quatre journaux (1h 71a 64c). Nous avons trouvé la preuve de ce fait en feuilletant l'innombrable collection du dépôt des fiefs conservée aux Archives nationales ; dans un aveu de la terre d'Houssoy, près Remaugies, fourni le 15 août 1383, par Thomas de Guyencourt, on lit : « Item li maison, gardins et prés qu'on dit le maison de ville en la paroisse Saint-Mart de Montdidier, qui contient environ IIII journeulx. »

Un bail du 24 juin 1418 fournit quelques autres renseignements : « A tous ceulx que ces présentes lettres verront ou oiront Gilles du Bourgel, bourgeois de Montdidier, garde par le roy du scel de la baillie de Vermandois establi en la prevosté dudit Montdidier, etc.... Pierre Garet demeurant en la vallée de Montdidier en la paroisse Saint-Martin a pris à cens de Jehan du Mesnil à présent maïeur d'icelle ville, une maison, gardin, lieu et pré séant en la dite paroisse en le rue qui va du moulin du pont à l'hostel de la mairie tenant d'une part à l'héritage Guillebart Regnier, d'autre à l'héritage Jehannette Dupont et à l'héritage que Willaume Pote et son fils ont prins à cens dudit du Mesnil aboutant par derriere au cours de l'eau qui est joignant au pré Imbert Cailleu, ensemble aura ledit preneur pour ladite prinse et bail à son proufit toute une maison, gardin et lieu séant au devant dudit moulin du pont qui fut les hoirs Jean Dupont et sa femme, tenant d'une part à Yvon de Lievin ; d'autre à la voirie aboutant à l'héritage Marion de Martaigneville. »

Le moulin du Pont, aujourd'hui moulin la Planche, est complétement isolé ; mais anciennement il était compris dans la ville et entouré de maisons ; Yvon Lievin, maïeur de Montdidier en 1414, habitait la partie de la vallée où ce moulin est situé. Le faubourg Saint-Médard formait le centre de la cité : là étaient le beffroy et l'hôtel de ville ; là se réunissaient les habitants, le maïeur et les échevins pour délibérer sur les affaires publiques.

L'hôtel de ville subsista dans la vallée jusqu'au quinzième siècle ; les guerres continuelles de cette époque contraignirent nos ancêtres à établir leurs demeures sur la montagne, où il leur était plus facile de résister aux attaques de l'ennemi ; la maison commune suivit le mouvement général, et fut transférée dans la haute ville ; détruite lors de la prise de Montdidier par Louis XI en 1475, elle était rebâtie en 1485. Son existence fut de courte durée ; elle devint la proie des flammes en 1523, lorsque le duc de Norfolk s'empara de Montdidier ; la grosse cloche fut fondue, les archives réduites en cendres. Ce désastre fut promptement réparé, et, dès l'année suivante, un nouvel hôtel de ville s'élevait sur le marché à la place de l'ancien ; les travaux furent poussés avec une telle célérité que l'échevinage put s'y installer en 1524. Pendant l'intervalle qui s'écoula jusqu'à sa reconstruction, les maïeur et échevins s'assemblèrent dans l'hôtellerie des Trois-Rois, appartenant à Pierre Rohaut. Cette maison subsiste encore ; c'est, en descendant la Place, la seconde, à main droite, après l'hôtel de ville ; on voit dans la cour quelques restes de sculpture assez bien conservés.

Un siècle après, on résolut de bâtir un nouveau prétoire municipal. Les motifs de cette détermination ne sont point connus ; peut-être celui de 1524, construit précipitamment dans un moment de crise, menaçait il ruine : cependant, en 1556, des augmentations importantes y avaient été réalisées : on avait élevé un bâtiment à deux étages de quarante pieds de long, avec pignon de brique sur la Place, jusqu'à hauteur du premier étage. La réédification de l'hôtel de ville n'était point encore terminée en 1588 ; nous en trouvons la preuve dans le cahier de remontrances présenté cette année aux états généraux réunis à Blois : les habitants demandaient qu'on leur donnât les moyens d'achever la construction du beffroy qui sera une grande forteresse pour la ville.

Ces restaurations, exécutées à différentes époques, produisaient un mauvais effet, et déterminèrent vraisemblablement à construire un édifice entièrement neuf. Le 10 mai 1620, dans une assemblée générale tenue à la mairie, il fut décidé de restablir et faire le beffroy, tour et clocher de l'hostel de ville selon le modèle représenté pourquoi sera le marché publié au rabais. Le nom de l'architecte qui présenta ce modèle ne nous est point parvenu. Le 24 du même mois, on fit le bail de la besogne et construction du corps de garde de la ville, le beffroy, tour et clocher d'icelle tant maçonnerie que charpenterie. Le 30 mai et le 1er juin, l'ouvrage fut adjugé moyennant 5,000 liv. à Nicolas le Pot ; il s'associa Jean Cousin, Jean Leclerc et Gilles Boullé ; les travaux furent achevés dans l'espace de deux années. Avant de se mettre à l'œuvre on délibéra si l'on n'achèterait pas une maison contiguë à l'hôtel de ville pour lui donner un peu plus d'étendue ; malheureusement cette proposition ne fut pas adoptée ; reproduite en 1838, elle n'eut pas un meilleur sort.

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L'hôtel de ville est un bâtiment de brique et pierre et à bossages, d'assez mauvais goût, qui rappelle les maisons de la Place-Royale à Paris. La façade présente un pavillon en saillie, lourd et étranglé. Binet, dans l'Annuaire de 1827, fait observer avec justesse que l'hôtel de ville est d'une simplicité telle que ce n'était pas la peine de déranger l'uniformité de la place en l'édifiant en saillie sur la voie publique. Cette saillie disgracieuse avance de 4m,50 et paraît provenir plutôt de la pression violente opérée contre l'hôtel de ville par les maisons voisines qui l'étreignent comme dans un étau, que des calculs d'un architecte. La façade a 7 mètres de large sur 9m,55 de haut ; elle a subi quelques modifications dans le siècle dernier. Au-dessus de la porte d'entrée, flanquée de chaque côté de deux colonnes doriques, cannelées, renflées, on voyait les armes de la ville soutenues par deux Amours ; la fenêtre du premier étage était écrasée et ne descendait pas jusqu'au niveau du plancher ; l'horloge, surmontée d'un large écusson aux armes de France et de Potier de Gesvres, seigneur de Blérencourt, gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye, était ornée de pilastres et de rampants de pierre ; le dessin que nous mettons sous les yeux du lecteur permet d'apprécier les différents changements qui ont été exécutés. En 1749, le maire, Édouard Bosquillon, fit reconstruire la façade qui tombait en ruine, et la remplaça par celle qu'on voit maintenant ; en 1842, on y a fait quelques réparations. Une porte cintrée, accompagnée de deux pilastres doriques, cannelés, donne entrée dans l'intérieur. Au premier étage, une large fenêtre correspond à la porte ; au balcon se trouvaient les armes de la ville, enlevées mal à propos lors de la révolution de Juillet, à cause des fleurs de lis qu'elles offraient ; deux pilastres ioniques décorent cette fenêtre ; un entablement de même ordre termine la façade, au-dessus de laquelle s'élève le cadran de l'horloge. Les murs latéraux sont restés ce qu'ils étaient primitivement ; de chaque côté, deux fenêtres longues et étroites, placées l'une au-dessus de l'autre, éclairent le vestibule du rez-de-chaussée et la salle du conseil. Nous avons fait lithographier une petite vue de l'hôtel de ville actuel au bas du plan de Montdidier.

Le toit, en forme de dôme, supporte un campanile à jour, haut de 5m,63, et composé de huit colonnes terminées par une coupole ; cette partie de l'édifice a été remaniée en 1826 et 1827 ; du pavé jusqu'au sommet on compte 19m,38; sur le devant se trouve un jacquemart en bois, que l'on appelle, sans que l'on sache pourquoi, Jean Duquesne ; peut-être ce nom était-il celui de l'ouvrier qui l'a fait ; peut-être aussi se rattache-t-il simplement, comme celui du Camarade Buquet, à quelque raison de voisinage ou à toute autre circonstance aussi peu intéressante. Il y a encore à Montdidier plusieurs familles Duquesne. Le P. Daire prétend que le nom donné à cet automate vient du bois dont il était formé ; chêne, en picard, se dit quène : cette étymologie n'a pas dû coûter de grands efforts d'imagination à son auteur. Vainement voudrait-on assigner une origine illustre à Jean Duquesne, et le considérer comme l'expression de quelque tradition montdidérienne ; le merveilleux n'avait plus cours au dix-septième siècle. Notre sonneur est moins ancien que l'hôtel de ville, ce n'est qu'en 1640 qu'il fit son apparition au sommet du cénacle municipal. Le nouveau personnage fut fort mal accueilli à son début dans le monde ; le peuple cria contre cette innovation ; mais il garda le silence lorsqu'il s'aperçut que l'Horloge allait mieux, et que, grâce aux coups redoublés de Jean Duquesne, l'on entendait l'heure plus distinctement ; en 1651, on refit notre réveil-matin, et on lui donna la figure d'un Suisse ; un compte de cette année porte : 60 liv. pour la figure du sonneur de l'horloge.

En 1747, l'horloge de la ville fut changée et remise à neuf par François Mannier, horloger et armurier à Montdidier. Jean Duquesne subit le même sort. On façonna un nouveau jacquemart semblable à l'ancien, et, de peur qu'il ne s'ennuyât, on lui adjoignit une femme et deux enfants, qui sonnaient les divisions de l'heure. Mais à quels revers n'est-on pas exposé dans les positions les plus élevées ! Au mois de décembre 1763, le maire Claude Mallet, revenant sur ce qu'avait fait son prédécesseur Antoine de Saint-Fussien (1747), fit enlever Jean Duquesne et sa femme, qui par leurs bras trop vigoureux dérangeaient l'horloge, et ne laissa que les deux enfants, inconsolables de la perte de leurs père et mère ; ils ne tardèrent pas à disparaître à leur tour, et Jean Duquesne, après une courte absence, reprit triomphalement la place qu'il occupe depuis près d'un siècle. Notre diligent carillonneur a été rajeuni il y a peu d'années ; l'on a accommodé son costume au goût du jour, il est du plus beau tricolore : bas blancs, culotte rouge, habit bleu à la française, le tricorne galonné d'or et posé légèrement sur la tête.

Jean Duquesne, comme tous les hauts personnages, a vu les poëtes s'incliner à ses pieds et lui offrir le tribut de leur hommage. Honoré le Febvre, de Montdidier, a célébré ses louanges dans une pièce de vers latins. M. Galoppe en a fait le héros d'une légende et d'une chanson imprimées dans la Feuille d'affiches de l'arrondissement ; voici les premiers couplets :

Un roi de bois, couronné d'un chapeau,
Depuis longtemps gouverne notre ville ;
Il a pour sceptre un modeste marteau,
C'est un clocher qu'il choisit pour asile ;
Bien qu'il soit vieux et n'ait point de soldats,
A ses arrêts on obéit sans peine...
Ce roi sans cour, ce prince sans États,
Il fut, messieurs,
Par nos bons aïeux,
Surnommé Jean Duquesne.

Son œil a vu flotter plus d'un drapeau
Sur le donjon qu'on commit à sa garde ;
Plus d'une fois de son petit chapeau
La main du peintre a changé la cocarde ;
Mais, en dépit des révolutions
Qu'il vit passer sans plaisir et sans peine,
Il a toujours rendu les mêmes sons.
Ah ! que de gens
Sont moins conséquents
Que notre Jean Duquesne.

Scellier lui a dédié le troisième volume de ses Mémoires ; cette dédicace est assez joliment écrite ; sous l'apparence de la plaisanterie, notre chroniqueur fait une critique aussi vive que méritée des défauts de ses concitoyens ; c'est à Jean Duquesne qu'il adresse la parole.

« Illustre Seigneur,

Si les qualités les plus apparentes sont les plus capables d'attirer l'estime et la vénération, il n'est point d'homme dans la province qui les mérite mieux que vous.

Vous êtes d'une naissance des plus antiques, et, quoique placé dans une élévation peu commune, vous ne vous en faites jamais accroire. Endurci aux variations des temps et aux plus rudes saisons, vous restez toujours vigilant et d'un attachement incroyable à remplir votre état, jusqu'à veiller jour et nuit pour annoncer à vos concitoyens les heures de la prière, a du repas et celles que l'on doit employer au travail et au repos. Toujours sobre, toujours chaste, vous ne voulez connaître ni les femmes ni le vin, et, malgré que vous soyez à la tête d'une ville où le malheur d'être sans trafic accoutume insensiblement les habitants à mener une vie oisive, paresseuse et languissante, vous ne cessez d'un moment d'être le marteau à la main, pour les animer et leur apprendre par votre exemple qu'il est plus glorieux et plus louable de chercher à s'occuper que de passer le temps, toujours précieux, à parcourir, les bras croisés ou pendants, une place publique et les promenades, et de s'exposer par là à devenir les esclaves de la médisance, de la calomnie, de l'envie et de mille autres vices indignes de l'honnête homme. On ne peut vous reprocher la moindre parole contre la charité ; vous ne haïssez, vous n'enviez qui que ce soit, et vous aimez mieux garder un silence continuel que de divulguer des choses qui, quoique souvent criminelles, se passent journellement sous vos yeux et sous vos fenêtres. Qu'il seroit heureux qu'une telle discrétion pût se communiquer à tant de personnes dont la démangeaison de parler est presque insurmontable ? L'avarice et l'ambition qui ont présentement tant de crédit qu'ils sont comme les principes des actions de la plupart des hommes, n'ont aucun empire sur vous, car, si vous n'êtes pas magnifique dans vos habillements et qu'on puisse même certifier que vous portez encore ceux de votre jeunesse, c'est que vous avez en horreur le luxe et le faste, et que, pourvu que vous soyez décemment vestu, vous vous trouvez toujours content.

Vous ne laissez pas de faire de temps en temps de la dépense pour habiller proprement vos domestiques, mais pour vous jamais aucune ; tant il est vrai qu'il ne faut pas de lustres empruntés pour les gens véritablement grands par eux-mêmes. Vos biens, quoique médiocres, sont aussi employés assez souvent, sans qu'on remarque en vous la moindre inquiétude et sans que vous disiez un mot, aux embellissements de la ville et à l'usage du peuple. Toutes ces raisons, jointes à cette uniformité dans vos mœurs, à cette douceur, à cette tranquillité et à cet accord dont vous ne vous démentez jamais, sont des preuves plus que suffisantes que vous n'estes en aucune façon sujet à ces deux principales sources de tant de maux.

Enfin, de quelque côté que l'on vous considère, on ne trouve en vous aucuns de ces vices qui dominent si parfaitement sur tant de personnes de différents états ; c'est ce qui fait que les étrangers, à leur arrivée en cette ville, s'empressent toujours de vous rendre leur visite, pour avoir la satisfaction de contempler un homme si rare et dont la réputation est répandue presque dans les contrées les plus éloignées.

Une si heureuse disposition vous produit donc l'estime de tout le monde et écarte de vous tout ennemi. Qu'on serait heureux, si on pouvait vous imiter autant qu'on vous admire !

C'est pourquoi, en qualité de citoyen, et qui a l'honneur de se trouver souvent en votre présence, je crois vous devoir dédier, sans risquer de recevoir des réprimandes de votre part ni de mériter votre haine, ce recueil de ce qui regarde directement la ville dont vous êtes le chef, le juge et l'arbitre ; il comprend tous les biens que vous possédez ; les droits, les coutumes du lieu et les arrêts intervenus en conséquence ; les chartes et priviléges accordés par nos rois ; les honneurs qu'ont remportés dans plusieurs prix généraux les compagnies de l'arc et de l'arquebuse, les noms et surnoms des bourgeois qui composent la commune, avec leurs qualités et leurs armoiries ; les appréciations des grains ; les établissements de deux nouvelles manufactures, la liste des maïeurs, et tous les événements mémorables arrivés en cette ville depuis plusieurs siècles, qui sont parvenus à ma connaissance. Je me flatte que votre silence me servira de marque que vous ne trouverez pas mauvais cette liberté et l'honneur de vous assurer que je suis avec autant de respect que d'obéissance, Seigneur,

Votre serviteur, G. Scellier. »

En tête de cette dédicace, qui est de 1741, notre chroniqueur a peint un écusson écartelé, composé de la réunion des armoiries des quatre derniers maïeurs : au premier, de Saint-Fussien ; au deuxième, Fourment ; au troisième, de Baillon ; au quatrième, Cauvel de Beauvillé : au centre de l'écusson sont les armes de la ville. L'ancien Jean Duquesne, si honorablement célébré par notre compatriote, était placé sur le côté du beffroi, au lieu d'être au milieu comme à présent ; il frappait les heures sur la cloche ; trois cadrans placés l'un en face de lui, et les deux autres de chaque côté du dôme, indiquaient l'heure aux habitants.

La cloche de l'hôtel de ville a 0m,90 de hauteur sur 1m,12 de diamètre ; on lit autour, en lettres gothiques :

X Pour a la chose publique aider en ce beffroy sans varier je fus posée par l'advis de messieurs De Mondidier l'an mil cinq rente vingt six.

Cette légende est surmontée d'une rangée de petites fleurs de lis entourant la cloche ; aux quatre points cardinaux sont les armes de la ville, une tour donjonnée accompagnée de fleurs de lis, avec ces mots :

Sel a causes de la romane Mondidier.

Cette cloche est la doyenne de la ville ; elle a quinze ans de plus que la grosse cloche de Saint-Pierre, mais elle lui est bien inférieure sous le rapport du travail et de la conservation ; elle a été fondue en 1527, et non en 1526, comme porte l'inscription. On voit dans un extrait du compte de 1526, qu'en cette année on a mis une cloche au beffroi, achetée de Simon de Bruières, cloquemant d'Amiens moyennant 254livre 10sol ; elle pesait seize cent dix-neuf livres, bien que, d'après les conventions, son poids ne dût être que de quinze cents livres : mais, ainsi qu'il résulte d'un extrait du compte de 1527, la cloche du beffroy achetée l'an passé, ne s'estant trouvée assez bonne, a esté refondue ; on y a ajouté 226 livres de metail d'estain et encore 400 de metail ; on envoie à Noyon querir l'horlogeur pour visiter la cloche et marchander de faire une horloge. Cette seconde cloche, refondue au mois de juillet 1527, est celle dont on se sert aujourd'hui ; le fondeur, qui fut encore Simon de Bruières, n'aura pas jugé à propos de changer la date de la première fabrication. On lisait dans le compte de 1528 : Pour la cloche livrée par Simon de Bruières de la ville d'Amiens qui est au beffroy de la ville payé 34livre 3sol 6denier sur 63livre 15sol qui lui sont deubs.

Le 23 juillet 1527, on passa marché pour une horloge de trois pieds et demi carrés, moyennant la somme de 60 liv. ; à en juger d'après le compte de cette année, l'horloge fut faite à Noyon. Il est probable qu'il n'y avait point alors d'horloger à Montdidier, car, en 1534, le maïeur Pierre Cauvel de Carouge fit raccommoder l'horloge de la ville par un horlogeur de Tournay. Le campanile de l'hôtel de ville n'étant ni assez spacieux ni assez solide pour qu'on puisse mettre la cloche en branle, le son est produit à l'aide d'un mécanisme qui fait frapper le battant contre la paroi de la cloche ; elle retentit, en cas d'incendie, dans les fêtes et cérémonies publiques, pour annoncer l'ouverture et la fermeture du marché, et instruire les habitants des nouvelles qui peuvent les intéresser. Tous les soirs à dix heures, la cloche du beffroi donne le signal du couvre-feu. L'usage de sonner, pour indiquer l'heure à laquelle les établissements publics doivent fermer, n'est pas ancien : il n'a commencé à être observé qu'en 1736. Voici ce que Scellier rapporte dans ses Mémoires : « C'est M. Cauvel de Beauvillé qui établit la retraite de dix heures du soir, qui se sonne avec la cloche du beffroy, en répétant les dix coups qu'a sonnés l'horloge pour faire retirer des cabarets et des jeux publics les jeunes gens, les ivrognes et les vagabonds et apporter un bon ordre dans la ville, sous peine d'être appelés le lendemain à la police. Les habitants appellent cette retraite, les soupirs de M. de Beauvillé. C'est ainsi que la pluspart des proverbes ont pris leur commencement et leur origine, dont on ne peut souvent pas donner la raison parce qu'on les a d'abord négligés. »

Cette institution municipale s'est fidèlement perpétuée jusqu'à nos jours, mais très-peu de personnes savent à qui on en est redevable. Tous les soirs, les dix coups sont ponctuellement frappés par la main vigilante du concierge de la mairie ; en les entendant, je vais, comme tout bon Montdidérien devrait le faire, me coucher fort tranquillement, pensant à mon respectable bisaïeul, mais sans pousser le moindre soupir.

Le mécanisme de l'horloge a été renouvelé entièrement en 1851, par un fabricant d'instruments aratoires de Ferrières nommé Renard, qui a exécuté ce travail moyennant la somme de 1575 francs. N'eût-il pas été plus convenable de s'adresser à un véritable artiste ? L'horloge laisse à désirer pour la régularité de la marche ; il faut en outre la remonter tous les jours, ce qui est très-assujettissant. En 1747, un horloger-armurier réparait l'horloge ; en 1847, un serrurier-horloger était chargé de ce soin : avait-on gagné au change ? Quoique nous soyons plus avancés qu'il y a trois cents ans, et qu'il ne manque pas d'horlogers en ville, Messieurs de Mondidier, dans l'acquisition d'un régulateur, n'ont pas été d'advis d'avoir recours à l'expérience des hommes de l'art ; aussi tous les jours font-ils mentir la cloche qui promet d'aider à la chose publique sans varier.

Pénétrons maintenant dans l'hôtel de ville. L'intérieur est tout ce que l'on peut imaginer de plus modeste, pour ne pas dire davantage. Au rez-de-chaussée se trouve un vestibule pavé de briques de 6m,50 de largeur, sur 6m,90 de profondeur ; il reçoit le jour de chaque côté par deux fenêtres étroites ; les murs sans aucun revêtement sont dans un état de nudité et de délabrement qui ne prévient pas en faveur de la mairie. Ce vestibule sert de passage, de corps de garde, etc. ; pendant la foire on permet à quelques marchands d'y établir leurs boutiques. Dans la muraille du fond on a pratiqué une porte qui répète celle d'entrée ; elle est en pierre, décorée de pilastres et d'un fronton fort endommagé. Cette porte donne accès dans un second vestibule plus misérable encore que le premier ; pour l'utiliser, on en a fait le dépôt des pompes à incendie ; à la suite il y a une petite cour dans laquelle existe un bâtiment presque en ruine où l'on a installé le concierge, qui est en même temps sergent de ville : vient après un jardin très-exigu.

Au fond du second vestibule, un vieil escalier de bois conduit au premier étage. Il est éclairé par une fenêtre vermoulue, les murs blanchis depuis peu étaient d'une malpropreté révoltante ; cet escalier aboutit à un corridor obscur menant à la chambre du conseil ; à droite du corridor se trouvent le secrétariat et un cabinet noir transformé en garde-meuble. La salle du conseil est d'une grandeur, convenable, elle est éclairée par une grande fenêtre cintrée qui correspond à la porte d'entrée de l'hôtel de ville, deux fenêtres latérales contribuent à augmenter la clarté de cette pièce. L'ameublement est des plus simples ; un papier mesquin recouvre les murs ; une table et des chaises de paille disparates composent tout le mobilier. Dans un angle on remarque le buste en terre cuite de Parmentier, donné à la ville en 1837 ; il provient de M. Lendormy, ancien sous-préfet, qui l'avait reçu de Parmentier lui-même ; en 1853, on eut l'insigne mauvais goût de le bronzer. Quelques lithographies de la Société des amis des arts du département de la Somme ornent les murailles. En face de la cheminée, on voit un affreux tableau à l'huile, représentant une vue d'Amiens ; ce barbouillage informe est une copie enluminée de la gravure de Jean Boisseau, exécutée en 1610 : cette effroyable croûte, d'un nommé Régnier, avait été donnée, en 1848, par le ministre de l'intérieur à la ville d'Amiens, qui refusa péremptoirement de l'accepter ; notre député en fit la demande pour la ville de Montdidier, et l'on fut trop heureux de s'en débarrasser en sa faveur. La salle du conseil comprenait anciennement une partie du vestibule et le cabinet noir attenant au secrétariat, des tapisseries la décoraient ; dans des comptes de 1651, on voit figurer une somme de 82 liv. payée pour la tapisserie de la chambre de l'échevinage.

Rien de plus incommode que l'hôtel de ville. Il n'y a pas de cabinet pour le maire ; ce magistrat est obligé de se tenir dans le secrétariat, confondu avec le public, dérangé constamment par les allants et venants, sans avoir le plus petit endroit où il lui soit possible de travailler et de recevoir les personnes qui veulent lui parler en particulier. La salle des délibérations sert en même temps de prétoire pour la justice de paix, sujétion extrêmement gênante. Montdidier, en fait d'hôtel de ville, n'est guère mieux partagé que le dernier chef-lieu de canton. On souscrit généreusement pour les églises, pour les établissements de bienfaisance et d'instruction publique : on a bien raison, et l'on ne saurait trop applaudir à ces marques de munificence ; mais pourquoi ne pas faire de même lorsqu'il s'agit de loger convenablement le premier corps de la ville La municipalité, ce centre commun de tous les intérêts, serait-elle placée moins haut dans l'opinion publique que les écoles ou l'hôpital ? La reconstruction de la mairie, par voie de souscription, aurait à coup sûr le caractère d'une œuvre vraiment patriotique. Serait-ce se montrer trop exigeant que d'inviter chaque conseiller municipal à souscrire pour 500 francs ? Tous le peuvent assurément. Ne devraient-ils pas avoir à cœur de prendre l'initiative d'une mesure aussi désirable ? L'honneur de représenter ses concitoyens doit se traduire par des actes, et c'est dans de pareilles circonstances qu'il faut se montrer digne de son mandat : Non honor, sed onus.

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