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Histoire de Montdidier
Livre IV - Chapitre II - Section XXIII

par Victor de Beauvillé

DUFEU (Romain), médecin et directeur de l'Université de Paris, naquit à Montdidier vers le milieu du seizième siècle. Comme Fernel, son compatriote, il avait, avant de s'adonner à la médecine, professé la rhétorique ; ayant eu occasion de haranguer Henri IV, ce monarque lui demanda ce qu'il professait : La médecine, répondit Dufeu. Mon Université est donc bien malade, répliqua le roi, puisqu'il lui faut un médecin. En qualité de recteur de l'Université, il prononça en présence du roi sur la grossesse de Marie de Médicis un discours qui obtint l'approbation générale ; devançant l'avenir, l'orateur prédit au roi que la reine était grosse d'un fils et qu'elle donnerait un Dauphin à la France. Henri IV l'ayant assuré que si la reine accouchait d'un fils il en serait le premier médecin, Dufeu en ressentit une telle joie que le jour même, après avoir soupé avec ses amis, il se trouva mal ; on n'eut que le temps de lui administrer les sacrements, et il mourut sans avoir vu l'accomplissement de sa promesse.

Les Mathurins du faubourg Saint-Jacques réclamèrent ses restes, prétendant que leur église servait de lieu de sépulture aux recteurs décédés en exercice ; il y eut contestation à ce sujet, et l'on se disputa la possession d'un cadavre. Le frère du défunt fit enlever et déposer le corps dans la chapelle du collége de Navarre, où les religieux de tous les ordres vinrent réciter les dernières prières. Les Mathurins échouèrent dans leur prétention, et, comme Romain Dufeu était mort sur la paroisse de Saint-Étienne du Mont, il fut inhumé dans la nef de cette église, vis-à-vis le crucifix.

Ses funérailles furent magnifiques : les cours souveraines y assistèrent ; le premier président au parlement menait le deuil. Suivant l'usage, les parents du défunt étaient accompagnés d'une personne qui leur servait de parrain, et marchait à côté d'eux pendant la cérémonie. Achille de Harlay remplit cet office auprès du frère de Romain Dufeu. Cette coutume s'observait encore à Beauvais il y a quelques années. Le corps, entouré de deux chapelles ardentes chargées de vingt-quatre douzaines de torches, fut porté, la face découverte, dans toute l'Université. Les rues que traversait le cortége étaient tendues de noir. Les officiers de l'Université, revêtus de leurs robes et portant leurs masses d'or et d'argent, escortaient le corps ; conformément à une ancienne tradition, ils gardèrent leur office et leur messe. Chaque masse était estimée six cents écus ; les offices, au nombre de seize, valaient deux cents écus.

L'oraison funèbre de Dufeu, prononcée par Caye, docteur de Sorbonne, était conservée dans la bibliothèque des Célestins à Paris. La famille Dufeu, dont plusieurs membres avaient adopté, dans le seizième siècle, les doctrines de Calvin, est éteinte ; elle portait pour armoiries : d'azur, à la salamandre d'argent enflammée de gueules.

Le P. Daire place en 1600 la mort de Romain Dufeu ; Lottin, au contraire, et M. Vallet de Viriville, dans son Histoire de l'instruction publique, font figurer Romain Dufeu comme recteur de l'Université à la date de 1601-1602 ; ainsi il y a entre Daire et eux une contradiction formelle. Selon nous, le P. Daire se trompe. Louis XIII étant né le 27 septembre 1601, le recteur n'a pu, dès 1600, prédire à la reine qu'elle accoucherait d'un fils ; en supposant l'anecdote vraie, il y aurait erreur d'abord quant à la date, puis relativement à l'époque du décès de Romain Dufeu, fixée en 1600 par le P. Daire. Dans le Catalogue chronologique des libraires, Lottin donne la liste des recteurs, extraite des registres de l'Université, par Darragon, qui en était greffier ; or ces registres contenaient, pour 1601, la mention suivante : 10 october. Romanus Dufeu. Baccaloreus medicus. Le doute n'est donc plus possible. Il résulte évidemment de là que Romain Dufeu survécut à la naissance de Louis XIII, ce qui détruit complétement les circonstances rapportées sur sa mort par le P. Daire. Que la prophétie de notre compatriote soit apocryphe, et que l'on ait embelli la cause de son décès, ce sont deux faits qui n'ont pas en eux-mêmes une grande importance ; c'est à titre de recteur du premier corps enseignant de France que nous donnons place à Romain Dufeu dans cette Biographie : ce titre honorable, personne ne peut le lui contester.

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