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Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre XIII - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Vote de nos députés dans le procès de Louis XVI

Mesures arbitraires que prend la municipalité

Le représentant Pocholle en mission dans le pays

Réquisitions

Désordres qu'elles occasionnent

Dévotion à saint Luglien

Suppression des cloches

 

Le 22 septembre 1792, la Convention nationale abolit la royauté et proclama la République. M. Leroux ayant été nommé juge de paix, M. Pucelle, ancien avocat du roi au bailliage, fut élu maire le 16 décembre 1792 ; il resta en fonction pendant la durée de la Convention, et participa activement à tout ce qui se passa à cette époque.

Les événements politiques marchaient avec une rapidité effrayante. Détenu au Temple après la nuit du 10 août 1792, l'infortuné Louis XVI n'en sortit que pour être traduit devant ses juges et condamné à mort. Hâtons-nous de le dire, les députés à la Convention nationale envoyés par le district de Montdidier ne s'associèrent point à cette inique condamnation : Gantois et Louvet votèrent tous deux la détention du roi et le bannissement jusqu'à la paix. Les visites domiciliaires, les arrestations, devenaient de plus en plus fréquentes ; la liberté n'existait qu'en tête des proclamations affichées au coin des rues et dans les discours insensés des orateurs de carrefour.

Les hommes qui s'étaient emparés de l'autorité prenaient des précautions inconnues jusqu'alors ; on suspectait même ses amis, et la dénonciation était pratiquée au grand jour. La municipalité enjoignit aux propriétaires de maisons de mettre au-dessus de leur porte un écriteau indiquant le nom des personnes qui les habitaient, leur âge, leur sexe et leur pays. Ceux qui ne se conformaient pas à cette injonction étaient condamnés pour la première fois à payer le double de leur impôt mobilier, et à des peines plus fortes en cas de récidive.

La guerre éclaircissait cruellement la population : de pressants appels étaient faits pour combler les pertes éprouvées à la bataille de Nerwinde.

« Les dangers de la patrie augmentent tous les jours, » disait le maire dans une proclamation du 29 mars 1793, « ils sont imminents, mais encore un nouvel effort, et sans doute l'ennemi est vaincu ; la nation, citoyens, l'attend de votre courage et de votre patriotisme, déjà plus de deux cent quarante citoyens élevés dans le sein de cette commune combattent pour vous sous les drapeaux de la liberté ; malgré les nombreuses phalanges de nos ennemis, leur courage ne s'émousse point. Une force nouvelle est nécessaire pour les diviser, ils vous appellent, citoyens, à leurs secours pour partager la gloire de leur triomphe. A un cri si puissant vous ne serez certainement point sourds : c'est au nom de la patrie qu'ils vous invitent, citoyens, par tout ce que vous avez de plus cher et de plus sacré, à prendre le brevet d'honneur qui vous attend, à aller remplir avec eux et auprès d'eux la glorieuse mission qui vous est destinée. »

Le maire invitait les citoyens à se faire inscrire à la maison commune, et terminait en disant :

« Ah ! n'en doutez pas, il serait bien doux pour vos représentants de pouvoir annoncer que le pur dévouement a fait seul d'intrépides défenseurs de la liberté ! Voilà, citoyens, le vœu du conseil général de la commune. Encore un nouvel effort, et la patrie est sauvée. »

Le même jour Pocholle, député de la Seine-Inférieure à la Convention, arriva à Montdidier. Il était envoyé dans le département de la Somme à l'effet d'organiser les moyens de défense propres à arrêter les progrès de l'ennemi. Les pouvoirs les plus étendus lui étaient confiés. Il était autorisé à requérir pour le service militaire tous les citoyens en état de porter les armes, ou partie d'entre eux seulement, s'il le jugeait convenable.

Dans une assemblée tenue à l'Oratoire, c'est ainsi qu'on désignait l'église du Saint-Sépulcre, le commissaire engagea les citoyens à tout sacrifier aux intérêts de la république ; il leur représenta les dangers de la patrie, les périls dont ils étaient menacés s'ils ne secouraient leurs frères d'armes, et les récompenses qui attendaient les glorieux défenseurs de la liberté ; il les exhorta enfin à faire un nouvel effort pour sauver le pays.

Pocholle parlait avec chaleur ; son allocution entraîna l'auditoire, et de nouveaux secours en argent et en équipements vinrent en aide aux volontaires que l'on devait envoyer à la frontière. Les dons reçus depuis le 29 mars jusqu'au 15 juillet sur l'autel de la patrie s'élevèrent à 730 liv., dont 728 liv. en assignats ; il n'y eut que 2 francs seulement en numéraire ; l’argent était bien rare, ou plutôt chacun se débarrassait avec empressement, pour ces offrandes réputées volontaires, des valeurs de convention qui perdaient chaque jour de leur prix. Les dons en nature, tels qu'habits, culottes, fusils, sabres, gibernes, etc., furent plus nombreux. Pocholle partit le 30 mars pour Péronne, afin d'y continuer sa mission.

Un service de permanence fut établi à l'hôtel de ville le 3 avril 1793, conformément à la loi du 18 mars précédent ; il se composait de deux citoyens notables, tenus de rester pendant vingt-quatre heures à la mairie, pour observer ce qui se passait et consigner sur un registre spécial les événements dont la ville serait le théâtre.

Le 7 avril 1793, on donna, en présence du peuple réuni sur la Place, lecture du décret de la Convention qui mettait Dumouriez hors la loi, et accordait une récompense de 300,000 francs à celui qui l'amènerait à Paris, mort ou vif. Le maire, après le discours de rigueur, prêta le serment de maintenir la liberté, l'égalité, de respecter en tout les lois émanées de la Convention, et de ne point reconnaître d'autre autorité ; le même serment fut répété par les fonctionnaires présents à la réunion.

Deux jours après, fut proclamée la loi qui ordonnait le désarmement des nobles et des prêtres. Le citoyen Lemasson, un des principaux meneurs du parti exalté, proposa aussitôt au conseil de la commune de faire mettre cette loi à exécution. Cette proposition équivalait à une injonction ; aussi fut-elle adoptée sans résistance. On partagea la ville en neuf sections qui devaient être visitées chacune par un officier municipal et deux notables accompagnés de commissaires désignés par la commune ; les perquisitions se firent avec un soin extrême, le désarmement fut poussé si loin qu'on enleva jusqu'aux cannes à épée.

Six cents hussards du régiment de Jemmapes arrivèrent à Montdidier le 11 mai, et y séjournèrent jusqu'au 26 ; l'obligation de défrayer un corps de cavalerie aussi considérable fut une lourde charge pour les habitants, dont les ressources étaient restreintes.

Dans le courant du mois de mai, tous les chevaux et les équipages de luxe, et même ceux qui appartenaient à de simples loueurs ou aux entrepreneurs de diligence, furent mis en réquisition pour le transport des troupes qu'on dirigeait sur la Vendée ; le citoyen Daullé fut chargé par le conseil général de la Somme de faire exécuter cette mesure dans les districts de Péronne et de Montdidier : par suite, le service des messageries se trouva entièrement désorganisé, et nous restâmes sans moyens de communication avec les villes environnantes.

La France était transformée en un vaste champ de bataille. Sur tous les points du territoire on voyait briller l'appareil terrible des combats, et comme il fallait assurer la subsistance des nombreuses armées qui défendaient avec tant de courage le drapeau de la république, des réquisitions considérables de vivres vinrent aggraver les charges qui pesaient sur les habitants de la campagne. Le 16 mai 1793, le district fut imposé pour l'armée du Nord à une fourniture de quinze mille setiers d'avoine, cent quatre-vingt mille bottes de paille et deux cent soixante-dix mille bottes de foin du poids de dix livres ; heureusement on ne fit pas une distinction qui eût été fort préjudiciable aux cultivateurs : on spécifia que la fourniture de l'avoine aurait lieu d'après la mesure servant à la vente du blé ; or, le setier de blé de Montdidier étant d'un tiers plus petit que le setier d'avoine, il en résulta un grand avantage pour les personnes qui durent opérer ces livraisons forcées ; mais d'autres allaient bientôt les suivre. Douze jours après, le district fut imposé à douze mille sacs de blé pour la même armée ; on n'accordait aucun délai, la livraison devait être effectuée dans les trois jours. Les commissaires désignés pour recevoir les fournitures étaient autorisés à procéder à des visites domiciliaires chez les cultivateurs qui n'auraient point fait la déclaration des grains et des farines qu'ils possédaient ; ils pouvaient au besoin prendre des ouvriers pour faire battre le blé en gerbe. Afin de stimuler davantage le zèle des commissaires, on les payait à raison de l'activité qu'ils déployaient. Des courriers extraordinaires transmettaient à chaque commune l'état du blé qu'elle devait fournir.

Ces moyens exceptionnels n'avaient pu être mis en pratique sans donner une grave atteinte à la tranquillité publique. Des soulèvements partiels eurent lieu. Dans plusieurs cantons, des bandes de malfaiteurs s'organisèrent et commirent les excès les plus criminels ; elles allaient la nuit assaillir les maisons des cultivateurs, et les mettaient à contribution. Justement alarmé de ces brigandages et des suites fâcheuses qu'ils pouvaient entraîner, le conseil général de la Somme prit, le 27 mai 1793, un arrêté portant que les gardes nationales du département seraient en état permanent de réquisition, qu'elles auraient à faire des patrouilles de nuit dans toutes les communes, avec ordre d'arrêter non-seulement les personnes qui se trouveraient dans le cas de flagrant délit, ou qui n'auraient point de passe-ports, mais encore celles qui seraient rencontrées dans la campagne, avant ou après l'heure des travaux des champs.

Les levées d'hommes se succédaient sans interruption ; mais, beaucoup de ces soldats improvisés préférant la vie de famille à celle des camps, la désertion se mit en grand nombre dans leurs rangs. Les gendarmes ne suffisaient plus pour arrêter les fugitifs. Afin de comprimer promptement le mal, le conseil général transforma les gardes nationales en brigades de gendarmerie chargées d'opérer l'arrestation des déserteurs.

Le 8 juin eut lieu une nouvelle levée de cinq cents pionniers pour l'armée du Nord ; le contingent du district de Montdidier avait été fixé à soixante-huit hommes, et celui de la ville à cinq hommes. Le 25 du même mois on frappa, pour cette année, une autre réquisition de trois cents chariots attelés de quatre chevaux ; le district dut fournir cinquante-quatre chariots : c'était exorbitant.

Les chaleurs excessives qui régnèrent cette année firent craindre pour la récolte. Après la fermeture d'une partie des églises et les persécutions suscitées contre les ministres des autels, alors que dès représentants en carmagnole occupaient la chaire évangélique et que les clubs proscrivaient toute idée religieuse, on pouvait croire que la dévotion envers les patrons de la ville avait singulièrement diminué ; il n'en était rien cependant. Le lundi 15 juillet 1793, on fit, pour obtenir la fin de la sécheresse, une procession solennelle en l'honneur des saints Lugle et Luglien, la plus belle et la plus nombreuse qu'on eût vue depuis longues années. La procession sortit de l'église Saint-Pierre à sept heures du soir, et ne rentra qu'à minuit ; elle parcourut tous les quartiers de la ville, et se rendit aux églises supprimées de Saint-Médard et de Saint-Martin ; un concours immense d'habitants de la campagne se pressait dans les rues ; quatorze paroisses des environs, précédées de leurs croix, de leurs bannières et bâtons patronaux, assistaient à cette pieuse cérémonie ; près de douze mille personnes suivaient avec recueillement les reliques de nos vénérés patrons. Toutes les autorités s'étaient fait un devoir de s'y joindre. Pendant près d'un mois, les paroisses voisines vinrent faire leurs stations à Saint-Pierre et au Sépulcre, et, quoique cette dernière église fût devenue un simple oratoire, on y chanta cependant la grand'messe. Il est consolant de voir, à cette époque, la religion exercer encore son influence salutaire sur les esprits. La dévotion que le peuple de Montdidier a toujours témoignée aux reliques des saints Lugle et Luglien ne souffrit presque aucune atteinte de la tempête révolutionnaire. Au plus fort de la Terreur, un nommé Carpeza, s'étant avisé, à la Société populaire, de parler irrévérencieusement des deux bienheureux frères, les têtes s'échauffèrent, et le malencontreux orateur fut obligé de s'esquiver pour éviter le mauvais parti qu'on voulait lui faire.

Le Registre de la permanence fait mention de cette procession de la manière suivante : « Le lundi 15 juillet 1793, les corps des saints Lugle et Luglien et différentes reliques ont été portés processionnellement, tant dans la ville que dans les faubourgs, par les serviteurs de Dieu de Montdidier, et ont été suivis et accompagnés par un grand nombre de paroisses des environs, portant aussi chacune leurs reliques, étant suivis d'une multitude de citoyens et citoyennes de tout âge, précédés de la garde nationale de Montdidier et d'un détachement du 9e chasseurs, étant en dépôt en cette ville, et assistés de tous les corps, tant administratifs que judiciaires, cette honorable procession ayant pour but l'intercession des bons patrons de la ville auprès de Dieu pour en obtenir de l'eau et faire cesser toutes les calamités dont nous sommes menacés. Cette respectueuse procession a commencé vers les six heures et demie du soir, et a été terminée sur les onze heures par un salut chanté à Saint-Pierre, et de suite les différentes paroisses se sont retirées de notre ville avec le même ordre qu'elles y sont entrées, chantant les louanges du Seigneur. Pendant tout ce temps la police, la tranquillité, ont régné tant dans la ville que dans les faubourgs, et sur les cinq heures du matin, cejourd'hui 16 juillet, est venue en procession la paroisse de Faverolles, qui, après avoir été visiter les corps saints, s'est retirée de notre ville toujours processionnellement et chantant les louanges de Dieu. »

Presque en même temps paraissait la loi qui ordonnait d'enlever les cloches des églises. Voici le préambule de l'arrêté des administrateurs du département de la Somme, en date du 30 juillet 1793 : « Considérant que la multitude des cloches qui existent dans les églises paroissiales qui ont été conservées, et les matières de cuivre et de bronze que plusieurs de ces églises renferment, offrent une ressource précieuse qu'il est de leur sollicitude de mettre promptement en usage, soit pour la fabrication des canons nécessaires pour repousser les cohortes des tyrans coalisés qui attaquent nos frontières et pour la défense intérieure des villes de ce département, soit pour celle des monnaies de cuivre, dont la rareté influe d'une manière alarmante sur la cherté des denrées de toute espèce ;

Considérant que ces cloches multipliées dans les siècles d'ignorance pour frapper les sens du peuple, et l'asservir à des pratiques souvent superstitieuses, n'offrent aujourd'hui qu'un luxe sacerdotal tout à la fois puéril et nuisible à la tranquillité publique ;

Qu'une seule cloche est suffisante pour appeler aux exercices du culte ; que des hommes libres, des républicains ne peuvent sans hésiter demeurer attachés aux hochets du fanatisme, lorsque le besoin de l'État en sollicite un besoin plus utile, etc., etc. » L'arrêté prescrivait, en terminant, de ne laisser subsister qu'une seule cloche dans les églises conservées. Cet ordre fut exécuté à la lettre ; des huit cloches qui composaient l'harmonieuse sonnerie de Saint-Pierre, sept furent brisées, fondues et converties en canons et en gros sols ; il n'en reste qu'une seule, dont le mérite artistique et musical fait vivement regretter la perte des autres.

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