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Histoire de Montdidier
Livre IV - Chapitre II - Section XIII

par Victor de Beauvillé

CAPPERONNIER (Jean), neveu du précédent, naquit à Montdidier le 19 mars 1716 ; son père, Jean Capperonnier, exerçait la profession de tanneur ; sa mère s'appelait Jeanne Clément. A peine Jean Capperonnier avait-il commencé ses classes au collége de Montdidier, qu'il perdit son père, et fut envoyé chez un de ses parents, curé de la Hérelle. Celui-ci, apercevant de rares dispositions dans l'élève confié à ses soins, en prévint sa famille, qui le plaça au collége des Jésuites à Amiens, où les études étaient très-florissantes ; notre concitoyen s'y distingua par de rapides succès, et ses premiers pas dans la carrière des lettres furent pour lui autant de triomphes.

Claude Capperonnier suivait avec intérêt les progrès de son jeune parent : en 1732, il l'appela à Paris ; l'année suivante il l'attacha à la Bibliothèque du roi, et le fit travailler avec lui. Sous les yeux d'un tel maître, et avec les heureuses facultés dont la nature l'avait doué, le neveu ne tarda pas à devenir le digne émule de son oncle, qui, peu de temps avant sa mort, sollicita et obtint de l'avoir pour successeur au Collége de France, le 20 novembre 1743.

Jean Capperonnier justifia la faveur dont il avait été l'objet, en continuant les traditions qu'il avait reçues de son oncle. En 1748, il fut nommé garde en second des livres à la Bibliothèque du Roi ; l'Académie des inscriptions et belles-lettres l'élut, en 1749, à une place d'associé vacante par le décès d'Otter, et en 1759 il fut appelé à la conservation des manuscrits, en remplacement de Melot. L'année suivante, il quitta ce département pour prendre la direction des imprimés, après la mort de Sallier, son ami. Capperonnier était dans son élément au milieu des livres ; c'est lui qui a classé, à la Bibliothèque du roi, toutes les acquisitions provenant des bibliothèques de Falconnet et de Huet ; il enrichit aussi cet établissement de trésors littéraires tirés des bibliothèques du duc de la Vallière et de Fontanieu ; il travailla assidûment à la formation du catalogue des imprimés, ouvrage que l'on peut comparer à juste titre à la toile de Pénélope.

Jean Capperonnier mourut, le 30 mai 1775, des suites d'une attaque de goutte qu'il avait éprouvée le 15 du même mois ; il n'était point sujet à cette maladie, et c'était la première fois qu'il en ressentait les atteintes. Capperonnier avait épousé, le 4 octobre 1759, Marie Burgau, fille de Jean Baptiste Burgau, marchand à Amiens. Il laissa une fille et un fils qui devait, plus tard, occuper la place de conservateur de la Bibliothèque du Roi, mais le sort en disposa autrement ; ce jeune homme se noya en 1780 avec plusieurs de ses compagnons, en faisant une partie d'eau à Saint-Cloud.

Jean Capperonnier était plus homme du monde que son oncle ; il était aussi complaisant que lui, et saisissait toutes les occasions de rendre service. Il secondait avec empressement les savants dans leurs entreprises littéraires, et leur prodiguait sans arrière-pensée les secours dont ils avaient besoin. Il jugeait les autres d'après lui-même : incapable de soupçonner le mal, il ne sut jamais se défier de personne ; aussi fut-il plus d'une fois la dupe de la bonté de son cœur.

Nous avons, en parlant de Bejot, fait connaître le caractère du bibliothécaire, tracé par Dacier ; le même sujet a été traité par Dupuy, dans l'Éloge de Capperonnier, lu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, au mois de novembre 1775. Cette joute littéraire entre deux secrétaires de l'illustre compagnie offre un vif intérêt :

« Le choix d'un garde particulier de la Bibliothèque royale est assurément bien capable d'intéresser l'amour-propre ; il suppose un mérite proportionné à l'immensité du dépôt confié à la vigilance ; mais le sort de celui qu'il honore sans doute est peut-être, aux yeux de l'homme de lettres qui l'examine de près, incomparablement plus déplorable que digne d'envie.

Administrateur du patrimoine des Muses, leur commerce intime, ce doux charme de la vie littéraire, lui est presque interdit. Au milieu de leur sanctuaire, il est comme séquestré de leur société. Ce n'est ni à s'insinuer dans leur plus secrète familiarité par des soins étudiés, ni à mériter pour salaire leurs plus séduisantes faveurs, que s'exercent toutes les facultés de son âme ; chargé en quelque sorte de les approvisionner, de les alimenter, il s'agite loin d'elles pour reconnaître leurs possessions, pour les accroître, les améliorer ; et tandis qu'occupé sans relâche à reculer les bornes de leur empire, à mettre tout en valeur, à combler les intervalles, à remplir les vides, à porter dans toutes les parties l'ordre et la vie, s'il abrége et facilite les travaux, s'il fait d'abondantes récoltes, s'il accumule des trésors, il multiplie des jouissances qui ordinairement ne sont pas pour lui.

La science, même la plus nécessaire à ses vues comme une des plus utiles au bien des lettres, celle qui doit diriger tous ses moments et en assurer le succès, la bibliographie, science de libraire instruit, aussi sèche qu'épineuse en elle-même, le dévoue impitoyablement à la recherche fastidieuse de petits faits et de menus détails de typographie, d'où ne peut résulter pour lui que la connaissance historique des livres, souvent si étrangère à la vraie science, celle des choses et des vérités que les livres enseignent..... Rarement est-il soutenu par l'espoir consolant du tribut de la reconnaissance dû à ses travaux obscurs et presque toujours ignorés. Qu'a-t-il donc fait pour les lettres ? demande-t-on quelquefois. Par quelle production de génie son nom s'est-il illustré ? Comme si la postérité ne devait pas lui tenir compte de tout ce qui n'aurait pas été fait sans lui: Eh ! sait-on combien de germes seraient restés à jamais stériles, s'il n'eût suggéré le moyen de les vivifier ? Sait-on combien il a indiqué de  sources inconnues où il fallait puiser, de routes secrètes qu'il fallait suivre ; combien de circuits, de détours, de faux pas, d'erreurs, de moments précieux il a épargnés à ceux qui ont imploré le secours de son expérience et de ses lumières ! »

Capperonnier a publié différentes éditions des auteurs grecs et latins, et composé plusieurs mémoires qui se font remarquer par une érudition pleine de goût et de savantes recherches :

Dissertation sur les ilotes, esclaves des Athéniens, lue à la séance publique de l'Académie, à Pâques, 1749. Mém. de l'Acad. des inscript. et bell.-lett., 1756, tome XXIII.

Observations sur l'ouvrage de Denys d'Halicarnasse, intitulé :De l'excellence de l'élévation de Démosthène, publiées en 1750. Mém. de l'Acad. des inscript. et bell.-lett., 1756, tome XXIV.

Mémoire sur Pérégrin le Cynique, lu le 5 septembre 1752. Mém. de l'Acad. des inscript. et bell.-lett., 1761, tome XXVIII.

ΑΝΑΚΡΕΟΝΤΟΣ ΤΗΙΟΥ ΜΕΛΗ, LutetiæParisiorum,apud Joannem Augustinum Grangé, 1754.

A la suite du texte grec on trouve :

Les poésies d'Anacréon, traduites du grec en vers francais par F. G. (François Gaçon). A Paris, chez Grangé, libraire-imprimeur au Palais, et rue de la Parcheminerie, vis-à-vis le passage Saint-Severin, MDCCLIV, in-18.

Le texte grec a été revu par Capperonnier. Ce petit volume présente cette singularité, que les pages ne sont pas chiffrées ; il n'y a ni préface ni table.

Caii Julii Cæsaris Commentariorum de Bello gallico libri septem. Parisiis, Barbou, 1755, 2 vol. in-12. Cartes.

Le second volume est consacré à la guerre civile et aux commentaires

Quinti Curtu Rufi de rebus gestis Alexandri Magni, libri decem. Parisiis, Barbou, 1757, in-12.

Marci Accii Plauti comœdiæ quæ supersunt. Parisiis, Barbou, 1759, 3 vol. in-12.

Histoire de saint Louis, par Jehan sire de Joinville ; les Annales de son règne, par Guillaume de Nangis ; sa Vie et ses miracles, par le confesseur de la reine Marguerite ; le tout publié d'après les manuscrits de la Bibliothèque du roi, et accompagné d'un glossaire (par Melot, Sallier et Capperonnier). Paris, de l'Imprimerie royale, 1761, in-folio.

Justini Historiarum ex Trogo Pompeio libri XLIV. Parisiis, Barbou, 1770, in-12.

Sophoclis tragœdiæ septem, cum interpretatione latina et scholiis veteribus ac novis. Editionem curavit Joannes Capperonnier, regiæ Bibliothecæ custos, regiæ inscriptionum Academiæ socius, regius lector et græcæ linguæ professor. Eo defuncto, edidit, notas, præfactionem et indicem adjecit, Joannes Franciscus Vauvilliers, regius lector, et græcæ linguæ professor. Parisiis, Pissot, 1781, 2 vol. in-4°.

Cette édition, dont le texte a été soigné par Capperonnier, est recherchée ; elle fut publiée après sa mort par Vauvilliers, professeur de langue grecque au Collége de France. Les notes, qui sont toutes de ce dernier, prouvent une grande connaissance de la langue et de la prosodie grecques.

Quintilien, de l'Institution de l'orateur, traduit par M. l'abbé Gédoyn ; quatrième édition, revue, corrigée et augmentée des passages omis par le traducteur, d'après un mémoire manuscrit de M. Capperonnier : Paris, Brbou, 1803, 4 vol. in-12.

Idem, nouvelle édition, avec texte latin, revue, etc. Paris, Volland, 1810, 6 vol. in-8°. Autre édition. Lyon, Leroy, 1812, 6 vol. in-12.

Capperonnier avait présidé, dans la dernière année de sa vie, à l'édition des voyages de Montaigne, philosophe avec lequel il avait quelque ressemblance, dit un de ses collègues à l'académie d'Amiens, ne fût-ce que par la naïveté énergique de ses jugements et de ses expressions. Ce voyage a été imprimé sous ce titre : Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie, avec des notes par Meusnier de Querlon. Rome (Paris), 1774, in-quarto. Il a été imprimé en même temps une édition en 2 vol. in-douze, et une autre en 3 vol. même format. Le nom de Meunier de Querlon, placé en tête de l'ouvrage, pourrait faire croire qu'on lui est redevable de cette publication ; il n'en est rien cependant : lui-même reconnaît dans la préface que c'est Capperonnier qui a examiné le manuscrit de Montaigne, en a constaté l'authenticité et surveillé l'impression.

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