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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IX - Section VI

par Victor de Beauvillé

Section VI

Traité pour la reddition de Péronne, Montdidier et Roye

 

Gonnet alla ensuite à Paris pour négocier la remise de Péronne, Montdidier et Roye entre les mains de Henri IV ; le traité concernant la soumission des trois villes fut présenté au roi en son conseil le 23 avril 1594 ; les articles qu'il contenait furent presque tous approuvés ; nous mettons sous les yeux du lecteur la teneur entière de cet acte important :

« Articles pour le gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye que le sieur d'Estourmel, chevalier de l'ordre, gouverneur et lieutenant général audit gouvernement pour Sa Majesté, laquelle il supplie très-humblement accorder pour le bien de son service, repos et tranquillité de ses subjets ; qui luy ont voué et vouent comme à leur souverain et naturel prince tout ce qui lui est deub de respect, d'honneur, de crainte et obéissance, soub laquelle en toute humilité et soubmission ils font ces très humbles supplications.

1° Qu'ès villes et en toute l'estendue dud. gouvernement n'y aura autre religion exercée que la catholique, apostolique et romaine, soub les statuts et ordonnances de l'Église.

Le roy veut que dans les villes de Péronne, Montdidier et Roye il ne se fasse aucun exercice de religion que la catholique apostolique et romaine, ne ès autres lieux deffendus par l’edit de 1577 et déclaration faite par Sa Majesté pour l'observation d'iceluy.

2° Que le sieur Destourmel, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté, demeurera paisible en iceluy aux grades, autorités, honneurs sans aucune altération ou changement, demeurant led. gouvernement séparé comme de tout temps de celuy de la Picardie, ne qu'il soit tenu recognoître en son dit gouvernement autre que son roy et naturel prince, et que les despesches pour ledit gouvernement et distribution de deniers pour fortifications s'adresseront à luy seul ; et en seront expédiées lettres s'il plaist à Sa Majesté….. Accordé.

3° Que le sieur de Surville, son fils, très-humble serviteur de Sa Majesté, sera s'il luy plaist installé et recognu aud. gouvernement pour son service durant la vie dud. sieur d'Estourmel pour en jouir après son décès en tout effet aux mesmes autorités, et des maintenant qu'il y sera recognu pour son lieutenant général, et en avoir lettres de Sa Majesté avec assignation pour ledit estat s'il plaist à sad. Majesté….. Accordé.

4° Que la compagnie du sieur de Surville de cent chevaux, et régiment de 12 compagnies du sieur de Plainville seront entretenues et paiées pour estre emploiées au service de Sa Majesté, ensemble les compagnies de cavallerie qui sont aud. Péronne….. Accordé.

5° Plaira aussi à sa Majesté conserver en leurs états de commissaire et controlleur des guerres M. Guillaume de Poisblanc et M. Charles Hochedé pour faire les monstres aux compagnies susd. et en faire expédier lettres.

Seront expediées aux dessusdits commissaires lettres pour faire les monstres auxdits gens de guerre.

6° Que les sieurs de Rocquencourt et Orvillers, capitaines de Montdidier et Roye, seront, s'il plaist à Sa Majesté, conservés au paiement de l'estat qu'ils ont touché durant cette guerre qui est à raison de cent livres par mois….. Accordé.

7° Que tous ecclesiastiques, seigneurs, gentilshommes et communautés seront conservés et gardés en leurs priviléges et immunités conformément à iceux... Accordé comme ils ont joui paravant les guerres.

8° Que les villes de Peronne, Montdidier et Roye seront conservées en leurs franchises et priviléges, foires et francs marchés, autorisant et confirmant de rechef la jouissance et lettres qui en ont esté obtenues, et tous les offices y maintenus et conservés, sans estre tenus, s'il plaist à Sa Majesté paier aucune finance pour l'obtention desdites lettres….. Accordé sans paier finances.

9° Demeureront quittes s'il plaist à Sa Majesté des tailles des années passées sans qu'ils puissent estre inquiétés, et pour cette année selon le don qui en a esté fait pour pouvoir continuer les fortifications et paiement de ce qui en est deub, et descharger à l'advenir d'icelles, comme les autres villes frontières en considération de leur ruine et pauvreté, et outre ce leur confirmer s'il plaist à sud. Majesté le don de la propriété et courant de 325 liv. de rente deüe par la ville de Montdidier au défunt sieur de Chepoix, pour les causes et raisons portées aux lettres des dons faits et expédiés le 18e jour de may 1590.

Le roy remet et fait don aux supplians de ce qu'ils doivent depuis les présens troubles jusques au dernier jour de l'an passé, et de cette année, excepté du taillon et entretenements du prevost des mareschaux, et les descharge par mesme moien du paiement de la rente de 325 liv. à l'advenir, de laquelle estoit chargée la ville de Montdidier envers les héritiers et successeurs du sieur de Chepoix, attendu qu'il ne s'en trouve aucun à présent.

10° Que tous impost bureaux et subsides seront ostés et le sel remis au prix qu'il estoit en l'an 1575, s'il plaist à Sa Majesté.

Les imposts extraordinaires seront ostés et pourvoira Sa Majesté au soulagement des supplians faisant le règlement général pour ce qui se lève sur le sel.

11° Que ceux qui ont été absens de la ville et autres qui y sont demeurés ne pourront user de répétition, plainte ou recherche pour leur sortie, ventes de meubles et exercices de leurs offices, jouissance de biens comme deniers levés et baillés pour le paiement de la garde desd. villes, ou autres choses prises pour munitions de gens de guerre et fortifications desd. Villes et bois couppés, ruines et desmolitions de chateaux et autres lieux pour quelque estime et valeur qu'ils puissent estre et sans distinction de personnes.

Accordé pour ce qui s'est fait à l'occasion des guerres et durant icelles.

12° Que nulle recherche sera faite pour la levée, prise et emploitte des deniers de quelque nature et qualité qu'ils soient, mesme de ceux provenans de saisies ou autrement emploiés aux soldats et paiements des gens de guerre, fortifications des dites places, fontes d'artillerie, voyages, taxations, pensions et autres choses nécessaires, ains en demeureront deschargés le dit seigneur gouverneur et autres ordonateurs sans qu'ils en puissent ny leurs commis et esleus estre recherchés, ny leur postérité, pour quelque cause que ce soit imposant sur ce silence à la cour du parlement, chambre des comptes généraux, procureurs du roy substitut et autres.

13° Et en conséquence que les receveurs et comptables desd. deniers en seront et demeureront deschargés par l'ostension seule des ordonnances des princes, gouverneurs et magistrats sans les rechercher plus avant, ny destre tenus d'enseigner de plus grande diligence que ce qu'ils montreront et affirmeront, nonobstant jugemens ou arrets donnés ou a donner qui n'auront aucun effet ou force, lesquels seront revoqués et cassés sans que ceux qui les ont obtenus s'en puissent aucunement servir ou ayder contre lesdits receveurs ou ordonnateurs….. Accordé comme le précedent, c'est à dire pour ce qui s'est fait à l'occasion de la guerre et durant icelle.

14° Que les officiers pourveus en office ou commission durant le trouble demeureront, supplians très humblement Sa Majesté de vouloir ainsi ordonner principalement pour l'estat d'advocat et procureurs du roy en ladite ville et gouvernement de Montdidier, et que l'estat de substitut créé en office demeurera à celui qui en est pourveu.

Le roy gratifie ceux qui ont obtenu des estats du duc de Mayenne de la provision d'iceux, pourveu que la fonction se fasse, et ayent vacqué esdites villes sans pour ce payer finance.

15° Plaira aussi à Sa Majesté confirmer le sieur de Torvéon en ses etats de tresorier des Suisses de la garde et commissaire des guerres et autres etats dont il est pourveu….. Accordé.

16° Que la justice dud. gouvernement et prevoté de Montdidier sera remise en son entier, s'il plaist à Sa Majesté, comme elle estoit auparavant la creation du présidial de Beauvais et duché de Halluin, et qu'il sera erigé s'il plaist à Sa Majesté un présidial aud. Montdidier pour le bien et soulagement des habitans dud. gouvernement.

Le roi ne peut à présent rien innover en ce qui a esté fait par les rois ses predecesseurs et veriffié à la cour de parlement.

17° Que nulle recherche sera faite, plaintes ou poursuites aucunes pour prises ou jouissances de biens, pensions, donnations ou taxes accordées durant les troubles et ne sera faite aucune repetition de receu ou touché.

Accordé pour ce qui s'est fait à l'occasion de la guerre et durant icelle.

18° Que les bénéficiers pourveus durant la guerre demeureront en la jouissance de leurs bénéfices.

Accordé pour les bénéfices desquels la fonction est esdites villes pourveus qu'ils ne soient consistoriaux.

19° Que tous les ecclesiastiques, gentilshommes officiers et autres qui se sont refugiés aux villes desd. gouvernement, se pourront retirer ès villes et lieux de leurs demeurances, ou demeurer esd. villes du gouvernement, si bon leur semble, le tout avec la jouissance de leurs bénéfices, offices et biens esquels sa Majesté les a remis….. Accordé.

20° Plaira à Sa Majesté accorder aux habitants de la ville de Roye l'establissement d'un majeur et quatre eschevins pour la justice et police de là ville, comme il se fait ausd. villes de Péronne et Montdidier….. Accordé.

21° Qu'il plaise aussi à Sa Majesté conserver et maintenir les doien, chanoines et chapitre de l'église de Roye, en leurs privilèges et franchise….. Accordé.

22° Et en considération des pertes qu'ils ont souffertes à la surprise de la dite ville faite le 21 janvier dernier, leurs vouloir donner, quitter et remettre les decimes ordinaires et extraordinaires, tant celles qu'ils doivent d'arrérages jusques a present que celles qu'ils pourront debvoir et pourront estre cottisés par l'espace de dix ans, ensemble leur donner et quitter ce à quoy ils sont cottisés pour la subvention et aliennation accordée par le clergé au feu roi Henri III en l'année 1588 qu'ils n'ont encore paié et de leurs en vouloir bailler pleine et entière main levée et descharge.

Le roi remet aux supplians ce qu'ils peuvent debvoir du passé jusques au terme de paiement escheant en février dernier passé. Et ne peut à présent Sa Majesté pour la necessité de ses affaires descharger les supplians pour l'advenir ne leur donner et quitter les deniers de ladite alliénation, lesquel ont été assignés dès le temps du feu roy.

23° Qu'il plaise aussi à sa Majesté vouloir ordonner que tous les habitants de ladite ville demeureront deschargés à leurs cautions pour les rançons en quoy ils se sont obligés, et que toutes les obligations, cédulles et promesses faites pour ce fait demeureront nulles et cassées encore qu'elles soient clauses de pur prest, sans que les crediteurs s'en puissent aucunement servir, et en vouloir faire expédier lettres sur le grand sceau : faisant deffenses à tous juges ne prendre cognoissance dudit fait et n'estre fait aucune poursuite, et que les dites obligations leur seront rendues comme cassées et nulles nonobstant oppositions ni appellations quelconques.

Accordé pour les rançons prétendues par la surprise de ladite ville.

24° Lesquels habitants de ladite ville supplient Sa Majesté les descharger de la taille à l'advenir comme les autres villes, ensemble les vouloir descharger du ban et arrière ban, francs fiefs, et nouveaux acquests, attendu la ruine générale par eux soufferte à la surprise de ladite ville, et qu'il plaise à Sa Majesté vouloir ordonner que la commision obtenue pour l'assiette de 213 escus sortira effet pour les causes contenues en ladite commission dattée du 29 jour de novembre 1593.

Le roy ne peut pourvoir à la dite descharge requise pour l'advenir et remet pour cette fois seulement ce que les supplians doivent à présent du ban et arrière ban et des francs fiefs et nouveaux acquests, et leur sera délivré commission pour la levée desdits 213 escus, cassant Sa Majesté celle qu'ils ont obtenu du duc de Mayenne, si ja ladite levée n'est faite.

25° Comme pareillement les habitants des dites villes de Montdidier et Roye supplient très-humblement Sa Majesté vouloir supprimer tous les officiers de l'eslection de Montdidier qui ont esté érigés depuis l'establissement de ladite eslection, spécialement ceux qui ont été érigés depuis ces derniers troubles.

Faisant apparoir de quels estats ils demandent la suppression ; leur sera pourvu.

26° Plaira a sa Majesté, ordonner que la taxe faite par le conseil de 250 escus à M. Cosme Berlin, advocat, pour plusieurs voyages par luy faits pour le service du public sortira son plein et entier effet….. Accordé.

« 27° Supplians très-humblement Sa Majesté ledit sieur Destourmel et habitants des villes ordonner que ce que dessus sera vérifié et enteriné tant en la cour de parlement, chambre des comptes que autres lieux ou il appartiendra….. Accordé.

Les présens articles ont esté veus et respondus par le roy estant en son conseil à Paris le 23me jour d'avril 1594. Signé Henri et plus bas Potier.

Plus est écrit ce qui suit : Registré, ouy sur ce le procureur général du Roy suivant et aux charges portées par le registre de ce jour. A Paris en parlement le 3ème jour de juin l'an 1594, signé du Tillet.

Registrées semblablement en la chambre des comptes ouy le procureur général du Roi ainsi qu'il est contenu au registre sur ce fait. Fait le 17 aoult 1594. Signé de la Fontaines. »

M. Hiver fait au sujet de ce traité les réflexions suivantes :

« L'intérêt personnel perce à chaque instant dans les articles de ce traité. Pendant les troubles, les habitants de Péronne et les seigneurs qui étaient à leur tête, notamment le gouverneur F. d'Estournel, s'étaient conduits avec une licence sans égale : ils avaient démantelé et démoli le château de Péronne, forcé d'autres châteaux et forts voisins, levé des gens de guerre, disposé des deniers provenant des impôts, pillé les magasins du roi, brisé l'artillerie qui se trouvait dans la place, fondu de nouveaux canons avec les débris des anciens ; cependant ce sont ces seigneurs qui, après avoir le plus résisté à l'autorité royale et avoir par leur exemple entraîné le peuple après eux, sont les premiers à se ressentir des bienfaits du roi, l'intérêt du sieur d'Estourmel et de son fils passe avant tous les autres. C'est avec raison que Saint-Simon a dit dans ses mémoires, tome XII, page 260 : que tout ce que put Henri IV avec le secours de sa noblesse fidèle fut, après mille travaux, de se faire reconnaître pour ce qu'il étoit de plein droit en acheptant, pour ainsi dire, sa couronne de ses sujets par le traité et les millions qu'il lui en a coûté avec eux, les établissements prodigieux et des places de sûreté aux chefs catholiques et huguenots. » Quand on lit le traité de 1594, on voit que les seigneurs picards n'ont pas été plus délicats que ceux auxquels Saint-Simon fait allusion. MM. d'Estourmel, de Surville son fils, de Rocquencourt, d'Orvillers, n'ont garde de s'oublier, et, en lisant les premiers articles où il n'est question que d'eux et où ils stipulent si largement en leur faveur, on ne s'imaginerait jamais que ce sont des révoltés qui sont obligés de reconnaître l'autorité de leur maître. Indépendamment des avantages que ce traité accordait à M. d'Estourmel, il se fit encore donner une somme de 43 mille écus pour la reddition de Péronne. Dans les mémoires de Groulard, on voit un article ainsi conçu : Au sieur d'Estourmel pour Peronne, ci 43,000 ecus. » On passa l'éponge sur toutes les exactions qu'il avait commises pendant la Ligue, et on reconnut pour bon et valable l'état des dépenses et recettes écrit de sa main qu'il présenta lui-même ; mais ne soyons pas plus sevère pour M. d'Estourmel que le roi, et, puisque Henri IV lui pardonna, laissons de côté sa duplicité et son avarice. (Histoire manuscrite de Péronne.)

Le 6 juillet 159, il y eut à la salle du Roi une assemblée générale de personnes de toutes conditions ; la noblesse, le clergé et le tiers état y furent convoqués sans distinction. Le procureur du roi prit la parole, et exposa que le but de la réunion était de reconnaître Henri IV comme souverain légitime ; aucune opposition ne s'étant manifestée, la ville se soumit solennellement à l'autorité royale, et les habitants prêtèrent serment de fidélité, au cri de Vive le roi ! qui n'avait pas retenti depuis longtemps dans leurs murs.

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