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Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre III - § I

par Victor de Beauvillé

§ I

HOTEL-DIEU.

Fondation de l'Hôtel-Dieu. — Sa règle. — Bienfaiteurs de la maison. — Changements opérés dans la communauté. — Sa détresse. — Antoine Bucquet est élu maître. — Hérésie que l'on impute aux Sœurs. — Persécutions dont elles sont l'objet. — Droit de la mairie sur l'Hôtel-Dieu. — La maladrerie lui est réunie. — Suppression de l'Hôtel-Dieu. — Sa situation. — Chapelle.

Les premiers établissements de charité qu'ait possédés notre ville durent leur origine à l'esprit d'association, si puissant au moyen âge ; les sociétés de bienfaisance existaient plusieurs siècles avant d'être connues sous ce nom. Une généreuse émulation, dont l'amour du prochain était l'objet, détermina plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe à se réunir, afin de concourir activement au soulagement des pauvres. Pour donner plus de force à cette réunion, les personnes qui en faisaient partie se lièrent par un règlement qu'elles s'engageaient à observer de leur franche volonté : tel fut le commencement de l'Hôtel-Dieu de Montdidier.

La communauté naissante se plaça sous l'invocation de saint Jean-Baptiste. Les Frères et les Sœurs reconnaissaient pour supérieur un maître qui devait être prêtre ; un procureur était chargé spécialement des affaires du dehors ; six fois l'an, il rendait ses comptes devant le maître et le conseil de la maison, sans l'autorisation duquel il ne pouvait vendre ni acheter. Le maître nommait une Sœur que l'on appelait maîtresse ; elle était chargée d'instruire ses compagnes et de les former au service des pauvres. Les Frères et les Sœurs, dont le noviciat était fixé à un an, ne communiquaient entre eux qu'avec la permission du supérieur, et ne devaient avoir rien en propre sans son consentement ; ceux qui conservaient quelque chose à son insu étaient condamnés à manger assis par terre pendant quarante jours et à jeûner au pain et à l'eau le vendredi. Si, après la mort d'un membre de la communauté, on s'apercevait qu'il eût gardé quelque propriété sans en avoir fait la déclaration prescrite, il était privé des prières de l'Église et enseveli comme un excommunié. Le silence était de rigueur. On ne sortait qu'en costume religieux et accompagné d'une personne désignée par le maître. Les prêtres portaient houches, caperon court et sarrot de lin, les houches jusqu'aux genoux et les sarrots plus levés. L'usage des aliments gras était interdit les lundis, mercredis, vendredis et samedis. Les Frères et les Sœurs mangeaient séparément. Les Frères dormiront en brayes et en chemises, et les femmes en chemises religieusement, porte le règlement.

Le soin des malades étant le but que l'on se proposait, la règle pourvoit à leurs nécessités avec une sollicitude évangélique. Aussitôt qu'un malade se présente, il est confessé, et, selon la gravité de sa position, il reçoit les sacrements ; ce devoir accompli, on le considère comme un Frère, et on lui accorde tout ce qui n'est pas contraire à sa santé Afin de prévenir les rechutes, le malade pouvait, après sa guérison, demeurer sept jours à l'Hôtel-Dieu. La lecture du règlement, dont nous ne donnons ici qu'un extrait, achèvera de faire connaître le régime de la communauté. (Pièce just. 105.)

La sanction de l'Église était nécessaire pour valider l'association et assurer son existence. Les Frères et les Sœurs s'adressèrent à Richard de Gerberoy, évêque d'Amiens, qui, au mois de juillet 1207, confirma la règle, en y ajoutant les vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté ; il diminua le personnel et le réduisit à deux prêtres, dont un devait être maître, plus un clerc pour le servir, et quatre Sœurs : telles et si fortes que puissent faire lesdites offices et besongne de la maison souffisamment. En 1210, le pape Innocent III donna son approbation à la nouvelle communauté, et lui accorda le droit d'avoir un oratoire pour célébrer l'office divin.

On lit dans un ouvrage de statistique concernant le département de la Somme, que l'Hôtel-Dieu de Montdidier a été fondé en 1185 ; nous n'avons rien vu qui justifiât une pareille assertion ; mais il est positif que cet établissement remontait au douzième siècle ; les donations faites à cette époque en sont la preuve. La plus ancienne que l'on connaisse est celle de Barthélemy de Roye, chambellan de Philippe-Auguste. En 1199, il fit don à l'Hôtel-Dieu de quatre bonniers au bois de la Hérelle, à la condition de ne pouvoir ni les vendre ni les engager ; cette clause a été religieusement observée, et l'Hôtel-Dieu est encore propriétaire de ces quatre bonniers, qui représentent 7 hectares 72 ares ; ils sont situés sur le terroir de Plainville, et rapportent environ 1,800 fr. tous les trois ans. Peu d'établissements publics peuvent se glorifier d'une jouissance non interrompue de plus de six siècles et demi ; c'est un témoignage irrécusable de la sagesse des administrateurs ; le titre original de donation existe aux archives de l'Hôtel-Dieu. (Pièce just. 106.)

La générosité de Barthélemy de Roye trouva des imitateurs. En 1206, Élisabeth de Ressons donna, pour l'entretien d'un chapelain, cinq muids de blé et cinq muids d'avoine à prendre sur la ferme de Bellicourt, près Cuvilly. Les intentions de la bienfaitrice ne tardèrent pas à recevoir leur exécution, et, en 1210, Innocent III permit aux Frères et aux Sœurs de bâtir une chapelle. En 1206, Obert, d'Assainvillers, les gratifia de deux gerbes de dîme au même endroit ; en 1208, Anselle, avoué de Davenescourt, leur en accorda deux autres à prendre sur le terroir de Boussicourt ; Jean Libugres, vicomte de Breteuil, du consentement d'Esmengarde, son épouse, concéda à l'Hôtel-Dieu (1211) un demi-muid de froment sur la dîme de l'église de Grivesne, et, comme nous l'avons dit, tome II, page 134, confirma la communauté dans la possession du forage du vin dans la ville de Montdidier, droit qu'Arnoul, son père, avait donné antérieurement à la maison. (Pièce just. 77.)

Les pèlerins qui partaient pour la terre sainte n'avaient garde, avant d'affronter des dangers inévitables et de s'exposer à toutes les chances d'un périlleux voyage, d'oublier un établissement destiné au soulagement des malades. Au mois de novembre 1216, Renaud Quovadis, prêt à s'embarquer pour la Palestine, met ordre à ses affaires et lègue à l'Hôtel-Dieu, pour le cas où il viendrait à mourir, deux mines de blé, deux mines d'avoine et 100 sols parisis d'argent à prendre sur la terre du Mesnil qu'il tient de Pierre de la Tournelle. (Pièce just. 107.) Il y a quelque chose de singulièrement expressif dans ce nom de Quovadis, porté par un croisé partant pour de lointains rivages et disposant de son bien comme un homme qui court à une mort certaine ; il semble que l'on entende une voix éplorée, celle d'une mère, d'une épouse, lui crier : Renaud, où vas-tu ?

De puissants seigneurs se firent un devoir de suivre cet exemple : au mois de juillet 1220, Guillaume, comte de Ponthieu, accorda de nouveau à l'Hôtel-Dieu le droit de prendre, chaque année à la Saint-Jean, huit muids de sel dans la ville de Rue, faveur qu'il lui avait déjà octroyée précédemment (Pièce just. 108) ; les effets de cette donation, réduits à douze minots par Louis XIV, subsistaient encore au moment de la Révolution.

Le zèle des simples particuliers les portait à se dépouiller de ce qu'ils possédaient en faveur de cet établissement. Pierre Minchevin, bourgeois de Montdidier, et Guèle, sa femme, lui abandonnèrent tous leurs acquêts, consistant en six mines de terre à Faverolles, deux gerbes de dîmes à Assainvillers, trois à Boussicourt, une maison contiguë à l'hôpital, un pré à côté du moulin Comtesse et divers autres biens.

Ces donations, et d'autres que nous passons sous silence, enrichirent la communauté et lui permirent de faire quelques acquisitions. En 1220, elle acheta d'Enguerrand de Courtemanche, chevalier, et de Marguerite, son épouse, le bois de Voïeux, situé entre le Mesnil et Fontaine, moyennant 112 liv. argent comptant ; cette vente fut faite par Enguerrand, du consentement de Pierre de Jumelle, chevalier, de qui relevait le bois de Voïeux, à la charge par l'Hôtel-Dieu de lui présenter tous les ans, à Jumelle, le dimanche des Rameaux, une paire d'éperons dorés pour le droit d'amortissement. (Pièce just. 109.)

La prospérité de l'Hôtel-Dieu excita l'envie, et bientôt il eut à lutter contre l'avidité de ses voisins. D'audacieux spoliateurs s'emparèrent du patrimoine des pauvres. Trop faible pour résister à ce brigandage, la communauté eut recours au père commun des fidèles ; ce cri de douleur fut entendu. Grégoire X occupait alors la chaire de Saint-Pierre : par une huile datée de Lyon, la troisième année de son pontificat (1274), il enjoignit au doyen de Saint-Florent de Roye de contraindre par la voie des censures ecclésiastiques ceux qui retenaient injustement les biens de l'Hôtel-Dieu de Montdidier à en opérer la restitution. Dans le siècle suivant, le souverain pontife fut encore obligé de prendre la défense de cette maison. En 1342, Clément VI adressa une bulle au doyen de Saint-Vulfran d'Abbeville, pour faire remettre l'Hôtel-Dieu en possession de ce qui lui avait été enlevé ; d'autres bulles, tendant aux mêmes fins, furent également envoyées en 1510 par Léon X aux officialités d'Amiens, de Beauvais et de Noyon.

Pierre de Hangest, bailli de Rouen, et Marie Guérode, son épouse, fondèrent, en 1309, une chapelle dans l'Hôtel-Dieu, et donnèrent 20 liv. parisis de rente pour l'entretien du chapelain chargé de la desservir. Voulant mettre leur fondation à l'abri de toute atteinte, ils la firent approuver par Philippe le Bel ; ce ne fut toutefois que plusieurs années après, en 1343, que Pierre de Hangest, leur fils, put réaliser la volonté de ses parents. Le dénombrement des biens laissés par Pierre de Hangest pour assurer le payement de cette rente, fait d'après les ordres de Jean de Cherchemont, évêque d'Amiens, fournit des détails curieux sur la valeur des biens au quatorzième siècle. (Pièce just. 110.)

On trouve dans les anciens titres de l'Hôtel-Dieu l'indication de quelques habitations qui ont totalement disparu. Entre Montdidier et Pierrepont, à droite de la route, à la hauteur du bois d'Hailles, tenant dans les abouts de Gratibus et au chemin de Corbie, était un fief bâti appartenant au vicomte de Breteuil, consistant en une maison entourée d'un enclos de quatorze journaux et en quatre-vingt-deux journaux de terre ; l'ostellerie de Montdidier prenait chaque année vingt setiers d'avoine sur ce fief.

Les constitutions de l'Hôtel-Dieu, approuvées par Richard de Gerberoy et confirmées par Innocent III, restèrent en vigueur jusqu'au milieu du quatorzième siècle. Vers cette époque, la maison fut érigée en un bénéfice régulier de l'ordre de Saint-Augustin ; les Frères furent supprimés et remplacés par des Sœurs ; le supérieur continua de porter le titre de maître ; mais, pour être promu à ce poste, il fallait recevoir la prêtrise et suivre la règle de Saint-Augustin. Ce changement ne fut point favorable à la maison, qui éprouva, ainsi que tous les établissements ecclésiastiques, les fâcheux effets de l'introduction de la commende. Après la mort de maître Jean du Sol, arrivée en 1525, quatre personnes se firent à la fois pourvoir de sa charge : l'homme a tellement le désir de dominer, qu'il trouve des charmes à commander même à des malades et à des mourants. Cette nomination, faite en dehors des règles, donna lieu à de vives contestations. La communauté fut obligée de supporter des frais considérables pour conserver le droit d'élire le maître, prérogative dont elle jouissait depuis sa fondation. Afin de mettre un terme à ces difficultés, l'on convint, en 1532, que l'élection serait faite par les religieuses sur une liste de présentation dressée par les maïeur et échevins, et que la collation et les provisions du bénéfice seraient délivrées par l'évêque d'Amiens.

Ce procès, puis les guerres de religion qui désolèrent le seizième siècle, ruinèrent l'Hôtel-Dieu et rendirent tout secours impossible. Les Sœurs, privées du nécessaire, abandonnèrent la maison, et, dans leur détresse, se placèrent à la porte des églises, tendant la main pour recevoir l'aumône, comme les pauvres qu'elles devaient secourir. Cette misère profonde dura de longues années. Antoine Bucquet, ayant été élu maître en 1596, fut contraint pour vivre d'apporter le pain et le vin indispensables à sa subsistance. Sa nomination fut un bienfait de la Providence. Sous son administration, la maison, menacée d'une ruine prochaine, se releva ; il remit la règle en pratique, et rétablit parmi les Sœurs la communauté qui avait cessé d'exister. La charité vint à son aide. En 1610, Madeleine Dechessoy, veuve de Pierre Roussel, ancien bailli du comté de Corbie, donna par testament à l'Hôtel-Dieu vingt et un journaux de terre situés à Cantigny ; grâce à une économie sévère et à la bonne direction qu'il sut imprimer, Antoine Bucquet parvint à payer les dettes, et trouva encore le moyen de faire le bien de la ville, comme il avait fait celui de l'établissement confié à ses soins.

Voyant l'ignorance profonde dans laquelle on laissait les enfants indigents, il ordonna à quelques religieuses d'ouvrir une école pour les jeunes filles. Le but qu'il se proposait fut atteint, et bientôt le résultat dépassa ses espérances ; non-seulement les enfants, mais les grandes personnes se rendaient assidûment à l'Hôtel-Dieu pour assister aux instructions des religieuses, notamment à celles de Madeleine Deflers. Le succès d'Antoine Bucquet excita la jalousie, et devint pour la maison le sujet d'une violente persécution. On affecta de voir dans ces instructions autant de semences d'hérésie, et de confondre les modestes Sœurs de l'Hôtel-Dieu avec de nouveaux sectaires qui tentaient de s'établir en France.

« En cette année 1631, rapporte Decourt (Histoire manuscrite d'Amiens), quelques particuliers de Roye et de Montdidier semèrent des erreurs qui renouvelèrent celles des spirituels ou illuminés d'Espagne, et qui prétendoient que l'âme pouvoit parvenir jusqu'à une union si parfaite avec Dieu que le corps pouvoit alors s'abandonner à toute sorte de désordres, sans que la conscience en fût intéressée ; ils rejetoient tous les actes extérieurs de religion, se contentant de l'état passif d'inaction par rapport à Dieu, et excluant tout acte de l'entendement et de la volonté.

Il y avoit encore plusieurs personnes infectées de ces fausses opinions dans le diocèse de Noyon, qui avoisine ces deux villes.

Les juges de Roye furent commis pour informer contre quelques ecclésiastiques accusés de soutenir ces erreurs.

Monseigneur l'évêque d'Amiens obtint, le 30 mai de la même année, un arrêt du conseil, qui ordonne que les charges et informations seront envoyées au greffe de l'officialité de cette ville.

Le 29 mai 1634, il décerna une commission à André de Saussaie, curé de Saint-Leu et de Saint-Gilles de Paris, pour faire le procès aux accusés, entre autres à François-Antoine Buquet, prêtre, religieux de Saint-Augustin, et administrateur de l'Hôtel-Dieu de Montdidier ; à Pierre Buquet, curé de Saint-Pierre de Roye ; à Pierre Guérin, curé de Saint-Georges, dans les faubourgs de la même ville (comme celui-ci était des plus zélés, on appela guérinets ceux de cette secte), et à la sœur Madeleine de Flers, religieuse de l'Hôtel-Dieu de Montdidier ; tous transférés des prisons royales de Roye dans celles de l'officialité d'Amiens.

Par la même commission, Jacques Charbois, pénitencier de Paris ; Jacques Lescot, professeur royal en Sorbonne ; Isaac Hubert, théologal de Paris, et Eustache de Saint-Paul, feuillant, tous docteurs en théologie, furent donnés pour adjoints au sieur de Saussaie, lequel, le 21 août 1634, en vertu de sa commission et de celle de Henri Buradat, évêque de Noyon, donna un monitoire pour avoir révélation de ceux qui enseigneroient ces erreurs qui y sont exprimées tout au long. » On ne voit pas que ces procédures aient eu d'autres suites.

Grégoire, dans son Histoire de Roye, est entré également dans quelques détails relatifs à cette affaire : « Peu de temps après que les illuminés d'Espagne eurent été dissipés, vers l'an 1646, il parut en France de nouveaux hérétiques, qui prirent aussi le nom d'illuminés. La Picardie en fut d'abord infectée, parce que ce fut dans cette province que Pierre Guérin, curé de Saint-Georges de Roye, commença à y semer ses hérésies, et on nomma guérinets ses sectateurs ; mais quelques nouveaux spirituels, qui étoient de la même province, et qu'on appeloit illuminés, s'étant joints à eux, les noms et les sectes se confondirent et se répandirent depuis dans la Flandre sous le nom d'illuminés.

Entre autres extravagances, ils croyoient que Dieu avoit révélé à frère Antoine Buquet une pratique de foi et de vie suréminente, inconnue et inusitée dans toute la chrétienté. Qu'avec cette méthode, on pouvoit en peu de temps parvenir au même degré de perfection et de gloire que les saints et la bienheureuse Vierge, qui n'avoit eu qu'une vertu commune ; et qu'on arrivoit à une telle union, que toutes nos actions étoient déifiées. Qu'étant parvenus à cette union, il falloit laisser agir Dieu seul en son nom, sans produire aucun acte. Que tous les docteurs de l'Église n'avoient jamais su ce que c'étoit que dévotion. Que saint Pierre étoit un bon homme, et que saint Paul avoit à peine entendu parler de dévotion. Que toute l'Église étoit dans les ténèbres et dans l'ignorance de la vraie pratique du Credo. Qu'il étoit libre de faire tout ce que dictoit la conscience. Que Dieu n'aimoit rien que lui-même. Qu'il falloit que dans dix ans leur doctrine fût reçue de tout le monde, et qu'alors on n'auroit plus besoin de prêtres, de religieux et de curés, etc. »

De semblables aberrations ne méritent pas d'être combattues, et il suffit de les énoncer pour en faire justice ; cependant les institutrices montdidériennes furent bientôt accusées de répandre de dangereux principes.

Dans son admirable Histoire de Port-Royal, Racine donne quelques renseignements sur la prétendue hérésie qui prit naissance dans notre pays : « Vers 1627, deux fameuses religieuses de Montdidier furent introduites à Maubuisson par un des visiteurs de l'ordre pour y enseigner, disoit-il, les secrets de la plus sublime oraison. La mère Marie des Anges (son nom de famille étoit Suireau), et la mère Angélique Arnauld, n'étoient point assez intérieures au gré des visiteurs, et ils leur reprochoient souvent de ne connoître d'autre perfection que celle qui s'acquiert par la mortification des sens et par la pratique des bonnes œuvres. La mère des Anges, qui avoit appris à Port-Royal à se défier de toute nouveauté, fit observer de près ces deux filles ; et il se trouva que sous un jargon de pur amour et d'anéantissement, elles cachoient toutes les illusions et toutes les horreurs que l'Église a condamnées de nos jours dans Molina. Elles étoient en effet de la secte de ces illuminées de Roye qu'on nommoit les guérinets, dont le cardinal Richelieu fit faire une si exacte perquisition. La mère des Anges ayant donné avis du péril où étoit son monastère, ces deux religieuses furent renfermées très-étroitement par ordre de la cour, et le visiteur qui les protégeoit eut lui-même bien de la peine à se tirer d'affaire. »

Si les doctrines perverses que nous avons rapportées étaient réellement enseignées à l'Hôtel-Dieu, on comprend que l'on poursuivît les religieuses, à une époque où la tolérance en matière de religion était complétement inconnue : mais Racine, quoique bien informé des particularités qui se rattachent à l'histoire de Port-Royal, ne s'est-il pas trompé en ce qui concerne les principes professés dans notre ville ? Nous le croyons, et, malgré le respect qui s'attache à ses écrits, nous devons, pour démontrer son erreur et celle de l'historien de la ville de Roye, mettre sous les yeux du lecteur les pièces du procès qui faillit troubler l'État et causer, disait-on, une nouvelle hérésie dans l'Église. Voici les propositions qu'on enseignait à l'Hôtel-Dieu, et la décision que rendit la Sorbonne, appelée à se prononcer sur cette matière :

« Il faut être en disposition qu'on nous puisse dire nos imperfections de qui que ce soit, et les remercier d'un grand bien qu'ils nous font.

Tous les esprits ne sont pas en une teste, voilà pourquoi il faut être en disposition d'apprendre de tout le monde.

Il faut dire son cœur à son directeur comme à soy-même.

Il faut estre toujours en défiance de soy-mesme.

Il faut estre toujours en défiance de soy-mesme, hormis en ce qui est proposé pour croire ; et toutes les bonnes pensées que nous avons, voir si nos actions y répondent.

Si le péché avait cent visages, il le faut regarder par le plus beau.

Toute peine vient de propre estime, car ce qui n'est rien n'a pas de peine.

Demandez souvent qu'on vous dise vos fautes, principalement à ceux que vous hantez ; quand on se sent malade on demande souvent des remèdes à qui que ce soit ; nostre ame est grandement malade, bien souvent nostre prochain voit mieux notre mal que nous. Et demandez souvent, si vous donnez assez de hardiesse, qu'on vous dise vos défauts et si vos actions répondent à vos paroles. Bien souvent quand on nous reprend nous sentons des battements de cœur et nous répondons tout au contraire de ce que nous devons ; qu'on nous dise nos vérités, nous répondons : Je le pense bien, vous le dites, c'est votre opinion ; et nous jettons sur les fautes d'autruy plustot que sur les nostres : et encore que nous ne disions rien, si les pensées passent ainsi en nostre esprit quand on nous reprend, c'est signe que nous sommes indisposés. L'exemple vous le fera entendre, qui est : si vous aviez une personne qui demeurant en vostre maison qui vous dérobast, et que ceux qui la verroient vous vinssent advenir de son larcin, vous leur répondrez : Je le pense bien, vous le dites, vous en avez l'opinion, ou autres choses semblables : cela seroit-ce en estre bien aise ? Non. Ce seroit estre marry qu'on vous le dit, encore que nous ne disions pas directement que non. Répondre comme à l'exemple cy-dessus, c'est signe que nous ne sommes pas bien disposés ; bien souvent nous faisons comme cela quand on nous reprend pour nostre ame et autres choses semblables.

Toutes choses nécessaires sont aimables ayant passé par le décret de la divine Providence, n'y ayant rien meilleur que ce qui arrive à tout instant d'icelle.

Dieu nous donne un appetit pour l'appeter, et au lieu de l'appeter nous appetons toutes créatures. Toutes les fois que nous mortifions quelqu'appetit, par exemple de voir, toucher, gouster, ouïr et flairer, et nous nous privons de ces choses pour l'amour de Dieu, Dieu est obligé de nous donner sa grâce ; il ne sauroit endurer de vuide, ne pouvant mentir à sa parole.

Quand on veut juger quelque chose, il faut entendre les parties, autrement on fait bien des fautes.

Il faut se retirer souvent en solitude et se convertir à Nostre Seigneur et ne point convertir ses œuvres en nostre gout, comme bien souvent nous faisons.

Sur toutes choses soions curieux de nostre ame.

Il faut croire que nous sommes les plus abominables de la terre, et si Dieu avoit usé de sa justice, nous serions maintenant un tison infernal, et nous sommes ingrats à reconnoître sa miséricorde de tant de bienfaits tant générale que particulière.

Gouvernons-nous comme estant une vaurienne et charongne, et si nous ne sommes telles actuellement, c'est de la pure miséricorde de Dieu.

Quand nous avons des remords de conscience, c'est pour des actes particuliers qui ont passé, comme par exemple, quand on dit : Il y a bien des yvrognes ; c'est qu'on a vu des particuliers qui le font dire, tout de mesure des remords que nous avons ce sont des actes particuliers qui passent en nous, tout de mesmes que les actes que nous voions en nostre prochain.

Nous soubsignés, docteurs en théologie de la Faculté de Paris, après avoir veu, leu et meurement considéré tous et uns chacuns les susdits articles, avons esté et sommes d'advis qu'il n'y a rien qui ne soit conforme à la doctrine de l'Église catholique, apostolique et romaine ; au contraire, avons remarqué plusieurs points nécessaires et profitables à toutes ames qui aspirent à la vraie et solide vertu, de sorte que au lieu de réprimener les personnes qui enseignent et pratiquent telle doctrine, il les faut louer et leur en sçavoir bon gré, comme choses fort utiles à notre salut. En foy de quoy y avons apposé notre seing manuel, ce 26 juillet 1629. Ainsi signé : A. du Val, P. Leclerc, N. Isambert, G. Froyer, E. Messier, Garnier, Dufresne, F. Baloy, de Mincé, M. Doles, gardien, J. Lescot, F. Antoine Mallet, docteur-régent, et Dufeu. »

En quoi donc les principes professés sentaient-ils le bûcher ? Étaient-ils molinistes, comme dit Racine, ou extravagants, comme prétend Grégoire ? Dans les maximes que nous venons de rapporter, il y en a qui feraient honneur au philosophe le plus éclairé, au moraliste le plus sévère ; non-seulement elles sont orthodoxes, mais la Sorbonne déclare qu'elles peuvent être très-utiles pour le salut des âmes. La Faculté a-t-elle tort, et Racine a-t-il raison ? C'est au lecteur à prononcer ; car nous savons parfaitement que les théologiens ne sont pas plus d'accord entre deux que les médecins, les avocats et les poëtes. Quoi qu'il en soit, les pauvres Sœurs de l'Hôtel-Dieu, pour avoir enseigné ces principes, furent, malgré l'approbation de la Sorbonne, soumises à une rude persécution.

Le cardinal de la Rochefoucauld, chargé par Grégoire XV et Urbain VIII de réformer les ordres religieux en France, avait pris connaissance de l'affaire ; il ne douta pas, après la décision favorable de la Faculté, que l'accusation dirigée contre les religieuses ne fût calomnieuse, et, en 1630, il les relaxa des poursuites intentées contre elles. Mais les haines théologiques ne s'apaisent pas si facilement, et les discordes qui prennent naissance dans le cloître ont des racines profondes. Les ennemis des religieuses ne se tinrent point pour battus ; leur audace, au contraire, ne fit que s'accroître, et ils recommencèrent à prêcher publiquement contre elles et contre Antoine Bucquet. Une mauvaise foi si évidente excita l'indignation des Sœurs, qui se pourvurent devant l'évêque d'Amiens, Lefèvre de Caumartin, en appelant à la justice diocésaine du soin de les venger des attaques passionnées dont elles étaient l'objet. Leurs détracteurs n'attendirent pas le résultat de cette démarche, craignant avec raison d'être traités comme des calomniateurs ; ils obtinrent, à force d'intrigues, que l'examen de l'affaire fût repris en entier, et, portant leurs vues plus haut, ils s'adressèrent directement au cardinal de Richelieu et au père Joseph, son confident, mêlant perfidement la politique à la théologie, et faisant une affaire d'État d'un point de controverse religieuse.

Louis XIII, dominé par son premier ministre, crut l'autorité royale et l'intérêt de la religion en danger, et ordonna de procéder rigoureusement contre les novateurs. Le père Joseph fut chargé d'exécuter les ordres de la cour : on ne pouvait choisir un agent plus impitoyable. Les religieuses furent de nouveau confondues avec les guérinets, et traitées comme fauteurs d'hérésie. On trouve dans les Mémoires de Trévoux, du mois de mai 1704, quelques particularités sur cet événement.

« Le père Joseph, confident de Richelieu, détruisit une secte d'illuminés qui commençoient à s'établir surtout en Picardie ; on les appela guérinets, du nom de Pierre Guérin, curé de Roye. Ces mauvais directeurs abusaient de la simplicité de quelques filles dévotes pour répandre leurs erreurs. Ils leur permettoient de prêcher ; ils en établissoient des communautés dans la ville et la campagne. Ces nouveaux docteurs défendoient à leurs confidentes l'usage de la pénitence, surtout de jeûner, sous prétexte qu'en affoiblissant le corps on empêchoit l'âme de s'élever à Dieu dans l'oraison. Parmi ces illuminés on n'entendoit plus la messe, et l'on négligeoit l'usage des sacrements pour ne se point distraire de la contemplation. Les prisons furent remplies de ces hérétiques, et on étouffa le monstre dans son berceau ; le père Joseph fut chargé d'une commission si importante à la religion : il s'en acquitta sans épargner son ordre ni ses parents. » Le nom de famille du père Joseph était le Clerc ; il existait une famille de ce nom à Montdidier, et peut-être quelques-uns de ses membres furent-ils victimes de la sévérité inquisitoriale du fameux capucin : c'est ce que donnent à penser les derniers mots du passage que nous venons de citer.

On n'est pas d'accord sur ce qu'étaient les Guérinets ; les hérésies que leur imputent les rédacteurs des Mémoires de Trévoux diffèrent singulièrement de celles qui sont rapportées dans l'Histoire de Roye. Cette divergence n'est-elle pas de nature à faire naître quelques doutes sur la valeur de l'accusation ? Grégoire est dans l'erreur quand il assure que les illuminés furent découverts en 1634 ; on voit, d'après ce qui précède, qu'on s'occupa de cette secte antérieurement à la date qu'il indique.

Les Sœurs de l'Hôtel-Dieu ne pouvaient être inculpées de complicité avec les Guérinets ; l'exposé de leurs principes, approuvé par la Sorbonne, aurait dû les mettre à l'abri de la persécution. Il n'en fut rien cependant ; le bras séculier vint en aide à la justice ecclésiastique. « Les juges de Roye, et de Montdidier, » dit Grégoire, « furent commis pour en informer, et les prisons furent remplies de ces hérétiques ; ce qui causa tant d'épouvante aux chefs du parti qu'ils se cachèrent. Mais on publia un arrêt du conseil d'État, qui ordonnait de faire une exacte recherche, et l'on poussa cette affaire si vivement que cette malheureuse secte fut entièrement détruite en 1635. »

Les religieuses et leur maître furent arrêtés, conduits à Paris, et jetés dans les cachots de la Bastille ; leur procès s'instruisit comme en 1627 ; mais l'innocence de leur doctrine fut de nouveau reconnue, et, pour la seconde fois, les accusés furent renvoyés absous. De retour à Montdidier, Antoine Bucquet ne jouit pas longtemps du repos qu'il avait si chèrement acheté ; exerçant toujours ses fonctions de maître avec le zèle qui l'animait, il reçut à l'Hôtel-Dieu un étranger malade de la peste, le confessa, et gagna cette maladie terrible, qui l'enleva promptement. Ce fervent administrateur mourut en 1635, presqu'aussitôt après sa sortie de prison. Il était âgé de soixante-cinq ans : son' corps fut inhumé dans la chapelle de la maison.

Nous sommes entré dans des détails assez longs sur cet événement oublié aujourd'hui, mais qui eut autrefois un grand retentissement ; nous tenions à disculper les pauvres Sœurs de l'Hôtel-Dieu du reproche d'hérésie qui, reproduit par la plume de Racine, acquérait une certaine gravité. Quant à Antoine Bucquet, nous pensons que sa parenté avec Claude Bucquet, curé de Saint-Pierre de Roye, contribua beaucoup aux poursuites injustes dont il eut à souffrir ; la similitude de nom dut induire bien des personnes en erreur.

Claude Bucquet, curé de Saint-Pierre de Roye, et Pierre Guérin, curé de Saint-Georges de la même ville, indignés de la conduite immorale d'un maître d'école envers de jeunes filles confiées à ses soins, fondèrent en 1630, dans la ville de Roye, sous le nom de Filles de la Croix, une communauté destinée à l'enseignement ; à l'exception de la clôture, la règle des religieuses ressemblait à celle des Ursulines. Les Filles de la Croix s'établirent à Montdidier en 1683 ; nous avons dit, en parlant de l'hôpital, qu'elles étaient parvenues, en 1697, à se faire donner la direction de cette maison, qu'elles gardèrent fort peu de temps. Si Pierre Guérin était hérétique, ce que nous ne sommes pas chargé de décider, il était assurément homme de bien ; l'instruction de la jeunesse fut pour lui, comme pour Antoine Bucquet, une source de persécutions. On a de lui un ouvrage intitulé : La saincte œconomie de la famille de Jesus. Composé par M. Pierre Guérin, curé de Saint-George les Roye en Picardie. Dédié à monseigneur l'évêque d'Amiens. Paris, Denys Moreau, rue Saint-Jacques, à la Salamandre d'argent, 1633, in-12. Cet ouvrage est devenu très-rare.

La règle que les Frères et Sœurs de l'Hôtel-Dieu s'étaient primitivement imposée avait subi de nombreux changements. La charge de maître, érigée en bénéfice dans le quatorzième siècle, subsista jusqu'en 1671 ; Jean Dumont, le dernier titulaire, étant mort le 4 mars de cette année, il ne lui fut pas donné de successeur, et depuis cette époque les religieuses eurent seules l'administration de la maison. Dans le quinzième siècle, la nomination du supérieur de l'Hôtel-Dieu appartenait au roi, et, comme telle, fit partie des droits cédés au duc de Bourgogne, en vertu du traité d'Arras. Le 30 juin 1466, le comte de Charolois, étant à Péronne, nomma Guillaume Roussel maistre et gouverneur de l'ospital et Hostel-Dieu de notre dite ville de Mondidier comme vacant à notre disposition parce que depuis le transport à nous fait par monseigneur le roy de nos dites villes et des prevostés de Péronne, Mondidier et Roye ny a esté par nous aucunement pourvu comme entendu avons aux drois, prouffit et emolument accoustumés et que y appartiennent ; etc.

La mairie s'immisça peu à peu dans le gouvernement de l'Hôtel-Dieu. Nous avons vu qu'en 1532, les maïeur et échevins avaient été investis du droit de présenter le maître ; successivement ils en acquirent d'autres. Le maître était tenu de rendre ses comptes en leur présence, et ne pouvait rien aliéner sans leur consentement ; il lui était défendu de donner l'habit religieux sans leur permission ; néanmoins les maïeur et échevins n'étaient pas, à proprement parler, administrateurs, car jamais ils ne touchèrent les revenus, ne passèrent les baux, ne constituèrent de rentes et n'en reçurent le montant ; leur autorité se bornait à un droit de surveillance. Le nombre des sœurs et des novices ne devait pas excéder celui de sept ; mais on ne tint jamais la main à l'exécution de cette condition, et l'on compta jusqu'à vingt religieuses à l'Hôtel-Dieu.

La cessation de la lèpre ayant rendu inutiles les maisons destinées à recevoir les malheureux atteints de cette maladie, Louis XIV supprima les maladreries, et réunit leurs revenus aux hôpitaux et aux Hôtels-Dieu. Par arrêt du conseil du 13 juillet 1695, et lettres patentes du roi enregistrées au parlement le 3 mars 1696, les biens et revenus des maladreries de Montdidier, Guerbigny, Paillart, Rouvroy, Démuin, Lamotte, le Quesnel, Harbonnières, Dompierre, Davenescourt et Mézières, furent concédés à l'Hôtel-Dieu pour en jouir à perpétuité, à la charge de recevoir un nombre déterminé de malades appartenant aux communes que nous venons de citer. Lors de la fermeture du couvent des Franciscaines en 1765, les religieuses obtinrent également une portion des biens qui étaient la propriété du tiers ordre.

En 1791 il y avait quatorze sœurs à l'Hôtel-Dieu : sept prêtèrent serment à la constitution civile du clergé, sept le refusèrent ; en septembre 1793, ces dernières furent enlevées de l'Hôtel-Dieu et conduites de prison en prison. Les autres demeurèrent à l'hospice, continuant de soigner les pauvres, de panser les malades, de s'acquitter des devoirs de leur état, sans s'inquiéter du bruit que faisait autour d'elles la tempête des passions humaines. Aimez-vous les uns les autres, a dit saint Jean ; elles se rappelèrent le précepte de leur patron, et le pratiquèrent sans distinction de personnes et de temps ; leur dévouement commanda l'admiration aux misérables qui faisaient trembler le pays, et pendant la Révolution elles furent toujours respectées. La Convention ayant confisqué les biens des hôpitaux pour les annexer au domaine national, les religieuses furent obligées d'aller de porte en porte quêter pour leur nourriture et celle des pauvres. C'est à la généreuse persévérance de ces sœurs que l'on doit la conservation de l'Hôtel-Dieu ; cependant, lorsque les mauvais jours furent passés, le serment qu'elles avaient prêté fut pour elles un motif de persécution. Est-ce donc aux hommes à sonder les cœurs et à descendre dans les consciences ?

Sous la Restauration, une ordonnance royale prononça la suppression de l'Hôtel-Dieu et réunit cet établissement à l'hôpital général ; on peut consulter à cet égard ce que nous avons dit au tome II, page 265.

L'Hôtel-Dieu pouvait recevoir vingt malades ; il était situé dans la rue de la porte d'Amiens, à gauche en montant ; il occupait l'emplacement de l'îlot de maisons compris entre cette rue, l'ancien cimetière Saint-Pierre, la rue Saint-Pierre et la ruelle qui conduit à l'église. Les bâtiments, d'un aspect assez triste, étaient de brique et de pierre ; leur construction datait de différentes époques ; la majeure partie avait été élevée de 1642 à 1650.

L'église était plus ancienne, et formait l'angle de la ruelle avec la rue de la porte d'Amiens ; l'extérieur existe encore, mais l'intérieur, entièrement mutilé, n'a conservé aucune trace de sa première destination. Son architecture n'offrait rien de remarquable ; elle avait été consacrée, en 1514, par Nicolas Lagrené, évêque d'Hébron, suffragant de François de Halluin, évêque d'Amiens. On remarquait, à la première fenêtre de droite, une belle verrière représentant la Transfiguration de Notre-Seigneur ; elle se trouve maintenant à Saint-Pierre. Les armes de Jean de Hangest, de la famille de Mailly, de Jean Hérault et de Michel Pavie, se distinguaient aux différentes fenêtres. La verrière du côté de l'évangile était un don de ce dernier ; il y était figuré, comme à l'église du Sépulcre, avec Saint-Michel, son patron, et avec ses armes. (Voir tome II, page 96.) Au bas on lisait :

Icelle verrière a donné vénérable personne Michel pavye, docteur en théologie, doien et chantre de Nostre-Dame de Cambray, conseiller du très-illustre prince Charles, archiduc D'Autriche, prince de Castille, comte de Flandre et Artois.

Sur une verrière divisée en trois compartiments on voyait Antoine de Lignières, chanoine de Noyon, en surplis et 'avec l'aumusse ; Jean de Hangest, son neveu, revêtu d'habits bleus, et Barbe le Boulanger, sa femme, en robe à queue, de couleur écarlate. Ces trois personnages étaient à genoux devant des prie-Dieu supportant un livre ouvert ; à côté d'eux étaient leurs patrons, et au-dessous leurs armoiries. Des ornements d'architecture, variés à l'infini, formaient un riche encadrement ; au bas était écrit :

Noble homme messire Antoine de Lignieres,
Chanoine de Noyon et seigneur de Domfront
Et Jean de Hangest,
Ecuyer son neveu,
Ont donné à l'église de céans
Un muid de blé annuel.

Dans le dernier siècle il ne restait de cette belle verrière, qui datait de 1520 environ, que saint Jean-Baptiste et saint Antoine, patrons des donateurs, et les armes de Jean de Hangest.

Dans le pouillé du diocèse de 1648, le revenu de la chapelle de l'Hôtel-Dieu est fixé à 26 livres. En 1832, l'Hôtel-Dieu fut vendu moyennant 29,100 fr., les bâtiments et la chapelle furent conservés en partie et convertis en maisons particulières. Durant les travaux de démolition exécutés au mois de novembre de cette même année, on trouva sous le pavé du maître-autel un petit vase d'étain altéré par la rouille et couvert par un morceau d'ardoise, taillé en rond, sur lequel étaient gravés ces mots : altare sti jhis baptistæ. Ce vase renfermait une bande de parchemin en mauvais état, sur laquelle était écrit l'acte de consécration de la chapelle ; en voici la teneur :

« Anno Domini millesimo quingentesimo decimo quarto, die nono mensis octobris, Reverendus in Christo pater dominus Nicolaus Dei ac sancte sedis apostolice gratia episcopus Ebronensis et de permissu et auctoritate reverendi in Christo patris et domini Francisci de Halewyn eadem gratia episcopi Ambianensis, dedicavit et consecravit hanc presentem ecclesiam sive capellam nec non hoc altare in honorem Dei omnipotentis et beatissime virginis Marie sanctorumque omnium curie celestis. » Manque la signature.

Le cimetière de l'Hôtel-Dieu se trouvait en dehors de la ville, près de la place du Marché-aux-Chevaux ; la route d'Amiens à Compiègne et la cour de l'École des Frères en occupent une partie ; ce cimetière fut transformé en jardin après la Révolution. Au mois de décembre 1824, la ville, voulant agrandir la place, fit l'acquisition de cet ancien cimetière moyennant 1,200 fr., à la condition expresse, imposée dans l'autorisation accordée par le gouvernement, de faire servir le terrain à un marché aux chevaux. Le jardin de l'Hôtel-Dieu fut vendu 4,000 fr., en 1825 ; il était à quelques pas du cimetière, et s'étendait de la mare du Chemin-Vert à la rue du Manége ; il a fait place à une grande maison qui a de vastes dépendances et un beau jardin.

L'Hôtel-Dieu portait pour armes : un agneau surmonté d'une banderole, ce qu'on appelle vulgairement un Agnus Dei.

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