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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre IX - Section VII

par Victor de Beauvillé

Section VII

Entrée de Henri IV à Montdidier

Élévation des tailles

Prise d'Amiens

Lettre de Henri IV

Charles de Créquy, gouverneur général

 

Au mois d'août suivant, Henri IV fit son entrée à Montdidier ; il venait de Péronne et se rendait à Compiègne. La jeunesse, dans le meilleur équipage, commandée par son prince et son lieutenant, se porta à sa rencontre jusqu'à la ferme de Hailles ; les habitants, conduits par les capitaines de quartier, se placèrent en bataillon carré entre les terres de Hailles et le bois de la ville, situé à droite du chemin de Corbie. A l'approche du roi, le gouverneur François de Conty, sortit le premier, harangua Sa Majesté, et la supplia d'entrer par la porte de Paris, où les différents corps de justice et les notables s'étaient réunis et l'attendaient un peu en avant de la barrière. Après les harangues, qui furent suivies des cris de Vive le roi! on présenta à Henri IV les clefs de la cité. Le canon retentissait, et mêlait sa voix formidable au bruit des instruments. Des joueurs de hautbois et de cornets occupaient le dessus de la porte ; un corps de musique stationnait à l'hôtel de ville. La jeunesse qui était allée au-devant du roi était rentrée par la porte Becquerel, et formait la haie en bon ordre sur le marché. Arrivé au pont de la porte de Paris, Henri IV prit place sous un dais de satin blanc, qui fut porté jusqu'à l'église Saint-Pierre par les sieurs de Perceval, avocat de la ville, Normant, Scellier et Dupré. Le clergé, précédé de la croix, s'avança processionnellement au-devant du roi ; l'orgue se fit entendre, et on chanta le Te Deum. L'allégresse était générale. Le pont de la porte de Paris, l'hôtel de ville, le portail, les colonnes et le chœur de Saint-Pierre, ainsi que le logement destiné à Sa Majesté, étaient ornés de ses armoiries entourées de grands chapeaux de triomphe de lierre. Depuis la porte de la ville jusqu'à l'église, magnifiquement parée et tapissée, toutes les rues étaient tendues. Au sortir de Saint-Pierre, le roi fut conduit au logis qu'on lui avait préparé chez le prévot Pasquier ; la salle et la chambre qu'il occupait étaient garnies de tapisseries ; le maïeur et les échevins lui firent porter vingt-quatre quennes de vin ; on offrit également le vin d'honneur aux princes et aux seigneurs qui faisaient partie de sa suite.

Les habitants profitèrent de la présence de Henri IV pour lui présenter une requête à l'effet d'obtenir l'exemption des tailles, comme place frontière, et l'établissement d'un présidial : la ville étant assise en un lieu escarté de passage, elle n'a autre commerce, disoient-ils, que, celui de la justice qui a été attribué par les prédécesseurs rois aux habitants pour y faciliter leur demeure. Ils ne purent réussir dans leur demande, et représentèrent vainement que le présidial de Beauvais et l'érection du duché d'Halwin avaient fait un tort considérable à la ville.

Henri IV voulut témoigner à de Bertin l'estime particulière qu'il avait pour sa personne, et la reconnaissance qu'il lui devait pour la manière aussi franche que désintéressée avec laquelle il s'était conduit lors de la soumission de Montdidier. On lit ce qui suit dans des mémoires manuscrits concernant la famille de Bertin : « Le roi s'acheminant de la ville de Montdidier en celle de Compiègne descendoit à cheval vers l'église du Saint-Sépulchre pour sortir par la porte de Paris, le sieur de Bertin fut appelé de la propre bouche du roy qui luy dit ces mots : Lieutenant, je scay que vous m'avés très‑bien et fidèlement servi en la reduction des villes de Péronne, Montdidier et Roye ; je vous en aime ; soiés moi bon sujet et je vous seray bon roy. Et en ce disant, luy avoit donné de la main sur l'espaule. Alors le sieur de Bertin s'estant humilié lui dit, que c'estoit à son très grand regret, et de plusieurs autres gens de bien de la ville, qu'ils n'avoient pas plustot effectués leurs droites intentions pour le service très humble et fidèle qu'ils lui devoient. Et en ce discours eut l'honneur le sieur de Bertin de parler à sa Majesté et l'entretenir jusques hors de la barrière du faubourg où sa Majesté l'honora de ces mots : Adieu, monsieur le lieutenant, je vous aime. » Le roi reconnut d'une façon authentique le service que Pierre de Bertin lui avait rendu : en 1600, il lui accorda des lettres confirmatives de noblesse qui faisaient l'éloge de ses ancêtres et le sien, avec mention spéciale « du service très-considérable qu'il lui avoit rendu par avant et depuis la reduction des villes de Peronne, Montdidier et Roye en son obéissance. » (Pièce just. 50.) On ne voit pas que Gonnet ait eu part aux bonnes grâces du roi ; cependant il avait, tout autant que de Bertin, contribué à faire rentrer la ville sous son autorité.

Les guerres civiles avaient jeté le plus grand désordre dans les finances ; les tailles avaient augmenté dans une proportion effrayante ; la ville payait, en 1595, 11 à 12,000 liv. au lieu de 15 à 1,600 liv. qu'elle payait sept à huit ans auparavant. L'élection qui, en 1582 et 1584 ne supportait que 22,000 écus, était imposée à 200,000 écus en 1594 ; on peut juger par là de ce que le pays avait gagné aux guerres de la Ligue. On députa vers le roi afin d'obtenir quelque diminution, et, pour subvenir aux frais de voyage de l'envoyé, on leva 2 sols par écu sur le prix du rôle de 1594.

Des impôts aussi élevés produisirent une grande misère ; des bandes de mendiants se répandaient de tous côtés, et faisaient invasion jusques dans la ville. Afin de prévenir les maladies qui pouvaient en résulter, il fut décidé, le 25 avril 1595, que les pauvres seraient reçus dans les faubourgs seulement, et que l'entrée de la ville leur demeurerait interdite. Ce n'était point mauvaise volonté, mais une simple mesure de précaution. La charité de nos pères vint en aide à ces malheureux : on établit, pour les secourir, une contribution sur les habitants, et un médecin fut exempté de la taille, à la condition d'assister sans rétribution les malades à l'Hôtel-Dieu ou ailleurs, même ceux qui seraient attaqués de la peste. Cet état de souffrance se prolongea assez longtemps ; le 14 juillet, les religieuses de l'Hôtel-Dieu obtinrent la permission de faire quêter dans la ville et dans les églises, vu le grand nombre de pauvres et de malades.

Les gens de guerre qui, durant la Ligue, avaient perdu l'habitude de l'obéissance, pillaient les campagnes et ruinaient les cultivateurs. Le 29 mai, le comte de Saint-Pol, gouverneur de Picardie, pendant la minorité de son neveu Henri de Longueville, convoqua à Amiens des délégués de la province, afin d'aviser au moyen de fournir du pain aux soldats et de les contenir dans le devoir. Le 18 juin, Montdidier fut taxé à 15,000 pains ; le 1er juillet, la ville fournit encore 9,149 pains aux troupes du maréchal de Bouillon, qui allait secourir le Catelet. Les désordres de la soldatesque n'avaient point de bornes. Le 27 août 1595, le village de Davenescourt fut entièrement brûlé par des gens de guerre gascons. Au mois d'avril de l'année suivante, le roi passant à Montdidier, on lui présenta douze quennes de vin.

La prise d'Amiens par les Espagnols (11 mars 1597) jeta la consternation dans le royaume. La nouvelle en fut portée au roi par un exprès de Montdidier, et dès le lendemain on publia un règlement pour assurer la conservation de la place. Henri IV, apprenant ce grave événement, quitta sans différer les fêtes et les plaisirs de la cour et se rendit sur-le-champ à Beauvais, puis à Montdidier ; après avoir rassuré ces deux villes par sa présence, il alla à Corbie, où il s'occupa des moyens de reconquérir la capitale de la Picardie.

Pendant le siége d'Amiens, l'échevinage fit travailler aux fortifications ; on y employa les pauvres, dont le nombre était si considérable qu'on fut obligé de les enrégimenter. Le 13 juin, on ordonna à tous les mendiants de se trouver sur l'esplanade du Prieuré pour être marqués, et avoir à reconnaître le commandant qui leur serait donné, avec injonction à ceux qui ne seraient ni enrôlés ni marqués de sortir sans délai de la ville, sous peine du fouet. Ces recrues de nouvelle espèce furent réparties en trois compagnies : la première avait une enseigne jaune, la seconde une enseigne verte, et la troisième une enseigne colombine ; il y avait cinquante hommes par compagnie, le nombre des invalides était de vingt-quatre.

Toute la noblesse du royaume fut convoquée au siége d'Amiens. Un arrêt du parlement notait d'infamie ceux de ses membres qui ne s'y trouveraient pas ; nobles et manants rivalisèrent de zèle pour le service du roi. Les communes des environs de Montdidier prirent une part glorieuse à la reddition de la capitale de la province. Dans une lettre qu'il adressait au comte de Montmorency-Laval, seigneur de Tartigny, Henri IV rend un témoignage irrécusable de la bonne volonté et de la bravoure des habitants de notre pays :

« Monsieur de Tartigny. J'ai receu hyer vostre depesche par le sieur Dumesnyl quy m'est arrivé avec nos bonnes gens de Tartigny ; ceux d'Auvyllers sont venus ce matin tous braves et francs Picars, byen portans et byen voulans, quy nous seront de bon ayde et dont je vous remercye grandement. Yls se sont a steure mys à la pioche ou yls font rage se meslant volontiers aux soldats. Tachés de m'en rabattre de pareils le plus que possible par deça de Montdydyer. Secoués ung peu ceste noblesse pour qu'elle en fasse a votre exemple. Les ennemys nous arrivent grant trayn, la bataille avecq. Hatés vous pour y estre. Au camp devant Amyens ce samedi vint.

Vostre plus affectioné amy

HENRY. »

Il était plus facile de trouver des bras que de l'argent. Le 22 août, on lut à l'hôtel de ville une lettre du roi, datée du camp devant Amiens, dans laquelle il conjurait la ville de le secourir de 6,000 écus ; quelque désir qu'eussent nos aïeux d'obtempérer à cette invitation, ils ne purent répondre que par un refus à la demande qui leur était faite ; on écrivit à Louis d'Ongnies, comte de Chaulnes, gouverneur général, pour lui représenter l'impossibilité où l'on était de satisfaire le roi, et le prier de faire décharger la ville de cet emprunt.

Les Montdidériens vinrent en aide aux Amiénois autant qu'ils le purent, et permirent à ceux d'entre eux qui s'étaient réfugiés à Montdidier d'y travailler de leurs métiers jusqu'à la reprise de leur ville, sans préjudicier toutefois aux droits de notre cité. Nos ancêtres s'acquittèrent dans cette circonstance, envers les habitants d'Amiens, de l'hospitalité qu'ils en avaient reçue en 1475, quand Louis XI les força de quitter leur ville incendiée et de chercher un refuge chez leurs voisins.

La reddition d'Amiens donna lieu à des feux de joie et à des processions générales : l'allégresse fut aussi grande que les craintes avaient été vives.

Un inventaire de l'artillerie, fait au mois de juillet 1599, présente le détail des moyens de résistance alors au pouvoir de la ville : « Au corps de garde près la Salle du Roi deux grandes couleuvrines et deux moiennes, sur la plate-forme des Sœurs grises une moienne, sur la plate-forme de Juvency un faucon, sur la plate-forme des Juifs un autre faucon, sur la porte d'Amiens un fauconneau, dans la cave sous la Salle du Roi 800 livres, cent boulets, dix arquebuses à crocq. »

Le 26 janvier 1600, la ville obtint la continuation de l'octroi de 10 sols à prendre sur chaque minot de sel qui se vendait au grenier de Montdidier. Cet argent devait être employé aux fortifications.

Le 26 avril 1604, Charles de Créquy, prince de Poix, duc de Lesdiguières, gouverneur général des trois villes, fit son entrée à Montdidier : c'était le lundi de Quasimodo. Comme l'on assistait très-exactement aux offices de l'Église, on avait écrit à l'évêque d'Amiens pour obtenir la permission de remettre les vigiles à un autre jour, afin de recevoir dignement le nouveau gouverneur : vingt-quatre écussons de feuillage aux armes du comte de Saint-Pol, gouverneur de Picardie ; de Charles de Créquy, de la ville et du Dauphin, étaient placés au-dessus de la porte de Paris, sur la façade du logement du sire de Créquy et au portail de l'église Saint-Pierre. Quatre capitaines de quartier avaient été nommés exprès pour la circonstance ; c'étaient : Pierre le Maire et Pierre Mallet, tous deux conseillers en l'élection ; Guillaume Quesnel et Nicolas Dufeu, procureur ; mais avant même d'entrer en fonction, ils commencèrent à se quereller pour la question de préséance, et l'on eut beaucoup de peine à les mettre d'accord. Les canons avaient été remis à neuf ; la poudre et les armes déposées à l'hôtel de ville furent distribuées à la jeunesse, qui salua par de nombreuses salves la venue du gouverneur.

L'année précédente la ville avait été le théâtre de négociations diplomatiques entre la France et la maison d'Autriche relativement à l'interprétation du traité de Vervins. Louis le Febvre de Caumartin, conseiller d'État, et le sieur Mangot, représentaient la France. Ce dernier n'eut point à se louer de l'accueil qu'on lui fit. Dans de semblables occasions, la ville était tenue de loger les hôtes qu'elle recevait, et Jean le Clercq, conseiller en l'élection, avait été chargé de meubler le logement que Mangot devait occuper chez un sieur Lendormy ; car, pour rendre l'obligation moins pesante, souvent on avait recours à deux personnes : l'une prêtait sa maison et l'autre son mobilier. Jean le Clercq se montra assez discourtois pour refuser, et l'on dut décréter d'ajournement contre lui et le menacer de prise de corps. Le prévôt Pasquier fut mieux inspiré, et se fit honneur de recevoir l'envoyé du roi. Les députés de l'Autriche, au nombre de trois, arrivèrent le 6 mai 1603, et logèrent chez le président Chanteraines.

Quel fut le résultat des conférences tenues à Montdidier ? Je l'ignore. Peut-être trouverait-on quelques renseignements aux archives du ministère des affaires étrangères ; mais c'est un dépôt dont on semble se plaire à rendre l'entrée inaccessible : la demande que j'avais adressée afin d'être autorisé à y faire des recherches est demeurée sans effet. Cependant Henri IV et le traité de Vervins n'ont rien de commun avec l'époque actuelle.

Les dernières années du règne du Béarnais furent aussi paisibles que les premières avaient été agitées ; le calme se rétablit dans le royaume ; aux maux de la guerre succédèrent les bienfaits de la paix, et, pour la première fois depuis un demi-siècle, nos ancêtres jouirent d'un repos qui leur était inconnu.

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