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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IX - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Tumulte causé par les querelles religieuses

Passage du régiment de Fervaques

Maladies contagieuses

Processions blanches

Disette

Union qui se forme entre différentes villes

Remontrances dont elle est l'objet

 

Le serment que les habitants prêtèrent à la Ligue réveilla les querelles religieuses mal assoupies, et causa de nouveaux troubles.

Le 14 avril 157, fête de la Quasimodo et les deux jours suivants, il y eut une sédition des plus graves. Pierre Cousin, apothicaire, greffier au grenier à sel, et Claude de la Morlière, sa femme, qui professaient la religion réformée, furent tués, plusieurs calvinistes arrêtés et mis en prison ; le maire Bon Bloquel se réfugia dans la maison d'un nommé Alexandre du Castel, il y fut cerné, et soutint une sorte de siége ; la ville dut payer au propriétaire une somme de 22 liv. 14 sols à titre d'indemnité.

Afin de prévenir l'entrée des personnes suspectes, on défendit, le 1er août 1578, de louer aucune maison ou héritage à tout individu étranger et inconnu, à moins qu'auparavant il n'eut été reçu comme habitant par les maire et échevins ; on pourvut à la défense de la place, on fondit et on monta deux moyennes pièces d'artillerie et quatre fauconneaux, pesant ensemble six mille cinq cent deux livres ; il en coûta 150 liv. pour la façon.

Le 19 septembre, la ville fut tout en émoi. Le régiment de Fervarques traversait le faubourg, se rendant au siége de la Fère. Un paysan de Solente, près Roye, reconnaissant entre les mains d'un soldat son cheval qui lui avait été enlevé, le reprit ; une lutte s'engagea entre eux : les soldats soutinrent leur camarade, et les bourgeois accoururent au secours du paysan. La melée devint générale ; de part et d'autre, on tira des coups de fusils ; plusieurs hommes restèrent sur la place ; les soldats eurent le dessous et se sauvèrent, abandonnant leur bagage, qui fut pillé. Dans leur fuite, ils rencontrèrent un habitant de Montdidier, nommé Jacques Cotelle, et l'emmenèrent prisonnier. Le maire et les échevins firent tous leurs efforts pour recouvrer le bagage, mais ils n'y réussirent qu'en partie. Cette affaire pouvait avoir des suites fâcheuses ; heureusement notre gouverneur général, Jacques d'Humières, et de Gouffier de Crèvecœur, lieutenant général en Picardie, étaient inexorables sur la discipline militaire : apprenant ce qui était arrivé au régiment de Fervaques, ils blâmèrent les maire et échevins de ne l'avoir pas fait tailler en pièces.

Au mois de mai 1579, Michel d'Estourmel, seigneur de Templeux, fit son entrée à Montdidier ; cent vingt habitants, avec arquebuses et morions, allèrent à sa rencontre ; les armes de la famille d'Estourmel étaient placées au-dessus des portes et des édifices ; on fit présent au nouveau gouverneur général d'une pièce de vin : les frais de cette réception s'élevèrent à la somme de 122 liv. 18 sols.

En 1581, une maladie contagieuse nommée la coqueluche fit des ravages considérables.Un grand nombre de personnes en moururent ; beaucoup quittèrent la ville, et allèrent pendant plusieurs mois demeurer dans les villages environnants, attendant la cessation de l'épidémie. Le nom de coqueluche vient, dit M. Leber, de ce que les personnes atteintes de cette maladie portaient le coqueluchon relevé sur la tette pour ne pas aggraver leur maladie ; au lieu de le laisser rabattre sur leurs épaules, suivant la mode la plus ordinaire, d'où le nom de coqueluche fut donné à un mal qui mettait en Pair tant de coqueluchons. Cette maladie fut le précurseur de la peste qui régna dans le pays en 1582, 1583, 1584. Pour conjurer ce fléau, on faisait des processions blanches, ainsi nommées parce que les pénitents étaient revêtus d'habillements blancs.

En 1583, les habitants de Roye vinrent en procession à Montdidier, honorer les reliques des saints Lugle et Luglien ; la ville leur présenta seize quennes de vin : nos compatriotes ne voulurent point rester en arrière de leurs voisins, et, au mois de novembre de cette année, ils se rendirent processionnellement à Saint-Florent de Roye, portant le chef de saint Lugle, auquel on avait fait faire un palme ; ces pieux pèlerins étaient précédés d'une bannière en damas blanc, à franges, dont la façon avait exigé deux aunes et demie d'étoffe.

La reine-mère Catherine de Médicis, se trouvant cette année à Maignelay, le maïeur François Gonnet et les échevins allèrent lui présenter leurs hommages et l'entretenir des affaires publiques. Le 9 avril 1584, en exécution des lettres royales relatives à une contribution à asseoir sur les villes closes, on fit une levée de 3,000 liv. sur Péronne, Montdidier et Roye ; notre cité paya 900 liv. pour sa part.

La mort du duc d'Alençon, frère du roi, et le défaut de postérité de Henri III, donnèrent l'essor à l'ambition du duc de Guise : sous prétexte d'empêcher que la couronne ne passât sur la tête d'un hérétique, il se mit à la tête de la Ligue, et devint le plus dangereux adversaire de la royauté. Les Guise, Henri III et le roi de Navarre étaient chacun à la tête d'un parti. Les ligueurs s'emparèrent de plusieurs villes, et la guerre civile désola la royaume.

Au mois d'avril 1585, Henri III écrivit au majeur pour l'exhorter à conserver la ville sous son obéissance ; il lui ordonnait de n'y laisser pénétrer aucun prince ou seigneur sans lettre de commandement ou passe-port spécial, et, dans le cas où le duc d'Aumale s'y présenteroit, de lui en refuser l'entrée. Sur le vu de cette lettre, datée du 15, on résolut de faire bonne garde, et de veiller nuit et jour à la conservation de la place.

Le 8 août, à huit heures du matin, l'on fit une procession générale, suivie de feux de joie, pour rendre grâces à Dieu du traité de paix conclu à Nemours le 7 juillet précédent ; ce traité de paix et ces manifestations publiques n'empêchaient pas la misère d'être fort grande.

Le 27 avril 1586, on obligea les pauvres à travailler aux fortifications ; les habitants des villages environnants furent contraints de nourrir ceux de leur commune qui faisaient alors, comme aujourd'hui, invasion dans la ville. En 1586, le blé, qui ne valait au commencement de l'année que 30 ou 40 sols le setier, renchérit depuis Pâques jusqu'au mois d'août : il se tint assez longtemps au prix de 6 liv. le setier ; après le mois d'août, il valait encore 4 liv. ; il commença à augmenter de nouveau à la fin d'octobre, et, le 16 novembre, on fut obligé d'établir une assiette sur les habitants pour subvenir à la nourriture des indigents. Le 29, on défendit de vendre du blé ailleurs qu'au marché, et d'en faire des provisions ; on permit seulement d'en avoir pour vivre au jour le jour, et l'on fit un nouvel emprunt sur les habitants aisés. Le prix du blé continua d'aller en augmentant ; il valait 6 liv. le setier au mois de mars 1587, 8 liv. à la fin du mois d'avril ; au commencement de juillet il coûtait 14 et 15 liv. tournois le setier (31 fr. 50 c.), somme inouïe pour cette époque.

Les villes qui faisaient partie de la Ligue s'envoyaient des députés afin de se maintenir réciproquement dans l'union ; en 1588, un échevin de Paris vint à Montdidier pour conférer avec l'échevinage.

Le 27 mai, Charles d'Halwin, seigneur de Piennes, informa le maïeur qu'il viendrait coucher le jour même à Montdidier avec les seigneurs de Crèvecœur, d'Humières, de Chaulne et d'Estrées. Comme l'on se défiait les uns des autres, on résolut de ne les admettre dans la ville qu'avec une suite de dix hommes seulement par seigneur. Lorsqu'ils se presentèrent, une contestation s'éleva entre eux et François de Conty, seigneur de Rocquencourt, capitaine de Montdidier, qui était du parti opposé au leur ; ils se piquèrent de ses paroles, et, arrivés à la première barrière du faubourg, ils firent retourner leurs carrosses et rebroussèrent chemin. Comme leur ressentiment pouvait être à craindre, le gouverneur général fut informé de ce qui s'était passé ; il approuva la conduite du sieur de Conty, et répondit qu'il n'entendoit nullement qu'il se fit aucune assemblée à Montdidier sans son veu et exprès commandement, et qu'on eût à le faire savoir auxdits seigneurs, engageant le maire de faire faire bonne garde à cause des nouveaux troubles qui se préparoient de toutes parts.

Au mois de juin, on reçut des lettres du prévôt des marchands de Paris, datées du 10 ce mois ; il invitait les maire et échevins à s'unir à eux pour aviser aux remèdes les plus expédients à la restauration de l'État.

De semblables dépêches avaient déjà été envoyées par l'échevinage d'Amiens, avec une copie de la résolution prise par les Amiénois, le 3 juin, de s'unir avec les Parisiens afin de défendre la sainte Union. L'on s'assembla à l'hôtel de ville (9 juin) pour délibérer sur la réponse à faire. Les maire et échevins répondirent à leurs confrères d'Amiens « qu'ils s'unissoient à eux, les assurant qu'ils n'ont voisins qui de meilleure volonté les assistent à la manutention de l'honneur et gloire de Dieu, extirpation des hérétiques, debvoir et obéissance au roi et repos du public. »

Cette délibération ne passa pas à l'unanimité ; plus d'un bon citoyen vit bien qu'à la faveur de la religion, l'union des villes de Paris, Amiens et autres ne tendait qu'à substituer une autorité étrangère à celle du roi.

François Grandvalet s'éleva avec force contre cette nouvelle Ligue, et déclara qu'il avoit toujours eu grand respect pour la religion catholique, apostolique et romaine, en laquelle il avoit esté baptisé et vescu et délibéré y vivre et mourir, et qu'entre les points de sa religion il est nécesaire aux sujets de porter obéissance au prince, ce qui est de très exprès commandement de Dieu, contre lequel il scavoit les habitans de Paris avoir offensé, pourquoi n'estoit d'avis d'entrer en union avec eux, avec d'autant plus de raison que trois ans auparavant la ville avoit assuré Sa Majesté d'une parfaite soumission et d'une fidélité inviolable, néanmoins trouvoit fort bon pour la conservation de la religion catholique, apostolique et romaine, de présenter tres humble requete à Sa Majesté. »

Ces sages observations ne furent pas écoutées et ne pouvaient l'être ; les chefs du gouvernement étaient les premiers à favoriser la Ligue ; mais il y avait du courage, au milieu des circonstances où l'on se trouvait, à faire entendre des paroles de soumission au roi et de mépris pour la révolte. Le jour même où Grandvalet faisait ses généreuses remontrances, le gouverneur général écrivait de Péronne aux maïeur et échevins qu'il a trouvé bon que ceux de Péronne aient signé la requête qu'un habitant de la ville d'Amiens leur a présentée et qu'ils aient à en faire autant. Michel d'Estourmel envoyait en même temps un extrait de l'acte signé à Péronne.

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