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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre III - § V

par Victor de Beauvillé

§ V

MALADRERIE.

Maladredie

La lèpre, cette horrible maladie qui faisait séquestrer du reste des humains et regarder comme mort au monde le malheureux qui en était atteint, se propagea à la suite des croisades avec une rapidité effrayante ; mais, en même temps que ce fléau venait désoler nos contrées, la charité lui opposait une digue salutaire : de nouveaux hôpitaux, désignés sous le nom de maladrerie ou léproserie, s'ouvraient pour recevoir les malades.

La maladrerie était placée à l'extrémité du faubourg Saint-Médard, sur le chemin de Courtemanche, vis-à-vis de la fontaine de la Madeleine ; elle existait dès le douzième siècle. Le titre le plus ancien qui en fasse mention est le testament de Renaud Quovadis (1216), dont nous avons parlé ci-dessus ; avant de partir pour la terre sainte, le pieux pèlerin donna à la maladrerie de Montdidier deux mines de blé, deux mines d'avoine et 100 sols parisis, à prendre chaque année sur la terre du Mesnil. En 1294, Jean de la Tonnelle, chevalier, fit avec la commune un échange de quelques terres, à condition qu'on recevrait à la maladrerie les lépreux de Rollot, dont il était seigneur.

Cet établissement subsista jusqu'au quinzième siècle ; ruiné pendant les guerres des Bourguignons, l'échevinage prit à différentes fois la résolution de le rebâtir, mais il ne fut jamais donné suite à ce projet. En 1516, la ville acheta moyennant 14 liv. une maison dans le Val-à-Carré, au lieu dit le Psaltérion, pour y loger les lépreux. Le Psaltérion était une pièce de terre en forme de harpe, comme l'indique son nom, située à la sortie de la ville, à droite de la route de Rollot ; elle était délimitée par la rue du Val-à-Carré, la route de Compiègne et un petit chemin qui de la route aboutissait à la rue du Val-à-Carré. Cette pièce de terre conserva sa forme jusqu'au moment où elle fut coupée pour livrer passage à la route de Rouen à la Capelle ; l'espèce de triangle irrégulier qu'elle faisait présentait assez l'apparence d'un tricorne ; cette configuration frappant plus le peuple que celle d'une harpe, le nom de Psaltérion fut abandonné, et on appela cet endroit le chapeau Moussette, du nom d'un habitant de cette ville, lequel y possédait un petit jardin.

Beaucoup d'auteurs sont entrés dans de grands détails sur les lépreux ; nous ne parlerons que de ce qui concerne notre ville. Les individus suspectés de lèpre étaient obligés d'aller aux épreuves, c'est-à-dire, de se faire visiter par un marguillier de Saint-Pierre et un échevin : cette formalité remplie, on admettait le malade à la maladrerie. Les lépreux allaient mendiant leur vie par la ville ; mais cette permission leur était retirée dans les mois où la contagion était le plus à craindre. On lit dans un compte du 7 juillet 1519 : « Sur les remontrances des lépreux, conclu qu'ils ne viendront point en ville les mois de may, juin et juillet, pourquoi leur sera fourni un muid de blé et LX s. en argent, et les autres mois ils auront la quête avant la ville. »

Au seizième siècle, le nombre des lépreux était peu considérable ; ils n'étaient que quatre, et on leur payait à chacun une pension de 40 liv. par an. La maladrerie avait été relevée en partie. Un compte de 1561 parle des ladres en la maladrerie du Val-à-Carré et du puits des lépreux près du chemin qui conduit de Montdidier à Rollot ; dans un compte de 1564, il est également question de la maladrerie de la Madeleine. Chaque lépreux avait son logement ; deux d'entre eux demeuraient dans deux petites maisons au Val-à-Carré, et les autres à l'ancienne maladrerie.

La lèpre n'était plus que l'ombre d'elle-même, et ce chiffre de quatre malades est bien peu de chose en comparaison de la quantité innombrable d'individus frappés par le fléau dans les douzième et treizième siècles ; l'inutilité de relever un hôpital spécial pour un mal dont la gravité diminuait chaque jour détermina l'échevinage à ne pas reconstruire la maladrerie.

La plus grande partie des titres de la maison disparut lors de sa destruction dans le quinzième siècle ; il en restait assez cependant avant la Révolution pour se convaincre que la charité l'avait libéralement pourvue. La maladrerie possédait deux cent soixante-douze journaux situés en grande partie sur les territoires de Montdidier, de Fontaine, du Mesnil-Saint-Georges et de Courtemanche ; en 1502, ces terres étaient affermées quarante-cinq muids de blé et 150 liv. de rente. Voici, d'après un compte de 1549, le chiffre exact des revenus :

« Argent, XLIXl XIIIs IId.

Bled, mesure de Montdidier ; pour VIIIxx II journaux et demi de terre bailliés à muiages, XVII muids VI septiers et demi de bled.

Avoine, même mesure pour lesdites terres, X muids, demi septier.

Bled, même mesure à cause des dîmes de Courtemanche, Fontaines, Forestel, le Mesnil et Maigremont appartenant à ladite maladrerie, XVIII muids II septiers.

Avoine, à cause desdites dîmes, IX muids, I septier, un quartier.

Sur lequel revenu faut payer ce qui s'en suit, sçavoir :

Les mises ordinaires, les censives et rapports montant par an, LXIIIIs IIId.

Item, au chappellain de la maladrerie qui dit en icelle trois messes par chacune sepmaine, XVl.

Au curé de Courtemanche pour son gros qu'il prend chacun an sur lesdites dîmes, deux muids huit septiers de blé, et onze septiers d'avoine même mesure, IIII muids de grain.

Au commandeur de Fontaines un muid de blé et cent sols d'argent.

A l'argentier de la ville pour faire la recette d'icelle maladrerie, XIIl.

Aux lépreux estans en lad. maladrerie, VIIIxxl.

Sans toucher aux frais et louages de greniers et entretenement de la maladrerie et autres petits frais qui se font à cause d'icelle. »

La maladrerie jouissait en outre de dîmes nombreuses ; en 1274, elle percevait dans la ville celles du pain et du vin. Les vignes étaient pour elle une source de revenus. Dans un compte de 1402, on voit : « Pour cinquante muids de vin qui ont cru sur les vignes de la maladrerie : 18 ont été vendus à broyer à cinq deniers le lot ; 6 muids vendus en gros à 47 sols chacun et 26 muids à 45 sols chacun. » La maladrerie avait cinq journaux de vignes qui coûtaient chacun 7 liv. 4 sols de façon par an ; à cette époque, six mille échalas se payaient 32 sols ; le salaire des vendangeurs montait à 8 liv. 4 sols.

La maladrerie n'étant pas de fondation royale, mais due à la libéralité des habitants, les maire et échevins en étaient administrateurs ; leur droit fut cependant contesté, et, à diverses époques, ils eurent à soutenir des procès pour maintenir leurs prérogatives. La présentation du chapelain appartenait à l'échevinage, et la nomination à l'évêque d'Amiens. Le chapelain devait dire trois messes par semaine ; en 1402, on lui donnait 9 liv. 12 sols ; un siècle et demi après, l'argent avait presque diminué de moitié, et, d'après le compte de 1549, on accordait au chapelain 15 liv. par an. Dans le dénombrement de l'évêché, en 1302, le revenu du chapelain de la maladrerie est estimé à 20 livres.

Au mois d'août 1616, Louis XIII, malgré l'opposition de la mairie, fit don des revenus de la maladrerie au couvent des Franciscaines de Montdidier, à la charge de nourrir, loger, entretenir les lépreux, et d'acquitter les fondations religieuses auxquelles la maison était tenue ; la petite chapelle de la Madeleine fut conservée, et subsista jusque vers le milieu du siècle dernier. Le prieur de Notre-Dame était gros décimateur et touchait les deux tiers des dîmes, la maladrerie se trouvant dans les limites de la paroisse de Saint-Médard, dont il avait le patronage.

La croix de fer qu'on remarque à l'endroit où était la chapelle de la Madeleine fut plantée et bénite le 3 novembre 1771. La chapelle, les bâtiments et le terrain contigu, appartenant aux Franciscaines, avaient été vendus aux nommés Clouet et Mathon par les religieuses de l'Hôtel-Dieu, qui furent mises en possession des biens de la maladrerie, après la suppression du couvent de Saint-François ; nais, en leur faisant ce don, l'évêque d'Amiens leur imposa pour condition d'élever une croix à la place de la chapelle ; ce qui fut exécuté le jour que nous avons dit. La plantation se fit à l'issue des vêpres : M. Mallet, curé de la paroisse de Saint-Médard, officiait ; M. Duquesnoy, curé de Saint-Martin, prononça un discours ; la cérémonie avait attiré un grand concours de fidèles. Cette modeste croix existe encore ; c'est le dernier souvenir d'un établissement qui remontait aux croisades.

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