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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre V - § III

par Victor de Beauvillé

§ III

ELECTION.

Son origine. — Ses attributions. — Établissement de l'élection de Montdidier. — L'élection se retire à Compiègne. — Tailles et impositions. — Étendue de l'élection. — Son organisation. — Ses armoiries.

L'élection, tribunal dont le nom et les attributions sont probablement inconnus de la plupart de nos lecteurs, avait une importance égale à celle du bailliage, et contribuait peut-être plus que lui à rehausser le rang que Montdidier tenait dans la province ; en effet, beaucoup de villes possédaient un bailliage, mais peu avaient une élection. Roye était du nombre : l'élection de Montdidier excita longtemps la jalousie de cette ville, qui fit de grands efforts pour obtenir une juridiction semblable, notamment en 1715 ; mais elle échoua dans ses tentatives.

La juridiction de l'élection était plus étendue que celle du bailliage, et comprenait dans son ressort un certain nombre de communes relevant du bailliage de Roye. Les affaires de finance, dont la connaissance était dévolue à ce tribunal, faisaient affluer l'argent dans la ville, et concouraient au bien-être général. Si Montdidier n'avait pas eu d'élection, elle ne serait guère plus qu'un bourg, dit Scellier.

Les élus, c'est le nom que l'on donnait aux membres de cette juridiction, étaient ainsi appelés parce que, du temps de saint Louis, sous qui les aides firent établies, ils étaient élus par les communes pour opérer la répartition de l'impôt : le nom leur resta, quoique postérieurement ils fussent désignés par le roi ; dans la suite, les charges d'élus furent érigées en titre d'office et devinrent la propriété des titulaires.

L'institution des élus avec titre d'office date du roi Jean ; les ordonnances de 1355 et 1360 sont les plus anciennes que l'on connaisse. Dans les premiers temps leurs fonctions se bornaient à répartir les impôts ; les contestations que suscitaient leurs opérations étaient jugées par les généraux des finances. Leurs attributions ne tardèrent pas à être augmentées, et insensiblement ils arrivèrent à connaître de tout ce qui intéressait les finances de l'État. L'édit de Charles VII, du mois de janvier 1445, et celui de Henri III, du mois de juillet 1578, déterminèrent leur pouvoir.

Les élus étaient spécialement chargés de l'assiette de la taille ; ils en faisaient la répartition conjointement avec l'intendant de Picardie, et jugeaient toutes les difficultés auxquelles elle donnait lieu. Ils connaissaient des affaires concernant les aides, les impositions sur les vins, les denrées et marchandises entrant dans les villes, ainsi que de celles relatives aux impôts établis sur les grains, le bois et les draps : la solde des gens de guerre, des pionniers, des chevaux d'artillerie ; le compte des fabriques et les réparations des églises ; l'entretien des chemins, des ponts, et le péage des routes étaient également de leur compétence : ils avaient pour mission de faire rentrer l'argent des subsides dont le roi passait bail ; de connaître des contraventions à la marque des objets d'or ou d'argent, etc., etc. Leurs attributions étaient très-variées : les contrôleurs des contributions directes, les ingénieurs des ponts et chaussées, les conseils de préfecture statuent sur une partie des affaires soumises autrefois aux élus ; les appels de l'élection ressortissaient, à Paris, à la cour des aides.

Péronne, Montdidier et Roye ne formaient originairement qu'une seule élection, composée de deux élus résidant à Péronne ; il y avait à Montdidier un receveur des tailles et deux receveurs des aides. Les revenus de la taille pour l'élection s'élevaient, en 1484, à 14,814 liv. ; sur cette somme, notre ville devait payer 200 liv. pour sa part, mais elle en fut dispensée en vertu des lettres d'exemption qu'elle obtint de Charles VIII.

Les impôts allant toujours croissant, la surveillance devint plus difficile ; il fallut augmenter le nombre des élus : en 1544, on le porta à quatre, et un commis fut nommé pour résider à Montdidier ; mais cette mesure fut encore insuffisante. L'étendue de l'élection détermina alors le roi à la démembrer, et, au mois d'octobre 1575, Henri, III établit une élection à Montdidier. A l'époque où cette création eut lieu, et quand une même élection réunissait encore les trois villes du gouvernement, il y avait trois élus à Péronne, deux à Montdidier et un à Roye, qui se communiquaient réciproquement les affaires de l'élection ; mais le jugement des matières contentieuses était renvoyé à Péronne. Henri III n'eut point affaire à des ingrats ; les officiers de l'élection nouvellement instituée lui donnèrent des preuves éclatantes d'attachement. Pendant les guerres de la Ligue, alors que la ville pactisait avec des factieux qui faisaient de la religion un prétexte pour renverser la royauté, eux seuls montrèrent l'exemple de l'obéissance : la majeure partie des élus abandonna une cité rebellé, et se retira à Compiègne, où elle continua, au nom du roi, l'exercice de son mandat. Le duc de Mayenne, irrité de n'avoir pu résister aux armes victorieuses de Henri IV, voulut se venger de ses défaites en persécutant les sujets demeurés fidèles à ce prince ; le 16 juillet 1594, il rendit une ordonnance qui transférait à Amiens le siége de l'élection de Montdidier ; mais la fin rapide de sa puissance ne lui permit pas d'exécuter cet acte de vengeance, et, cette année même, l'élection rentra glorieusement en ville et reprit ses fonctions accoutumées.

Un édit du mois de janvier 1685 réunit dans une même juridiction l'élection et le grenier à sel ; cette réunion fut de courte durée : au mois d'octobre 1694, ces deux corps furent séparés de nouveau et recouvrèrent leurs attributions distinctes.

Nous avons vu que jusqu'en 1575, Péronne, Montdidier et Roye ne formaient qu'une élection administrée par des élus communs : dans la pratique cependant, on faisait une distinction de la somme d'impôts payée par chacune de ces villes ; le compte de 1519 en fournit la preuve. La taille fut, cette année, de trois millions pour toute la France ; l'élection de Péronne, Montdidier et Roye eut à supporter 20,853 liv. 6 sols, la ville de Montdidier fut taxée à 550 liv. et l'élection de Montdidier, composée de cent quatre-vingt deux paroisses, à 9,990 liv. ; il fallait donc, sinon en droit, du moins en fait, que la séparation fût reconnue.

En 1683, la taille pour l'élection de Montdidier montait à 231,770 liv. ; à 263,715 liv. en 1753 ; en 1789, les impositions ordinaires s'élevaient à 795,000 liv., auxquelles il faut ajouter 72,000 liv. pour les contributions des chemins, et encore dans cette somme ne figure pas la quote-part de la ville de Roye. L'élection de Montdidier était, après celle d'Amiens, la plus considérable des six élections de la généralité : voici le relevé des impositions, en 1787 ; les corvées ne sont pas comprises dans ce calcul, et nous négligeons les petites fractions :

Élection d'Amiens 1,205,662 liv. Élection de Montdidier 794,880 liv.
Élection de Ponthieu 568,467   Élection de Saint-Quentin 281,813  
Élection de Péronne 617,263   Élection de Doullens 621,919  
Les trois gouvernements de Calais, Montreuil et Ardres 225,164  
Total (avec les fractions) 4,315,172livre 3s 6d.

Le rachat de la corvée en argent, pour cette même année, atteint le chiffre de 366,098 livres.

En 1789, l'élection renfermait deux cent vingt-trois paroisses, vingt-quatre mille feux et une population de 90,000 âmes ; elle s'étendait, d'un côté, jusqu'aux portes de Beauvais, et de l'autre, au delà de Roye ; sa superficie embrassait cent vingt lieues carrées. Les communes de l'ancienne élection comptent aujourd'hui 104,000 habitants.

Au moment de la Révolution, l'élection était composée d'un président, d'un lieutenant, de quatre conseillers, d'un procureur du roi et d'un greffier. Les appointements de tous ces fonctionnaires ne dépassaient pas la somme de 3,355 liv. 4 sols. Les officiers de l'élection étaient exempts de la taille et de toute imposition dans les terres de leur juridiction. Il y avait deux receveurs des tailles ; leurs places étaient les plus lucratives de la ville, et se vendaient, à la fin du siècle dernier, 91,000 livres. Dans les cérémonies publiques, l'élection prenait rang après le bailliage. Les audiences se tenaient le lundi à dix heures, au palais de justice, dans le local du rez-de-chaussée qui sert actuellement de parquet (voir tome II, page 205) : quatre procureurs et trois huissiers exerçaient près ce tribunal. L'élection fut supprimée en 1790, et, le 20 novembre de cette année, les scellés furent apposés sur ses papiers.

L'extinction de ce corps, lequel comptait parmi ses membres un grand nombre de personnes aisées, fut un rude coup pour la ville : l'établissement du tribunal de district avait rendu moins sensible la suppression du bailliage ; mais rien ne remplaça l'élection, et presque toutes les familles dont les intérêts étaient liés à son existence abandonnèrent le pays. Les armoiries du corps des officiers de l'élection étaient, en 1697 : d'or, à une bande écartelée d'azur et d'argent.

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