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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre V - § II - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Montdidier fait partie du bailliage de Vermandois

Noms de quelques baillis omis par Colliette

Jugements divers

Enquête concernant Matthieu de la Balne

Gardes du scel

Sceau du bailliage

 

La réunion de Montdidier à la couronne ne rompit point entièrement les liens qui unissaient cette ville au comté de Vermandois. Philippe-Auguste conserva l'ancienne division territoriale, et notre ville, avec la châtellenie qui en dépendait, fit partie du bailliage de Vermandois, le premier des quatre grands bailliages, établi par le roi dans l'étendue de ses États ; il en résultait que les causes de cette province étaient appelées au parlement de Paris avant toutes les autres du ressort, et jugées en robes rouges, ce qu'on appelait en style du palais les jours de Vermandois : Ad dies balliviœ Viromandensis.

Les fonctions de grand bailli étant extrêmement importantes, on ne les confiait qu'à des personnes de distinction. Toute l'autorité était concentrée dans leurs mains ; ils étaient chargés de rendre la justice, de conduire les hommes d'armes à la guerre, et de recevoir les deniers du roi. Les revenus du bailliage provenaient des amendes, des exploits, des confiscations et forfaitures, des biens des champions vaincus en duel ou des filles de mauvaise vie ; des droits de mairie, d'aubaine, de déshérence, de bâtardise, de main-morte et formariage ; des fermages de métairies non comprises dans les baux de la prévôté ; des bois, forêts, vignes et carrières, de dîmes seigneuriales et autres redevances en nature ; des rentes en argent, cens, rachats et reliefs, du droit de procuration ou gîte, etc. Il est à remarquer que, dans le compte du revenu de Philippe-Auguste, les 600 liv. que la ville lui payait pour l'établissement de la commune ne sont jamais confondues dans les produits du bailliage, elles fouinent toujours un article distinct du compte général. Dans celui qui fut rendu par Renaud de Senlis, en 1202, Montdidier est porté en recette pour 100 livres : De homine Montisdesiderii C. L. (2,080 francs). La modicité de ce revenu avait pour cause l'abandon des droits seigneuriaux que le roi avait fait à la ville en l'érigeant en commune.

Colliette a donné, dans ses Mémoires sur le Vermandois, la suite chronologique des grands baillis de la province. Aux noms qu'il cite, il faut ajouter ceux-ci : 1219, Gilles de Versailles et Sigebert de Laon ; 1251, André des Fossés ; 1315, Gui de Villers-Mororier, chevalier ; 1322, Jehan, sire de Saillenay, chevalier ; 1377, Tristan du Bair, chevalier, seigneur de Saumirhen et de Raineval. Les baillis dont les noms suivent étaient en fonction à une époque différente de l'époque indiquée par Colliette : 1241, André le jeune ; 1255, Matthieu de la Balne, chevalier ; 1256, Angelard ; 1259, Matthieu de la Balne ; 1261, Geoffroy de Roncherolles, chevalier ; 1269, Gautier Bardin ; 1289, Philippe de Beaumanoir, chevalier ; 1304-1366, Jean de Waissi, chevalier ; 1354, Jean de Vanoise ; 1377, Tristan Dubosc, chevalier, seigneur de Fammechon et de Raineval ; 1393, Gilles du Plessis-Brion, chevalier ; 1468, Loys de Soyecourt, chevalier, seigneur de Mouy, chambellan du roi, capitaine de Compiègne.

Tous les deux mois le bailli de Vermandois tenait ses assises à Montdidier ; la sentence la plus ancienne que nous connaissions est celle qui fut rendue en 1219, par Gilles de Versailles et Sigebert de Laon, relativement à un différend survenu entre le doyen de Coullemelle et l'abbé de Corbie :

« Gilo de Versaliis et Sigisbertus de Lauduno domini regis baillivi universis presentes litteras inspecturis salutem in Domino. Universitati vestre notum fieri volumus quod Radulfus decanus de Colomellis et homo venerabilis viri domini abbatis Corbeiæ in assisia Montis-Desiderii coram nobis constitutus crantanea voluntate creantavit, quod, si ipse aliquomodo quod absit, interciperet de pace facta inter abbatem Corbeiæ et ipsum, si tam monstrari poterit vel probari, quod hoc fecerit, quod ipse erit in fuga domini regis et de hoc faciendo abandonavit, et nos ad petitionem dicti Radulfi decani ut hoc firma sint et inconcussa presentibus litteris sigillorum nostrorum fecimus apponi testimonium. Actum apud Montem-Desiderii anno gratie M.CC.XIX. mense aprili, feria sexta post misericordiam Domini. »

On remarquera que, dans ce titre, deux baillis concourent à la rédaction du même acte. Le bailli de Vermandois était spécialement chargé de défendre les intérêts du roi ; c'est lui qui s'oppose aux usurpations de la justice municipale, et défère au parlement les affaires dans lesquelles il croit reconnaître une usurpation de pouvoir : nous avons cité plusieurs cas de cette espèce au chapitre de la Mairie. Le bailli avait mission de poursuivre toutes les infractions aux ordonnances concernant la monnaie ; nous avons vu (Liv. I, chap. iv, page 107) qu'en 1278 il en appela au parlement d'un ban relatif aux monnaies, que Robert de la Tournelle avait fait dans ses terres. En 1304, Jean de Waissi, bailli de Vermandois, fit arrêter un faux monnoyeur sur les terres de la Morlière, ferme dépendante de l'abbaye Saint-Quentin de Beauvais, et se réserva la connaissance de l'affaire, tout en déclarant qu'il n'entendait porter aucune atteinte à la justice de l'abbaye ; cette pièce est en français, et fera juger de l'idiome du temps :

« A tous ceux qui ces presentes lettres verront, Jehans de Waissi, chevaliers le roi garde de la baillie de Vermandois, salut. Comme debas soit entre nous d'une part pour le roy et religieux homes l'abbé et le couvent de Saint-Quentin de Biauvais d'autre seur ce que il requeroient estre ressaisi d'une prise de Raoul dit conte que nostre sergent si comme ils disoient avoient prins de leur volonté à la Morlière en leur joustice et seignorie haute et basse et leur joustissable.

Et nous d'autre part maintaingnons nous pour le roy que le dis Raouts est falmonnoiers faiserres et forgeurres de false monnoie contrefaite à la monnoie le roy. Et que le rois est en saisine de cognoistre partout son roiaulme et davoit la correction de ces malfaiteurs. Sachant tout que il nest mi de notre entente que cele prise dou dit Raoul au tamps à venir en saisine ou en proprieté porte ou puist porter aucun prejudice as dis religieux et autres cas de joustice haute et basse que ledit religieux ont ou pucent avoir audit lieu, ne pour le roy nen entendons acquerir aucun droit en autre cas. Donné à Montdidier, le mescredi après les octaules dou behordis l'an M.CCC et quatre. »

On appelait behordis, bouhourdis ou behourdiz, le premier dimanche du carême. Voyez sur ce mot le Glossaire de du Cange, au mot Behordicum.

Le bailli avait autorité sur le prévôt ; il était chargé de surveiller sa conduite et d'éclairer ses décisions ; quand il venait dans la ville remplir les devoirs de sa charge, on lui offrait le vin de présent. Dans un compte de 1402, on lit : Au bailli de Vermandois lorsqu'il vint tenir ses assises, 2 quenes. Une quenne, nous l'avons déjà dit, équivalait à 1 litre 90 centilitres.

L'usage de présenter des vins d'honneur n'avait rien que de très-innocent, et était trop répandu pour pouvoir exercer une influence fâcheuse sur l'esprit des hauts personnages qui étaient l'objet de cette marque de déférence ; cependant il paraît que les baillis de Vermandois ne se contentaient pas toujours de ces offrandes honorifiques, et que leurs jugements se ressentaient parfois de l'importance des dons qui leur étaient offerts. On peut consulter aux Archives nationales une enquête très-curieuse concernant une plainte en corruption intentée contre Matthieu de la Balne, bailli de Vermandois.

Le maire de Chauny, chargé de l'instruction de l'affaire , se rendit dans les différentes villes du bailliage (1261), où il recueillit des renseignements sur les faits imputés au bailli. De nombreux témoins furent entendus : le témoignage des habitants de Montdidier fut extrêmement favorable à Matthieu de la Balne. Pierre de Hangest, maïeur ; Aubert Geront, lieutenant du maïeur ; Colard de Quachi, argentier de la ville ; Pierre de Queulli, ancien maïeur ; Durand, prêtre, écrivain de la ville ; Jean Liebers, avocat ; Matthieu Germain ; Pierre de Gonmer ; Jean Bonnite, de Montdidier, ancien prévôt de Roye ; Garin Pigoux, prévôt de Montdidier ; Thomas de Luzarches ; Raoul de la Tournelle ; Guillaume Després ; Jean de Hangest, chevaliers, déposèrent, ainsi que les autres témoins, de la manière la plus avantageuse pour le bailli de Vermandois. Tous déclarèrent que Matthieu de la Balne avait constamment soutenu les intérêts du roi ; que ni lui, ni sa femme, ni son fils, n'avaient jamais rien reçu pour l'engager à se relâcher de ses devoirs. Cette prétendue accusation de corruption que l'on faisait peser sur lui se réduisait à ceci : lorsque le bailli venait présider les assises à Montdidier, la ville lui envoyait 10 à 1 5 sols environ ; on lui faisait ensuite quelque petit présent de peu de valeur : tantôt c'étaient quatre pots de vin, tantôt quatre chapons ; d'autres fois on lui offrait du poisson : un jour la ville fit cadeau aux deux clercs qui l'accompagnaient de deux bouches du prix de 40 sols. Matthieu Germain, marchand drapier, l'un des témoins, déclare que tout l'avantage qu'il accordait au bailli se bornait à lui vendre son drap au prix contant. Le seigneur de Genlis ayant envoyé 40 liv. au bailli pour se le rendre favorable dans une affaire qui l'intéressait, celui-ci les lui renvoya immédiatement. Matthieu de la Balue en agit de même avec l'abbé de Breteuil ; une fois seulement, l'abbé lui ayant fait présent d'un beau cierge du poids de soixante livres, le bailli le reçut et l'apporta à Montdidier.

Le résultat de l'enquête n'est pas connu. Le procès-verbal d'information, formant un cahier de parchemin grand in-quarto, est incomplet ; la partie contenant la déposition des habitants de Montdidier est conservée : nous avons trouvé les renseignements qu'elle renferme assez intéressants pour être rapportés in extenso. (Pièce just. 117.)

L'étendue du bailliage de Vermandois s'opposait à ce qu'un homme seul pût y rendre la justice ; pour le suppléer, le bailli avait dans son ressort des délégués auxquels était confié l'examen des affaires d'une importance secondaire : ces officiers prenaient le titre de garde du scel de la baillie de Vermandois, et rendaient leurs jugements au nom du bailli, dont ils étaient les remplaçants. Voici l'intitulé d'une de leurs sentences : « A tous chiaux que ches lettres verront et orront, Pierres de Biaumont, bailli de Vermandois, salut. Sachent tous que pardevant Thomas de Parviller, de Montdidier, garde du scel de la baillie de Vermandois estaulis en notre lieu de par le roy pour oir les convenenches et les recongnoissances faites en le prévosté, vinrent et furent en leurs propres personnes, etc. » Suivent le nom des parties et l'exposé de l'affaire (1323).

Le dénombrement des fiefs de la Porte du Châtel, que nous avons inséré aux Pièces justificatives, fait connaître les formalités que les gardes du scel devaient remplir, et la variété de leurs attributions. (Pièce just. 9.) Dans la suite, ces officiers firent précéder leurs actes de leur nom seulement, en y ajoutant cette formule : Garde de par le roy du scel de la baillie de Vermandois établi à Montdidier.

Les gardes-scel du bailliage de Vermandois continuèrent d'exercer leurs fonctions à Montdidier longtemps après que le bailli eut cessé d'y avoir aucune autorité : le titre se perpétua, mais les attributions se modifièrent et dégénérèrent entièrement de ce qu'elles étaient dans l'origine. A la fin du dix-septième siècle, on emploie encore l'expression de garde du scel, simplement comme clause de style, et c'est un notaire qui prend ce titre dans la rédaction d'un acte.

Charles VI ayant engagé, en 1418, les villes de Péronne, Montdidier et Roye au comte de Charolois (voir tome I, page 134), il s'ensuivit un démembrement dans le bailliage de Vermandois, et la réunion des trois villes sous les ordres d'un gouverneur général spécial. Le bailli n'eut plus dès lors aucun pouvoir à Montdidier ; la justice était rendue par un officier qui prenait le titre de lieutenant de monsieur le gouverneur et bailli de Péronne, Montdidier et Roye. Cette qualification de bailli, devenue purement honorifique, resta toujours jointe à celle de gouverneur général, et, pour distinguer ce dernier des baillis ordinaires, on l'appelait bailli d'épée.

Les baillis de Vermandois ne purent consentir bénévolement à ce morcellement de leur juridiction et à se voir sans autorité dans Montdidier, ville chief du pais et qui est l'une des principales chambres du bailliage de Vermandois, comme s'exprime Louis XI dans une lettre du 5 décembre 1478 (Pièce just. 38) ; aussi firent-ils tous leurs efforts pour faire rentrer cette cité sous leur domination, mais ce fut en vain : nos ancêtres repoussèrent constamment les prétentions des baillis. Le 8 août 1496, Charles VIII sanctionna la séparation, en déchargeant les trois villes d'un emprunt que Jean de Soissons, seigneur de Moreuil, bailli de Vermandois, avait établi sur elles, attendu que ce sont villes frontières et ne sont du bailliage de Vermandois.

Le sceau du bailliage de Vermandois, dont on se servait à Montdidier (1336-1439), représentait sur la face principale trois fleurs de lis, avec cette inscription en lettres gothiques : X S. Ballivie Viromanie Mondisdesid. constitutum ; et sur le revers trois autres fleurs de lis plus petites, et autour : Cont. Balliv. Viromanie Montidesid.

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