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Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre IV - § I - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Palais de justice

Son aspect

Ancienne prison

Intérieur du palais

Tapisseries

Salles d'audience et du conseil

Manuscrit

 

Le palais de justice, situé à l'ouest de la ville, occupe l'emplacement de l'antique demeure des comtes de Montdidier. Quelques chroniqueurs prétendent que Philippe-Auguste fit construire cet édifice avec les débris du château dont il avait ordonné la démolition, et qu'afin de perpétuer le souvenir de sa royale origine, on lui donna le nom de Salle du Roi, qu'il conserva jusqu'à la Révolution. Nous sommes entré, au liv. Ier, chap. iii, p. 87, dans d'assez longues explications à cet égard ; il est inutile de revenir sur ce sujet. La Salle du Roi présente tous les caractères de l'architecture du treizième siècle, mais rien dans sa construction n'annonce qu'elle ait été bâtie pour résister aux attaques de l'ennemi : il n'y a ni tours, ni créneaux, ni ouvrages de défense ; la forme du bâtiment et le nombre des fenêtres indiquent évidemment une destination toute différente. De la royauté, à qui elle était peu utile, la Salle du Roi passa dans le domaine de l'Église, et devint par tolérance l'apanage des Bénédictins ; le prieur de Notre-Dame y fit longtemps sa résidence ; dans le seizième siècle, les gens de robe profitèrent des troubles excités par les guerres de religion et de l'absence des prieurs, pour s'en emparer et en faire le siége des corps judiciaires. Depuis cette époque, le nom d'Auditoire royal, indice de sa nouvelle affectation, se confond dans l'usage avec celui de Salle du Roi, que cet édifice avait porté jusqu'alors ; le nom moderne de Palais de justice a fait tomber dans l'oubli ces dénominations séculaires.

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Le palais de justice est construit de pierre de pays, de petit appareil, il est élevé d'un étage, et forme un parallélogramme de 44m,50 de long sur 11m,50 de large. Sa hauteur est de 9 mètres ; les murs, d'une solidité extrême, et dont aucun ornement ne vient rompre la froide uniformité, ont encore 1 mètre d'épaisseur à l'étage supérieur. Cet édifice est bâti sur le bord du rocher, qui, absolument à pic en cet endroit, s'est déjà écroulé plusieurs fois et inspire des craintes sérieuses pour l'avenir. Le 7 octobre 1829, sur les dix heures du soir, une partie du rocher se détacha et écrasa trois granges adossées contre sa base. On fit un mur de soutènement pour prévenir un nouvel éboulement ; mais, au mois de novembre 1831, ce mur fut lui-même entraîné dans le fossé : il fallut de nouveau dépenser des sommes considérables pour établir l'énorme maçonnerie qui soutient le rocher et préserve le palais de justice d'une ruine imminente. Les infiltrations de l'eau, en creusant la pierre et désagrégeant les matériaux, causeront un jour la chute de l'édifice.

Le palais de justice est terminé à l'ouest par un immense pignon qui s'élève à une grande hauteur au-dessus des maisons du faubourg Becquerel. Par son développement, ce pignon peut être considéré comme la véritable façade ; il est construit de grès et de pierre, et divisé en deux par un épais contre-fort qui de la base monte jusqu'au sommet ; à l'angle gauche se trouve un contre-fort plus léger, et au côté opposé une tourelle assez lourde. Le pignon est percé au rez-de-chaussée de deux petites fenêtres carrées, et au premier étage de quatre grandes fenêtres ogivales, d'inégale hauteur, où l'on voit encore un reste de trèfle ; les meneaux sont de pierre d'un seul morceau ; deux de ces fenêtres sont bouchées et ne paraissent pas avoir servi. Dans le triangle qui forme le haut du pignon, on remarque deux grands cercles concentriques creusés dans la pierre ; c'est le seul ornement de cette façade, qui, de la vallée, présente un aspect aussi simple que sévère. A côté du pignon, et sur la même ligne, on voit un bâtiment plus moderne formant un angle droit avec le reste de l'édifice : sa construction n'a rien qui mérite d'arrêter les regards.

Le côté nord est masqué en partie par la muraille de l'ancienne prison ; cette muraille, terminée par des créneaux dont les embrasures ont été remplies avec des briques, est flanqué de deux piliers arrondis dans le bas et dont la partie supérieure a des porte-à-faux ; les arcs-boutants qui soutiennent le palais de justice reposent sur ces piliers. Un petit bâtiment de structure antique apparaît à l'extrémité de la muraille et se relie au corps principal.

Le côté méridional n'offre aucun intérêt ; il est écrasé par de lourds contre-forts et percé de plusieurs fenêtres romanes dont quelques-unes ont conservé leur meneau. La base a été remaniée à différentes époques ; de ce côté, une terrasse de douze pieds de large atteignait presque à la hauteur des fenêtres de la salle d'audience, et régnait le long du bâtiment jusqu'à la voûte. On voit encore dans la muraille la porte qui, de la salle d'audience, donnait sur cette terrasse ; elle était disposée en jardin et servait de promenade aux magistrats. Elle fut démolie en 1814, et avec les décombres on combla le cul de basse-fosse de l'ancienne prison.

Une voûte à plein cintre, d'un style roman dégénéré, coupe le rez-de-chaussée du palais de justice, et établit une communication directe entre la ville et la promenade du Prieuré. Au-dessus était un écusson aux armes de France, que l'on fit sauter à la Révolution. Cette voûte a 13 mètres de long sur 4m,07 de large, et 4 mètres de hauteur. Du côté du Prieuré, on distinguait, il y a peu d'années, à l'angle extérieur du mur de clôture de la prison, la naissance d'une arche destinée à recevoir une porte que l'on fermait chaque soir ; en 1851, on supprima ce fragment de cintre, qu'on aurait dû conserver à cause des souvenirs qu'il rappelait : ainsi disparaissent les monuments du passé, victimes souvent de l'ignorance de ceux qui devraient veiller à leur conservation.

La voûte du palais de justice en est la partie la plus ancienne ; c'est peut-être le seul vestige du château de nos comtes. Sa construction diffère du reste de l'édifice, et est indubitablement d'une époque antérieure ; il suffit pour s'en convaincre d'observer la façade méridionale. On y reconnaît à des signes caractéristiques que le bâtiment actuel a été élevé après coup sur la voûte ; il ne fait pas corps avec elle le tore qui la termine n'est pas sur le même plan que la façade, et les matériaux employés dans la construction sont d'une autre nature. La voûte se présente de biais ; il n'en était certainement pas de même autrefois : cette disposition anormale est une preuve certaine que la voûte existait avant la construction du bâtiment dont elle fait aujourd'hui partie. En 1847, en creusant une fosse d'aisances dans la caserne de gendarmerie, on découvrit, à huit pieds de profondeur, les restes d'une chaussée se dirigeant en ligne droite de la place Saint-pierre à la Salle du Roi, et tracée suivant l'axe de la voûte ; l'épaisseur de terre qui recouvrait cette chaussée dénote que depuis plusieurs siècles elle avait cessé de servir.

En dehors de la voûte est la porte de l'ancienne prison ; celle-ci occupait tout le rez-de-chaussée du palais de justice, et se composait de six chambres voûtées, séparées par des murs de 1 à 2 mètres d'épaisseur. Ces chambres basses, éclairées à peine à chaque extrémité par des fenêtres grillées, attristaient l'âme : le malheureux qu'on y enfermait sentait bientôt défaillir son courage et se livrait au désespoir. Avant que l'on eût abattu la terrasse qui longeait au midi le palais de justice, la prison était un séjour horrible et rappelait les cachots du moyen âge : il y régnait constamment une obscurité sinistre, jamais le soleil n'y pénétrait et ne ranimait les infortunés qu'on y entassait pêle-mêle ; d'étroites ouvertures pratiquées au nord livraient passage à un air glacial. Sous la terrasse se trouvaient des culs de basse-fosse, véritables sépulcres où les détenus étaient enterrés tout vivants.

Les prisonniers venaient coller leur tête contre les barreaux de la porte du préau, afin de respirer et d'apercevoir quelque figure de connaissance ; leur présence inspirait l'effroi, et personne n'osait s'aventurer le soir à passer devant la grille de la prison. Croirait-on que dans ce lieu de douleur la poésie ait pu faire briller un de ses rayons ? Sur les murs se pressent une quantité d'inscriptions plus illisibles les unes que les autres : l'injure, la prière, l'ironie, le blasphème, se disputent la place et couvrent la pierre. Au milieu de ce chaos, l'œil distingue des vers échappés à quelque bon vivant que la gaieté n'avait pas abandonné sous les verroux, ou à des plaideurs moroses qui maudissaient leurs juges ; voici un échantillon de cette poésie sans nom :

Avoir tous jours en ma bourse un escu
Et estre exempt de toutes maladies
Et que ma mie ne me feist poinct coqu
Et que nulle sur moi ne princt envie
Sans envielir enfin à ma vie
Et que nature feist sur moi son paiement
Derrière mon corps jusques au jugement
Et quand la mort prendra sur moi son droict
Fussé porté en paradis tout droict.

1578.

Juges humains vueullés trestous aprendre
Come à chacuns il vous fault le droict rendre
Sans mespriser et Dieu et sa justice
Lequel punit des juges l'injustice
Qui ont vendu les droicts comme malings
Ou de la vœve, ou pauvres orphelins
A prix d'argent et pillant la province
Ont desrobé et le peuple et le prince.

1673.

Visitons maintenant l'intérieur du palais de justice. Sous la République et pendant les premières années de l'Empire, cet édifice avait été fort négligé ; comme on n'était pas certain de conserver le tribunal, on avait évité de faire des réparations. Son maintien ayant été décidé en 1811, mon père profita de l'influence dont il jouissait auprès de ses collègues du conseil général pour obtenir les fonds d'entretien nécessaires ; de 1812 à 1818, 18,000 fr. furent, sur sa demande, employés à divers travaux. Le choix d'un conseiller général n'est pas indifférent : son action s'exerce dans une sphère limitée, il est vrai, mais dans laquelle l'intérêt du pays est toujours en jeu d'une manière directe et immédiate ; aussi est-il important pour une ville d'avoir un mandataire qui, par sa position sociale, son instruction et l'autorité de sa parole, puisse remplir avec succès la mission qui lui est confiée.

L'entrée du tribunal est sous la voûte dont nous avons parlé ; elle donne sur un vestibule très-étroit. A gauche existe une salle voûtée d'une belle conservation, qui servait autrefois de magasin pour les munitions de guerre ; sa destination est aujourd'hui plus pacifique : c'est le bûcher du tribunal. Le parquet est à droite du vestibule ; il occupe le local affecté jadis aux audiences de l'élection : au-dessus de la cheminée, on voyait un beau portrait de Louis XIV d'après Largillière, et aux côtés, les bustes de saint Louis et de saint Jean. Lors de la suppression de l'élection, le tribunal de commerce se mit en possession de cette pièce ; après le tribunal de commerce, la justice de paix y fut transférée, enfin en 1843 le procureur du roi y établit son cabinet. Le local ne formait précédemment qu'une seule pièce, éclairée par trois fenêtres ouvrant sur le faubourg Becquerel ; afin de l'approprier à sa nouvelle destination, on lui a fait subir divers changements. Cet emplacement est beaucoup trop considérable pour le parquet d'un tribunal comme le nôtre ; on pouvait en tirer un meilleur parti. Par sa proximité de la prison et sa situation au rez-de-chaussée, la chambre d'instruction et une salle d'attente pour les témoins v auraient été très-commodément placées. Quelques tableaux échappés à la destruction de l'église des Capucins, ainsi que les sellettes sur lesquelles s'asseyaient les religieux, sont aujourd'hui perdus clans le corridor obscur et la petite pièce qui renferme les archives du parquet. Ils avaient été mis dans cet endroit lorsque le tribunal de commerce vint s'y installer : ces tableaux reproduisent des sujets de l'Ancien et du Nouveau Testament ; ils n'ont rien de saillant, et l'on ne doit point regretter l'obscurité dans laquelle ils sont plongés ; quant aux sellettes, ce sont de simples planches fort étroites, sur lesquelles il fallait toute l'humilité d'un Capucin pour ne pas éprouver de douloureuses impatiences.

Un bel escalier de pierre, voûté en arceaux à pieds pendants, conduit du vestibule à l'étage supérieur, et donne directement dans la salle des Pas-Perdus. Cette salle n'a de remarquable que son étendue ; elle a 10m,45 de largeur sur 12m,06 de profondeur : trois fenêtres qui ont encore leur meneau l'éclairent au midi ; les autres ont été bouchées depuis plusieurs années. La chambre des avoués, le cabinet du juge d'instruction, le corridor de la salle d'audience et le greffe ont leur entrée dans la salle des Pas-Perdus. Le greffe consiste en deux pièces spacieuses ; la seconde sert de dépôt : de chaque côté de l'embrasure de la fenêtre, sont des bancs de pierre qui datent du moyen âge.

Des tapisseries de Bruxelles, de grande dimension, ornaient le corridor qui communique de la salle des Pas-Perdus à la salle d'audience ; elles provenaient du château de Ferrières (Oise), démoli en 1809, et avaient eté achetées en 1791, par M. Cousin de Beaumesnil, qui plus tard en fit présent au tribunal. Ces tapisseries, dont la composition est très-variée, ont été faites dans le dix-septième siècle, par H. Reydams, pour la ville de Douai, dont elles portent les armes : un écu chargé de gueules ; elles représentent la Sortie des Hébreux de l'Égypte, Moïse faisant jaillir l'eau du rocher, l'Adoration du veau d'or, etc. ; des fleurs, des fruits, des instruments de musique, forment autour de gracieux encadrements. Lorsque l'an répara en 1820 la chambre du conseil, aujourd'hui chambre d'instruction, de stupides maçons n'eurent pas honte de s'emparer de ces précieuses tapisseries pour y déposer leur mortier ; le président, furieux d'un pareil trait de barbarie, voulait avec sa canne les corriger d'importance, châtiment trop doux pour ces misérables, qui méritaient d'être roués de coups de bâton. On lava les tapisseries du mieux qu'il fut possible ; mais le malheur était irréparable, la chaux avait altéré l'éclat et la pureté des couleurs. Ces tentures ont disparu en 1851 ; à leur place, une couche économique de badigeon jaunâtre s'étend sur la muraille. Il est regrettable qu'il ne se soit point rencontré, parmi les membres du tribunal, un seul homme pour protester contre une pareille spoliation. Que sont devenues ces tapisseries ? Attend-on pour s'en occuper qu'elles soient mangées par les vers ou dépecées par un brocanteur ? A l'hôtel de ville de Bruxelles on montre de magnifiques tapisseries signées Reynols Reydams ; elles ont été exécutées par un parent de celui qui a fait celles que l'on conserve ou plutôt qu'on laisse perdre à Montdidier.

La salle d'audience est la plus belle du département, elle a 16m,40 de profondeur sur 10 mètres de largeur ; quatre grandes fenêtres l'éclairent ; une boiserie ornée de légers pilastres corinthiens recouvre la muraille, un modeste papier bleu garnit les intervalles laissés libres, et remplace les tapisseries de haute lisse rehaussées de fleurs de lis d'or, qui décoraient l'ancien bailliage. Le banc semi-circulaire, destiné au barreau, est d'une coupe agréable ; le siége du ministère public, celui du greffier, ainsi que le bureau, spécialement réservé aux magistrats, sont élevés de deux marches, et permettent au public de suivre facilement les débats. Dans l'hémicycle pratiqué derrière les juges, on voit un Christ en croix, tableau de grandeur naturelle, peint par P. Vanderwal en 1817. L'auteur avait été pensionnaire de l'école de France à Rome, et s'était fixé à Amiens, où il exécuta cette composition au Château-d'Eau ; ce fut un sapeur du 29ème régiment de ligne qui posa devant lui : la tête est bonne, mais avec le temps les bras ont poussé au noir, ce qui leur enlève du relief et les fait paraître un peu grêles.

Les amateurs admirent dans la salle d'audience une grande pendule du siècle de Louis XIV, incrustée de cuivre et d'écaille, avec le pied en gaîne, travaillé de même ; sa hauteur totale est de 2m,60. Les statuettes de cuivre qui l'accompagnent sont fort joliment traitées ; dans un inventaire de 1811, cette pendule est estimée 200 fr. ; elle vaut bien davantage. C'est tout ce qui reste de la Salle du Roi. Si cette pendule pouvait parler, que de révélations curieuses ne ferait-elle pas ? que de choses elle a vues et entendues ! Ses aiguilles silencieuses marchent constamment sans divulguer le moindre secret, et si parfois elles éprouvent quelques distractions, le bruit qui se fait autour d'elles n'en est point cause. La prévôté n'est plus, le bailliage a disparu, l'existence du tribunal a été souvent mise en question, mais l'antique pendule est toujours demeurée à la même place ; elle a vu passer sans s'émouvoir des générations de juges et de plaideurs, et, au milieu de ces changements successifs, elle est restée impassible, inexorable, comme le temps dont elle est l'image.

Contre le mur de séparation du greffe et de la salle d'audience se trouvait une énorme cheminée à colonnes, gouffre dévorant, où disparaissaient tout entiers les fagots et les troncs d'arbre ; il y avait constamment cercle autour de cet immense foyer. C'était un point de réunion pour quelques individus qui venaient s'y chauffer tranquillement, tournant, sans se gêner, le dos aux juges, et empêchant la chaleur d'arriver jusqu'à eux ; aussi l'huissier de service faisait-il une promenade continuelle de l'estrade occupée par les magistrats jusqu'à la cheminée, afin d'inviter les amateurs qu'elle attirait à s'écarter un peu et à observer le silence : on y causait de tout, quelque peu des juges, beaucoup de leurs jugements, que l'on réformait sans pitié : c'était une cour de cassation au petit pied, un comité de législation en permanence. Cette bienheureuse cheminée fut détruite au commencement de la Restauration, au grand désespoir des habitués du palais de justice ; aussi, depuis ce temps , les audiences sont-elles désertes. A la même époque on changea la disposition intérieure de la salle. Précédemment les juges siégeaient sur une estrade élevée qui avançait jusqu'au tiers du trumeau, et où l'on montait par deux escaliers munis de barreaux épais : elle était assez grande pour contenir, outre les juges, les avocats, les procureurs et un certain nombre d'auditeurs : les avocats prenaient place dans des espèces de tribunes, et les procureurs plus bas, au parterre ; les uns et les autres se tenaient de chaque côté des magistrats, laissant libre l'espace devant ces derniers. L'arrangement actuel est préférable.

A gauche de la salle existe une petite pièce jetée au-dessus de la cour de l'ancienne prison ; le pignon donne sur la promenade du Prieuré ; la fenêtre est garnie de forts barreaux en fer ; avant 1789 l'instruction des affaires criminelles se faisait dans cette pièce, affectée maintenant aux témoins pendant la tenue des audiences. Dans un bâtiment appuyé contre le palais de justice, et qui servait autrefois de prison pour les femmes, on a pratiqué, en 1848, une très-belle chambre du conseil ; un escalier conduit dans la cour de l'ancienne prison, convertie, vers la même époque, en jardin pour les membres du tribunal.

La chambre d'instruction, précédée d'un large vestibule, ayant son entrée dans la salle des Pas-Perdus, est magnifique, et répond parfaitement à la grandeur des autres salles. Elle renferme une bibliothèque peu considérable, léguée par M. le président Cousin de Beaumesnil, et composée en grande partie d'ouvrages de droit ancien ; le manuscrit de la Coutume de Montdidier est ce qu'elle contient de plus curieux. Il forme un volume in-folio, peau vélin, de quatre-vingt-six feuillets, d'une grosse écriture très-lisible ; à la fin se trouvent les signatures des commissaires de Thou, Viole et Faye, et le sceau de leurs armes. C'est par le plus grand hasard que ce manuscrit, qui appartenait à M. de Bertin, est arrivé jusqu'à nous. Il était dans le grenier de sa maison, confondu avec un reste de bibliothèque, oublié, perdu dans la poussière, au milieu de vieilles paperasses, lorsqu'en 1824, M. de Warenghien, substitut près le tribunal de première instance, qui demeurait dans cette maison, le découvrit et le fit voir à M. Fabignon, son collègue. Celui-ci s'empressa d'en faire la demande aux héritiers de M. de Bertin, qui le lui cédèrent moyennant la modique somme de un franc ! C'était une trouvaille inestimable pour un amateur. Le sort cette lois n'avait pas été aveugle : ce volume était tombé entre les mains d'un homme instruit, sincèrement ami de son pays. Quand M. Fabignon quitta, en 1837, les fonctions de juge près le tribunal de Montdidier pour aller se fixer à Beauvais, il se dépouilla généreusement du trésor qu'il avait sauvé d'une perte certaine, et en fit don à la bibliothèque du tribunal, laissant à ses collègues, dont il emportait les regrets, un souvenir précieux de sa présence au milieu d'eux. Ce manuscrit était relié en maroquin rouge fleurdelisé ; le mauvais état de la couverture détermina M. Fabignon à la remplacer par la reliure plus modeste qui le recouvre aujourd'hui. Sur la cheminée est une petite pendule du commencement du règne de Louis XV ; elle est peu remarquable, et nous n'en parlerions pas, si elle ne rappelait la mémoire d'un savant qui a honoré notre ville : elle a appartenu à Augustin Capperonnier.

A l'époque de la Révolution, les cachots regorgeant de détenus, la chambre du conseil fut transformée en prison, et l'on y entassa les malheureuses victimes du régime de la Terreur. Cette salle est éclairée par deux grandes fenêtres à moulures prismatiques : l'une, à l'est, donne sur la promenade du Prieuré ; l'autre, à l'ouest, domine la vallée. De cette dernière, on jouit d'une vue admirable, l'œil embrasse un horizon immense, ou plonge avec curiosité sur les maisons du faubourg, qui semblent chercher un humble asile au pied du rocher et implorer la protection de l'énorme masse de pierres suspendue au-dessus de leur tête.

La partie du palais de justice comprenant le parquet du procureur impérial et le cabinet du juge d'instruction, est moins ancienne que le reste de l'édifice ; mais il est difficile de préciser l'époque de sa construction, aucune marque extérieure ne pouvant favoriser les conjectures. Contre la muraille, à l'est, on remarque une énorme tête de pierre, grossièrement sculptée et presque usée par l'intempérie de l'air, elle paraît avoir été destinée à servir de pierre d'attente. A la porte de la chambre du conseil on voyait, dans le siècle dernier, les armes de Charles VI, supportées par deux cerfs-volants, avec un collier d'or au cou ; ces armoiries firent croire, mais sans preuve, que ce côté du palais de justice avait été bâti sous le règne de ce prince.

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